Décidément, on n'a pas de chance ou on est trop maladroit, c'est selon !
Le Premier Président de la Cour de cassation prononce hier un remarquable discours lors de la rentrée solennelle en présence du Premier ministre mais de larges extraits de son intervention ont déjà été publiés dans le Monde en début d'après-midi. Dominique de Villepin, mécontent de ce qui, sur le plan de la forme, peut être légitimement interprété comme une grossièreté judiciaire, crée un incident à l'ouverture de la cérémonie.
Certes, le syndicat de la magistrature soutient que le Premier Président est libre de donner à son texte la publicité qu'il désire mais, sauf à prôner un comportement absurde, on ne peut soutenir que cette révélation médiatique n'est pas offensante par rapport à l'usage républicain.
Ce qui me navre dans cet inutile dérapage - le texte pouvait être sans dommage publié le lendemain -, c'est qu'il va occulter la teneur profonde et presque novatrice du propos. J'ai la faiblesse d'approuver celui-ci avec enthousiasme parce qu'il énonce quelques idées qui me sont chères depuis longtemps.
La première, c'est qu'un magistrat se doit d'être, dans l'exercice de son métier, non seulement un puits de science juridique (à supposer que ce soit possible) mais un homme ou une femme de bien. La deuxième, c'est que rendre la justice constitue une mission qui exige des mains et un esprit tremblants, du doute et de l'incertitude. La dernière suggère que la fierté et l'orgueil irriguent ce qu'on est et ce qu'on fait, sans que le problème de notre responsabilité soit à éluder.
Un jour peut-être, la magistrature parviendra à se faire entendre. Et sans que par sa faute, on soit tenté de fuir la vérité de son discours pour des raisons de pure forme, qui ont de l'importance dans le monde judiciaire et politique.
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"la fierté et l'orgueil irriguent ce que l'on est et ce que l'on fait", certes, mais n'est ce pas justement être en contradiction avec le fait d'être "un homme de bien" ? A la lecture de votre billet, c'est une question que je me pose.
Merci de votre éclairage sur le discours du 1er président de la cours de cassation.
Rédigé par : Mathieu | 12 janvier 2006 à 20:16
Monsieur,
La Justice se fera entendre et respecter, lorsque les politiques (et non les bouc émissaires )ayant commis des fautes ou donné des ordres même oraux seront à la barre, que la transparence règnera et que la Vérité vaincra.
Cordialement
Rédigé par : Piper | 10 janvier 2006 à 19:49
Largement d'accord avec "Parayre". Ce qui m'étonne le plus, ce n'est pas que les pouvoirs exécutif et législatifs interfèrent avec l'autorité judiciaire voire qu'ils aient pour propos de la subordonner, ni que le profane souhaite en général (tant qu'il n'est pas personnellement concerné) que les juges ne soient que les bouches de la loi, aussi absurde et impraticable soit-elle; mais que des juges et plus encore des juristes ni juges ni a priori subordonnés à l'éxécutif se fassent les défenseurs des plus blamables de nos pratiques juridictionnelles. J'entends ainsi des étudiants et des avocats défendre la soumission voire la collusion des juges, surtout pour ce qui concerne le contentieux administratif il est vrai. On en trouve un exemple à la fois extraordinaire (par sa manifestation) et signficatif (dans ce qu'il révèle)dans l'intervention au côté du gouvernement français des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation dans la très fameuse affaire Kress contre France portée devant la CEDH. Il y a là selon moi un nationalisme bien mal placé, quand bien même les critiques internes rejoindraient celles d'anglosaxons cherchant à nous imposer leur système. On arrive en tout cas à ce résultat que les empiètements de l'exécutif sur le judiciaire ne suscitent guère de critique, sauf quand c'est un ministre ou un député qui est poursuivi ou susceptible de l'être. Ainsi, la seule mesure de l'indépendance serait celle du conflit d'intérêt direct et directement perceptible, ce qui est insuffisant !
Rédigé par : ROYNARD | 10 janvier 2006 à 13:37
Le premier président de la Cour de cassation , " à la demande " du premier ministre , renonce à une partie de son discours de rentrée et , "ironie " de cette audience solennelle ,censure son propos sur l'indépendance de la magistrature .
