Il y a des humains qui plaident pour l'humanité, des magistrats qui font honneur à la magistrature. Jean-Yves Monfort, président du tribunal de grande instance de Versailles, est de ceux-là. Interviewé dans l'Express paru aujourd'hui, il ne craint pas de prendre à rebrousse-poil la pensée dominante sur Outreau, le juge Burgaud et la détention provisoire.
Je ne voudrais pas qu'on me reproche de faire des promesses qui n'engageraient, selon la formule consacrée, que ceux qui les reçoivent. Mais sollicité à plusieurs reprises pour intervenir le 8 février et participer à des débats, je crains fort de devoir m'en abstenir à cause d'une session d'assises dont l'organisation, scandaleusement, n'a pas tenu compte de l'actualité médiatico-judiciaire ! Il me semble que dans ces conditions, stimulé par mon collègue Montfort, je peux m'autoriser quelques réflexions qui chasseront les fourmis que j'ai dans l'esprit sur ces sujets que le fil des jours ne rend pas moins brûlants. J'ai d'autant plus la faiblesse de tenir à ce qui me préoccupe que mon estime intellectuelle pour Montfort ne va pas, en l'occurence, jusqu'à accepter l'enseignement général qu'en bonne logique on devrait tirer de ses propos.
En effet, si je l'approuve absolument lorsqu'il dénonce le lynchage dont notre collègue Burgaud a été longtemps victime et si j'adhère à la thèse des responsabilités partagées dans la gestion du dossier d'Outreau - celles des avocats comprises -, je ne partage pas, en revanche, la globalisation qu'il opère et qui consiste à mettre tout dans un même sac où société et justice seraient enfermées, la seconde n'étant qu'un reflet de la première.
Il y a deux manières de se tromper au sujet de ce cataclysme. Ce n'est pas préjuger que l'étiqueter comme tel : il l'est déjà. Deux manières,donc : l'aveuglement ou la généralisation. La justice n'a rien à se reprocher ou tous coupables. Dans le premier cas, l'arrogance et l'absence de lucidité qui en est la conséquence disqualifient le corps. Dans le second, noyer la spécificité judiciaire dans la diversité sociale et le désordre moderne revient à l'absoudre. Nous serions tous - et seulement - le reflet d'une société qui doute. Immédiatement, j'aurais tendance à rétorquer que nous serions plutôt le reflet d'une société qui ne sait plus douter et qui assène, avec autant de vigueur à chaque fois, des convictions formées dans l'instant et vite dissipées. Plus profondément, à supposer que notre société doute, le problème est que précisément, dans Outreau comme dans d'autres affaires, la justice a répugné à douter, n'a pas douté. Je ne crois donc pas à la pertinence de cette assimilation et je crains fort qu'elle ait, au contraire, un effet négatif.
En effet, de cette analyse brillante qui , en accablant les citoyens, exonère peu ou prou les magistrats, se dégage un tableau dont le pessimisme est la tonalité principale. Les politiques ne savent pas ce qu'ils veulent, la société est trop soumise à ses émotions et la commission parlementaire n'aboutira à rien. D'une part, le constat qui est fait me semble excessif dans la noirceur et surtout, s'arrêtant à la pure et sombre contemplation de ce qu'il énonce, il ne peut pas servir d'amorce à l'action. Il la dissuade même, puisqu'il refuse d'identifier des responsabilités particulières et n'est pas loin de déboucher, en définitive, sur une sorte " d'à quoi bonisme" risquant de décourager les élans et de favoriser une lucidité triste.
Cette critique est évidemment sans rapport avec la politique remarquable mise en oeuvre par Montfort à Versailles. Le fait qu'un magistrat de sa qualité, avec un courage qui est trop rare dans notre monde pour qu'on ne le salue pas, s'engage tout de même dans une voie qui n'offre aucune perspective est révelateur de la morosité d'une institution. Celle-ci n'est plus capable de comprendre que son seul remède devrait être l'action sous l'autorité de chefs exemplaires, eux-mêmes choisis avec soin, et de répudier tout ce qui la renvoie à elle-même. Pour ne se consacrer qu'au service public.
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