Une phrase extraite de la plaidoirie de maître Dupond-Moretti au cours du procès qualifié d'Outreau 2 a été reprise et approuvée par pratiquement tous les médias. Je la cite: la leçon d'Outreau, c'est que le doute doit toujours, obstinément, profiter à l'accusé même lorsqu'il est trop pauvre, trop laid, trop bête et qu'en plus, il couche avec sa belle-soeur.
C'est, une nouvelle fois, sur la notion de doute aux assises que je voudrais réfléchir. Elle est devenue, dans l'actualité judiciaire, tellement présente et ressassée qu'on n'ose plus la discuter. C'est dommage car, à la prendre au pied de la lettre, il n'est plus d'affaire qui pourrait se terminer autrement que par un acquittement, à partir du moment où l'accusé a l'habileté de contester le crime qui lui est reproché.
Il faut bien comprendre qu'une enquête de police, une instruction, des débats de qualité n'offrent jamais un drame dans sa totale transparence. A l'issue d'un procès criminel, il reste, la condamnation prononcée, mille doutes infimes, périphériques, secondaires mais qui n'ont pas altéré fondamentalement le coeur de la preuve. Il est inconcevable que la réalité d'une tragédie avec ses mobiles, son déroulement et ses suites puisse être si parfaitement inscrite dans l'espace judiciaire qu'elle n'appellerait aucune interrogation et ne susciterait plus le moindre mystère. Le judiciaire même parfaitement mené n'élucide pas tout dans la mesure où notamment l'accusé et la partie civile gardent "sous l'esprit", comme on dit "sous le coude", des éléments strictement personnels et inutiles, selon eux, à la manifestation de la vérité.
Il y a donc une définition du doute par l'avocat qui ne laisse une place, en vérité, pour l'accusateur que s'il y a eu aveu confirmé et réitéré. A l'exception de cette reconnaissance du crime, l'immense champ qui demeure et qui permet aussi de se forger une conviction à charge peut être gangrené par n'importe quel doute et, donc, si on suit la pente des avocats, "condamné" à l'acquittement. J'admets volontiers qu'en face de cette philosophie à tout va du doute, l'avocat général peut avoir la sienne qui risque de présenter l'inconvénient inverse. Celui de considérer que tout doute est dérisoire et infime et, donc, jamais susceptible de mettre en péril l'accusation.
Aussi, le doute n'est pas la panacée en matière judiciaire. Il ne règle pas tout. Il convient de le définir, de l'analyser et de délimiter sa portée.
La vie allie certitudes et hésitations. La vie judiciaire aussi. Alors qu'on cesse de nous asséner le doute comme un couperet, un ultimatum. Certains, rares, irréfutables si j'ose dire, à cause de leur importance justifient l'acquittement. La plupart, s'ils dérangent une conviction qui se rêverait absolue, n'ont pas d'incidence décisive sur le cours de l'audience.
La vérité, même révélée, laisse après elle un sillage de doutes.
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"In dubio pro reo", sauf qu'il subsiste toujours un doute, et que personne ne remet en cause la nécessité d'une justice qui condamne.
Je pense qu'il suffit de revenir aux fondements de la procédure pénale, lire quelques auteurs dont la pensée n'a pas vieilli.
La vérité est un absolu, les moyens humains de connaissance sont relatifs ; l'homme ne peut donc atteindre la Vérité. Plus pratiquement, une infraction est rapportée par cent témoins, il est malgré tout possible (et donc il y a un doute) que ces cent personnes mentent.
La vérité ne pouvant être atteinte, il faut soit la qualifier de vérité "judiciaire", celle du juge et de la Justice, celle qui ne fait subsister qu'un doute infime, qui fait pencher la balance très fortement d'un côté, mais sans jamais qu'elle ne casse.
Ou, deuxième possibilité, il faut chercher à atteindre non pas la vérité, mais la certitude, c'est-à-dire la croyance en la vérité ! Car la certitude elle-même, dans l'absolu, laisse le doute subsister.
Toute notre procédure pénale est bâtie autour de cette idée : il n'y a qu'à constater l'échelle dans la preuve. Au début, il faut des indices faisant présumer, puis des charges, puis des preuves : toute une progression est déduite d'un vocabulaire qui fait comprendre qu'une "ascension" a lieu vers le moins de doutes possibles.
C'est la construction la plus parfaite que l'on puisse concevoir contre l'arbitraire. Mais oui il existe toujours un doute, et non il ne profite pas toujours à l'accusé. Et toute démagogie à part svp, ce système ne paraît pas si injuste.
PS : merci Ortolan Faustin Hélie et Merle et Vitu...
Rédigé par : Frédéric Lamourette | 26 avril 2006 à 12:40
Citation d'un précédent commentaire : "Au cours d'une audience, le doute habite de toutes les façons, le juge, le juré - enfin j'ose l'espérer. Il n'a pas forcément sa place chez l'accusation, qui nous l'avons dit a émis ses doutes pendant les phases précédents l'audience." (PissTroiGüt)
Ma réaction : Le doute doit pour moi avoir également sa place chez l'accusation. Si celui (ou plutôt ceux, puisqu'il est rare qu'un dossier soit suivi du début à la fin par la même personne) qui peut engager des poursuites doute lui même de l'existence de l'infraction (je ne sais s'il faut parler de gros doutes, expression pas très jolie mais très parlante, de doute raisonnable, ou de doute tout court) ou du fait que c'est la personne qu'il envisage de poursuivre qui en est l'auteur, comment va-t-il réussir à convaincre un juge ou un jury ? Pire, s'il réussit à convaincre un juge ou un jury d'une culpabilité dont il doute lui même, pourra-t-il, ensuite, dormir tranquilement (et si oui est-il bon qu'il exerce des fonctions d'accusation?).
