Quotidiennement, ici ou là, je suis frappé non par l'inculture juridique de la société française - personne n'est obligé de faire des études de droit - mais par son défaut de culture judiciaire, ce qui n'est pas la même chose. Il y a en effet, à tous les niveaux, même ceux de responsabilité et de pouvoir, de formidables lacunes sur ce plan qui me semble pourtant relever de ce que devrait connaître tout citoyen qui se respecte, désireux de demeurer à l'écoute de son temps et de la démocratie. Comme si la justice faisait seulement peur et ne pouvait appeler aucune curiosité désintéréssée, alors que ce sujet surabonde dans les médias.
Les campagnes engagées à ce sujet par le ministère de la Justice - je crois qu'il y en a eu quelques-unes - ont été beaucoup trop ambitieuses et, au lieu de "faire" dans la sophistication, auraient du se contenter de diffuser des informations de base sur le monde judiciaire, sa structure élémentaire et ses acteurs principaux. On aurait ainsi pu éviter, par exemple, les confusions permanentes entre les fonctions d'avocat et de magistrat .
Je ne doute pas une seconde que sur le blog de Maître Eolas vous pourrez trouver une description approfondie de cet univers. Pour ma part, je vous propose juste de m'accompagner pour un très rapide survol qui, je l'espère, pourra être utile.
N'oubliez pas que la sphère pénale, même si elle passionne souvent l'opinion publique, est loin de représenter toute l'activité judiciaire. La justice au quotidien qui, dans notre pays, est dramatiquement lente, comporte notamment les domaines civil et commercial. Vous n'ignorez pas, j'en suis sûr, que l'organisation comporte les tribunaux d'instance, puis les tribunaux de grande instance, qui sont les juridictions de droit commun, les cours d'appel, dont le nom indique bien la fonction, et, enfin, la Cour de cassation qui " chapeaute " l'ensemble du système, son équivalent, sur le plan administratif, étant le Conseil d'Etat.
Pour demeurer simple, j'attire votre attention sur la différence entre avocats et magistrats. Les premiers (Maître un tel) sont des auxiliaires de justice, assistent et défendent leur client, prennent en charge ses intérêts. Les seconds sont divisés en deux grandes catégories :les magistrats du siège et ceux du parquet.
Le parquet hiérarchisé et soumis à l'autorité du Garde des sceaux poursuit et requiert au nom de la société, de tous les citoyens en quelque sorte. Le procureur est à la tête du parquet du tribunal de grande instance,le procureur général du parquet général de la cour d'appel et il y a un Procureur général - deuxième magistrat de France - qui dirige le Parquet général de la Cour de cassation. Celle-ci a pour charge seulement de vérifier si les juridictions inférieures ont fait une application correcte de la loi et ne se prononce plus sur le fond des dossiers. Le Siège est chargé de juger, c'est lui qui tranche, une fois que le parquet a requis. Il y a un président à la tête de chaque tribunal de grande instance (à Paris : le président Magendie ), un premier président qui dirige chaque cour d'appel et le Premier Président Canivet, le premier magistrat de France, se trouve au sommet de la Cour de cassation.
J'ai souligné déjà que les avocats étaient appelés Maître..., tandis que les magistrats, dans le cadre judiciaire, sont nommés par leur titre. Pour ma part, je ne suis donc pas Maître Bilger mais Monsieur l'Avocat Général, qui est mon titre actuel. Pour mes collègues, le principe est le même. Le principal est de bien retenir la distinction entre les avocats (ceux qui plaident), les magistrats du parquet (ceux qui poursuivent les contraventions, les délits et les crimes au nom de vous tous) et les magistrats du siège (ceux qui jugent et statuent après avoir entendu les plaidoiries des avocats et les réquisitions du procureur).
Si vous êtes curieux, voire passionnés, je vous invite à vous plonger dans un certain nombre d'ouvrages qui vous apporteront des informations précieuses et approfondies. Vous verrez alors que notre institution, vous devenant familière, vous effayera moins.
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l'absence de connaissance du droit est certes totalement excusable de la part des citoyens. Mais les journalistes, qui sont censés les informer, ne devraient-ils pas, plutôt que d'écrire des contre-vérités, interroger des spécialistes du domaine dont ils parlent ? Etant juriste, presque à chaque fois que je lis un article dans le domaine juridique, je remarque des erreurs, parfois grossières. Dernier exemple : le prétendu "revirement" effectué par la Cour de cassation en matière de licenciement économique. Sa récente décision PAGES JAUNES a été qualifiée de "bouleversement du droit du travail" par tous les journaux que j'ai lus,qui affirmaient que "désormais" l'employeur pourrait licencier avant d'avoir des difficultés...alors qu'il ne s'agit que de la confirmation d'une solution existant depuis plus de 10 ans !! Il n'est donc pas étonnant que les citoyens soient ignorants...
