Outreau a mis en pièces quelques professions mais en a sanctifié deux. Les politiques qui, avec la commission parlementaire, se créditent d'avoir su porter le fer dans les plaies judiciaires avec une vigueur qui a scandalisé une partie de nos concitoyens et ravi l'autre. Les avocats qui ont réussi le tour de force de se fabriquer une innocence et une virginité comme si, auxiliaires de justice, ils n'avaient pas participé à l'élaboration de la procédure et étaient dépourvus de moyens pour en modifier le cours. Pour avoir voulu échapper à un gouvernement des juges, la France est-elle condamnée à subir une république d'avocats ?
Depuis quelques mois, on nous ressasse que la magistrature doit s'imprégner de la culture du doute et le rapporteur de la commission, qui est lui-même avocat, n'est pas le dernier à reprendre cette antienne ! C'est dans la même veine que s'inscrivent les propos d'un grand avocat, Eric Dupond-Moretti, qui à la suite de l'acquittement le 22 février de deux accusés corses, nous déclare - je cite de mémoire - que " la cour d'assises n'a pas manqué son rendez-vous avec la justice ". Le doute, l'acquittement : la magistrature ne serait donc elle-même que si elle venait naturellement se conformer à l'image que le barreau veut avoir d'elle et qu'il affirme idéale. Cette image offre le grand mérite, pour la défense, de se fabriquer une magistrature "sur mesure" portée vers la compréhension systématique et l'hésitation institutionnalisée.
Mais une magistrature qui ne ferait que douter serait aux antipodes de ce qu'une bonne justice exige. Si l'intelligence exige qu'un dialogue intime oppose sans cesse certitudes et incertitudes, la conviction et son contraire, rien, en revanche, ne serait plus éloigné de cette heureuse délibération que l'envahissement de l'esprit par un atermoiement dévastateur qui ferait perdre aux juges le sens de leur mission et l'efficacité de leur action. Un magistrat, après avoir pesé les scrupules et évalué les interrogations, a pour rôle de trancher, de décider et de statuer. Je devine bien que la défense souhaiterait le voir s'orienter presque à tout coup sur le chemin de l'irrésolution et donc de l'exonération . Cette culture du doute, qui, au vrai, habite l'avocat auquel on pourrait souhaiter sans malice de s'abandonner plutôt à la culture de la vérité, a pour fonction, si on n'y prend garde, de déstabiliser et d'affaiblir grâce à l'apparente évidence du slogan.
Cela a été remarquablement dit par Michela Marzano dans un article paru le 20 février dans Libération : " Outreau, notre oubli de ce qu'est l'humanité". Après avoir rappelé qu'un juge est précisément celui qui cesse de douter, l'auteur conseille d'axer la formation à l'Ecole Nationale de la Magistrature sur l'enseignement de la philosophie et de l'éthique sans lesquelles il n'est point de véritable humanité.
Que l'avocat ait son magistrat rêvé, je n'en doute pas une seconde ! Mais cela aussi fait partie de l'honneur de rendre la justice que cette volonté de ne pas se laisser définir par d'autres et d'élargir les exigences qu'une personnalité judiciaire digne de ce nom se doit de respecter. Multiples, elles nécessitent aussi bien la lucidité intellectuelle que la vigueur du caractère, le courage et l'autorité que la capacité de dialogue et le respect dû à autrui. L'affirmation de soi et le service des autres. L'aptitude à décider et la fierté de la fonction. La passion d'expliquer et de convaincre et le bonheur d'écouter. La résistance à l'environnement et le goût de la mesure . On est bien loin de la culture dévorante et exclusive du doute qui n'est qu'une tarte à la crème destinée à jeter de la poudre à l'esprit des ignorants pour mieux laisser le champ libre à des avocats qui parasitent le sinistre d'Outreau ! Revenir à une définition plus saine et plus volontariste de la magistrature - celle qui répond le plus rapidement possible, par ses décisions, aux attentes des citoyens - nous sortira, par ailleurs, d'une dérive que le syndicat de la magistrature a facilitée et justifiée. En quelque sorte, le juge assistant social, le juge qui s'occupe de ce qu'il ne peut pas régler. Il ne statue pas, il fait durer et console.