Le doute chez l'accusation, à l'audience, peut donc être, selon moi, utile (sans pour autant être trop fréquent, ce qui poserait alors très sérieusement la question de la compétence des collègues qui ont pris la décision d'engager des poursuites). Soit pour faire part au juge ou au jury de ses propres doutes afin d'expliquer comment il les écarte, et donc comment il propose au juge ou au jury de les écarter également, soit pour requerir la relaxe ou l'acquitement dont même un représentant de l'accusation doit (je l'espère) se réjouir s'il s'agit de ne pas prendre le risque de condamner un innocent.
Rédigé par : Xavier HAUBRY | 23 avril 2006 à 18:57
Marcel, certes, Dupond-Moretti n'est pas neutre. Nous sommes bien d'accord. Mais il faut stigmatiser la tendance à voir des preuves là où il n'y a que des indices, particulièrement dans les délits de moeurs (le reste de la pratique judiciaire fonctionne mieux). Emprisonner sur base de déclarations de psys et d'enfants me semble être une dérive dangereuse - si Staline avait eu cette idée, je suis convaincu qu'il l'aurait utilisée abondamment pour ses procès!
Rédigé par : Voltaire | 22 avril 2006 à 11:28
Paraphrasant Anatole France qui écrivait :"on observe
qu'en France ,le plus souvent ,les critiques musicaux sont sourds et les critiques d'art aveugles...celà leur permet le recueillement nécessaire aux idées esthétiques" je serais tenté d'écrire :"...en France ,le plus souvent les juges d'instruction sont sourds et les avocats aveugles...celà leur permet le recueillement nécessaire à l'idée de Justice "
Le lecteur me pardonnera cette facile boutade!
Rédigé par : sbriglia | 21 avril 2006 à 14:13
de là cette phrase célèbre et toujours d'actualité au vu du sujet consterné :
"le doute m'habite !"
perso je rajoute :
"le doute me hante "
( JO maison ou pas !)
Rédigé par : cactus | 20 avril 2006 à 14:32
En droite ligne de ce que je tentais d'exprimer dans une précédente discussion, je pense véritablement que la place du doute doit augmenter dans la procédure pénale, principalement en phase d'enquête et d'instruction, et ce dans le raisonnement de chaque magistrat, de chaque auxiliaire de justice.
Au cours d'une audience, le doute habite de toutes les façons, le juge, le juré - enfin j'ose l'espérer. Il n'a pas forcément sa place chez l'accusation, qui nous l'avons dit a émis ses doutes pendant les phases précédents l'audience.
A la télévision, sur les marches du palais, l'utilisation du doute, son instrumentalisation s'apparente toujours - pour moi - à une faillite de l'institution, de l'avocat (souvent), de l'enquête...
On m'a appris le monde de la justice comme une confrontation équitable lorsque tout le monde fait son boulot...
C'est, actuellement mon doute.
Rédigé par : PissTroiGüt | 20 avril 2006 à 12:10
Voltaire, un individu n'est pas innocent parce que c'est l'avis de Dupond-Moretti qui, ô quel hasard, se trouve être son avocat.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 20 avril 2006 à 10:54
J'approuverais pourtant Dupond-Moretti "within reasonable doubt": le premier des principes n'est-il pas de ne pas condamner un innocent?
Rédigé par : voltaire | 19 avril 2006 à 22:48
le doute est depuis peu mon ami mais aussi mon ennemi.il est celui qui vient me visiter chaque nuit(surtout depuis que je me suis engagée dans un cursus universitaire).il est celui que je cheris le plus et ce malgré moi. car comprenez-moi il ne souffre pas de l'incertitude encore moins du manque d'exigence. l'a peu près ne le concerne pas. ma premiere rencontre, la veritable, a eu lieu dans un tribunal et meme si je devinais les contours de sa figure mes impressions etaient bien loin de la realité..que de visages n'a t-il pas montré. alors pour ne pas subir sa "tyrannie",je ne lui laisse que la place qu'il merite.
Rédigé par : aspasie | 19 avril 2006 à 18:33
Sujet difficile que celui que vous abordez : du latin " dubium " - dont la racine est duo - le doute nous met dans un état d'esprit nous empêchant de juger , de trancher ...
Les philosphes distinguent l'état de doute du scepticisme . Ce dernier consiste à peser le "pour " et le " contre " alors que le premier est la résultante d'une étude ne permettant pas de conclure dans un sens ou dans un autre .
Il est traditionnel de distinguer le " doute provisoire et suspensif " du " doute définitif " .
Le premier , cher à Descartes , est un doute méthodique qui nous conduit à ajourner notre jugement , à prendre le temps que nécessite la recherche de l'évidence pour parvenir à la certitude .Ce " doute " caractérise la quête de la vérité dont le chemin , par définition , n'est pas aisé .
Le second , le " doute définitif " , est celui que le scepticisme donne comme le dernier mot de la raison .Lui-seul , au sens du code de procédure pénale , est de nature à conduire à la relaxe ou à l'acquittement .
En somme , le " doute" , pour s'imposer , doit être supérieur au " savoir ".
Comme l'exprimait Aristote , l'ignorant affirme , le savant doute et le sage réfléchit .
Et le juge ?
Rédigé par : Parayre | 19 avril 2006 à 17:09
Les nord-américains ont la finesse de parler de « doute raisonnable », la culpabilité doit être entendue « beyond reasonable doubt ». Cela évite l'écueil hyper-relativiste qui se nourrit du fait que rien n'est totalement prouvé dans l'absolu, en dépit des vraisemblances et probabilités.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 19 avril 2006 à 12:58