Je ne pensais pas atteindre aussi rapidement l'objectif que je m'étais fixé. Susciter un dialogue vigoureux, pertinent et, pour moi, très éclairant.
Non, Yves, je ne me perçois pas comme un donneur de leçons mais comme quelqu'un qui exprime librement une opinion et qui sait qu'elle sera forcément contredite par tel ou tel. Pour Outreau, l'affaire étant en cours d'examen en appel à Paris, vous me permettrez de ne rien en dire. Toutefois, la phrase de l'expert Viaux ayant été dite hors audience, puis-je dire à Verel que je partage absolument son sentiment. La classe et la compétence, pour reprendre la métaphore que l'expert croyait péjorative, c'est de ne pas faire une expertise "de femme de ménage", même si on est payé comme une femme de ménage, ce qui, de surcroît, est faux.
Pour le "plaider coupable" à la française, compte tenu de sa particularité, je ne crois pas que l'écart entre les avocats, bien payés ou commis d'office, entraîne des conséquences aussi préjudiciables que pour d'autres procédures plus lourdes, correctionnelles ou criminelles. Je réponds à Gérard sur ce point. J'indique aussi à Eolas que je regrette que le système français ne permette pas justement de négocier la suppression d'une infraction. On n'en est pas là!
Ma position sur les propos de Carole Bouquet a suscité une chaleureuse bronca. Peut-être ai-je été mal compris ou me suis-je mal expliqué ? Oui, Eve, son attaque pourrait caractériser une infraction si on démontrait qu'elle avait pour but de porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance. On aurait pu se poser la question mais les poursuites sont très rares de ce chef, pour ne pas dire inexistantes. Souvent par opportunité politique (au sens large) et pour ne pas risquer de faire trop de vagues. Ce n'est pas l'un des moindres vices de notre société que de voir ainsi, et en général, la loi céder devant la dictature de l'émotion plutôt que de la voir dominer des émois collectifs respectables mais sans rapport avec sa nécessité.
Il est évident que les citoyens doivent prendre et avoir la parole au sujet de la justice. Si je ne partageais pas la préoccupation sur ce plan de Didier notamment, aurais-je créé ce blog avec le mouvement passionné qu'il suscite ? Je trouve qu' en effet, face à un discours judiciaire relativement monolithique et à une position politique identifiable, l'opinion publique ne trouve guère de relais pour frayer un chemin à son désir d'expression et à son indignation.
Donc ce n'est pas la parole de Carole Bouquet en elle-même qui me gêne. Ce serait absurde. Mais, avec elle, nous nous trouvons confrontés à une personnalité médiatique qui a naturellement la parole et qui n'a jamais à prouver qu'elle la mérite. En des termes violents, alors qu'elle n'hésite pas à donner des leçons de morale démocratique, elle s'en prend à la justice qui a rendu une décision argumentée dont elle a relevé appel. Elle ne se contente pas de cette voie de recours mais lance sa diatribe chez Fogiel, ce qui me semble être une contradiction avec le respect de l'Etat de droit. Qu'on ne confonde pas le drame et la solitude des sans voix avec les outrances d'une vedette, ou d'autres, légitimées par la seule bénédiction des médias. Je suis pour la voix du peuple et pour que le peuple ait de la voix. Ce blog aide modestement cette volonté. Sur le jury, j'oppose une expérience de plus de dix ans à certaines opinions pessimistes. La dérive que je dénonce est indépendante des demandes de dispense qui ont toujours existé. Qu'elles soient fondées sur des motifs personnels, familiaux ou professionnels. Aujourd'hui, il me semble que le mouvement est plus grave et touche à la conscience publique. L'obligation civique, le devoir démocratique d'être juré sont battus en brèche par une sorte de découragement et de démission sur lesquels on a peu de prise dans l'instant. Je trouve cela très regrettable, contrairement à Yves, et j'indique à Edouard que d'une certaine manière la clause de conscience existe puisque, lors de la révision de la liste du jury le premier jour de la session, sont parfois mises en avant des fragilités psychologiques et des inaptitudes intimes qui ont pour conséquence, en accord avec les intéressés, de les dispenser. Il n'empêche qu'à chaque session des jurys sont constitués et que pour ma part je les trouve globalement remarquables, la médiocrité possible de tel ou telle étant noyée dans la qualité des autres. Si un citoyen n'est évidemment pas formé à la justice criminelle ( même s'il est juriste, surtout s'il est juriste, je ne suis pas loin de penser comme Benoît ), - l'intime conviction étant une certitude, mais intime et personnelle, qui dépasse le pur schéma juridique -, il apprend vite à devenir un juge avec la force de la collectivité qui le soutient et en faisant appel à son coeur et à son esprit. Rien ne me paraît plus éloigné de la réalité que je vis que la référence à un jury criminel, en première instance et en appel, qui serait incompétent, léger ou dépassé. C'est la meilleure justice qui soit parce qu'elle est précisément rendue par le peuple. Actuellement, je suis en cours de session et je la terminerai le 30. Je vous prie de tenir compte de cet impératif pour évaluer la rapidité de mes réactions.