Moi aussi, j'ai dans mon panthéon judiciaire mes avocats préférés. Mais je ne prétends pas artificiellement dessiner l'avocat idéal : celui qui ne me causerait aucun souci.
Plutôt que la culture du doute, évoquons l'intelligence et l'humanité de la justice.
En toute humilité, j'ai commis un petit article sur le thème de « L'avocat rêvé pour le procès pénal ».
Sans égaler la finesse de l'article de monsieur Bilger (non non, ce n'est pas de la flagornerie - mais un avertissement), il traite des questions que l'on retrouve dans les commentaires céans.
« L'avocat rêvé pour le procès pénal » : http://riesling.free.fr/20060317.html
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 18 mars 2006 à 09:53
Monsieur l’avocat général,
Permettez que je vous emprunte pour l’occasion la réponse suivante : « Monsieur, nous sommes en désaccord. »
S’il est naturellement souhaitable que l’intelligence et l’humanité rapprochent l’ensemble des auxiliaires de la justice, ne sont-ce pas simplement des valeurs de bon sens qu’il faut souhaiter partager avec l’ensemble de nos concitoyens ?
Toutefois, si cette utopie peut offrir le modèle de l’établissement d‘une société judiciaire heureuse, elle est plus communément un projet dont la réalisation est impossible.
L’imperfection de notre justice n’est-elle pas paradoxalement le signe de son humanité organique ?
Je suis dans la détestation des avocats qui se croient bienvenus à mettre leurs clients au service de leurs intérêts propres, plutôt que de se mettre au service des intérêts de leurs clients.
Je vous suis également dans la gêne à établir un doute tout puissant qui serait le seul moteur d’une justice qui doit, au contraire, être fermement encrée sur ses assises.
Il y a indubitablement lieu de s’émouvoir lorsqu’un profession est exercée sans goût du travail bien fait, sans respect de la courtoisie élémentaire, ni sens de la responsabilité.
L’incompétence n’est elle pas toujours proprement intolérable ? Tout comme la mauvaise foi.
J’abonde dans votre sens s’agissant du rôle imparti à l’institution judiciaire et des qualités qu’elle se doit de revêtir ; autant d’ailleurs qu’en ce qui concerne son refus volontaire de se laisser définir par d’autres.
Ici, toutefois, cessera notre association de bienfaiteurs.
L’ensemble des membres de la magistrature ne se reconnaît pas dans les erreurs dont il est fait grief au juge Burgaud, de même que l’ensemble des membres du barreau ne se reconnaît pas dans les propos dont vous faites grief aux avocats d’Outreau.
La généralisation n’est-elle pas un danger qu’il nous faut ensemble repousser, n’est-elle pas par essence non juste ?
Il me semble au surplus que nous sommes bien loin d’une république des avocats que vous semblez tant redouter ; Le procès d’Outreau n’a-t-il pas précisément démontré combien la parole de l’avocat est suspecte.
Et tandis que la médiocre participation de certains des miens contribue rarement seule à l’erreur judiciaire, il est regrettable que la contribution discutable de certains des vôtres ait pu y mener aussi sûrement.
Depuis plus de 20 ans, me dit-on, aucune affaire n’a restauré l’image de l’avocature auprès des magistrats et je n’ai pas vu que l’affaire d’Outreau y soit parvenue.
Bien plus, me faut il lire dans votre propos que vous opposez une culture du doute abusivement implorée par certains, à la culture de la vérité dont nous privez tous (à l’exception de quelques rares).
J’estime pour ma part que l’affaire d’Outreau devrait être le déclencheur d’une tentative d’un mieux vivre ensemble, nous auxiliaires de la justice.
Car il n’existe pas une justice pour les avocats et une justice pour les magistrats, la justice doit exister pour que ses auxiliaires la servent avec sincérité et responsabilité, en gardant à bonnes distances les passions et polémiques d’oppositions fondamentales pour n’admettre que les oppositions de fonction.
Je suis convaincue que l’affaire d’Outreau devrait constituer l’occasion pour les avocats et les magistrats de contribuer ensemble à l’œuvre de justice dans un rapport d’intelligence et d’humanité dont ni les uns, ni les autres n’aurions dû nous éloigner.
