J'avoue que j'ai un peu honte.
Lorsque j'ai lu dans le Nouvel Observateur que l'administrateur de la Comédie française Marcel Bozonnet avait déprogrammé une pièce de Peter Handke parce que celui-ci avait assisté aux obsèques de Milosevic et avait tenu certains propos, mon premier mouvement a été de contentement. N'ayant pas de sympathie particulière pour cet écrivain autrichien que je ne connaissais qu'au travers d'interviews et ne nourrissant aucune dilection pour le Président serbe, dans l'instant j'avais trouvé évidente l'initiative de Marcel Bozonnet. Mais avec quelque chose qui me gênait tout de même, sans que j'ose l'exprimer de suite.
Dès le lendemain, avant que la polémique naisse et s'enfle au point de mettre en mauvaise posture le censeur, j'ai perçu le choquant de cette décision unilatérale qui revenait à faire dépendre un engagement culturel, un spectacle prévu, de la subjectivité et du bon vouloir de quelqu'un qui confondait les genres. La dictature d'une pensée unique qui s'arroge droit de vie ou de mort sur une oeuvre. Je ne vois pas, en effet, au nom de quoi la participation à des obsèques, le mort serait-il la personne la plus odieuse du monde, justifierait l'annulation d'une entreprise théatrâle, d'une pièce choisie selon les critères habituels à la Comédie Française. C'est un acte de censure à la fois indiscutable et incompréhensible car ce sur quoi il s'appuie n'a aucun rapport intellectuel avec l'interdiction. Aucune relation ne peut être faite entre la démarche personnelle d'Handke et l'avanie scandaleuse qui lui est infligée. Cette dernière est d'autant plus mal venue que la position politique d'Handke au sujet de la Serbie et de Milosevic était déjà non seulement minoritaire mais étouffée par des médias acquis à la thèse contraire dominante.
Quant à la dégradation du lien entre Bozonnet et l'écrivain, qui ne mettrait pas le premier à l'aise lors du travail en commun, quel étrange argument ! La Comédie Française n'appartient pas à Marcel Bozonnet. Il faut espérer qu'une pièce est distinguée parce qu'elle est susceptible de plaire au-delà de l'administrateur. Le ministre de la Culture va recevoir Peter Handke. Je souhaite que, pour une fois, une rencontre fasse reculer la censure.
Je ne peux pas m'empêcher de comparer cette affaire avec la publication du livre de Battisti. En toute bonne conscience, un éditeur fait paraître le récit d'une personne en fuite à laquelle, selon les justices italienne et française, des crimes infiniment graves peuvent être reprochés. Médiatisation à outrance de ce "coup".
Handke est puni pour avoir assisté à un enterrement. Bozonnet remplace la justice. La pièce est retirée du programme.
Il n'y a pas quelque chose qui cloche ?
Quand on arrive après la bataille, on a toujours un peu honte.
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Après la bataille..Mais, vient de sortir aux éditions l'âge d'homme", un livre de patrick barriot: "l'affaire handke".Mais..il n'y a pas eu un seul débat officiel, sur la question du pouvoir-programmer puis déprogrammer-Tous les débats des deux cotés ont parlé de l'ex yougoslavie, principalement.Non, la bataille n'est pas finie.
Rédigé par : bérangère bonvoisin | 17 juillet 2006 à 10:47
http://www.b-i-infos.com/affaire_handke.php
Ci dessus un lien très interessant trouvé sur le net pour l'affaire Peter Handke.
Quel abîme entre les faits et l'article du nouvel obs.
C'est terrifiant
Bravo pour votre Blog
Très cordialement
René Richard
Rédigé par : Richard René | 10 mai 2006 à 09:07
Tout le monde réagit comme si l'histoire de ce qui s'est passé dans les Balkans entre 1990 et 1998 était définitivement écrite, avec des méchants serbes et de gentils bosniaques. Les médias occidentaux ont tranché, et les hérétiques, au sens religieux du terme, se retrouvent expédiés au bûcher. Bozonnet en grand inquisiteur, cela ne lui ferait pas plaisir comme image, mais c'est pourtant ce rôle qu'il vient de jouer.
