Tardivement, j'éprouve le désir de faire un sort à un petit article non signé paru dans le Canard enchaîné du 23 novembre. Ce qui m'intéresse, c'est moins la personne de Laurence Vichnievsky elle-même que les problèmes que pose son désir d'être nommée à la cour d'appel de Paris.
Est évoquée à ce sujet une intervention politique dont je ne sais rien et qui est condamnée, si elle a été effectivement faite, à composer avec le brouillard entourant l'évaluation des compétences professionnelles des magistrats. En effet, je suis frappé par le flou qui règne dans ce domaine et qui aboutit, j'en suis persuadé, à des injustices personnelles graves.
D'abord, le Conseil supérieur de la magistrature ( CSM), avec sa forte dominante judiciaire et son risque constant de corporatisme, me semble un organe peu adapté à une fine et pertinente appréciation des magistrats en demande de postes. Rien de pire que d'être jugé par ses pairs, rien de plus difficile que de juger ses collègues. La jalousie et la subjectivité prennent trop souvent le pas sur l'objectivité et l'analyse froide et détachée.
Par ailleurs, on n'a jamais pu compter sur les médias pour offrir une vision éclairée et équilibrée de la réalité judiciaire et de ceux qui l'ont en charge. Au regard de ma propre expérience, combien de fausses réputations ont-ils édifiées, combien d'admirations mal placées, combien de compétences absurdement célèbrées ! Les journalistes ont toujours cru que la "grande" affaire créait le " grand" magistrat alors que la pratique démontre exactement l'inverse. C'est la qualité et le talent du magistrat qui font toujours la différence et sauront rendre passionnants des dossiers qu'un autre laisserait insipides.
Enfin, comme la hiérarchie elle-même est peu au fait de ce que révèle la pratique de chaque magistrat - en dehors d'une apparence qui plaît si la personnalité est conforme, ou inquiète si elle est critique -, il conviendrait d'instaurer un véritable contrôle professionnel qui permettrait de savoir ce que chacun vaut. Au début de ma carrière, le pouvoir exerçait une emprise forte sur la justice et on peut dire qu'on demandait aux professionnels de justifier, en quelque sorte, qu'ils pensaient bien. C'était un contrôle idéologique d'autant plus vigilant que le syndicat de la magistrature, politiquement de gauche voire d'extrême-gauche, avait alors à sa tête de remarquables et controversés dirigeants. C'était une lutte.
Le contrôle professionnel auquel je songe reviendrait à mettre en oeuvre, à tous les niveaux et pour toutes les fonctions, du magistrat débutant au Premier Président à la Cour de Cassation, une obligation d'inventaire à la prise du poste et lors du changement d'affectation. Cet inventaire serait un constat de la charge de travail, des forces et faiblesses du service concerné. On pourrait aisément vérifier si, dans le laps de temps de l'activité, en comparant les inventaires, l'évolution a été favorable ou non. Quitté, le service était-il en meilleur état qu'avant?
Une telle proposition semble de bon sens mais si elle achoppe, c'est que la haute hiérarchie n'est pas décidée à favoriser la mise en place d'un système d'évaluation qui s'appliquerait aussi à elle et bouleverserait beaucoup de ses positions d'aujourd'hui. Pourtant, quelle satisfaction intellectuelle ce serait et quel enrichissement que de pouvoir déterminer en totale connaissance de cause les mérites et la réalité professionnelle de chacun !
Pour ma part, je verrais avec d'autant plus d'enthousiasme une telle révolution mais si facile à mettre matériellement en oeuvre que j'ai toujours perçu que Paris était un label qui ne garantissait rien et ne suffisait pas, en tout cas, pour regarder judiciairement la province de haut. Il y a vraisemblablement de talentueux jeunes ou moins jeunes magistrats qui, parce qu'ils n'appartiennent à aucun clan, à aucun réseau, à aucun syndicat et qu'ils ne jouissent pas de la faveur médiatique, risqueront de demeurer eloignés des responsabilités les plus importantes. Je ne peux pas me résoudre à un tel gâchis.
Nulle part, je n'aime les Mozart assassinés.
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Une évaluation objective des compétences des magistrats ne peut se concevoir dans un système dominé par une caste politique qui craint la Justice, à tort ou à raison.
Le budget alloué à la Justice est d'ailleurs très révélateur à cet égard de la défiance des pouvoirs parlementaire et exécutif.
Rédigé par : Bill | 13 octobre 2010 à 21:30
Bonjour. Tenir la plume sous votre nom est un grand courage au niveau de fonctions qui est le votre. Je suis plein d'admiration et reviendrai régulièrement sur votre blog. Merci. A mon avis, les ordres (avocats et médecins)représentent avant tout, de fait, les intérêts de la profession. Bien entendu, ce jugement n'engage que moi.
Rédigé par : olaf | 06 décembre 2005 à 05:05
"Rien de pire que d'être jugé par ses pairs, rien de plus difficile que de juger ses collègues.
La jalousie et la subjectivité prennent trop souvent le pas sur l'objectivité et l'analyse froide et détachée".
C'est pourtant bien par leurs pairs que les avocats sont jugés.
Tout au moins en première instance.
Et vous avez parfaitement raison.
A preuve, les peines prononcées par le Conseil de l'Ordre, dans des conditions indignes de la CEDH, sont très souvent réduites en appel.
Bravo Monsieur Bilger pour votre blog et votre légendaire esprit indépendant.
Vincent Delmas
Avocat
Président du syndicat d'avocats COSAL
www.cosal.net
Rédigé par : Vincent Delmas | 04 décembre 2005 à 00:21
Et si les magistrats étaient évalués par les avocats qui se réjouissent / subissent leurs décisions ?
Mais non je plaisante...
Rédigé par : Edouard | 03 décembre 2005 à 17:09