Rédigé par : marian maud | 12 mars 2006 à 20:56
Monsieur Patoulatchi,
Mon propos n'était pas forcément une accusation des services de police judiciaire et ne se résumait pas au cas Outreau.
Plutôt, je tentais de dire ce qui, pour moi, pouvait être la cause du phénomène d'entonnoir, qui fait, qu'une fois trés fortement soupçonné par une service de police, un individu semble perdre pour les juges tout les bénéfices d'un présumé innocent.
Par ailleurs s'il est vrai que les textes placent l'OPJ sous l'autorité du parquet, il ne s'agit pas d'une autorité hiérarchique proprement dite.
Quant à l'obligation de composer plutôt que d'ordonner,tant le juge Halphen que le juge Joly ont fait mention des difficultés rencontrées pour obtenir le concours actif des sevices de police lorsque le prêfet était plutôt réticent.
Enfin, puisque vous faites référence à l'affaire Outreau, permettez-moi de rappeler celle de Dils et d'autres identiques, dans lesquelles l'enquête de police, bien que calamiteuse, n'a jamais été remise en question jusqu'au stade procès public, de premier ou de second degré.
Rédigé par : Bifrotin | 01 mars 2006 à 14:45
Culture du doute ?
A mon sens, oui, un magistrat doit douter. Mais il est un maillon d'une chaine. Le policier qui enquete doit douter, l'instructeur doit douter, le jury populaire doit douter. Pourquoi ? Parce que deux thèses s'affrontent généralement. Sauf cas ou les charges sont étayées par de vraies preuves (je dis vraies, pas vraisemblables), par des témoignages véridiques (je dis dis véridiques et non crédibles), il est difficile de revenir en arrière. Si la police livre a un magistrat un dossier "ficelé", au milieu des 80 autres qui jonchent son bureau, a-t-il, vraiment, réellement, le temps de douter ? La chambre de l'instruction a-t-elle d'autres renseignemenst que ceux transmis par le magistrat instructeur. L'enquête réalisée dès le daprt par la police ou la gendarmerie peut "plomber" irrémédiablement un dossier. Par manque de temps, par fatigue, parce que ce jour là, l'humain qui instruit a eu un problème personnel. L'avocat, lui, défend son client. Il est payé pour. Et en plus, sur certaines affaires, il se fait sa publicité. L'avocat général, lui, accuse. Il est là pour ça. Il le dit et le clame. L'avocat, lui, défend, il est là pour ça. Et le client, pion coupable ou innocent, les regarde, sidéré, aux suspensions de séance, se donner des nouvelles des enfants et s'inviter à dîner.
Cette vaste "théatralisation" de notre système judiciaire l'a vidé de son sens, de ses valeurs, de son humanité. Chacun y joue un rôle. Seul l'accusé en paiera le prix (double si en plus de payer son avocat, il est condamné). Et sa défense repose sur son avocat, sur des pièces apportées comme il peut. Mais pas sur une enquête policière. Parce que là, rien de possible. Un avocat peut citer un témoin. Mais un accusé ne peut exiger de la police qu'une enquête soit diligentée dans telle ou telle direction.
Tout part du début. Tout part de là...
Rédigé par : Armell | 01 mars 2006 à 13:51
Parayre : @Eolas : je doute que Philippe Bilger n'écrive que pour vous et souhaite susciter votre seul commentaire .Il ne se dissimule pas sous un pseudonyme et " pense " à visage découvert sans craindre les critiques de TOUS ni privilégier les " penseurs " de la toile ...
Vous brisez d'un coup tous mes rêves.
Fere libenter homines id quod volunt credunt.
Rédigé par : Eolas | 01 mars 2006 à 11:38
«Doutez de tout mais ne doutez pas de vous-même» (André Gide). Un sujet de fin d'études pour les magistrats ?
Rédigé par : Bulle | 01 mars 2006 à 08:26
Que de beau monde céans ! Le blog d'un haut magistrat, des avocats, des députés, je ne sais plus ou donner de la formule de politesse ! Tant pis, je passerais outre.