Sur ce plan, je rassure également Gascogne qui s'inquiète de mes réactions devant sa réplique, que je conteste mais qui me semble tout à fait supportable. Contrairement à ce qu'il croit, le strass parisien, à supposer qu'il existe, n'a aucun charme pour moi. Je suis évidemment d'accord avec lui lorsqu'il évoque les richesses et les difficultés de la justice au quotidien, le rôle capital des juges d'instance. Ce n'est pas parce que j'ai été confronté à deux justices de luxe - droit de la presse et cour d'assises - que je suis ignorant de la réalité judiciaire profonde. J'ai au contraire déja écrit que ce qui me navre, c'est le handicap choquant dont pâtit la magistrature de province, éloignée des réseaux et des clans. Pour l'image de la magistrature, je maintiens que je la trouve autarcique, peu habituée dans son fonctionnement quotidien à intégrer véritablement le citoyen, le justiciable. C'est une chose que de rendre la justice en son nom, une autre que d'avoir le service du citoyen dans sa tête. Merci des encouragements qui me sont aussi prodigués. J'adresse un salut tout particulier à Jean-Marc pour cela.
combien ya t-il de jurés ?
qui ne pas etre jurés
Rédigé par : zaki | 04 janvier 2006 à 12:13
Bien que pas d'accord avec vous sur plein de sujets, je ne peut que vous féliciter de votre succès impressionnant, qui peut-être s'est au détriment de votre frère Pierre dont je suis l'un des derniers survivants, malgré la qualité de son blog.
En plus, cela flatte mon égo déjà surgonflé que de me dire que j'étais le premier à vous faire réagir.
Bonne chance pour l'avenir!
Rédigé par : Boulgakof | 26 novembre 2005 à 06:19
" (...) Et ce, d'autant plus que le magistrat a pour mission de guider les jurés dans leur réflexion, d'éclairer leur prise de décision. Ils ne doivent pas aller jusqu'à les influencer : mais guider quelqu'un, l'aider à s'orienter dans la pensée, n'est-ce pas déjà le conduire où l'on voudrait qu'il aille? "
Il m'a toujours paru pour le moins gênant que les avocats ne puissent être présents - en silence (pour une fois) - lors des délibérés. Leur durée, parfois particulièrement longue, n'aide pas à ne pas penser que le procès est "plaidé" une seconde fois à cette occasion.
Rédigé par : Edouard | 21 novembre 2005 à 23:38
Pour un professeur d'histoire et d'éducation civique votre initiative, signalée par le blog de maître Eolas est très utile, nous nous sentons souvent sans culture juridique quant il faut aborder des affaire en cours
Rédigé par : lhommedanslalune | 21 novembre 2005 à 22:04
La question des jurys populaires suscite à l'évidence des interrogations très diverses, dont ce blog se fait l'écho : celle de la responsabilité des jurés ; celle de leur rémunération ; ou encore, celle de leur légitimité. Pourtant il me semble que l'auteur de ce blog ne s'est pas véritablement expliqué à ce sujet, et à mon tour je m'interroge : qu'est-ce qui justifie le fait qu'on fasse appel à des citoyens pris au hasard pour juger un homme aux Assises?
