Un Don Quichotte de la Justice.
Contre une multitude de moulins à vent.
Les ignorances, les dérisions, les mépris, les opprobres singuliers ou collectifs, les sarcasmes et ironies médiatiques, les dénonciations politiques, toute la gamme de ce qu'une hostilité ne se remettant jamais en question oppose à l'institution judiciaire et aux magistrats qui la servent.
C'est à cause de ces diatribes incessantes, que la droite politique (à quelques exceptions près) et conservatrice cultive et que l'extrême droite conforte, qu'il me plaît de rendre hommage au Nouvel Obs qui consacre son dernier numéro à la "Justice sous pression" avec une "Enquête sur la montée du populisme anti-juges". Non pas que je sois accordé avec tout mais le simple fait de s'interroger sur les raisons de ce désastre démocratique mérite d'être salué.
J'ai déjà évoqué la méconnaissance générale par le monde politique, gauche et droite confondues, de la réalité de l'univers judiciaire, des principes de droit, des règles procédurales et de cette évidence républicaine que, dans une démocratie exemplaire, ce qui n'est pas partisan devrait l'emporter sur ce qui l'est.
Mon propos n'est pas de retomber dans mes indignations, banales à force d'être ressassées.
Je sais bien que c'est au sujet d'une seule personnalité que les magistrats, même quand ils ont été remarquables, sont présumés coupables. En tout cas bien davantage que le prévenu. On a compris que je fais allusion à Nicolas Sarkozy contre lequel sept ans sept ans d'emprisonnement, 300 000 euros d'amende et cinq ans d'inéligibilité (franceinfo) ont été requis par trois procureurs du PNF, de grande classe, à la presque fin d'un procès parfaitement présidé (Le Monde).
Ce serait mentir que de mettre en cause globalement les journalistes : il y a eu des comptes rendus honnêtes de ces réquisitions, par exemple dans le Monde, le Figaro, Marianne ou Mediapart.
Mais, pour l'essentiel, quelle curée subtile ou ostensible contre les magistrats, quel soutien quasi systématique accordé à Nicolas Sarkozy, quelle stupéfaction surjouée face à une charge, modérée s'il y a culpabilité. Qu'il soit relaxé dans plusieurs semaines me conduirait seulement à prendre acte de cette absolution comme je n'aurais pas la vulgarité de me réjouir de la sanction de notre ancien président.
Avant de me livrer à un inventaire détaillé des réactions qui se sont faites jour, directement ou indirectement, à l'occasion de ce moment capital du procès de Nicolas Sarkozy et autres, je voudrais faire un sort à mes joutes à la fois chaleureuses et contradictoires sur ce thème avec Pascal Praud sur CNews. Parce que cet animateur hors de pair me semble représenter la tendance dominante d'un certain journalisme français.
Il écrit une chronique tellement juste sur les supputations imprudentes et dangereuses au sujet de l'affaire du petit Émile Soleil (JDD) mais lui-même, dans nos confrontations, décrète à tout coup l'innocence de Nicolas Sarkozy et se plaît à ridiculiser les juges.
Je ne me permettrai pas de déplorer l'impact que peut avoir une telle attitude sur des citoyens s'informant sur une chaîne très regardée. Je voudrais juste relever que m'appelant pour rire "Monsieur Perpétuité", mon ami Praud ne sait rigoureusement rien de ma pratique d'avocat général à la cour d'assises de Paris et que, de son propre aveu, quelques avocats et son amitié pour Nicolas Sarkozy ont forgé ses convictions.
Qu'on me pardonne l'énumération nécessaire à laquelle je vais me livrer et qui pourrait être sommairement résumée par cette outrance de Mathieu Bock-Côté incriminant "la caste juridique" dans son offensive contre "la caste politique" (Le Figaro). Caste est un terrible mot dont je ne vois pas à quoi il correspond, en tout cas sur le premier terme de la comparaison.
On éprouve en effet l'impression d'une accusation étrange et paradoxale formulée à l'encontre de magistrats, comme s'ils avaient décidé de se saisir eux-mêmes des transgressions des hommes publics et qu'ils étaient responsables d'en avoir tiré des conséquences juridiques et judiciaires. Parce que Nicolas Sarkozy croit "au primat du politique", il aurait fallu le laisser en repos pénalement ? Le judiciaire ne nie pas l'élection, il l'éclaire.

Allons-y.
Le brillant Franz-Olivier Giesbert, dans Le Point, met entre parenthèses son intelligence et son honnêteté pour décrier les magistrats qui ont eu le tort de s'intéresser à Nicolas Sarkozy puisque ce dernier bénéficie de l'incroyable privilège d'être absous par principe à proportion du nombre de ses mises en cause.
Bruno Jeudy, dans la Tribune Dimanche, met en avant une alternative, un tout ou rien, qui sont précisément ceux que la Justice aura à trancher.
Guillaume Tabard, dans le Figaro, tombe en plein dans le conformisme médiatique en affirmant que "la neutralité des juges serait en question". On ne sait pas pourquoi mais peu importe.