Monsieur Bifrotin, pourquoi tenez vous à accuser la police en général des maux de la justice en particulier ? L'affaire d'Outreau, en l'occurrence, fait ressortir des dossiers où il s'avère que la police française tout comme la police belge voyait plus clair que la magistrature (cités durant l'audience publique du juge Burgaud diffusée sur LCP).
Par ailleurs, oubliez-vous que les missions de PJ se font sous le contrôle du parquet ? Oubliez vous que la qualification d'OPJ se fait par habilitation du pouvoir judiciaire ?
Si vous connaissez des cas d'OPJ refusant de mettre en oeuvre des commissions rogatoires et faisant fi de toute discipline, que ne contactez-vous l'IGPN ou l'IGS ?
Que cela vous plaise ou non, les décisions qui font l'objet du scandale judiciaire d'Outreau sont des décisions prises par des magistrats, non pas par des policiers. Et nul individu pris dans une structure ne peut prétendre que ses erreurs lui ont été imposées par ceux qui lui sont subordonnés hiérarchiquement. Si des magistrats en venaient à prendre leurs décisions pour faire plaisir à des policiers, le moins que l'on puisse dire serait que ces magistrats sont d'une totale incompétence - le code de procédure pénale à aucun moment ne propose comme légitimes de telles motivations.
Je pense que certains élus de certaines tendances politiques devraient dépasser le stade de la défiance généralisée à l'encontre d'une profession. La chasse aux perdreaux est un sport peu salutaire pour la République - on n'a jamais raison de frapper et blâmer indistinctement et systématiquement un corps de fonctionnaires. Même si c'est vrai qu'il s'agit presque d'un sport national, avec des domaines d'attributions presque (heureusement, ce n'est que « presque ») superposables aux couleurs politiques des uns et des autres.
Si vous ne faites pas pour la rigueur morale qui veut qu'on accuse pas 120 000 fonctionnaires d'être des salopiauds, alors faites le par calcul politique, et dites-vous que parmi ces 120 000, tous ne feront pas la part des choses et amalgameront le parti dont vous êtes membre avec une accusation pour le moins gratuite à leur encontre, ce qui ne les inclinera que très difficilement en votre faveur.
Maître Eolas, vous nous donnez là la description du magistrat idéal aux yeux d'un avocat idéal (que vous incarnez peut-être, qui sait ?). Pensez-vous que cette description fasse l'unanimité ?
Monsieur moutonà5pattes (amusant pseudo :), je conçois mal un magistrat déclarant que la manifestation de la vérité ne lui importe pas. Mais après tout, il n'existe sans doute aucune profession dont tous les praticiens seraient corrects.
Toutefois, on peut difficilement demander aux avocats de privilégier systématiquement la vérité. Ca ne fait pas partie de leur mandat. Car la vérité pour certains mis en cause n'est qu'un cheminement vers la réclusion ; or, est-ce le but de l'avocat d'y envoyer son client ?
C'est louable qu'il existe des avocats qui pensent que la vérité est bonne. C'est vrai qu'après tout, un mis en cause coupable des faits qui lui sont reprochés acceptant de le reconnaître est sans doute sur la voie de la réinsertion, quelque part.
Mais, une fois encore, soit cet avocat n'a pour clients que des individus dont la culpabilité est avérée sans aucun doute, soit il n'est pas du tout certain qu'il serve ses clients en terme de peine.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 28 février 2006 à 18:19
@Eolas : je doute que Philippe Bilger n'écrive que pour vous et souhaite susciter votre seul commentaire .Il ne se dissimule pas sous un pseudonyme et " pense " à visage découvert sans craindre les critiques de TOUS ni privilégier les " penseurs " de la toile ...
Sutor , ne supra crepidam .
Rédigé par : Parayre | 28 février 2006 à 14:06
Bonjour,
Evoquons la nécessaire intelligence et humanité de la Justice.
Félix
Rédigé par : Félix | 27 février 2006 à 15:38
Je rejoins Paul dans sa conception de la "culture du doute".
Et je pense que si la Justice doit douter de son propre travail, elle doit surtout douter du travail de la police.
La majorité des affaires débouchant sur des acquittements repose sur des dossiers nourris par des éléments d'enquêtes mal menées, voire manipulées.
