Aujourd'hui même, le Comité interministériel de prévention de la délinquance, récemment institué, est présidé par le Premier ministre. Excellente initiative, si elle ne vise pas seulement à donner l'illusion d'une action, par l'instauration d'un organisme de plus. Si ce Comité est destiné non seulement à faire nombre mais à favoriser une politique cohérente et durable à l'égard de la société, de ce qui peut la structurer, l'équilibrer et la pacifier, son utilité sera indiscutable et peut-être reconnue par tous, ce qui le mettra à l'abri des remous partisans. Modestement, je propose déjà à cette nouvelle instance une tâche intellectuelle et pédagogique qui ne sera pas mince compte tenu de l'ignorance ou de l'idéologie, toutes deux ayant pour effet de masquer le réel. Il me semble urgent, tant le malentendu pourrit beaucoup de nos débats, de cesser d'opposer mécaniquement prévention et répression alors qu'elles sont évidemment nécessaires l'une et l'autre.
L'idée de cette note m'est venue, paradoxalement, à la lecture d'un remarquable article paru dans le Monde du 18 janvier et ayant pour titre : Quand le lycée brûle. Son auteur, un enseignant, André Loez, après avoir analysé finement et de manière originale le phénomène des violences et des dévastations dans les établissements scolaires - se demandant si " c'est peut-être tout simplement la civilisation qui part en fumée faute d'une parole qui apaise" - termine malheureusement son texte par ce poncif : "nous sommes nombreux à ne pas être dupes des solutions fausses du tout-sécuritaire ".
On a écrit "tout-sécuritaire", et tout serait dit ! L'adversaire serait terrassé par la force de cette alliance de mots devenue si péjorative que celui qui prétendrait encore en sauver le sens le ferait en tremblant. D'abord, quelle étrange manie que celle qui a consisté à dévoyer par le vocabulaire ces belles notions de sûreté, de tranquillité et de sécurité. La sécurité, devenue sécuritaire, est frappée d'un sceau infâme et d'une réprobation de principe, non à cause de sa réalité mais du mot qui la travestit. Il n'est que temps de s'indigner devant ce coup de force permanent qui fait de citoyens lucides et responsables des obsédés et des malades.
Ensuite, croit-on vraiment que la société invente, pour se faire plaisir et se donner des frissons, ces drames de la délinquance et de la criminalité qui offensent quotidiennement des vies, des familles et des situations ? Trop souvent, les contempteurs d'une politique efficace de sûreté et de tranquillité publiques réagissent comme si on avait le choix et que le citoyen pouvait, à discrétion, ou bien s'abandonner aux délices de l'angélisme ou tomber dans les affres de la répression. C'est la réalité qui enseigne et non pas l'inverse. On a déjà éliminé - il a fallu longtemps - la perversion de croire que l'insécurité était un phantasme. Il convient maintenant de se débarrasser de cette absurde croyance qui n'est pas loin de laisser penser qu'on s'angoisse parce qu'on l'a bien voulu.
Enfin, n'est-ce-pas mépriser un peu trop facilement les adeptes de la répression que de les décrire comme enfermés dans cet unique univers et indifférents à tout ce qui pourrait constituer une action de prévention ? Il n'est personne qui ne sache que répression et prévention représentent les deux bouts d'une chaîne qui part de la société dans ses profondeurs pour se terminer dans le for intérieur des responsables et des coupables. La prévention a des effets lents, malaisés à percevoir et sans incidence sur l'immédiateté du crime ou du délit. Lorsqu'un acte a franchi la frontière qui sépare la prévention de la répression, il faut bien que celle-ci le prenne en charge. Rien n'est plus niais - ou plus bêtement partisan - que de continuer à clamer "prévention, prévention " quand le problème ne se pose plus à ce niveau mais au-delà. Lorsque la répression est nécessaire, cela ne signifie pas que la prévention a échoué. La première comble les multiples et inévitables lacunes de la seconde.
