L'exigence du courage se proclame à proportion de la lâcheté qui sévit à peu près partout. Dans la vie intellectuelle et politique, dans l'univers médiatique, dans tous les espaces où en principe la simple audace de s'exprimer librement et tranquillement devrait être sauvegardée.
Mais toutes les démissions ne se valent pas et certaines sont plus redoutables que d'autres, dans leurs effets.
Depuis que Bruno Retailleau (BR) a été nommé ministre de l'Intérieur, un débat fondamental a été posé avec vigueur sur la table démocratique : celui de l'État de droit. Non seulement il n'a pas à s'en excuser et feindre de revenir sur certains de ses propos pour complaire mais, au contraire, il doit continuer plus que jamais à user de cette pensée et de ce verbe qui ont l'immense mérite d'avoir toujours été les siens.
Le soutien apporté à BR a une rançon : celle de laisser croire que Gérald Darmanin, à ce même poste, a démérité alors qu'il a sauvé l'honneur du régalien avant la mise en place du gouvernement de Michel Barnier. Je regrette qu'il semble s'abandonner maintenant à des jeux politiciens avec 2027 dans sa visée.
Il ne faut plus se laisser intimider.
Les déclarations de BR, en particulier dans un très long entretien au Figaro Magazine, suscitent un vif émoi de la part d'idéologues qui sont ses adversaires compulsifs (le réel qu'il voit, ils ne veulent pas le voir !) ou de naïfs qui ont fait de l'humanisme une opportunité d'abandon et de délitement.
Pourtant cette évidence qu'il énonce : "Quand le droit ne protège plus, il faut le changer", me paraît tellement à la fois de bon sens et d'un authentique humanisme (celui qui se met au service de la majorité des honnêtes gens et de la pluralité des victimes) qu'on aurait pu espérer un consensus quasi général.
En effet, sur des statistiques aujourd'hui indiscutées qui révèlent un lien entre une immigration non contrôlée et la criminalité qui peut en en surgir, sur la très faible exécution des OQTF et, plus généralement des peines, sur l'absurde loi sur les mineurs de 2021, le ministre de l'Intérieur affirme ce que la rectitude intellectuelle et le réalisme social et politique devraient inspirer à tous.
Je pense que le nouveau garde des Sceaux, dans son rôle et attentif à le préserver, ne se sentira plus contraint de mettre des bâtons dans les roues de son collègue de l'Intérieur, qui lui-même est parfaitement au fait des grandeurs et des faiblesses de la Justice.
Il ne faut plus se laisser intimider.
J'ai noté avec une grande satisfaction - rien n'est jamais gagné et la lâcheté sait couvrir toutes ses abstentions d'un voile honorable ! - le soutien clair, net et argumenté apporté à BR par cent soixante-dix députés et sénateurs de la droite républicaine (Le Figaro).
Ils ont rappelé que l'État de droit n'a pas vocation à être "intangible" et que le signifier n'a rien qui offense la démocratie. L'État de droit, c'est d'abord ce socle : "le respect de la Constitution, de la séparation des pouvoirs et de nos principes fondamentaux". Tout le reste peut être évolutif si on veut bien s'attacher à quelques repères inaltérables, à portée moins juridique qu'humaine, sans lesquels la démocratie tournerait à une sorte de sauvagerie officielle. Notamment on ne juge pas deux fois la même affaire, l'exigence de la non-rétroactivité, du principe de la prescription, de l'irresponsabilité pénale (on ne juge pas les déments).
À partir de telles lignes rouges, qui peut soutenir de bonne foi que le pouvoir politique n'aurait pas à mettre toute son énergie au soutien de la sauvegarde sociale et de la tranquillité de chacun ? Qu'oppose-t-on d'ailleurs à cet impératif à la fois humain et juridique ?
Les communiqués du Syndicat de la magistrature, sur ce sujet, nous confirment plutôt que BR parle vrai et voit juste.
Et, dans un tout autre registre, les propos convenus ( pour la haute hiérarchie judiciaire d'aujourd'hui!) du procureur général près la Cour de cassation Rémy Heitz ne sont pas bouleversants au point de nous dissocier de la rudesse lucide du ministre.
Ce n'est pas non plus le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, qui avec une banalité solennelle nous alerte sur le fait que "l'État de droit est la condition de la démocratie" qui nous troublera : on est d'accord avec lui.
Ce n'est pas également ceux qui confondent le jeu de mots avec l'analyse intellectuelle et juridique qui sont susceptibles de nous détourner du point de vue de BR : soutenir qu'il ne fallait pas confondre l'État de droit avec l'état du droit est amusant mais ne fait pas progresser.
L'excellente tribune de Jean-Éric Schoettl (Le Figaro), au contraire, nous éclaire quand il souligne que "l'État de droit ne doit pas empêcher de modifier l'état du droit". On ne peut que l'approuver quand il écrit ceci : "Le corpus des textes relatifs à la sécurité publique et à l'immigration, lui, n'est pas intangible. Il peut être modifié dans le respect des procédures dans lesquelles s'incarne l'État de droit et, en tout premier lieu, de la procédure législative".
On pourrait résumer ainsi : l'état de droit est un cadre dans lequel l'état du droit apportera sa pierre et ses dispositions avec pragmatisme. En allant aussi loin qu'une démocratie à la fois combative et se limitant pour ne pas se dévoyer le permettra.
Il ne faut plus se laisser intimider.
En particulier par une ultime injonction. Que feriez-vous à la place de ceux qui n'ont que leur bonne volonté ou, pire, leur impuissance à offrir aux citoyens pour les consoler ?
Il est facile de répondre que le volontarisme actif, le courage politique effectif, s'ils étaient mis en oeuvre, résoudraient beaucoup de ce qu'on prétend insoluble. Par exemple récemment, l'ancien ambassadeur de France en Algérie (de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020) Xavier Driencourt a proposé plusieurs pistes que la France devrait emprunter pour contraindre l'Algérie à délivrer les laissez-passer consulaires. Elles réduiraient sensiblement le nombre d'OQTF en jachère, non exécutées et qui mettent les Français en péril (Le Figaro). Il y faudrait presque rien : l'audace attendue de ceux qui nous gouvernent.
BR doit donner du courage à ceux qui doutent, aux fatalistes, aux frileux. Son plan d'action est de nature à rassurer la "majorité nationale" derrière lui. Son verbe ne sera pas un substitut aux oeuvres qu'on espère de lui.
Ne nous laissons plus intimider.
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