Hervé Lehman, qui s'est fait une spécialité de dénigrer la magistrature avec une palette démagogique, décrète que "la partialité de la magistrature pose un profond problème démocratique". Parce que le prévenu Sarkozy est de droite, le ministère public serait de gauche ? Ce n'est pas sérieux. Quand on prend connaissance des réquisitions (dans le Monde notamment, grâce à Franck Johannès), il s'agit plutôt d'argumentations structurées susceptibles d'être judiciairement réfutées mais nullement de "partialité" (JDD).
En conséquence je suis navré d'être en désaccord aussi avec ce "sage" qu'est Jean-Éric Schoettl qui critique "une hubris judiciaire" (Le Figaro) au sujet de ces mêmes réquisitoires qui ne sont que l'appréciation fouillée et cohérente d'une accusation bientôt contredite par la défense. Je doute que cette dernière soit qualifiée de démesurée et d'excessive dans ses apologies !
L'académicien Jean-Marie Rouart qui identifie des "erreurs judiciaires" sans assister aux procès les concernant éventuellement - les absurdités et délires qu'il a proférés à CNews, le 31 mars, sur Omar Raddad ! - se voit offrir un entretien royal dans le Figaro Magazine où il profère cette fausseté sans être contredit : "Personne ne juge les juges, d'où leur sentiment de toute-puissance". Alors qu'ils sont sans doute plus stigmatisés que ceux qu'ils ont la charge et l'honneur de juger !
Chaque jour j'aurais pu recueillir des perles tendant toutes à blanchir Nicolas Sarkozy. Laurent Wauquiez, par exemple, aurait mieux fait de se taire, comme Bruno Retailleau se l'est imposé. Aurore Bergé, ministre de l'Égalité entre les femmes et les hommes, a fait le grand écart en refusant de se prononcer sur les réquisitions mais en assurant l'ancien président Sarkozy de son "respect" (BFMTV)!
Et tout cela sans attendre, dans une ignorance d'autant plus contente d'elle-même qu'elle évite d'avoir à s'affronter à de légitimes contradictions
Quand le Nouvel Obs pourfend le populisme anti-juges, je pourrais discuter le choix de ce terme. Ce qui est sûr en revanche est qu'il y a au moins deux populismes dont l'un est plus redoutable que l'autre.
Il y a celui du peuple proprement dit qui par peur, ignorance ou intimidation se méfie de la Justice.
Et, plus grave, celui des élites pourfendant sans cesse "la Justice", une force capitale pour la sauvegarde de notre civilisation, quelles que soient ses imperfections.
Et sans compter la multitude des citoyens auxquels il conviendrait de redonner confiance.
Nicolas Sarkozy, comme Marine Le Pen ou Éric Zemmour, restent des prévenus à part : il ne peut pas être coupable, ils ne doivent pas être innocents.
Ayant mentionné ces atteintes à l'équité médiatique et politique, je ne peux qu'approuver l'abstention de la gauche qui, selon Mediapart, n'est pas intervenue pour commenter les réquisitions contre Nicolas Sarkozy. Quelles que soient les raisons de cette retenue, celle-ci était de bon aloi.
À l'égard de cette droite et de cette extrême droite qui semblent oublier que le politique ne justifie pas tout et que la morale dans sa traduction pénale, importe aux citoyens de bonne foi quel que soit leur parti, je fais part de mon étonnement. Alors que même les consensus les plus pertinents sont récusés, on ne s'inquiéterait pas de cette concorde délétère qui par perversion idéologique ferait surgir, à chaque mise en cause de Nicolas Sarkozy, un flot médiatique univoque et partial ?
Je ne me pousse pas du col en m'étant défini comme le Don Quichotte de la Justice.
Quelqu'un qui ne jettera pas le bébé avec l'eau du bain.
Qui ne confondra pas certaines pratiques juridictionnelles avec des jugements aberrants (Marine Le Pen) avec l'ensemble des décisions pénales et l'univers judiciaire dans son entièreté.
Qui se battra, sans jamais mépriser personne, pour la plus belle cause qui soit : celle de la Justice que les plus grands esprits d'antan ont portée aux nues. Parce qu'ils savaient qu'une société meurt quand elle ne porte pas cet idéal dans ses sensibilités singulières, dans son coeur collectif.
Quelqu'un qui ne gagnera pas forcément ses combats mais au moins ne les fuira pas.
Le garde des Sceaux a suffisamment à accomplir pour qu'on ne lui reproche pas sa discrétion sur ce plan, surtout que sa fonction lui interdit de sortir de sa réserve à ce sujet.
Mais si nous avions un syndicalisme judiciaire capable de porter haut l'honneur et la grandeur d'être magistrat, de rappeler la formidable utilité de ce service public de la Justice, de ne pas noyer le pouvoir sous des doléances plus imprégnées de réclamations vindicatives que de demandes efficaces, nous n'en serions pas là.
Et ce billet serait inutile.
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