Cette anecdote en dit long sur cette dernière et sur la culture de soumission assignée à une institution qui décidement est bien , au sens de la Constitution , une autorité et non , un pouvoir ...
Vieux conflit historique que celui opposant l'Etat et la Justice : M. Canivet voulait , notamment en citant le chancelier de l'Hospital ,assurément rappeler la querelle permanente des rois et des parlements , de la Justice retenue et de la Justice déléguée .
Et oui , la " théorie de la séparation des pouvoirs " n'était et demeure qu'une théorie de la distinction des fonctions .
Les juges , soutenait Montesquieu , ne sont que " la bouche qui prononce les paroles de la loi [...], le pouvoir de juger en quelque sorte est nul."
Et nous ne devons pas oublier que la conception révolutionnaire du " pouvoir " judiciaire faisait de celui-ci l'instrument du souverain absolu , du peuple substitué au roi , ce qui fut constamment rappelé dans les grands débats révolutionnaires sur la Justice .
"Le pouvoir judiciaire " , proclamait Cazales en 1790 , " n'est qu'une simple fonction .Il consiste dans l'application pure et simple de la loi ." Duport et Thouret le déclaraient avec d'autres termes . Robespierre l'affirmait plus nettement encore : " Ce mot de jurisprudence doit être effacé de notre langue [...], " la jurisprudence des tribunaux n'est autre chose que la loi . "
Du reste , l'histoire de notre Justice du XIX° siècle fut ensuite marquée d'une suite d'" épurations ", monarchiques , révolutionnaires , républicaines , destinées à soumettre les juges au pouvoir politique .A la fin dudit siècle , dans des temps apparemment plus sereins , une loi d'"opportunité " du 1 mars 1899 osa , en cours de procédure , dessaisir la chambre criminelle de la Cour de cassation , apparemment favorable à la la révision de l'injuste condamantion prononcée contre le capitaine Dreyfus.
Le XX° siècle multiplia les juridictions d'exception , nées des des temps tourmentés de notre histoire , afin que la Justice soit soumise aux exigences des pouvoirs en place .
Durant plusieurs siècles donc , l'histoire de notre Justice a été celle de statuts fragiles , mouvants , exprimant sa subordination .
Il en est de même au XXI ° .
Rédigé par : Parayre | 08 janvier 2006 à 11:44
1) concrètement, comment cette responsabilité pourrait-elle se traduire ? une justice de la justice ?
2) le citoyen ne doit-il pas aussi intégrer le doute, plutôt que le seul magistrat ? il me semble que c'est d'une définition trop exigeante de la justice que naît le problème. on en attend la vérité, le bien, le mal, une réponse manichéenne. elle ne peut fournir que le compromis entre divers intérêts. même dans les pires affaires. outreau est aussi la résultante de la mauvaise conscience passée de la société, qui occultait la pédophilie. que la justice en porte le fardeau, soit. qu'elle soit la seule à le porter, non.
3) quel est la part des moyens dans les erreurs ? que valent ses qualités morales, éthiques, professionnelles si un magistrat est accablé de travail ? plus généralement, comment la justice peut-elle être indépendante, si ses moyens sont dans les faits décidés par l'exécutif ?
il me semble que l'ensemble de ces questions ramènent à l'indépendance de la justice. il ne peut y avoir de réelle responsabilité sans réelle indépendance.
Rédigé par : lionel | 08 janvier 2006 à 05:02
"on ne peut soutenir que cette révélation médiatique n'est pas offensante par rapport à l'usage républicain."
Je ne comprends pas ce qu'il y a d'offensant. Cela dit, je ne suis guère au fait des usages républicains. Si vous pouviez m'éclairer...
Il me semble que publier le texte permet d'y réfléchir avant l'allocution et, s'il est de qualité, de l'accueillir d'autant plus chaleureusement lorsqu'il est prononcé !
Rédigé par : Udd | 08 janvier 2006 à 02:57
L'article litigieux, sur le site du Monde:
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-728427,0.html
Rédigé par : GroM | 07 janvier 2006 à 14:14