Alors, de grâce, cessons de parler du "tout-sécuritaire" comme si, par cette injure suprême, on parvenait à mettre en parenthèses une réalité qu'on ne veut pas voir. Le "tout-sécuritaire", cette banalité du vocabulaire, cette fausseté du fond, c'est du "tout-sommaire". Je ne me leurre pas. Cette note ne sera qu'une modeste contribution à la réflexion de ce Comité. J'espère que celui-ci saura ne pas être hémiplégique.
Je n'oublie pas Outreau qui mobilise beaucoup de notre attention en ces jours. Le moment venu, je tenterai de dire ce que j'en pense, une fois que la commission parlementaire aura accompli sa mission.
Poster un commentaire
Les commentaires sont modérés. Ils n'apparaitront pas tant que l'auteur ne les aura pas approuvés.
Vos informations
(Le nom et l'adresse email sont obligatoires. L'adresse email ne sera pas affichée avec le commentaire.)
Quand on sait réfléchir mais qu'on ne dipose aussi finement de la langue écrite, il est bon et salutaire de lire ces lignes. J'adhére totalement à votre mode de pensée fondé sur le bon sens. Merci de nous laisser entrevoir un avenir possible pour nos enfants!!!
Rédigé par : valerie alessandri | 22 février 2006 à 11:50
Je ne suis pas choqué par la conclusion de l’enseignant. L’expression du « tout-sécuritaire » n’est devenue péjorative que corrélativement à un « l’insécurité est partout ». Les politiques l’ont affirmé, les médias, vous, moi, tout le monde.
Mais l’insécurité existe selon vous ; elle est incontestable. A-t-on jamais dit le contraire ? Dans ce cas, est-elle plus forte aujourd’hui qu’hier ? Il y a le terrorisme certes, et ces crimes terribles. Mais il y a surtout ce petit rectangle de couleurs qui relate tout... Je ne crois pas que notre société connaisse plus d’insécurité que les précédentes. Boileau déjà, dans les Embarras de Paris, disait que « le bois le plus funeste et le moins fréquenté est, au prix de Paris, un lieu de sûreté ». Est-ce ce qu’on dit de Paris de nos jours ?
Bien-sûr, tout ne va pas bien, mais je crois que l’on garde le droit de s’indigner face à des politiques qui façonnent chaque jour une doctrine de peur, où l’autre est présenté plus comme une atteinte éventuelle à ma sécurité, que comme un être aux droits identiques (souvenez-vous, la DDHC…).
La peur du gendarme est nécessaire pour que la vie de chacun soit meilleure ; la haine du gendarme, je ne crois pas. Je veux bien être pragmatique et voir la réalité, je n’ai peut-être pas envie de la prendre en pleine tête chaque matin en me levant. Je préfère une Justice présentée comme un instrument de bien-être social, que comme un instrument de répression. Mais tout est corrélatif, découlant d’un postulat assumé.
Alexandre Vialatte a dit : « Il faut dans la vie une grande jovialité basée sur le roc solide d’un pessimisme intransigeant » . Je préfère voir les choses comme ça ; ça me paraît emprunt d’une sagesse stoïcienne.
Rédigé par : Frédéric Lamourette | 24 janvier 2006 à 13:50
Comme vous le dites l'insécurité n'est pas un phantasme.
L'insécurité est partout, sur le marché du travail, dans les entreprises, dans les commissariats, dans les prisons et dans la rue.
Le problème est que le discours et l'action politique se sont concentrés sur une des facettes de l'insécurité, celle de la rue, et cela pour en occulter ses autres formes.
C'est s'attaquer à ce qui est sous le feu des projecteurs, la violence la plus visible, pour ne pas remettre en cause le metteur en scène et l'auteur : les autres formes de violence qui l'ont créée.
L'expression « tout-sécuritaire » est une façon pour les uns (politiques et gouvernants soi-disant partisans de la « tolérance zéro ») de prétendre s'occuper de l'ensemble des violences de la société et pour les autres (les soi-disant laxistes) de dénoncer ces premiers qui se sont polarisés.
Tout le monde y trouve son compte et la société s'y perd.
