Je viens juste de rentrer de Madagascar et je retrouve ce blog en me demandant ce que l'actualité de ces quelques jours a sécrété en mon absence. Il est vrai que là-bas je n'étais pas éloigné de tout et que je pouvais, chaque soir, suivre le journal de TF1. La polémique sur l'esclavage, la repentance interminable d'Outreau, les primaires à l'UMP, autant de débats possibles mais qui, soudain, sont apparus secondaires une fois que j'ai découvert le nouveau jeu à la mode, la chasse au philosophe ou le philosophe émissaire.
Un court article de Xavier Ternisien dans le Monde m'apprend "qu'Alain Finkielkraut renonce à se rendre à un colloque" et que, surtout, une soixantaine de personnalités, dont Mgr Gaillot, Laurent Muchielli et Emmanuel Pierrat, ont adressé le 8 décembre une lettre au directeur de la radio France-Culture, en lui demandant de suspendre l'émission hebdomadaire d'AF, "Répliques".
Certes, AF a toujours beaucoup parlé. Sollicité souvent, il n'a jamais hésité à communiquer sa pensée avec une imprévisibilité de moins en moins assurée et une inquiétude, voire une angoisse qui venait de plus en plus imprégner ses dires. Comme je l'ai écrit, il a longtemps toléré qu'on fasse de lui un "Savonarole choyé". Mais il tenait bon, il serrait la garde et s'opposait avec un entêtement profond aux dérives du monde et aux faiblesses de la société.
Il y a eu son interview au quotidien israélien Haaretz, le compte rendu du Monde, l'indignation de quelques groupes et individus, la très longue interview d'AF dans le Monde et son étrange contrition comme si, pour la première fois, la passion de la vérité cédait devant la peur d'un scandale que, pourtant, il estimait injustifié. Cette demie retraite n'a pas suffi, bien au contraire. Elle a amplifié le goût de la curée. On allait, enfin, se "payer" ce donneur de leçons qui avait l'insupportable arrogance de dire, contre vents et marées, la vérité et d'avoir, surtout, dans notre univers de lâches intellectuels, le courage de nous la dire.
On allait voir ce qu'on allait voir et on a vu.
AF renonce à participer à un colloque sur la laïcité à Lyon et il avait déja annulé une autre conférence à Montpellier. Cela aurait pu apparaître suffisant. Avoir contraint AF à s'abaisser au point de concéder :"Je ne suis pourtant pas un dingue mais quelqu'un qui essaie de réfléchir " pouvait sembler une victoire qui n'appelait pas d'autres soumissions.
Erreur. Il faut aussi que ce philosophe n'anime plus "Répliques", son émission hebdomadaire. Je la connais peu et je n'y suis jamais passé mais peu importe. Ce qui compte, c'est que la police de le pensée veut, va encore frapper.
Pas une seconde on ne s'interroge pour savoir si AF n'avait pas raison de dire ce qu'il a dit, même si telle ou telle erreur d'interprétation pouvait être contestée. On ne veut pas discuter du contenu. On pose vite, avec une indignation confortable, une étiquette commode et on constitue le malheureux AF comme philosophe émissaire. Ce n'est pas ce qu'il a pu dire qui a mobilisé les esprits mais qu'il ait eu le front de le dire. Quoi ! Après trois semaines d'émeutes, quelqu'un prétendait en tirer un enseignement qui ne mettrait pas de baume sur notre impuissance et notre démagogie mais de l'acide. Cet être-là n'avait plus rien à faire dans notre monde raisonnable, celui où on mesure tellement les responsabilités qu'on ne les exerce plus.
Ainsi, une soixantaine de personnes, hétéroclite assemblage mêlant notamment sociologues, partisans théoriques de la liberté d'expression et un Mgr pour faire "bien" sans doute, ont eu le culot, dans notre pays, dans son air de démocratie et de pluralisme, d'exiger une censure totale : la suppression d'une émission pour abolir la parole d'AF et la contradiction qu'on lui apportait.
