Ils, c'est le pouvoir, c'est le ministre de la Justice, ce sont les ministres, les députés de la majorité relative, le président de la République, les intellectuels et essayistes qui les soutiennent, les polémistes qui se battent pour eux, cette multitude officielle qui a droit à la parole et ne s'embarrasse pas souvent de précautions de langage. On aurait pu penser que cette libération d'un verbe de plus en plus intense et vindicatif, de plus en plus désaccordé d'avec la sérénité théorique appelée par les fonctions exercées, aurait laissé dans les oubliettes l'obligation de réserve des magistrats.
Non pas que cette exigence soit devenue caduque mais tellement bousculée et adaptée, revisitée et modernisée qu'en définitive on était fondé à se contenter avec pragmatisme de ce que chaque magistrat et le syndicalisme en faisaient.
Sauf quand l'ignominie s'en saisissait comme dans le Mur des cons de sinistre mémoire.
Pourtant le garde des Sceaux a décidé de questionner le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) "sur les limites de la liberté d'expression des magistrats". Plus précisément, il a formulé cette appréciation : "...les formes de plus en plus diverses que revêt l'expression publique, individuelle ou collective, de magistrats à l'occasion d'audiences solennelles, ou encore par le biais de l'expression syndicale, peuvent parfois, pour l'opinion publique, interroger le respect des obligations de réserve et de neutralité" (Le Figaro).
Elle met directement en cause une forme d'engagement qui, dès lors qu'elle n'a pas une traduction ostentatoirement partisane, est légitimée par la réflexion judiciaire, l'adhésion ou non aux projets du Gouvernement et le dialogue nécessaire entre le pouvoir, les syndicats et les quelques magistrats libres de toute attache qui pourraient et devraient être consultés.
Cette question de l'obligation de réserve me paraît d'autant plus inutile à poser qu'on sait à quel point, depuis le seul mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy, elle a pris un tour plus large, plus libéral, résultant logiquement de la latitude de parole que le président lui-même s'était octroyé et, surtout, de celle, notamment médiatique, qu'il avait permise à certains de ses conseillers les plus proches. Il était inconcevable d'aborder l'obligation de réserve, avant ou après 2007, de la même manière.
Ainsi il me semble qu'interpeller le CSM de la sorte, dans des circonstances clairement inopportunes, ressemble davantage à une tactique plaçant artificiellement ce thème sur le devant de la scène politique et médiatique, qu'à un authentique besoin de révision de ce concept, une fois admises l'impossibilité de supprimer le syndicalisme judiciaire (ce souhait est souvent exprimé) et l'interdiction de toute prise de position politique faisant fi de l'impartialité, vertu centrale et essentielle du magistrat.
Pour m'approcher, plus personnellement, du coeur du sujet, j'ai envie, s'agissant d'Eric Dupond-Moretti, de juger sa préoccupation non seulement totalement déconnectée mais, d'une certaine manière, offensante pour la magistrature. En effet je ne suis pas persuadé que son parcours ministériel, avec les aléas judiciaires qui l'encombrent et son maintien en poste malgré eux, soit le meilleur garant de sa légitimité pour le processus qu'il a décidé de mettre en oeuvre, de même d'ailleurs que certains de ses comportements et de ses propos à l'Assemblée nationale.
L'Union syndicale des magistrats (USM) se saisira de ce thème lors de son prochain congrès au mois de septembre.
Pour ma part, en conclusion, à dire vrai, j'estime qu'on n'a rien à interdire aux magistrats, surtout pas ceux qui n'ont jamais respecté la réserve ministérielle et/ou présidentielle, mais qu'au contraire ceux-ci sont beaucoup trop frileux, si peu pugnaces, trop rares dans leurs ripostes et leurs contradictions.
Trop souvent victimes consentantes.
Il faut qu'ils sortent de l'impression de mépris autarcique et peureux qu'ils peuvent donner parfois au commun des citoyens.
Et soient tout simplement fiers de ce qu'ils sont et font.
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