Rédigé par : DM | 31 janvier 2006 à 13:46
Bonjour Monsieur l'Avocat général.
Le rapport Bouchet de mai 2001 explique l'exclusion de la justice par l'exclusion de la connaissance du droit.
Extrait : "La très grande majorité des personnes se sentent démunies lorsqu’elles sont confrontées à un problème juridique, et encore plus lorsqu’elles doivent s’adresser à un tribunal. A cet égard, le développement d’une culture du droit, qui donne à chacun un
minimum de repères lorsqu’il est confronté à des professionnels du droit, constitue un
enjeu démocratique d’autant plus fort que la place du droit dans la société augmente.
Le développement d’une culture juridique commence nécessairement à l’école....".
Pourquoi, aussi, ne pas envisager l'enseignement du droit, à titre obligatoire, dès le collége ?
Rédigé par : Hicham | 28 janvier 2006 à 11:10
@Eolas : aux termes de l'article 66 de la constitution du 4 octobre 1958 dite de la v°République , l'autorité judiciaire est " gardienne de la liberté INDIVIDUELLE " ...
Avec Kant , j'ajouterai que " le droit est l'ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s'accorder à la liberté de tous . "
Rédigé par : Parayre | 28 janvier 2006 à 10:58
Excusez moi, j'ai oublié un paragraphe.
Au delà de la nécessaire pédagogie sur le processus judiciaire, ne serait il pas interessant que vous nous expliquiez les approches personnelles de ceux (et celles) qui la font vivre cette Justice ? Après tout, ce sont des êtres humains. Vous même, si j'en crois les notes biographiques qui vous concernent, avez été Juge d'Instruction, puis avez évolué dans votre carrière au Parquet. Il serait interesant de parler de votre parcours en tant qu'homme, vos approches des questions qui vous sont posées. Il ne s'agit pas bien évidemment de justification, il s'agit de mettre de la viande sur le squelette (image triviale pardonnez moi)
Rédigé par : Didier | 28 janvier 2006 à 10:16
Merci Monsieur l'Avocat Général. Nul doute que tout cela est très utile voire même nécessaire. Une chose me gêne néanmoins et je vous la livre en toute "innocence" si je puis dire : le Parquet, le Siège, le Procureur, le TGI, la Cour d'Assises, la 3ème Chambre de la Cour d'Appel de Lyon, etc. etc . tout cela est de la "technique" judiciaire. Il me semble qu'il y a un point plus important à remettre en mémoire des français et qui est celui-ci : le mot Justice pour nos compatriotes comporte plus un sens "moral" qu'un sens "technique". Combien de personne disent en écoutant un verdict "ce n'est pas juste". oubliant ou ne sachant pas que ce même verdict est la simple application de la Loi, tâche première des magistrats et autres acteurs.
Peut être, je dis bien peut être, que les problèmes que la Justice rencontre avec ceux dont elle a la lourde charge de juger en leur nom, est-ce ce hiatus, les français demandant à leur Justice ce qu'elle ne peut pas leur donner (une justice suivant leurs tripes si j'ose dire).
Il y avait eu en 1981 un débat de ce genre à l'occasion de l'abolition de la peine de mort - c'était un peu philosophique mais ne traitons pas nos compatriotes comme des enfants, ils comprennent très bien beaucoup de choses.
Rédigé par : Didier | 28 janvier 2006 à 10:07
A lire les réactions de vos lecteurs, on est plus qu'étonné de l'inculture qui semble être la règle en france. Ce que vous avez écrit sur l'organisation judicaire du pays et des parquets est pourtant le b.a ba de ce qui est enseigné dans les écoles de formation des simples gardiens de la paix et que ceux qui gravitent d'une façon ou d'une autre autour de cette institution devraient immanquablement connaitre. Tel ne semble pas être la cas. AFFLIGEANT et ETONNANT Monsieur l'Avocat Général.
Rédigé par : Arcade | 28 janvier 2006 à 09:27
" Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ..." La célèbre formule mise dans la bouche des Shadoks par leur père Jacques Rouxel s'applique à notre système judiciaire dont la complexité explique , sans l'excuser , la méconnaissance qu'en ont nos concitoyens ( normale ) , la presse ( moins acceptable ) et même les autorités publiques ( inadmissible ) .
Comment exposer clairement notre organisation judiciaire , ses deux ordres de juridiction - judiciaire et administratif - ses multiples formations de jugement - professionnelles , élues , échevinales , permanentes , temporaires , locales - nécessitant de surcroit un tribunal dit des conflits susceptible de les départager lorsqu'elles " se disputent " la connaissance d'un litige ...
Comment lutter contre les médias qui , encore cette semaine , évoquaient , avec le vocabulaire pénal , des " plaintes déposées devant un tribunal des affaires de sécurité sociale ou un conseil de prud'hommes ...et persistent à utiliser le terme de détention préventive pourtant supprimée de notre code de procedure pénale depuis 1970 ?