J'ai bien conscience que ce débat dépasse largement la seule sphère judiciaire et renvoie aussi bien à des interrogations d'ordre politique ou philosophique. La voix du peuple a toujours eu pour fonction et ce, depuis les origines du droit, de contrebalancer le pouvoir des juges et des politiques, en matière criminelle. Et j'entends bien qu'il s'agit également d'un devoir civique, dans la mesure où chaque jugement est rendu au nom de la République. Mais, pour autant, je ne vois pas pourquoi l'on devrait faire appel à de simples citoyens, ignorants du droit, pour juger un homme, dans une procédure grave et sérieuse, alors même que des magistrats pourraient le faire eux-mêmes, de manière sans doute plus juste, en tout cas moins incertaine.
Manifestement l'on a tendance à croire que les magistrats ne sont pas des citoyens comme les autres : ils seraient trop portés sur la technique juridique, et pas assez conscients des réalités du monde qui nous entoure ; donc ils auraient besoin d'être épaulés, secondés par un jury populaire, moins prévenu, plus au fait de la vraie vie. C'est profondément absurde. Et ce, d'autant plus que le magistrat a pour mission de guider les jurés dans leur réflexion, d'éclairer leur prise de décision. Ils ne doivent pas aller jusqu'à les influencer : mais guider quelqu'un, l'aider à s'orienter dans la pensée, n'est-ce pas déjà le conduire où l'on voudrait qu'il aille? Autrement dit, les jurés, pour autant qu'on puisse les considérer comme indépendants de la vision du magistrat qui les a en charge (et qui les a sélectionnés auparavant), ne sont-ils pas simplement une manière de légitimité factice que la magistrature se donne pour prononcer ses jugements?
Plaçons-nous justement dans cette position que certains redoutent d'avoir à assumer un jour. Si je suis juré : bien sûr, je vais me prononcer en mon âme et conscience. Mais dans un cas de figure aussi grave qu'un meurtre, n'aurais-je pas toutes les raisons de suivre l'assentiment du magistrat qui me conseille? Pourquoi, en tout état de cause, est-ce que je me permettrais d'avoir un avis différent? Au nom d'une plus grande humanité? De quel droit et à quel titre? Le magistrat, lui aussi, est un homme : lui aussi, il fait partie du peuple. En toute logique je dois suivre l'avis de celui qui sait. Il me propose : je dispose certes ; mais je ne saurais me prévaloir d'une connaissance et d'une maîtrise du dossier égales à la sienne, tandis que lui peut prétendre avoir la sensibilité humaine nécessaire pour ajuster la loi. Je me retrouve donc inutile, voué à la redondance, à l'adhésion, précisément parce que je n'ai pas les mêmes compétences que le magistrat.
Par où l'on voit que c'est le statut du juré qui met en question le rôle du magistrat, plus que celui de l'accusé. Et peut-être le dernier ouvrage de Philippe Bilger, roman où il rend compte d'un procès aux Assises à partir du point de vue de l'accusé (point de vue qui est, depuis Camus, une sorte de lieu commun romanesque) aurait-il été plus dérangeant encore, conçu à partir du point de vue d'un juré. Car le juré est l'autre du magistrat, alors même qu'il est censé comprendre l'accusé : il est en ce sens une sorte de figure hybride de l'univers juridique.
Finalement la question que je me pose n'est pas : est-ce que je serais prêt à être juré? Mais comment je vivrais le fait d'être jugé, voire condamné par un jury populaire?
Rédigé par : Jean-Baptiste | 21 novembre 2005 à 20:28
Certes, le droit est une science qui fait parfois penser que ses praticiens sont de grands (et dangereux ?) monomaniaques. Pourtant, lorsqu'on la cotoie de plus près, on découvre au contraire qu'elle est relativement flexible, et que les juges - sur proposition des avocats - font évoluer la norme par rapport aux attentes de la société, grace à la jurisprudence (enfin... parfois). D'ailleurs, les juges au pénal ont l'obligation de prendre en compte la personnalité du prévenu en correctionnelle, comme de l'accusé aux assises. Grossièrement, une défense peut s'organiser autour de deux axes : soit la culpabilité ne peut être établie justement parce que l'élément matériel et l'élément intentionnel, que j'évoquais dans un précédent commentaire, ne sont pas réunis (autrement dit, la technique juridique protège de la condamnation exclusivement morale), soit la culpabilité ne peut être contestée (flagrant délit par exemple) et le juge choisira la peine la plus adaptée à la personne qui se trouve en face de lui, suite au débat entre le procureur et l'avocat (prison ferme, sursis, mise à l'épreuve, travaux d'intérêt général, etc.).
