Cela fait longtemps que j'avais envie d'écrire sur la libération de la parole et l'obligation de réserve. Le blâme que la ministre des Armées, pourtant une femme de qualité et de bon sens, a infligé au capitaine de gendarmerie Hervé Moreau pour les "vérités" vigoureuses qu'il a écrites dans un livre publié à compte d'auteur me semble injuste, d'autant plus que cet officier d'active n'était pas naïf mais ne s'attendait qu'à des arrêts de rigueur (Boulevard Voltaire).
Il a pris des risques, il les assume et sa démarche est louable.
On a compris que je voudrais sortir cette libération de la parole du champ quasi exclusif où on l'a enfermée durant ces deux dernières années. En effet il n'y a aucune raison de ne pas plaider en faveur de l'émancipation de TOUTES les paroles, qu'elles émanent de victimes singulières ou se revendiquant comme telles ou de professionnels en fonction dans des corps régaliens.
Il ne s'agit pas de valider, par une sorte de progressisme partisan, n'importe quelle explosion, quelle éructation. La harangue d'Oswald Baudot en 1968, ou le Mur des cons de 2013, ont été des provocations inouïes dont l'esprit public a eu du mal à se défaire parce qu'elles étaient à la fois absurdes et dangereuses
Pour les paroles acceptables, il convient d'abord de sauvegarder le principe élémentaire, dans toutes les situations, de garde-fous garantissant, dans le registre judiciaire comme dans le cloaque possible des réseaux sociaux, une honnêteté et une fiabilité nécessaires à proportion de la liberté laissée à chaque citoyen, à chaque fonctionnaire, à chaque militaire.
Je n'ai jamais été un fanatique de l'obligation de réserve et, sauf quand sa violation altérait la légitimité professionnelle de ceux qui la transgressaient, elle m'est toujours apparue plus comme un moyen d'étouffement que pour un devoir plein de sens. J'avais d'ailleurs considéré que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy - je lui rendais grâce sur ce point -, l'obligation de réserve s'était assouplie, avait pris une tournure nettement moins rigide parce qu'il avait permis à certains de ses proches collaborateurs de s'exprimer dans les médias. Cette tolérance avait bénéficié à tous. Ce mouvement avait été très positif et il serait paradoxal de revenir à une conception orthodoxe et stérilisante alors que tout aujourd'hui impose l'inverse.
En effet, vanter sans aucune discrimination les lanceurs d'alerte même les plus douteux, comme on le fait depuis quelque temps, impliquerait au moins que les avertissements sérieux, les semonces plausibles et les mises en garde bienfaisantes soient appréhendés avec l'attention et presque le respect qu'ils mériteraient. Aussi dénonciateurs qu'ils soient.
J'ajoute - et cet argument me semble décisif - qu'un pouvoir, qu'un ministre n'auraient une légitimité pour sanctionner sévèrement la violation d'une obligation de réserve que s'ils menaient une politique suffisamment efficace pour appeler une adhésion sans réserve.
Rien n'est plus contraire au climat régalien depuis 2017 où tout appelle à rebours, quasiment chaque jour, une indignation civique, un découragement de toutes les forces de l'ordre. Tout démontre, dans l'unité perdue de la France, la mainmise de bandes, de clans, de groupes se situant hors République et prenant quartiers et cités pour leur authentique patrie et leurs transgressions et affrontements pour un mode de vie à prendre ou à laisser par la France officielle désarmée, impuissante, au pire aveugle, au mieux fataliste.
Les coups de menton du Premier ministre - du genre : rien ne restera impuni, le 5 mars - et/ou du ministre de l'Intérieur, répétitifs et malheureusement sans effet, sont plus pathétiques que stimulants.
Et le capitaine Hervé Moreau n'aurait pas eu le droit de sonner le tocsin pour marteler l'urgence de solutions à trouver, de scandales à faire cesser, de violences à éradiquer, de deux poids deux mesures à briser et de complaisances, de lâchetés à dissiper ?
Quand un pouvoir n'est manifestement pas à la hauteur et que de plus en plus des citoyens décident de prendre leur sécurité en main et parfois même de se substituer à la Justice, il faudrait incriminer ces initiatives de dernier recours au lieu d'édicter sa culpabilité ?
Il convient dorénavant de renverser la table et d'accepter, sauf reprise exemplaire et sans équivoque de l'autorité de l'Etat jusqu'au modeste niveau des territoires oubliés de la France profonde, que le procès ne soit plus intenté à ceux qui se battent et n'ont pas d'autre choix mais à ceux qui ont failli. On ne peut pas attendre tous les cinq ans pour se consoler !
La libération de toutes les paroles, aujourd'hui, est un devoir. La mise à l'écart, en certaines circonstances, de l'obligation de réserve par des voix singulières et courageuses, une obligation.
Le capitaine Moreau n'est pas à blâmer mais au moins à écouter, à lire. La vérité est une chance, pas un poison.
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