Je ne me prétend pas spécialiste de cette question, de cette région. Mais je sais que rien n'est tout blanc ou tout noir et que les engouements médiatiques ne sont pas une garantie de vérité absolue.
Enfin, j'aurais aimé en savoir un peu plus sur les raisons de l'engagement qui a amené Handke à se trouver aux obsèques de Milosevic. Avant de condamner, il faut écouter, ce que Bozonnet n'a pas fait.
Ces actes de censure ont le don de m'énerver et comme l'on dit d'autres commentateurs, pourquoi Handke et pas Céline, ou Genet, dont le parcours n'est pas des plus clairs. On peut très bien reprendre les anciennes programmation de Bozonnet et lui demander des comptes. Cela peut même être drôle.
Rédigé par : authueil | 09 mai 2006 à 22:58
Hypocrisie de Bozonnet qui connaissait les positions politiques de Handke. Positions partagées par une proportion importante de peuples d'Europe de l'Est, pas seulement en Serbie. Nos bons pays n'ont pas fait le moindre effort pour comprendre le conflit yougoslave et les résurgences des deux guerres mondiales. Pour un serbe, pour un croate comme pour un autrichien, le bosniaque ou le kosovar n'est qu'un serbo-croate ou illyrien converti à la religion de l'occupant, pour mieux servir dans son administration d'occupation. Je passe, mais l'inculture historique fait dire beaucoup de bêtises.
Je suis de gauche, républicain forcené, franc-maçon, j'étais hier encore avec mes filles au camp de concentration de Gurs (64) pour leur montrer la banalité de l'horreur et j'ai toujours aimé la poésie de Brasillach, j'admire le "feu follet" de Drieu la Rochelle. Ces hommes sont morts, leur engagement politique fut immonde, mais Socrate et Platon furent des esclavagistes.
Les idées doivent être combattues par d'autres idées. Aucune police, aucun juge, aucun censeur n'a la moindre compétence pour interdire qu'une idée existe. Bozonnet se fait l'héritier du parti dévot qui interdisait Tartufe, des juges à la Daumier qui condamnaient Madame Bovary.
"Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait" Audiard.
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 09 mai 2006 à 09:43
"Quand on arrive après la bataille, on a toujours un peu honte." dites-vous !
pas toujours car parfois rebelote , non ?
( à mon fils , sa bataille )
Rédigé par : cactus | 08 mai 2006 à 16:18
Merde et Zutre !
Je n'ai pas lu et je ne lirai sans doute pas Handke.Pas envie...
Mais enfin que l'on arrête de me saouler avec la bienséance assaisonnée de conformisme qui fait douter de la valeur littéraire de Céline car il pensait "mal" et qui exonère les Aragon et autres Eluard suceurs de Staline tout comme cet abruti maoiste nommé Sartre...
Et ils avaient du talent.
Politique,art et morale...beau sujet de bac philo certes, mais plaisir du texte d'abord, messieurs les censeurs !!!
Rédigé par : Jean Pierre Chaume | 07 mai 2006 à 23:25
le plus invraisemblable est quant même à mes yeux que Bozonnet soit directeur de la Comédie Française et découvre brusquement ce qu'est Handke, et puis bien sur qu'il en oublie ce dont il semblait avoir une vague notion : que c'est un bon écrivain
Rédigé par : brigetoun | 06 mai 2006 à 18:34
L'annonce de la prochaine parution d'un "livre" de Fofana devrait nous valoir bientôt une note de haute volée sur la liberté d'expression. Nous sommes sans doute nombreux à l'attendre avec appétit.
A moins que vous ne vous réserviez pour la publication d'un "Pourquoi j'ai fait ça" signé du corbeau de Clearstream qui devrait battre au moins en France le record du Da Vinci code.
Du pain sur la planche!
Rédigé par : Pontcaral | 06 mai 2006 à 08:31
"Si Hitler avait écrit une magnifique pièce de théâtre, serait-elle jouée, applaudie et au programme des écoles ?"
Je crois que le point Godwin vient d'être atteint !
Rédigé par : Stéphane | 06 mai 2006 à 04:09
Le Président Chirac est le seul occidental à s'être rendu aux obsèques d'Afez El Assad.
Qu'allons nous faire de lui maintenant?