A mon sens, il ne faut pas hiérarchiser les violences et c'est pourtant le résultat de plus de dix années de politique pénale, ou quitte à le faire, il ne faut pas mettre la pyramide à l'envers.
Les premières violences sont celles de la précarité, du chômage et des conditions de travail, elles conduisent inexorablement vers toutes les autres.
C'est dans ce sens que le « tout-sécuritaire » n'est finalement qu'un « rien-du-tout-sécuritaire ».
Rédigé par : Dago | 22 janvier 2006 à 17:13
Bonjour,
Merci d'avoir l'audace de penser à rebrousse-poil !
Une petite claque intellectuelle de temps en temps, ça ne fait pas de mal ! Un bémol cependant: cette manière de voir les choses ne peut pas soutenir _Malheureusement..._un mode de gouvernement quotidien d'un pays. Vous savez la conviction inébranlable de ceux qui pensent bien.
Rédigé par : Udd | 22 janvier 2006 à 03:10
Cet article est un peu hasardeux:
Feux de poubelles, jets de pierres, bagarres et insultes forment le quotidien des cours de récréations des collèges, mêmes des collèges dits tranquilles de centre-ville aisés. Je sais de quoi je parle, j'y travaille, après avoir travaillé en ZEP. Laisser croire dans un article que l'ensemble des hommes politiques n'est pas au courant ne me plait que moyennement.
Ensuite, il dénonce une forme d'abandon de la jeunesse, ou des élèves, selon que la politique et les citoyens, ou bien l'éducation abandonnent ceux-ci. Et de dire que "nous sommes" tous responsables, que les "adultes" renoncent.
pour finir, il n'a pas de solution à proposer, ou alors - si - un "projet naîf".
En bref, je résume : c'est le b****el partout, le lycée brule, tout le monde s'en fiche, heureusement que "nous" on est là parceque on n'a pas de solutions réelles, mais "nous" on fait des efforts, et on y croit.
On dit souvent que pour être enseignant, il faut avoir la foi. Certes, mais porter sa foi en exemple témoigne de bien peu d'humilité. J'ai la faiblesse de croire que de simplement dire "je travaille moi", meme si ce travail est réputé vachement plus dur que celui de mon collègue privilégié du centre ville, ne donne pas le droit de dire qui a raison ou qui a tord.
Je n'ai pas eu le plaisir de croiser André Loez du fond de ma tranchée, dommage on aurait causé, maintenant j'ai abandonné le front pour l'opulence aisée des combats d'arrière garde..
Bien cordialement.
Rédigé par : Mathieu | 21 janvier 2006 à 15:52
C'est un bonheur de vous lire comme de vous entendre. Votre blog scintille et la qualité de vos préoccupations fondamentales rassure. Quelques uns, quelque part, en France, se préoccupent sereinement d'un morceau d'essentiel. Merci, Monsieur l'avocat général. Ancien enseignant devenu artiste, je vais modestement tenter d'en faire autant pour la culture. Souhaitez-moi bonne chance. Il va en falloir aussi.
Rédigé par : Masquelier | 21 janvier 2006 à 08:08
je vous cite;
"...le Comité interministériel de prévention de la délinquance, récemment institué, est présidé par le Premier ministre.... Excellente initiative, si elle ne vise pas seulement à donner l'illusion d'une action, par l'instauration d'un organisme de plus."
j'abonde dans votre sens puisqu'alors :
le tout-sommaire
thuriféraire ,
le tout-sécuritaire
précaire ,
le tout-taire
parlementaire
etc etc etc
Prévention ,
répression ,
castration ?
que c'est dur ,
Alex :
dura lex
sed lex !
Rédigé par : Cactus Joe | 20 janvier 2006 à 21:59
Bonjour,
Dans le contexte actuel, il apparait tout de même que l'option "sécuritaire" prime sur l'option préventive.
L'expression "tout-sécuritaire" n'est pas, à mon sens, une expression péjorative. Elle est peut-être facile, habituelle, creuse, mais un petit effort intellectuel permet d'en comprendre le sens.
A noter que si la droite dure est taxé d'attitude "toute-sécuritaire" (comprendre, axé sur la répression) ; la gauche molle est qualifiée d'"angélique" (comprendre, laxiste et excessivement indulgente).