Les magistrats du parquet comme ceux de l'instruction semblent avoir une difficulté réelle à remettre en cause ce qui est affirmé par les enquêteurs.
Bien souvent le PV de synthèse de l'enquêtre constitue l'ossature de toutes les autres pièces écrites de la procèdure, quand il n'est pas le seul document lu par le président du Tribunal Correctionnel.
L'explication à ce phénomène peut venir du fait que la police judiciaire n'est pas sous l'autorité hierarchique de la Justice.
Les services qui la composent, sont certes tenus d'obéir à la justice mais il n'y a pas de sanction réelle si ils s'affranchissent de cette obligation.
Il y a eu des exemples où des services de police ont refusé d'assister des juges d'instruction.
Le fait que ces refus soient intervenus dans des affaires mettant en cause des personnalités "politiques" n'est pas mon propos ici.
La réalité est qu'il n'y a aucune mesure entre l'autorité d'un prêfet et celle d'un procureur de la république, sur les services de police judiciaire.
Cela implique que les magistrats sont obligés de composer avec les services de police judiciaire au lieu de simplement les diriger.
On peut dés lors comprendre qu'il leur soit difficile de paraître défiants à leur encontre.
Rédigé par : Bifrotin | 27 février 2006 à 13:16
Ho ! La vilaine provocation au commentaire de ma part ! Ce n'est pas du jeu, Monsieur l'avocat général : comment résister à une telle invitation ?
Vous tournez en dérision la culture du doute dont on rebat les oreilles de la magistrature au point qu'elle en ressort avec la certitude qu'on lui dit n'importe quoi. Ce n'est pas totalement faux tant il est vrai que le mot d'Outreau est effectivement une tarte à la crème utilisée dans leur plaidoirie par des avocats qui n'ont rien à dire pour leurs clients. Le procédé de reductio ad absurdum est efficace mais il suppose en l'espèce une déformation de l'argument adverse. Permettez donc que je le redresse.
Si le mot doute est tant cité, c'est qu'il apparaît que dans cette affaire, beaucoup de magistrats n'ont pas pris le temps de douter. De là à verser dans la caricature de juges inhumains, froids, pétris de certitudes et du sentiment de leur infaillibilité, il y a un fossé que beaucoup de parlementaires et citoyens ont franchi d'un saut de cabri. Blâmons les mais ne jetons pas l'argument pour autant.
Ce doute que les avocats appellent de leurs voeux impose au magistrat de sonder le dossier avec méticulosité. De tout vérifier, ce que dit la police, ce que dit le parquet, et bien sûr ce que dit l'avocat, mais ce point là est déjà assimilé depuis longtemps. Entendons nous bien : je ne dis pas qu'il faut accuser l'avocat d'être un menteur, pas plus que la police judiciaire ou le parquet. Mais si sa parole ne doit pas être mise en doute, son argumentation doit être également passée au crible, la présomption d'innocence de la personne poursuivie n'étant pas une présomption de pertinence de son avocat.
Pour paraphraser Montesquieu, le juge ne doit signer ses jugements que d'une main tremblante. Mais il doit les signer.
La justice dont les avocats rêvent n'est pas une justice tétanisée par le doute (sauf pour les avocats médiocres), mais une justice dont chaque juge pourrait s'il le fallait regarder dans les yeux le président d'une commission parlementaire et lui dire « Voilà pourquoi j'ai pris cette décision. La suite a révélé que ce n'était pas la bonne mais au jour où je l'ai prise, j'ai fait ce choix pour telle raison. Sans haine, sans crainte, en ayant conscience du tort que je causerais si je me trompais, mais certain que si j'avais eu tort de ne pas la prendre, le mal eût été pire ». Et non un pathétique « j'ai fait des erreurs, mais qui n'en fait pas ? Personne ne m'a dit que je me trompais ».
