"Vive la liberté d'expression !"
C'est le titre qu'a choisi la nouvelle publication du groupe de Vincent Bolloré : le JDNews, avec aux commandes Laurence Ferrari (Le Monde).
D'abord on ne peut que se féliciter de la mise en exergue d'un tel thème. Il est symptomatique qu'à gauche comme à l'extrême gauche, on ne verra jamais, sur le plan médiatique, une tel hommage rendu à la liberté d'expression, pour cette raison essentielle, évidente, chaque jour démontrée davantage, que cette valeur n'est à préserver que si elle sert le camp largement entendu du progressisme. Vouloir sa généralisation serait favoriser la cause de tous ses adversaires qui donc naturellement ne doivent pas y avoir droit.
Ce sont les conservateurs qui, n'ayant pas peur de la contradiction qui leur est opposée, s'obstinent à célébrer la liberté d'expression ou, aujourd'hui, à la défendre tant elle est menacée par des biais divers.
Des multiples interventions recueillies par le JDNews, je retiens prioritairement celle de Michel Houellebecq qui, avec cette touche d'ironie grave qui est sa marque de fabrique, énonce sans doute la limite la plus fondamentale à une liberté d'expression absolue, une fois exclues les infractions incontestables qui la rendraient fautive : "On peut peut-être parler, mais à condition de commencer par quelques formules propitiatoires du genre : "Je crois à l'inclusion, la tolérance, j'aime toutes les religions, toutes les races et tous les êtres, et les animaux aussi"." Je pourrais ajouter à cette liste : je n'aime pas Éric Zemmour, le Rassemblement national n'est pas républicain et tou(te)s les homosexuel(le)s sont forcément exceptionnels !
Cette impossibilité de penser, de parler et d'écrire, sans avoir auparavant versé sa dîme aux autoroutes du conformisme et à cette inquisition étouffante de la bonne conscience, est dramatique. Elle stérilise même les esprits les plus audacieux et conduit trop souvent à s'excuser de ce pourtant on devrait être fier : sa liberté.
Cette inéluctable retenue a pour conséquence désastreuse d'avoir bouleversé les critères susceptibles de donner crédit à un écrit ou à un propos. Alors qu'ils ne devraient pas y en avoir d'autres que la vérité ou la fausseté, la bonne foi ou la malignité, une dérive s'est développée qui, se substituant à ces principes, a imposé une nouvelle obligation : celle de la décence.
Avant même l'exigence de vérité, pourtant fondamentale, domine la prescription de ce qui est convenable et bienséant. Décrire la réalité telle qu'elle est ne saurait constituer un motif d'indulgence puisqu'il convient, quand on a compris l'époque, de sélectionner en son sein ce qui est audible et admissible au détriment de ce qui serait peut-être vrai. Non plus la liberté de tout dire mais la morale frileuse de savoir taire.
Ce climat offre d'ailleurs plus d'un paradoxe. Un mélange de vulgarités et de grossièretés qui n'émeuvent personne et de pudeurs de chaisière qui hypertrophient des moments parfaitement normaux. On n'est tellement plus habitué à des affrontements vigoureux sur le fond mais courtois dans la forme que n'importe quelle vivacité est perçue comme un clash, tout parler-vrai comme une offense.
Si gauche et extrême gauche ne représentent jamais un exemple pour le meilleur, en revanche, pour la liberté d'expression, leur manière de ne la considérer que faite pour elles peut constituer à droite une tentation pour le pire. Il est tellement confortable de ne rapporter qu'à soi cette belle exigence intellectuelle et humaine, qu'insensiblement on glisse du partage à la privatisation.
Pour ma part je n'ai jamais pu supporter l'idée d'une liberté qui ne soit que pour moi en matière intellectuelle. Puisque le propre d'une idée - dans tous les échanges pluralistes qui nous échoient - est de pouvoir être contredite. La différence entre les intervenants est moins perceptible dans le caractère discutable ou non du fond que dans la capacité d'écoute de l'autre. Je suis épris des intelligences de l'autre côté de ma rive. Rien ne me paraît plus absurde que de s'imaginer vaincre les thèses contraires en ne veillant pas à leur incarnation dans la joute médiatique. D'autant plus que si elles font défaut, savoir penser contre soi n'est pas à la portée de tout le monde !
Je me souviens d'une période où j'étais sans indulgence pour tous ceux qui parlaient sans rien dire et qui noyaient la pauvreté de la pensée derrière les circonlocutions obscures du langage. Sur les esprits simples et les auditeurs guère attentifs, cela fait toujours de l'effet ! Mais j'avoue être devenu moins sévère. Non pas que l'ennui me guette moins mais parce que je me suis rendu compte, en partant d'abord de moi, que s'adonner à une expression toujours la plus libre possible était épuisant. Qu'il y faut une concentration, une intensité, une affirmation de soi éprouvantes. Je comprends que certains s'en débarrassent en s'acceptant plus frileux, plus convenus !
Ne se trompe-t-on pas en en réduisant la liberté d'expression au seul univers des mots, dans l'écriture ou dans l'oralité ? Un exemple récent lié à la composition du futur gouvernement m'a fait réfléchir sur ce point. Il paraît qu'à l'injonction de certaines associations, le président de la République aurait incité le Premier ministre à retirer Laurence Garnier prévue comme ministre de la Famille : elle aurait participé à la Manif pour tous ! Si c'est vrai, c'est triste. Une loi a été votée, tout ce qu'on doit exiger est le respect de celle-ci. Avoir défilé dans le cadre de la Manif pour tous, un crime, une ignominie, un péché mortel ? Ces associations qui prétendent faire la loi en jetant un opprobre partisan à l'encontre de tel ou telle sont directement responsables d'atteintes graves à la liberté d'expression. Cette dernière mérite qu'on ne lui donne pas un sens étriqué.
Il convient d'autant plus de proclamer "vive la liberté d'expression", car Liberté, on ne te chérit pas en France !
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