Les deux expressions, les deux anathèmes pourrais-je risquer, sont également stupides. Il est exact que la droite actuelle (suivez mon regard) exprime d'abord une volonté de réprimer les infractions et autres délits, en oblitérant que des causes sociales et culturelles sont en oeuvre qui surmonteront toujours la simple action répressive.
Je pense que malheureusement tout le monde ne sait pas que répression et prévention sont les deux bouts du même bâton. Je pense même que pour beaucoup il n'y a qu'un bout au bâton (n'en déplaise à M. Devos).
Je me sens parfois indigné par des propos ou des actes indiquant une foi exagéré dans des politiques de sanction (radiation des chômeurs par exemple, explusion brutale d'immigrés clandestins,) ou de contrôle (cameras de surveillance, biométrie, stockage et partage des données personnelles).
Je me sens aussi parfois contrit de voir que des sanctions nécessaires ne sont pas appliquées. Je ne me sens pas contrarié par l'existence de mesures sécuritaires. Il faut parfois une sanction pour comprendre et apprendre. C'est même comme ça que fonctionne l'éducation des enfants.
Cependant une telle éducation ne peut être perçue positivement que si la justice (et là on retombe dans votre domaine) est respectée. Sinon il en naît un sentiment d'injustice qui recouvre et annihile le bienfait de la leçon.
Si une exaction est commise il faut comprendre d'où elle vient, et pourquoi elle s'exprime ainsi. Il faut la sanctionner au regard d'un parcours, plus ou moins excusable. Il existe bien, en justice, une notion de "circonstances atténuantes". Angélisme de la justice ? Je ne pense pas, car cela n'empêche pas le juge de condamner.
En revanche je ne pense pas que la sécurité soit la première des libertés. C'est un slogan, aussi creux et malheureusement orienté que "il est interdit d'interdire". Ce sont les deux boûts d'un même bâton idiot : le premier voudrait tout interdire au nom de la sécurité ; la seconde voudrait tout autoriser au nom de la liberté.
Non, le premier des droits, c'est l'égalité des droits. C'est celui qui permet à chacun d'espérer autant que son voisin. C'est le droit le plus souvent contrarié. L'égalité des droits - et des chances - est perturbé en France à mon estime. Nous n'avons de facto pas tous les mêmes droits au logement, au travail ou à la justice - indépendamment de nos qualités, bien sûr - selon notre nom, notre couleur, notre origine.
Rédigé par : Souplounite | 20 janvier 2006 à 21:01
Vous faites bien de rappeler en filigrane que la sécurité est la première des libertés.
Il serait intéressant de savoir d'où parlent ceux-là même que hérisse toute idée de sécurité (contrôle et répression). Sans réelle empathie envers les victimes physiques et morales de délits ou de crimes, ils semblent sujets à une sorte de tropisme café-de-florien d'après-guerre consistant à remonter à la source des responsabilités, jusqu'à la "société". Société coupable, forcément coupable. Délinquant victime, forcément victime.
Comme s'il était impossible de juger et punir quelqu'un pour ses actes, tout en lui garantissant le respect de ses droits. Mais c'est peut-être là le point saillant, lorsqu'on sait que ces droits ne sont pas toujours respectés. Je pense notamment au versant pénitenciaire du monde judiciaire : aux conditions de détention.
Peut-être pourra-t-on aider les pourfendeurs des politiques de sécurité à sortir de leurs schémas, le jour où l'Etat se donnera les moyens d'offrir aux jeunes en situation de pré-délinquance de vrais outils de prévention (l'école, la formation, mais aussi une PJJ réinvestie dans sa mission première) et aux détenus, de vraies chances de réinsertion.
C'est une affaire de volontarisme politique. Sans parler de l'allocation des crédits...
P.S : Bravo pour votre blog monsieur l'avocat général. J'ai eu l'occasion de vous croiser à trois ou quatre reprises lors d'audiences criminelles.
Rédigé par : Laurent Javault | 20 janvier 2006 à 15:10