Les émeutes des banlieues nous ont appris que la controverse sur les mots devenait ridicule quand tout flambait et était détruit. Qu'on les appelle "racaille", voyous, délinquants ou criminels, ils se reconnaissaient et ce langage ne les choquait pas qui reflétait très exactement l'image qu'ils donnaient d'eux. On a fait croire qu'ainsi on stigmatisait l'ensemble des jeunes alors que tout le monde avait compris que seule une minorité était visée par ce vocabulaire.
Et cette querelle est devenue, à la longue, dérisoire et presque inconvenante. Comme si tout à coup on avait enfin appris que le monde des mots n'avait pas pour finalité de nous consoler de nos maux en les masquant mais au contraire de les révéler. Le langage n'est plus appelé à occulter la réalité mais à la décrire. Dans sa brutalité, dans sa vérité. Elle n'a pas été inutile tout de même, cette controverse, puisqu'elle a rendu archaïque la langue de bois et dépassées les litotes de la politique. Je crois que le réel, sous l'influence de quelques-uns, a commencé à s'installer dans le langage, et la vérité dans les mots, et qu'on ne délogera pas de sitôt l'un et l'autre.
A première vue différente, je crois pourtant que la démarche récente de dix-neuf historiens signant une pétition contre la "vérité officielle" relève du même processus d'élucidation et de clarté. Elle est née à la suite d'un amendement contesté sur "le rôle positif" de la colonisation. Elle a conduit ces chercheurs, en pleine cohérence intellectuelle, à réclamer la remise en cause de la loi Gayssot sur le négationnisme et de celles se rapportant au génocide arménien et à l'esclavage. Derrière cette révolte de l'histoire, se manifeste la volonté de voir la morale exclue du champ scientifique, et c'est heureux.
Je ne suis pas qualifié pour déterminer si les parlementaires n'ont aucun titre, comme on le prétend, à analyser le passé et à en tirer les leçons. Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est qu'il ne peut plus y avoir d'histoire si le droit d'avoir de la distance, un regard critique, même une pensée iconoclaste n'est pas reconnu.
Sans doute va-t-on, enfin, aller au bout de cette prise de conscience en revenant sur ce que beaucoup ont cru à une certaine époque. Qu'il convenait d'interdire pour étouffer. Alors que j'ai toujours su, au fil des années de droit de la presse et de réflexions multiples et partagées sur la liberté d'expression, qu'interdire la pensée, même dévoyée, la parole et l'écrit, même absurdes, était un aveu de faiblesse et offrait à bon compte une aura sulfureuse et le parfum pervers de la transgression à qui ne méritait ni l'une ni l'autre.
Il semble maintenant acquis que condamner le mensonge au silence, c'est lui assurer l'impunité. Il sera plus sûrement détruit par le débat et la dénonciation démocratiques que par les prescriptions d'un texte duquel il débordera en permanence. L'idée qu'il puisse y avoir une histoire officielle - une histoire qu'on voudrait voir sanctifiée pour que personne n'ose plus y toucher par l'esprit et la recherche - est une idée fausse qui a fait plus de mal que de bien.
La réalité a pris ses quartiers dans les têtes. Elle investit de plus en plus ce qui, hier, était encore occupé par la bienséance intellectuelle ou le conformisme politique. Elle a pris le pouvoir.
C'est une chance. Et une responsabilité.
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Votre note va dans le sens de l'abrogation de cet article imbécile...
La Loi n'a pas à "tracer" l'histoire.
Rédigé par : jlhuss | 22 décembre 2005 à 00:26
Excellent billet à tous points de vue, et dans tous ses développements.
"On a fait croire qu'ainsi on stigmatisait l'ensemble des jeunes alors que tout le monde avait compris que seule une minorité était visée par ce vocabulaire" : et ça a plutôt bien fonctionné. Il était évident que seule une partie des jeunes était conernée mais on a habilement fait croire le contraire, y compris à ces jeunes, dont on comprend parfaitement la révolte qui s'en est suivi. Je ne suis aps certains que les boutefeux soient toujours ceux qu'on croit, ou qu'on désigne.
Mais prenez garde : par les mots que vous avez écrits, par votre satisfaction à voir s'afficher "la vérité dans les mots", vous serez bientôt classés à l'extrème-droite. Lepénisation des esprits... L'entreprise de discrédit de l'opinion adverse est en cours. Surtout ne pas débattre.
Sur l'Histoire, j'imagine que vous n'aurez pas raté la tribune de François Chandernagor dans Le Monde datée de ce jour , "l'enfer des bonnes intentions" (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-722124,0.html ) et sa conclusion sur ceux qui se réjouissent de ces lois mais ne les ont pas lues, contrairement à ce que sont amenés à faire les juges.
Je note un paradoxe amusant : ceux qui sont les premiers à affirmer qu'il faut dépénaliser certains comportements car la pénalisation développe le comportement qu'elle est censée réprimer, se recrutent dans les mêmes familles de pensée que ceux qui pénalisent le débat historique... sans parvenir aucunement à enrayer le négationisme. Voilà, en somme un atteinte à une liberté fondamentale bien inutile.