Sur ce travail de personnalisation, bien loin de tout automatisme que la "psychorigidité" du droit pourrait supputer, je ne saurais trop conseiller le film "10e chambre", de R. Depardon.
Rédigé par : Edouard | 21 novembre 2005 à 19:04
Je tenais juste à signaler que le rôle du jury n'est pas seulement de se prononcer sur la culpabilité, mais aussi sur les circonstances, ce qui permet de faire intervenir un élément que les magistrats prennent naturellement en compte, mais peut rester en arrière-plan : la conscience sociale. Je pense à un cas (sans doute particulier, mais qui pose un vrai problème de conscience) : l'euthanasie. Meurtre ou « bienfait » ?
Peut-être les juges auraient-ils tendance à se concentrer sur le crime, là où le jury examinera peut-être si le prévenu n'a pas agi avec un esprit très différent... Je parle avec une certaine inexpérience en ce domaine, mais si je ne commets pas d'erreur sur ce point, il suffirait déjà largement à légitimer la présence des jurés en nuançant la « psychorigidité » caractéristique des juristes.
Rédigé par : Sébastien | 21 novembre 2005 à 11:46
Ne vous étonnez pas des débuts prometteurs de votre blog. L'expérience de celui de votre frère vous donne la mesure de ce qui peut se passer. Vous traitez d'un sujet fondemental - la manière dont un pays "traite" sa Justice n'est il pas symptomatique de ce qu'il est ? Et cette Justice rencontre beaucoup de problèmes. Merci à vous bien sûr mais aussi merci à ceux qui écrivent les commentaires bien interessants.
Rédigé par : Didier | 21 novembre 2005 à 09:52
"(...) l'intime conviction étant une certitude mais intime et personnelle qui dépasse le pur schéma juridique-, il [le juré] apprend vite à devenir un juge avec la force de la collectivité qui le soutient et en faisant appel à son coeur et à son esprit. Rien ne me paraît plus éloigné de la réalité que je vis que la référence à un jury criminel, en première instance et en appel, qui serait incompétent, léger ou dépassé. C'est la meilleure justice qui soit parce qu'elle est précisément rendue par le peuple."
Mais si la répression des infractions est soumise à la dialectique juridique, si la procédure est effectivement un garde-fou contre l'arbitraire, s’il est nécessaire de réunir un élément matériel et un élément intentionnel - qui ne sont pas suffisamment simples pour que l'on se dispense d'en enseigner le contenu aux étudiants en droit – pour priver quelqu’un de liberté, l’intime conviction ne laisse-t-elle pas trop de place à l’émotion ?
La collectivité soutient le juré, il arrive également qu’elle l’oppresse : n’est-ce pas dans l’affaire Ranucci que les jurés délibérèrent cernés par les cris de la foule scandant « à mort ! », « à mort ! » ? Les débats sont jetés dans la salle des pas perdus par les péroraisons tardives de certains avocats, puis dépouillés des éléments juridiques qui en font la spécificité, par l’entremise de la presse, à tel point qu’un magistrat a dû être nommé pour canaliser l’information entourant un procès d’assises (Outreau I, de mémoire). Ces « juridictions de gala » ne seraient-elles pas, en définitive, frappées d’un trop fort aléa – précisément induit par l’intime conviction – là où les enjeux requerraient au contraire le plus de rigueur dans l’application (et l’appréciation) de la norme ?
Mon intention n'est pas de susciter une polémique, mais plutôt d’avoir, grâce à ce blog, un autre regard sur des réflexions peut-être par trop théoriques.
Rédigé par : Edouard | 20 novembre 2005 à 19:45