Je viens de lire une page du Monde consacrée à "la grande solitude des juges", avec notamment l'interview d'une jeune fille de 25 ans qui va entrer le 30 janvier à l'Ecole nationale de la magistrature.
Loin de moi l'idée de méconnaître tout ce qui, aujourd'hui, rend difficile la condition du magistrat. Les doutes sur sa légitimité, les problèmes matériels qui pèsent sur la plupart de nos collègues, l'inflation législative et les incertitudes qui en résultent, le sentiment de n'avoir plus que des devoirs, d'être en permanence dans l'oeil du cyclone social et politique, une dévalorisation généralisée. Tout cela, de fait, compose un paysage qui n'est pas gai.
Mais la magistrature, même dans sa quotidienneté la plus plate, se réduit-elle à cela ? Est-elle condamnée à éponger sans cesse les retombées dévastatrices de cataclysmes comme Outreau ? Doit-elle toujours se présenter comme un corps qui râle, une institution qui proteste, un jour contre les juges de proximité qui ne sont pas parfaits mais qui aident tant bien que mal, un autre jour contre les politiques qui, certes, font trop de lois mais parfois elles sont bonnes, ou contre les charges de travail, le "productivisme", comme s'il était honteux de mettre l'efficacité au service du citoyen. C'est, au fond, une plainte contre tout. Jamais une remise en cause de soi.
Je songe à nos jeunes collègues. Je n'aimerais pas, à entendre les discours et à percevoir l'atmosphère actuelle, être auditeur de justice, futur magistrat. En dehors de la vocation qui peut être chevillée à l'esprit et au coeur, où sont les motifs d'encouragement, la source d'un enthousiasme, l'orgueil du métier et la passion de son utilité sociale ? Qui sait présenter de manière positive toutes les fonctions de la magistrature ? Les quelques efforts publicitaires pour convaincre les étudiants de s'orienter vers le judiciaire sont affligeants, d'une tristesse infinie. Ils me font penser à certaines messes d'aujourd'hui où tout est fait pour décourager ceux qui pourraient avoir de la religion une vision roborative et joyeuse. Il en est de même pour la justice. Pourquoi ne montre-t-on pas tout ce que celle-ci a la possibilité d'accomplir, l'ordre qu'elle apporte, les blessures qu'elle guérit et les crimes qu'elle sanctionne ? Pourquoi cette culture de l'abaissement et de la morosité qui nourrit, en réalité, le procès qu'on fait de nous et qui pourtant nous irrite ?
L'orgueil et la passion. Il faut que nous nous aimions. Cela n'a rien à voir avec l'arrogance. Ni avec l'abus de pouvoir. Cessons de gémir.
Il faut donner envie d'avoir envie, a écrit Jean-Jacques Goldman.
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Je ne suis pas si sûre que la sagesse vienne tant avec le poid des années.
Il faut chercher les erreurs judiciaires non pas sur le dos du jeune magistrat mais dans tout un système qui tend à confirmer ces erreurs au lieu de les infirmer.
Comment nier aujourd'hui que les juges du second degré de l'instruction n'ont pas les moyens de jouer efficacement leur rôle de surveillance des dossiers?
Rédigé par : Isabelle | 17 janvier 2006 à 13:44
Avocat au Barreau du Québec installé en France depuis plus de 15 ans et aujourd'hui citoyen français, je désire qu'on réforme le système français de sélection des juges. Est-il sage de permettre à un tout jeune juriste de devenir juge d'instruction au sortir de l'E.N.M. ? Je ne le crois pas. Je préfère le système canadien au système français car, dans le premier (qui est accusatoire et remarquablement équilibré), on devient juge après avoir fait ses preuves dans la durée, pendant dix ans au minimum, en exerçant la noble profession d'avocat. N'est-ce pas raisonnable ?
Rédigé par : Luc DUFRESNE | 16 janvier 2006 à 21:13
"La Justice apporte la Paix." N'y aurait-il qu'une seule raison de de choisir d'exercer avec passion, modestie et intensité les métiers de la justice, et plus particulièrement celui de magistrat, ce serait celle-ci.
Les magistrats sont des sortes de casques bleus de la société civile, souvent déchirée par la haine, l'appât de l'argent, la soif du pouvoir ou de la possession,l'abus d'alcool. Leur mission est d'intervenir au coeur de ces crises, de rappeler la loi, de fixer des limites. De la sorte, ils permettent d'éviter les cercles vicieux de la vengeance privée ou de l'escalade de la violence. Ils tentent d'arbitrer avec justesse les conflits entre les hommes. Ils remplissent cette mission avec leurs limites humaines,leurs faiblesses, qui peuvent parfois conduire à l'erreur. Mais leur intervention permet le plus souvent d'apaiser les plaies de la communauté humaine qui leur a confié cette mission, le "peuple français".