Rédigé par : koz | 19 décembre 2005 à 13:23
Il ne s'agit pas de prétendre que les négationnistes doivent avoir le même poids que d'autres historien. Il s'agit de dire qu'avec cette loi Gayssot, de fait, les députés se sont arrogés le droit de dire l'histoire, ce qui me parait un peu fort.
D'autre part, cette loi a-t-elle empêché des historiens d'extrême droite de prétendre par exemple qu'aucun historien sérieux ne croyait plus dans les conclusions auxquelles était parvenu le tribunal de Nuremberg?
L'histoire est l'affaire des historiens et je maintiens que le fait que certains puisse dire que le génocide des Juifs n'a pas été perpétré par les nazis ou n'a pas été perpétré du tout ne prouve que leur propre aveuglement, n'importe quel homme de bonne foi s'intéressant à cette question peut lire les livres tirés des archives du tribunal de Nuremberg, les témoignages de Primo Levi ou même l'excellent article écrit en 1944 par Vassili Grossmann au moment de la libération du camp de Treblinka et qui relatait en détail l'horreur des chambres à gaz.
J'ai la conviction que n'importe quelle opinion, même la plus déplaisante, lorsqu'elle ne fait pas l'apologie du crime, doit pouvoir être exprimée. Aux Etats Unis c'est le cas, et je ne crois pas que la démocratie américaine ait jamais été remise en cause a cause de ce principe.
Rédigé par : zouille | 19 décembre 2005 à 12:32
Je ne suis pas sûr de bien comprendre de quelle réalité vous parlez ? C'est quand même bien parce qu'il y a un énorme fossé entre la réalité du monde et la manière dont les Français veulent percevoir les choses que nous traversons une crise très grave car profonde.
La question de la pétition des historiens est quand même bizarre. Je me permets de livrer mon analyse, quand bien même allez vous la trouver simpliste : les Lois sont les règles avec lesquelles nous vivons ensemble. Elles nous disent ce qu'il faut faire, ne pas faire et sont décidées par nos réprésentants élus démocratiquement. Ces Lois ont besoin de répères afin de déterminer ce qui est acceptable ou non en fonction des valeurs que nous avons en commun. Prenons l'Egalité, valeur première de la République. Beaucoup de Lois ont été conçues pour mettre en oeuvre ce principe d'Egalité, c'est à dire mettre en pratique un concept auquel nous sommes fort attachés. Dans ce cadre là et se référant à l'Egalité, le racisme, l'esclavage, les géncocides, l'antisémitisme, etc. excusez du vrac, sont des valeurs incompatibles avec la République. Le législateur est donc tout à fait à sa place en le disant, en définissant de manière claire et concrète, qu'elles sont les lignes jaunes à ne pas franchir pour notre République et ceux qui y vivent. Il n'y a rien là de choquant. La République et ses législateurs ne sont pas là pour dire comment se sont passés les massacres de Septembre, la Terreur ou la traite des Noirs. Les Législateurs doivent dire que nous condanmons les massacres, la Terreur et la traître des Noirs. Ce travail là n'est pas celui des Historiens, c'est le travail des citoyens par le biais de leurs élus.
Rédigé par : Didier | 18 décembre 2005 à 10:08
Bonsoir,
Je pensais que notre "Histoire de France" avait été réécrite sous le Second Emprire pour mieux exhalter le nationalisme Français... je pensais aussi que la 3ème République avait allègrement utilisé une aussi bonne idée... Je pense naïvement sans doute car le silence de nos historiens d'aujourd'hui sur cette réécriture est assourdissant.
Félix le Chat
Rédigé par : Félix | 17 décembre 2005 à 19:20
Message pour ZOUILLE, comment pouvez-vous considérer qu'il puisse y avoir un débat entre les "historiens sérieux" et les négationnistes? Ces derniers construisent un discours fondé sur un postulat ou plutôt une contre-vérité. Par conséquent, il ne peut y avoir argument à échanger. Il n'y a pas d'un côté des historiens sérieux et de l'autre des non-sérieux. Il y a d'un côté des historiens,de l'autre des imposteurs au service d'une idéologie. Ramener le travail des négationnistes au même plan que celui des historiens reviendrait à travestir l'histoire!
Rédigé par : véronique dautais | 17 décembre 2005 à 18:01
Je vous remercie pour cette note à propos d'un sujet si sensible.
Bien que considérant les théories négationnistes au mieux comme une preuve éclatante de l'aveuglement idéologique de ceux qui les tiennent, je considère l'interdiction de les exposer comme absurde, du moins tant que les négationnistes ne font pas l'apologie du crime contre l'humanité lui même.
Je pense que l'histoire est une science humaine, que certaines choses doivent faire débat, et que refuser le droit à l'expression des négationnistes prive du même coup les historiens sérieux de la possibilité de répondre à leurs arguments.
Rédigé par : zouille | 17 décembre 2005 à 15:43
L'histoire ne repasse jamais les plats : c'est pourquoi les restaurations échouent !
Rédigé par : parayre | 17 décembre 2005 à 14:01
si ce besoin de réalité et de vérité pouvait gagner ceux parmi les juges du siège qui croient être habilités à dévoyer la loi dans le sens de leurs opinions personnelles, le progrès serait aussi important dans cette sphère que dans celle de la politique.
Rédigé par : ALCYONS | 16 décembre 2005 à 00:55