Accepter un tel ultimatum reviendrait à priver la société des débats importants qui l'agitent et la troublent. Si on n'a plus le choix qu'entre la complaisance ou la descente aux enfers, nul doute que plus rien ne viendra alerter ni mettre l'intelligence et la critique dans la plaie. On n'aggravera pas seulement la judiciarisation de la pensée mais on autorisera n'importe qui à faire sa loi contre les valeurs auxquelles on affirme pourtant tenir.
Puisse le directeur de France-Culture ne pas céder à ces pressions qui mettent en cause bien plus qu'AF : notre liberté d'esprit à tous.
Je souhaite vous poser une question simple, indépendamment de votre opinion sur l’affaire AF : est-ce que les propos de Monsieur AF dans le quotidien Haaretz étaient constitutifs du délit d’incitation à la haine ?
Rédigé par : Pierre | 13 décembre 2005 à 17:35
Enfin! Une prise de position courageuse. Je suis épouvanté devant la "dictature" des idées de plus en plus officiante.
Merci.
Rédigé par : jlhuss | 12 décembre 2005 à 17:48
Personnellement, je ne suis pas d'accord avec ce qu'expliquait monsieur Finkielkraut.
Cela ne m'empêche pas de considérer qu'il serait inutile et sccandaleux de lui couper le droit à la parole parce que ce qu'il dit n'a pas l'heur de me plaire. Cependant je trouve a vrai dire piquant qu'un homme omniprésent dans les medias et les journaux, un homme auquel nul ne refusa à ma connaissance une tribune quelque part, ose dire à un quotidien étranger, que l'on risque la prison lorsqu'on exprime une opinion alors qu'il a toujours pu dire ce qu'il a voulu partout ou il l'a voulu, et qu'à ma connaissance, il est rarissime qu'une peine de prison soit prononcée pour un délit de presse.
D'autre part, on oublie à mon avis un peu vite que M. Finkielkraut lui même n'hésita pas à nier le droit de certains à l'expression, je pense nottament à Daniel Mermet mais il n'est pas le seul.
Enfin, je ne vois pas en quoi il est courageux de parler d'émeute à caractère ethnico-religieux, j'ai même l'impression que cette opinion est partagée par la plupart des gens, alors même qu'elle est je crois réfutée par certains rapports des RG.
Rédigé par : zouille | 12 décembre 2005 à 15:54
Au risque d'être incompris, je crois à l'inverse que la censure telle qu'elle est pratiquée en France donne un plus grand rayonnement au débat qu'elle combat.
Aussi contestable qu'elle soit dans son principe, des précédents récents ont montré qu'il s'agissait d'un moyen de promotion virale particulièrement efficace : http://www.baron-noir.info/article.php3?id_article=40
Rédigé par : Edouard | 11 décembre 2005 à 20:00
Cher Philippe,
C'est probablement moi qui n'ai pas été assez clair, je le crains. C'était contre un système que je m'insurgeais et non contre vos positions et votre expression personnelles.
Mais dans un cas l'on a accusé certains textes de rap d'être instigateurs de violence alors que dans l'autre on n'a pas taxé Alain Finkielkraut de les alimenter par ses déclarations à l'emporte-pièce pour lesquelles par ailleurs il ne s'est pas excusé mais a excusé le personnage qui n'était lui.
D'autre part, et pour interpréter correctement ma position, j'ai lu l'intégralité de l'interview de Finkielfraut en anglais puis traduite in extenso par l'OPJF et je dois avouer que je ne comprends pas le traitement qui lui a été réservé à cette occasion et tout comme vous je trouve particulièrement indécent de chercher à l'empêcher de s'exprimer parce que, pour ma part, c'est et cela doit rester à la justice de trancher sur ce qui relève du condamnable ou pas. Par contre j'ai trouvé son intervention précédemment sur le plateau de "Ripostes" sur France 5 autrement plus exaspérante, exaltée et décrochée de la réalité. Les RG ont confirmé récemment ses erreurs de jugement, entre autres parmi celles de personnages autrement plus influents et responsables. C'est en fait surtout cela qui me faisait généraliser et que je visais et non son interview en particulier. C'est aussi à cette interview que vous faisiez allusion, mon commentaire aurait donc du être beaucoup plus précis.