Rédigé par : basba | 05 mai 2006 à 23:41
Si Hitler avait écrit une magnifique pièce de théâtre, serait-elle jouée, applaudie et au programme des écoles ?
Je sais qu'il est répété qu'il faut faire la différence entre l'homme et l'oeuvre mais sans condamner ceux d'hier avec nos critères d'aujourd'hui, on pourrait éviter d'en faire aussi des grands hommes. Mais quand il s'agit des hommes d'aujourd'hui, on peut aussi leur demander de s'exprimer… Peter Handke a-t-il eu une interview cette semaine dans un journal pour nous expliquer pourquoi il était attaché à Milosevic ? Faites moi savoir…
Il y a aussi des auteurs pour qui la vie et l'oeuvre ne font qu'un et ne cherche pas à fuir le jugement de leur vie à la lumière de leur oeuvre et le jugement de leur oeuvre à la lumière de leur vie. Le rappeler pour éviter que nos enfants pensent aussi qu'être antisémité d'un côté, auteur de l'autre, offre un certain salut…
J'ai lu hier dans le Monde, un article où l'administrateur de la Comédie Française s'exprimait et je trouve aussi intéressant de l'entendre. Lui a choisi de ne pas jouer la pièce, les autres théâtres le peuvent. La liberté d'expression n'est pas encore en danger, d'autres théâtres devraient se faire un plaisir de mettre cette pièce à leur agenda. Avec la bénédiction du ministre en plus ! Je trouve l'administrateur plutôt simple à suivre et qu'il soit, lui, «condamné» fait quand même sourire. Il a exprimé, en homme libre, que pour lui il y avait un problème, et vlan, on lui répond que c'est la liberté d'expression qu'il met en danger… La sienne semble-t-il n'est pas apprécié. Il doit être écrit dans le ciel de l'air du temps qu'il faut aimer Peter Handke, j'y vois là tout autant un danger.
Vous auriez été aux funérailles de Milosevic ? Moi, non…
Rédigé par : bulle | 05 mai 2006 à 17:50
Par sa présence aux obsèques, Handke a rendu un hommage à quelqu'un qui ne le méritait pas. L'écrivain est allé bien au-delà du rôle de témoin des Serbes dont il se vante. Bozonnet n'a pas "remplacé la justice" puisqu'il n'a pris sa décision qu'au niveau de ce qui est de sa responsabilité. Libre aux autres de faire autrement. Y a pas de quoi en faire un charabia !
Rédigé par : Marissé | 05 mai 2006 à 17:11
Je ne partage pas ce point de vue consistant à systèmatiquement sous-traiter les problèmes éthiques à la justice. Je crois aussi à la responsabilité individuelle.
Il est vrai qu'il n'est pas du ressort du chauffeur de locomotive de décider s'il doit ou non mettre du charbon dans la chaudière. Mais il est également vrai que s'il n'en met pas, le train amnenant les juifs vers une mort certaine ne peut pas partir. Que dire que de ceux qui sous Vichy (et ils étaient un certain nombre) prétendaient que c'était la loi et que c'était à la justice de trancher, et qu'il ne devait pas y avoir de décisions individuelles ? Milgram dans son livre "la soumission à l'autorité" décrit bien le phénomène repris dans un film intitulé I comme Icare.
Non, pour ce qui me concerne, je salue justement le courage de cette décision: elle fait partie des moyens de pression. On sait trop que les hommes politiques tentent de valoriser leur image en se montrant proches de sportifs ou d'artistes connus. Il est bons que ces derniers sachent que le fait de fréquenter des salauds peut finalement se retourner contre eux.
une fois encore: lisez S. Milgram.
Rédigé par : Jean Emile MAZER | 05 mai 2006 à 10:14
Associer Wagner au nazisme est un anachronisme. Si son oeuvre a pu être source d'inspiration pour le nazisme, c'est en tant qu'élément notable du patrimoine culturel allemand.
C'est tout de même plus délicat lorsqu'il est question de Céline. Lui a pris parti pour un antisémitisme exacerbé. De nos jours, la fièvre est retombée, on peut se permettre de lire du Céline sans arrière pensée, pour la qualité de ses écrits. Mais il en serait tout autrement si nous étions en 1945. Tout simplement parce que soutenir une oeuvre soutien naturellement, in fine, la démarche de son auteur, quand celui-ci est vivant.