Je compte sur votre talent pédagogique mais la tâche est ardue .
Felix qui potuit rerum cognoscere causas .
Rédigé par : Parayre | 27 janvier 2006 à 23:17
Bonsoir,
Je vous ai envoyé un message via mon blog pour vous demander l'autorisation de mettre un lien de votre site sur "L'Aviseur déchaîné".
J'attends votre réponse et dans l'attente, je vous prie d'accepter mes sincéres salutations.
Marc Fievet - NS55 DNRED
www.marcfievet.com
Rédigé par : Fievet Marc | 27 janvier 2006 à 21:35
Il faut encourager les initiatives telles que celle-ci. La "blogosphère" compte nombre de sites où des questions juridiques sont abordées avec un vocabulaire plus ou moins ouvert, et qui permettent au lecteur d'être parfois mieux renseigné sur les véritables enjeux de tel ou tel débat judiciaire que ce que proposent les "résumés" de la presse.
Mon Confrère Eolas étant déjà référencé par P. Bilger, je suggère aux lecteurs de ce blog certains des liens proposés sur le thème par http://www.paxatagore.org/.
Rédigé par : Me Imbemol | 27 janvier 2006 à 21:33
"défaut de culture judiciaire"
( je vous (ré)cite )
je trouve ce développement très judicieux !
sinon :
"Votre survol mérite d'être proposé aux enseignants du seondaire"
(Jean-Luc Masquelier )
perso j'en suis ( fin de carrière là et presque promis aux fouilles ):
j'espère juste éviter l'enseignant en saignant
:-(
"enseignez !!!!!!!!!!!!"
qu'ils disaient !
Rédigé par : Cactus Joe | 27 janvier 2006 à 20:28
Merci pour cette initiative. Vous avez raison sur le problème de l'inculture judiciaire et le fait qu'il serait possible de fixer assez facilement les choses par de grands repères.
Outre les distinctions que vous avez faites (par exemple procès, appel, cassation), je pense aussi à des distinctions comme infractions, délits et crimes etc.
Cela donne un repérage minimal sur le fonctionnement de la justice, permet de comprendre ce dont on nous parle, et devient indispensable le jour où on y est confronté, sur un plan personnel aussi bien que professionnel.
Rédigé par : Sic Transit | 27 janvier 2006 à 20:24
Je rougis de plaisir d'être cité en référence par une référence de la magistrature, au point que nos robes vont se confondre.
Il faut reconnaître que le terme "avocat général", héritage historique, prête à confusion, de même que le fait que les robes des magistrats du siège et du parquet soient rigoureusement les même.
Quant au fait que le rôle de l'avocat est de défendre les intérêts de son client et non ceux de la société en général quand ce ne sont pas carrément les droits de l'homme et les libertés publiques, rôle qui incombe à l'autorité judiciaire dans son ensemble, cette distinction semble oubliée de beaucoup de mes confrères, et aussi hélas d'un certain nombre de vos collègues.
Rédigé par : Eolas | 27 janvier 2006 à 19:32
C'est utile et passionnant.
Vu sur Internet :
Le procureur général est assisté par des avocats généraux eux-mêmes assistés par des substituts généraux.
Ils forment le Ministère Public.
Venant d'un professionnel de la justice, ce type de billet est très intéressant et très attendu !
Bis repetita ?
Rédigé par : Radiz | 27 janvier 2006 à 18:59
Monsieur l'Avocat Général, vous avez bien fait! Compagnon d'une enseignante en droit pénal de l'Université de Paris depuis un an et demi, je ne savais que depuis dimanche dernier qu'il fallait vous appeller comme ça. A 56 ans! J'espère que nous ne risquons rien, moi pour délit d'ignorance ni elle pour crime de non-assistance pédagogique...
Votre survol mérite d'être proposé aux enseignants du seondaire. D'autant plus qu'il semble nécessaire que les élèves entendent parler de l'institution judiciaire en ce moment dans les écoles où, même dans l'ignorance, elle ne semble pas effrayer grand monde. Oeuvre utile. Bravo!
Rédigé par : Jean-Luc Masquelier | 27 janvier 2006 à 17:53
A bien y réfléchir et avec le recul et la maturité que j'ai (enfin que je crois avoir), il me semble tellement évident que le fonctionnement de notre justice devrait être enseigné à tous les élèves, ceci au même titre que le fonctionnement notre système politique etc. Il se peut que cela existe depuis ma sortie d'école.
Rédigé par : Kagou | 27 janvier 2006 à 13:58
Le seul problème c'est que le droit civil est royalement chiant, étant en LEA mineure gestion j'en ai fait, et le droit des affaires est beaucoup plus amusant. Il peut être amusant d'étudier le droit, mais la façon dont c'est enseigné, m'a dégouté du droit civil, c'est impersonnel, froid et pas vraiment intéressant
Rédigé par : Kaoru | 27 janvier 2006 à 12:11