Cette mission est difficile, mais elle est passionnante. Elle nécessite un engagement personnel profond, car, quelle que soit la fonction exercée, le magistrat se trouve confronté aux situations humaines les plus dramatiques. Si l'on se sent prêt à relever ce défi, si l'on aime la rencontre des hommes, quels qu'ils soient, si l'on n'imagine pas sa vie confinée dans une petite bulle confortable à l'abri de la misère du monde, si l'on est capable à la fois d'écouter et de décider, alors c'est un métier qui peut apporter un réel épanouissement personnel, un métier que l'on vit chaque jour avec "orgueil et passion".
Rédigé par : Pascal B. | 12 janvier 2006 à 12:26
je suis d'accord avec les termes de ce post, difficile de trouver motivant le métier de magistrat aujourd'hui, il faut vraiment avoir la vocation.
Mais terminer par une "citation" de Goldman, pitié, ça gache tout !!!
Rédigé par : Emmanuel | 11 janvier 2006 à 11:45
Passionnant blog!
Rédigé par : frery | 11 janvier 2006 à 11:39
Ayant réussi le concours moi-même cette année, je dirai une chose. On côtoie quand même pendant nos études en faculté quelques professionnels, on assiste aux procès d'Assise et autres juridictions, on voit des gens remarquables qui, jour après jour, font leur métier.
Oui, la magistrature n'est pas dans une position facile aujourd'hui. Oui, le spectre de l'erreur est effrayant. Mais les yeux et les oreilles des auditeurs sont, je pense, bien ouverts à la fois sur les aspects enthousiasmants du métier, mais aussi, et c'est fondamental sur ses servitudes et ses aspects frustrants. Il serait illusoire de s'engager dans un métier avec autant de responsabilités sans savoir où l'on met les pieds. A nous aussi, il est vrai, de faire accepter nos limites. La justice ne peut pas se voir sans cesse accusée de maux qui n'ont pu être réglés par les autres institutions sociales. Et le problème est peut-être aussi là.
Rédigé par : Isabelle | 06 janvier 2006 à 22:53
@Yoann
Faux! Elle reconnait et salue les progrès en termes de sécurité routière.
Elle soutenait la position de Chirac sur l'Irak.
Actuellement, elle considère que certaines mesures qui sont proposées depuis longtemps par le PS (Rocardiens notamment) notamment soient désormais proposées par le gouvernement, comme la sécurité sociale professionelle. Toutefois, il est légitime qu'elle exprime ses doutes quant à la sincérité de la démarche (si les mots y sont, certains d'entre eux sont parfois vidés de leur sens, cf "fracture sociale" ou plus récemment service civil) et mette le doigt sur le manque d'esprit visionnaire et d'imagination politique de la majorité.
Quant à certaines autres mesures, la plupart en fait, je vous assure que l'opposition n'est pas que tactique, mais qu'elle est aussi morale.
Pour revenir au sujet du post, je crois que c'est le droit qui fait peur aux jeunes. On leur a tellement dit que la justice n'est pas une affaire de morale, mais uniquement de droit, qu'il finissent par y croire.
Dès lors, si l'on survit intérieurement à cela au début de ses études, que l'on ne considère plus la justice que comme un jeu avec des cartes à abattre, quel intérêt y a-t-il à distribuer ces dernières alors qu'on peut les jouer?
Mais qui veut encore être une référence morale? Je crois que cette désaffection est à rapprocher de la crise des vocations dans la pretrise.
Après avoir été si sure de ses valeurs, jusqu'en 45, la société est entrée dans le doute. Ce dernier est porteur en philosophie mais nuit à l'engagement pratique.
Rédigé par : Boulgakof | 05 janvier 2006 à 02:06
j'approuve votre commentaire "orgueil et passion"...malheureusement plus personne ne connais la "satisfaction" ou le "contentement"..tout le monde veux toujours plus,et n'es jamais content de ce qu'on lui donne ni de ce qu'il possède. Ce qui m'énerve personnellement c'est ce qu'inculquent les réactions de l'opposition politique: jamais contente,et ne reconnais jamais une seule bonne action de la majorité, et ne fait que critiquer....voilà l'exemple qui est donné par nos hautes instances!
Rédigé par : Yoann | 03 janvier 2006 à 17:48
J'ai également lu cet article...cela me fait penser quand même à une mentalité bien de chez nous : comment donner envie à de jeunes étudiantes de devenir infirmières, enseignants etc...lorsqu'on les voit manifester ? Les Français sont les champions de l'autodéprime me semble-t-il !
Rédigé par : Antoine | 03 janvier 2006 à 16:46
A propos des conséquences d'Outreau, je pense à une phrase de Michèle Alliot-Marie, dans son ouvrage, que je viens de terminer, dans un passage intitulé "Pour en finir avec le masochisme" :
"On s'indigne - et légitimement - de l'injustice faite au capitaine Dreyfus mais on oublie de se féliciter que justice lui ait été rendue"
Il y a un peu de ça, avec Outreau : oui, il y a de quoi être scandalisé mais oui, il y a aussi de quoi se réjouir que l'on ait enfin permis l'appel en matière criminelle et qu'en fin de compte, justice ait été rendue à ces personnes.
Si ce n'est pas le juge d'instruction qui délivre la "sentence", mais une Cour, c'est bien que la Justice intègre sa faillibilité.
Rédigé par : koz | 03 janvier 2006 à 13:46