Corneille et Racine, nos deux génies du XVIIe siècle, sont souvent résumés par ce contraste : le premier décrit l'humanité telle qu'il la voudrait tandis que le second la présente telle qu'elle est.
Je suis frappé de constater que cette démarche contradictoire irrigue beaucoup de nos attitudes dans la vie familiale, politique, médiatique, judiciaire et autres moments clés de l'existence. Je ne crois pas opérer une généralisation abusive à partir de mon propre tempérament qui n'a que trop tendance à projeter, au-delà de chacun, celui qu'il aurait dû être. Pour me faire pardonner cette attitude qui, quoique souvent implicite, a un parfum totalitaire, je prétends n'être pas gêné quand elle m'est appliquée en arguant du fait que je me suis spontanément, et sans cesse, livré à mon introspection critique.
Il est clair que dans notre monde actuel, le point de vue de Racine a largement gagné et qu'il est grossier de s'émouvoir, voire de s'indigner du hiatus entre la réalité d'une personnalité et de ce qu'on aurait pu espérer d'elle.
Aujourd'hui l'acceptation d'un être, avec ses ombres et ses lumières, ses moments de grâce mais ses îlots de platitude et de monotonie, est devenue la règle. Cette propension à légitimer ce qui est, conduit d'ailleurs notre époque à accepter la banalisation, dans tous les domaines, comme une évidence. On préfère le partage indifférencié d'une humanité sans éclat à l'inégalité résultant de la supériorité de quelques-uns et à l'admiration que cette dernière devrait susciter.
C'est sans doute à cause de ce nivellement en quelque sorte tristement démocratique qu'une sorte de tolérance s'est abattue sur tout et sur tous et qu'un président de la République, ancien ou en activité, n'est pas davantage blâmé pour ses transgressions personnelles que le commun des citoyens. Le réel, quelle que soit sa nature, appose son décret d'autorité sur les virtualités et les rêves. La plupart des gens se font une sagesse et parfois même une gloire de prendre acte seulement de ce qu'autrui, l'humanité, leur offrent sans jamais s'en mêler.
J'ai bien conscience que la disposition de caractère contraire crée trop souvent chez moi une déception tenant, dans tous les registres de la vie, à regretter qu'il n'y ait pas plus et mieux. Cette impression me vient chaque fois qu'une réputation usurpée blesse par l'écart entre l'hyperbole et la réalité professionnelle. Pour ne pas évoquer cette frustration qui vous fait croire à bon compte qu'en certaines circonstances on aurait été meilleur !
Claire Chazal et aujourd'hui Léa Salamé par exemple ne font pas souffrir le citoyen à cause d'elles mais par l'excès de ce que leur univers déverse sur elles, qui est à la fois faux et absurde. À rebours, je me bats modestement quand l'inverse fait pâtir de grands et d'indiscutables talents d'une discrétion choquante, d'un anonymat incompréhensible.
Il serait dommage, même avec le triomphe du réalisme racinien dans le monde contemporain, de croire que les hiérarchies sont supprimées et que toutes les natures se valent.
À ne pas rêver sur elles, on est cependant bien obligé de constater que certaines brillent plus que d'autres et que par exemple la personnalité d'un Nicolas Sarkozy ou d'un Emmanuel Macron passionnent plus que des figures plus sereines, voire plus tièdes. Les premières offrent évidemment un terreau plus riche qui a d'ailleurs pour rançon de susciter plus de désillusion quand il se délite dans l'action. Il conviendrait d'ailleurs, pour ces êtres d'exception, que leurs débordements fussent contrôlés non par des complaisances mais par des bienveillances critiques.
En sautant de la politique au divertissement - je mesure les limites de cette comparaison -, Cyril Hanouna (CH), qui appartient indiscutablement à la catégorie des personnalités qui "existent", est loué par le président du directoire du groupe M6 qui déclare lui avoir "fixé des règles claires : pas de promotion de fake news, pas de débats politisés et pas d'attaques ad hominem" (Le Parisien).
Autant j'approuve la première, autant les deux suivantes me semblent artificielles. CH pourra évoquer "des sujets politiques" mais donc "sans débat politisé". Je souhaite bien du courage à ceux qui auront à contrôler CH sur ce plan ! Quant aux attaques ad hominem, elles mettaient à bas au moins l'hypocrisie française qui dénonce dans le vague sans nommer.
Il y a des personnalités, où que ce soit, qui sont ce qu'elles sont mais il y en a qui sont plus que d'autres.
De ces deux génies, Racine a anticipé tandis que Corneille est dans un splendide isolement. Accepter ou non, telle est toujours la question.
Mais, aujourd'hui, elle est tranchée.
Les commentaires récents