Cependant, avec ses prises de position et l'évolution qu'elles prennent depuis plusieurs années déjà, imaginez un instant qu'Alain Finkielkraut ait la culture et le niveau d'éducation des jeunes rappeurs de banlieue et non les siens, comment croyez-vous qu'il s'exprimerait ? Ça laisse perplexe...
Rédigé par : José@La e-Cité | 11 décembre 2005 à 18:43
José,j'attendais votre réaction sans l'espérer. Lorsque je mets en cause certaines paroles de rappeurs, je les examine au regard de la loi pénale qui prévoit et punit un certain nombre d'infractions tenant à l'expression écrite, parlée ou chantée. Que je sache, personne, en dehors de quelques associations qui poursuivent comme vous et moi respirons, n'a jamais prétendu qu'AF avait violé une disposition pénale en parlant de la sorte. Pourtant, en plus, il s'est repenti de ce qu'il avait le droit de dire et qui n'avait pas à plaire à tout le monde. En aucun cas, donc, deux poids deux mesures mais des mesures incomparables. Je serais navré de n'avoir pas été clair sur ce point que vous soulevez et qui me semble important.
Rédigé par : Bilger | 11 décembre 2005 à 15:11
Je découvre votre blog par l'intermédiaire de celui de Maître Eolas. Je suis d'accord avec vous et continuerai à écouter AF sur FC le samedi, même si je ne partage pas entiérement son point de vue. AF a le mérite d'empêcher les autres de penser en rond.
Rédigé par : véronique dautais | 11 décembre 2005 à 14:42
Deux poids, deux mesures... Les textes de rap les plus violents devraient être interdits et sanctionnés mais pas les délires d'Alain Finkielkraut qui se comporte parfois de façon ignoble tellement il est exalté... Deux poids, deux cultures ?
Rédigé par : José@La e-Cité | 11 décembre 2005 à 12:53
La citation de Pierre Dac tombe à pic pour dédramatiser, je m’y rallie bien volontiers, tout en restant sur une position voltairienne (je cite de mémoire : « Je ne partage pas vos idées mais je me battrais jusqu'à la mort pour que vous puissiez les exprimer »). Contre toute censure, donc, je n’approuverai jamais une pétition de cette sorte, qui plus est adressée à un employeur pour exiger qu’il licencie un employé !
Ceci étant affirmé, il faut bien reconnaître que les dérapages de AF sont de plus en plus fréquents et de plus en plus graves. J’aimerais qu’il n’y ait pas deux poids deux mesures, et qu’on reconnaisse le même courage, qu’on soit ou non d’accord avec lui, à quelqu'un comme Dieudonné, qui se situe aux antipodes de lui. Lui aussi a parfois extrémisé son propos à partir du moment où on refusait de l’entendre. Lui aussi a été la cible d’une censure, qui dans son cas a réussi (annulation de son spectacle à l’Olympia sous la pression de groupes eux-mêmes extrémistes). Lui aussi devrait être soutenu, au même titre que AF.
Rédigé par : Gérard Lenne | 11 décembre 2005 à 12:13
Merci, Jean-Baptiste, pour votre approbation. J'ai répondu au commentaire de Parayre que le problème n'était pas de croire avoir raison mais d'avoir le droit d'exprimer sa raison. La guépéou intellectuelle, ces justiciers de la pensée d'autrui m'ont toujours fait froid dans l'esprit. Ou les textes relèvent de la loi pénale ou ils sont libres d'être accueillis. Qu'on leur réponde, mais qu'on les supprime, non, encore moins qu'on supprime symboliquement leur auteur !
Rédigé par : Bilger | 11 décembre 2005 à 12:12
Absolument d'accord avec cette prise de position. Même ceux qui n'apprécient pas Alain Finkelkraut ou qui s'opposent à sa manière de voir les choses devraient refuser toute forme de censure.
Rédigé par : Jean-Baptiste | 11 décembre 2005 à 11:36
" Si tous ceux qui croient avoir raison n'avaient pas tort , la vérité ne serait pas loin " disait Pierre Dac ...
Rédigé par : Parayre | 11 décembre 2005 à 10:49