Il y a eu tellement d'hyperboles sur le dernier livre de Battisti, préfacé par Bernard-Henry Lévy et postfacé par Fred Vargas, que, trop étant trop, on a le droit, ce me semble, de s'octroyer une petite rallonge dans l'indignation.
Certes, dans le climat intellectuel d'aujourd'hui, rien ne devrait plus étonner. Tout de même, je demeure saisi par une certaine qualité d'aveuglement. On ne voit rien parce qu'on ne veut rien voir et Battisti est devenu un saint parce qu'il vient d'écrire un livre où, avec la bonne foi totale que sa fuite démontre!, il décrit son parcours.
Qu'on ne s'y trompe pas. Lorsque les plus grands esprits justifiaient la terreur stalinienne, ils mettaient en oeuvre le même processus qui consiste à gommer l'atroce de la réalité pour pouvoir cultiver ses phantasmes. Pour Battisti, c'est pareil. Le matraquage que les médias facilitent et qui est à sens unique - la vérité du livre de Guillaume Perrault, préfacé par Gilles Martinet, n'a été diffusée sur aucun plateau de télévision - n'a pour but que d'instiller dans les têtes comme une évidence, qu'il serait inélégant d'oser rappeler devant une si belle âme les crimes commis en 1978 et 1979.
Ce qui m'a déterminé à jeter ma petite pierre dans cette eau infiniment calme du consensus à la fois snob et confortable, c'est qu'un Gilles Martin-Chauffier, dans Paris-Match, éprouve le besoin de quitter son registre habituel pour s'abandonner avec ivresse au culte de Battisti. A l'évidence, il ne connaît rien à l'affaire mais cela l'autorise - c'est classique - à écrire n'importe quoi sur le plan des faits et des charges. Plus gravement, un François Caviglioli ose écrire cette énormité dans le nouvel Observateur :" C'est un rêveur incapable de se servir d'une arme puisqu'il ne sait manier que des mots". Le surveillant-chef de la prison de Frioul, exécuté par le "Prolétaire armé pour le communisme" Battisti le 6 juin 1978, ne l'a pas été grâce à des mots. Le 16 février 1979 à Mestre, le boucher assassiné par le même et découvert par son fils horrifié n'a pas été massacré au moyen du langage.
Je me demande ce que François Caviglioli penserait de tueurs ou d'irresponsables, inspirés par une idéologie contraire à la sienne et qui justifieraient des actes inadmissibles parce que leur qualité d'écrivain les mettrait à l'abri du vulgaire et de la morale courante. Il sait bien qu'en 1978 et 1979, un jeune homme, engagé dans le terrorisme, peut tuer et que, bien plus tard, il pourra écrire. Et c'est le même. Les mots n'effacent pas le sang. Il me semble que, même dans un article, on a le devoir de peser le poids de ses formules au regard d'un passé certes éloigné mais qui ne se laisse pas rayer d'un trait de plume.
On va continuer à sanctifier Battisti. Tant qu'il sera en fuite. Son absence permet l'auréole.
Les procès qui l'ont condamné ont jugé ses actes.
Qu'on me pardonne de ne pas céder à la mythologie.
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Blablabla... blablabla... blablabla... et bla ! Quoi qu'il ait fait ou pas fait, la République française lui a donné asile. On n'est pas digne à gloser ce sujet sans fin, ni pour ni contre. La République c'est vous, moi, tous ici. Sommes-nous lâches pour ainsi nous renier et livrer ainsi Battisti quand nous lui avions promis l'accueil et l'asile ? Le débat -si débat il y a- se décline désormais en ces termes uniquement. Livrer la parole de la République, même à un pays ami, c'est livrer... oui, je le dis, c'est livrer la République comme une chose quelconque sans crédibilité aucune ni dignité, rien, aucune figure notre belle France, revenue à ses vieux démons de trahison, délation et reniements... Livre-t-on à la justice de son pays cet infini tyran sanguinaire ex président d'Haïti que Fabius alors Premier ministre a confortablement installé en exil sur la Côte d'Azur ? Il y en a d'autres encore ; les livre-t-on ? Son seul crime aujourd'hui, Cesare Battisti, est de n'être pas, hélas, milliardaire grâce à ses livres ou autre chose qu'il aurait pillé à son pays. Notre gouvernement se serait alors bien gardé de le livrer à quiconque et surtout à cette sordide vindicte médiatique qui sourd des deux côtés des Alpes. Il en aurait peut-être même fait un citoyen d'honneur et réhabilité et probité et tutti quanti...
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 26 juin 2008 à 21:46
Cesare Battisti n'a pas été condamné sur les seuls témoignages d'un repenti, comme l'a écrit Fred Vargas (et comme l'ont répété BHL et autres Sollers), mais bien sur des expertises balistiques et sur des témoignages oculaires.Il a ainsi été établi qu'il s'était rendu coupable de deux meurtres, dont un dans le dos.
Evidemment pour le savoir, il faut avoir la curiosité de lire la sentence de la cour d'appel de Milan, en italien, et ne pas se contenter de reléguer la propagande de Mme Vargas !!!