Quand l'auteur est mort et enterré et que les bêtises qu'il a pu soutenir n'ont plus d'existence réelle, il n'y a plus de quoi condamner ni ostraciser.
Dans le cas d'Handke, il reste vivant et le sujet de crispation reste d'une certaine actualité (conflits ethniques à coloration de guerre de religion).
Alors ne doit-on écouter que des artistes intelligents ? Répondre oui à cette question imposerait probablement de cesser d'écouter toute musique et ne plus nous rendre au cinéma, ou presque. Qu'y gagnerait-on ? Rien, on y perdrait seulement, car il s'avère que des gens aux tournures d'esprits étranges (qualificatif le moins désobligeant que j'ai trouvé) peuvent produire des choses intéressantes. Et même des choses a priori idiotes, comme les émissions de Fogiel, peuvent avoir une forme d'intérêt, car elles renseignent indirectement sur l'état du monde, de la pensée, des modes de la pensée. Et même si elle n'ont aucun autre intérêt que de satisfaire une forme de prétention élitiste (en regardant la télévision, on peut facilement se sentir intelligent), il ne faut pas craindre d'être contaminé. Si on est bien chaussé, ce n'est pas entendre tel artiste raconter tel propos avec lequel on est pas d'accord qui va subitement changer notre propre avis. On peut tout écouter, tout voir, tout lire. Pour prendre un exemple grossier, lire Mein Kampf ne devrait pas transformer un individu normal de 2006 en néo-nazi.
Regarder ou écouter une oeuvre n'est que soutenir très indirectement. Ce soutien indirect n'étant que peu de chose, il faudrait vraiment que l'artiste soit déplaisant au plus haut point (comme Battisti) pour qu'il paraisse nécessaire de le sanctionner en lui imposant un retour dans l'anonymat.
C'est plus délicat lorsqu'on est producteur. Par le fait que l'on emploie et que l'on rémunère, on soutien très directement. Par exemple, quand on fait le choix d'employer des individus qui agressent une hôtesse de l'air à chaque fois qu'ils prennent l'avion, on n'est pas neutre, on participe à la valorisation sociale d'individus asociaux.
Dans l'affaire Handke, d'un coté la sanction apparaît disproportionnée aux faits reprochées et hors-sujet (y a t-il quoi que ce soit dans la pièce qui permettre de faire un lien avec ce qui lui est reproché ?), de l'autre il parait excessif de parler de censure. Car une censure, c'est un interdit. Rompre un contrat de publication, est-ce une censure ? Non, ce n'est pas un interdit, c'est un choix personnel.
Si le bouquin de Battisti n'avait pas trouvé d'éditeur, aurions-nous du parler de censure ? Non, je ne crois pas.
De toute façon, l'authentique censure est probablement morte avec internet, du moins dans les démocraties. Si on veut publier, on peut, on met en ligne. Bien sur, ça ne donne aucune garantie de succès ni de rémunération ; mais la parole reste libre.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 05 mai 2006 à 08:53
Bonsoir,
J'ai appris la nouvelle de la déprogrammation de cette pièce ce soir. Je ne connais aucun des protagonistes mais l'acte m'a quelque peu surpris.
Si l'on suit la logique de M. Bozonnet, il nous appartiendrait de faire un état des lieux général pour voir si tel ou tel auteur a une "morale" ou un comportement conforme aux canons contemporains.
Si tel était le cas, nous nous priverions d'auteurs tels que Louis Ferdinand Céline dont certains pamphlets sont antisémites. Cela impliquerait donc de nous priver de ses autres oeuvres. Nous devrions également nous priver de Wagner et de tant d'autres...
Ce serait sans doute faire peu de cas des méandres de nos âmes.
Rédigé par : lausannensis | 04 mai 2006 à 22:50
La bataille n'est jamais terminée. Allez déposer une fleur sur la pierre de Cocteau, chapelle St Blaize des Simples, à Milly. Vous y lirez: "Je reste avec vous."
Comme un pont d'Arcole
Rédigé par : Pontcaral | 04 mai 2006 à 22:26