Pourquoi ne pas s'entraîner sur nous ? Pourquoi ne pas dire en quelques mots les motifs déterminants du tribunal, ne pas dire à l'avocat s'il est présent ou au prévenu, qui le sera généralement : voilà pourquoi nous statuons ainsi, voici ce qui a dissipé tout doute dans notre esprit, et voilà pourquoi nous prononçons telle peine ou confirmons . Plusieurs présidents le font, et je suis prêt à parier que le taux d'appel s'en ressent à la baisse (ce que je dis ne s'applique naturellement pas aux arrêts d'assises qui ne peuvent être motivés de par le mode de la prise de décision, mais les débats préalables se suffisent généralement à eux même).
Et cette démarche s'inscrirait dans l'impératif d'humanité, autre tarte à la crème, que l'on use beaucoup ces temps-ci. Car est-il donc besoin de le dire ? Oui, les juges sont humains, le problème n'est pas qu'ils le deviennent, juste qu'ils le montrent.
Rédigé par : Eolas | 27 février 2006 à 13:00
Je n'ai pas compris cette expression (« culture du doute ») de la même manière que vous.
Pour ma part, il s'agit de la nécessité pour chacune des « couches » de la justice de douter du travail des autres couches et de l'examiner d'un œil critique. Les avocats doivent douter du travail du juge d'instruction, qui doit douter de celui des OPJ. De même chacune des juridictions qui peut intervenir sur un dossier doit « douter » des autres, etc.
La justice doit globalement douter de son propre travail, même si chacune des parties doit faire preuve d'esprit de décision, de volonté et bien sûr d'efficacité.
Rédigé par : Paul | 27 février 2006 à 09:52
Et oui , double allégeance de l'avocat , tenu par son serment au respect dû aux lois comme à l'intérêt de ses clients dont Carlo Goldoni , dans "Arlequin le serviteur de deux maîtres " , a pu démontrer la douloureuse complexité .
" L'avocat rêvé par le magistrat" devrait donc être inspiré par un guide transcendant aussi bien le droit que la volonté de ses mandants , en somme par la justice prise dans son acception la plus absolue .
Il lui appartiendrait de rester indépendant de l'ordre social comme de ceux qui le désignent pour les représenter et d'orienter vers la justice aussi bien ces derniers que les juges .
Bien entendu , sans se sentir pour autant investi d'un sens inné de cette même justice que personne ne recèle complétement ...
Il lui reviendrait donc , à cet auxiliaire rêvé ,de faire , par une autocritique constante de ses convictions spontanées , abstraction de tout subjectif ou circonstanciel afin d'appréhender en profondeur les aspirations de ceux dont il porte la parole .
Constamment confonté aux contradictions qui opposeraient ses clients à l'Etat ou à d'autres individus , il saurait , ce conseil idéal , observer la source des peines et des joies et contribuer à leur équilibre , c'est à dire à l'essence de la Justice .
Vraiment , il serait plus qu'un auxiliaire , un MAITRE .
J'ironise , bien entendu mais ne sommes nous pas faits de l'étoffe de nos rêves ?
Rédigé par : Parayre | 27 février 2006 à 09:38
Ah, ami Philippe, nous allons être en désaccord mais je crois que votre billet tiens plus de l'énervement.
J'ai entendu l'avocat de Madame Erignac, j'imagine que vous l'avez entendu vous-même. Il ne s'en est pas pris au verdict, mais aux conditions de l'enquête qui a porté l'accusation, citant même certains enquêteurs qui ont déposé à la barre à l'inverse de leur enquête. Avouez qu'il y a un loup !
Sur le doute : personne ne demande aux magistrats de douter à tous les coups, mais lorsqu'il y a manifestement des doutes, on leur demande de ne pas se réfugier derrière le principe de précaution : "il n'y a pas de fumée sans feu". Le doute profite à l'accusé, c'est la loi, et la charge de la preuve incombe à l'accusation, c'est encore la loi. L'inversion de ces deux propositions provoque Outreau. Doutes et hésitations ne sont pas synonymes : le doute amène une décision claire et sans hésitation.
