Alain Duhamel ayant présenté Eric Zemmour (EZ) comme un possible candidat pour 2022, ce dernier "n'a pas dit pas non" (Valeurs actuelles).
Je pense que EZ, dont la présence est irremplaçable dans la vie intellectuelle, dans les débats politiques, sociétaux et médiatiques (CNews), commettrait une grave erreur en s'aventurant dans la joute présidentielle.
Il n'est certes pas facile de résister à l'appétence d'une ambition que d'autres souhaitent vous voir assumer mais je suis persuadé que EZ est trop lucide pour tomber dans ce narcissisme sans s'interroger plus avant.
Il se souvient de sa participation à la journée sur l'union des droites où, grippé il est vrai, il a fait le pire discours qui soit. Parce que, tout simplement, il n'était plus dans son registre, sur son terrain de prédilection.
Il faut d'ailleurs prendre garde à ne pas constituer en posture, en gadget, cette idée forte de l'union des droites. Ce n'est pas un sujet à régler dans des conciliabules d'arrière-boutique avec des personnalités qui se choisiraient elles-mêmes. Dans une cooptation douteuse.
Malgré l'indignation obligatoire de la gauche faisant passer son intérêt pour de la morale et la répugnance d'une partie de la droite honteuse d'elle-même, on a le droit d'appréhender cette opportunité pour tenter de mettre fin à cette déperdition intellectuelle et politique tenant à l'apparent antagonisme d'une droite dite républicaine et d'une droite extrême (débarrassée, s'il en reste, de ses quelques dinosaures nostalgiques du fascisme et du nazisme).
Pour peu qu'on veuille bien accepter l'argumentation de Marion Maréchal, on conviendra que l'étiquette d'extrême droite paresseusement apposée n'a pas de sens selon les critères classiques et qu'en tout cas il n'y aurait pas plus d'indécence à débattre aujourd'hui de cette union qu'il n'y en avait hier, pour François Mitterrand, à réunir gauche socialiste et parti communiste pro-soviétique pour sa conquête du pouvoir.
Il conviendrait d'autant plus de se poser sérieusement, sereinement, en parfaite transparence démocratique, cette question de l'union des droites que partout ailleurs, sauf pour Emmanuel Macron - son épouse n'a guère été convaincante quand elle l'a encore jugé incertain pour 2022 - et le RN, les discussions, les hostilités, les égoïsmes et les dissensions vont se multiplier jusqu'à cette proche échéance présidentielle.
Les communistes auront sans doute leur candidat, Jean-Luc Mélenchon se préfère à l'union de la gauche, Yannick Jadot tient à 2022 et, s'il le faut, affrontera Eric Piolle dans une primaire pour être choisi, Anne Hidalgo met ses équipes en ordre de marche, Arnaud Montebourg cherche un peu partout de quoi donner de la substance et du crédit à son mouvement "L'Engagement", les socialistes sont prêts à s'allier avec les écologistes pour les laisser l'emporter et, à droite, Xavier Bertrand voudrait faire cavalier seul et Christian Jacob, ne cessant de regretter l'un et l'autre malgré le refus explicite de Nicolas Sarkozy et celui implicite de François Baroin, implacablement enfonce LR dans une nasse dont la seule finalité est le "Tout sauf Bruno Retailleau". Malgré une récente déclaration guerrière où il incite "les militants à aller chercher la victoire" ! Comprenne qui pourra.
Face à une telle confusion où le narcissisme prend le pas sur la plausibilité politique, la problématique de l'union des droites perd son caractère incongru, voire utopique, pour certains choquant, et rejoint un terrain éminemment acceptable, à vocation opératoire.
Mais EZ, s'il est plus que jamais nécessaire dans cette invention du futur et pour élaborer avec d'autres un projet où l'indépendance, l'identité et la sauvegarde de la France seront centrales, me semblerait perdre son esprit, ses qualités, cet art de la provocation ciblée et sa formidable influence, dans un combat où on ne lui demanderait plus d'éveiller, de réveiller, de dénoncer et de stimuler mais d'accomplir.
Non pas que je le croie inapte à l'action mais celle-ci, s'il continuait "à ne pas dire non", même à dire oui, constituerait rapidement une insupportable limite dressée face à ses exigences extrêmes et à son absolutisme patriotique.
Confronté à la réalité, il devrait laisser tomber, les unes après les autres, ses fulgurances et ses ambitions. Dégradées en illusions. Un EZ candidat, quel que soit son drapeau, nous contraindrait à faire le deuil de l'autre, de l'utile, de l'authentique, et à l'inscrire dans le cours ordinaire des politiciens défrisés brutalement à cause de l'impuissance même relative du quotidien.
Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler un très long entretien accordé à Valeurs actuelles et où il avait donné dans le détail toutes les mesures qu'il mettrait en oeuvre, notamment pour l'immigration. La France aurait été à feu et à sang ou, si un référendum avait validé l'ensemble, notre pays aurait dû payer sa lucidité avec la rançon d'une implacable cruauté démocratique, d'une mise à l'écart radicale d'un humanisme sans lequel le réalisme nu serait sec et orphelin.
EZ probablement a-t-il conscience que, s'il peut être suivi l'esprit ouvert sur CNews, il ne le serait jamais les yeux fermés s'il dérivait vers une implication partisane ?
Qu'il ne voie surtout pas dans ma volonté de le dissuader quoi que ce soit de condescendant ou d'inamical ! C'est le contraire.
Ses ennemis, pour ce qu'il a de remarquable, sont déjà en nombre. Qu'il n'en ajoute pas d'autres pour ce qui ne serait plus vraiment lui !
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