Sur l'avocat : je devine une certaine suspiscion. Parce que l'avocat est payé par son client, il ne serait pas l'ami de la vérité. Son rôle serait d'embrouiller les esprits. C'est ne pas tenir compte de tous les avocats qui conseillent à leurs clients de dire la vérité plutôt que s'enferrer dans le mensonge, charge à eux de trouver les éléments de défense dans cette vérité. J'ai déjà entendu 3 réquisitoires d'avocats généraux dans une même affaire : la vérité était le cadet de leur souci ! L'un d'eux l'a même clairement dit à l'audience : "La vérité ? Je suis l'accusation, je suis là pour accuser." Et de répéter sans relâche les mêmes mensonges, sans même tenir compte des revirements de l'audience. Pris en flagrant délit de bobard par l'avocat de la défense, il se contente de sourire, l'air de dire "Bien joué!".
Dans ce jeu de poker-menteur que sont certaines affaires criminelles, la vérité est inatteignable. Dans une affaire comme l'affaire Erignac, il y a la raison d'Etat en supplément, qui justifie que subitement, on crée une juridiction d'exception et que le peuple soit prié d'aller jouer dehors. Je n'ai pas l'ombre d'une sympathie pour les nationalistes corses que je tiens pour des Milosevic en culottes courtes. Mais bon sang, si le dossier est vide ou bidonné, si les bidonneurs l'avouent à demi-mot à la barre, faut-il malgré tout condamner ?
Sur la formation des magistrats, pleinement d'accord. On nous explique que les juges sont des hommes et des femmes comme les autres. Eh bien non, ils ne doivent pas être des gens ordinaires : un pompier n'est pas un homme ordinaire, une infirmière n'est pas une femme ordinaire et un juge ne peut pas être un homme ou une femme ordinaire. S'ils sont ordinaires, ils doivent être écartés de ce métier qui demande des qualités extraordinaires. Un juge est un homme engagé dans la démocratie, et faute de cette conscience forte, il n'est plus qu'un larbin de l'ordre établi par les médias et l'émotion ambiante.
De même que l'on s'inquiète, dans la formation des enseignants, de leur capacité pédagogique, sans se limiter à leurs seules compétences dans une discipline, de même doit-on s'assurer que les magistrats ne sont pas uniquement de bons techniciens du droit, mais aussi - surtout ? - des humanistes et des philanthropes
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 27 février 2006 à 01:20
Monsieur l'Avocat général,
Les avocats ne seraient-ils pas des auxiliaires de justice uniquement quand cela vous arrange ? Si les avocats étaient auxiliaires de justice à part entière, pourquoi ne pas les laisser prendre une part plus active à l'information durant ses phases policière puis judiciaire ? Ce ne sont pas les avocats qui ont soulagé le dossier pénal de quelques pièces à décharge, créant ainsi le doute dans l'esprit des magistrats du siège, mais les cow-boys de la DNAT. Problème qui risque apparemment de se reposer en fin d'année lors du procès d'Yvan Colonna. Au demeurant, on peut se demander s'il est tout à fait fondé d'opposer à ce point recherche de la vérité et exercice des droits de la défense... L'avocat présent dès la première heure garde à vue pourrait être un formidable facteur de légimitation du déroulement de la phase policière... La chasse aux nullités à laquelle les avocats se consacrent ne constitue-t-elle pas aussi un puissant facteur de consolidation des dossiers de l'accusation ? J'ignore si tous les recours existants pour tenter de remettre l'instruction sur les bons rails ont été utilisés dans l'affaire dite d'Outreau, je sais seulement que 244 demandes de mise en liberté ont été rejetées.
Dupond-Moretti est certes grand avocat... par la taille, mais il n'est pas encore bâtonnier de l'ordre. Sa déclaration de presse à l'issue du procès étaient celles d'un avocat de la défense. Vous passez sous silence le fait que l'acquittement a été décidé par onze magistrats du siège composant la cour d'assises spéciale d'appel. Je comprends que le parquet général ne soit pas content... et ait intenté un pourvoi.
Certes, le juge est celui qui cesse de douter. Mais en cessant de douter, il ne fait que consacrer la thèse la plus vraisemblable parmi celles qui lui sont présentées. A l'aune de ce relativisme, ni l'avocat, ni l'avocat général, ni le juge du siège ne peuvent être idéaux. La différence entre la vérité et le vraisemblable, n'est-ce pas cela qu'on appelle le doute ?
Rédigé par : Voltigeur | 26 février 2006 à 20:15