Rédigé par : Tony Macaroni | 26 juin 2008 à 18:24
Je n'ai pas d'opinion très tranchée sur l'affaire Battisti qui me parait très complexe. Mais j'ai été troublé par l'entretien récent de Fred Vargas (auteure de la postface au livre de Battisti) dans l'émission Charivari sur Inter, des propos que l'on ne peut manifestement pas écarter d'un revers de main, Fred Vargas n'étant aucunement complaisante et suspecte d'adhérer à des compromissions criminelles. Je vous invite à l'écouter (via podcastage) pour éviter tout manichéisme, hagiographie stupide (Battista me parait assez pleutre pour un ex militant engagé dans la pire des aventures)ou aversion haineuse d'un autre temps ("pourriture communiste"!brr ...!). Merci pour votre blog.
Rédigé par : Alain Robert | 07 juin 2006 à 10:32
Je n'ai pas d'opinion très tranchée sur l'affaire Battisti qui me parait très complexe. Mais j'ai été troublé par l'entretien récent de Fred Vargas (auteure de la postface au livre de Battisti) dans l'émission Charivari sur Inter, des propos que l'on ne peut manifestement pas écarter d'un revers de main, Fred Vargas n'étant aucunement complaisante et suspecte d'adhérer à des compromissions criminelles. Je vous invite à l'écouter (via podcastage) pour éviter tout manichéisme, hagiographie stupide (Battista me parait assez pleutre pour un ex militant engagé dans la pire des aventures)ou aversion haineuse d'un autre temps ("pourriture communiste"!brr ...!). Merci pour votre blog.
Rédigé par : Alain Robert | 07 juin 2006 à 09:50
Bonsoir,
ce n'est pas un commentaire mais une invitation à regardre les derniers articles de la rubrique reflexions sur mon blog...Affolant, invraisemblable...Ca se passe à Paris!
Bonne soirée quand même.
Sincérement
Marc Fievet
Rédigé par : Marc Fievet | 29 mai 2006 à 21:59
Je trouve scandaleux qu'une maison d'édition ait sorti un livre écrit par un terroriste en cavale. Aujourd'hui il est de bon ton de soutenir ce personnage surtout quand on est un intellectuel de "la closerie des Lilas" pour ne pas citer le juge Thiel dans son livre "On ne réveille pas un juge qui dort".
Rédigé par : NPC | 29 mai 2006 à 18:10
Vous affirmez que Battisti est coupable de deux crimes, au vu de décisions de justice pour le moins sujettes à caution. A moins que je n'aie raté quelque chose (par exemple une preuve de la culpabilité de ce monsieur), il me semblerait logique d'avoir à le rattraper et de le mettre à la disposition de la justice italienne d'aujourd'hui. Il est plus que suspect ? La justice de son pays peut être considérée comme équitable ? On l'arrête, on le juge. Le reste n'est que littérature.
PS : Merci de me donner envie de discuter Justice
Rédigé par : lormars | 29 mai 2006 à 15:46
Après l'impunité par amnistie, avant l'impunité par quoi, la prochaine fois ?
Et si l'on se renait à rêver d'une remise de peine par le dévouement au bien public, par le travail, par le courage, par la Légion Jardinière ? Par exemple...
Rédigé par : Fleuryval | 29 mai 2006 à 10:19
Sujet du bac philo cette année :"Brasillach et Battisti,faits et méfaits ,pouvoir des mots et responsabilité de l'écrivain..."
...Ah!c'est vrai:il n'y a plus de bac philo...
Rédigé par : sbriglia | 29 mai 2006 à 08:33
Une question tout de même à l'avocat général, considérant qu'il est de votre pouvoir de contrôler l'activité de services judiciaires, de diriger les enquêtes de police : pourquoi n'invitez-vous pas les services appropriés à mettre leur nez dans les affaires de la maison d'édition du sieur Battisti, maison d'édition qui doit manifestement être en contact avec lui ?
Question subsidiaire : n'existe t-il pas une infraction destinée à réprimer l'exploitation commerciale d'une infraction commise par soi (il me semble que oui mais je ne parviens plus retrouver le texte précis) ? Si oui, dans quelle mesure n'implique t-elle pas une responsabilité en cascade de l'éditeur ? (J'entends bien que les crimes de Battisti ne furent pas commis en France, mais sa fuite oui, il est donc aussi un délinquant au yeux de la loi pénale française) Et, comme pour le premier point, si des poursuites contre l'éditeur peuvent être engagées, que n'entend on parler de votre parquet ?
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 28 mai 2006 à 17:38
Ce Battisti, c'est bien un tueur en cavale ?
Bien un **censuré** qui a tué des gens ? Et en plus une pourriture communiste (non je n'aime pas le communisme)
Et certaines personnes le glorifient pour ça ?
Il n'y a pas une loi qui réprime l'apologie de crimes ?
Pour une foi je me dis que ça devrait, et aussi condamner à une amende ces "écrivaillons" people
Rédigé par : Kaoru | 28 mai 2006 à 15:06
Je serais d'accord avec vous : la sanctification de Battisti est grotesque. Mais ne tombez pas dans l'excès inverse de l'abomination : vous savez aussi que les procès qui jugé Battisti l'ont été sans preuve, sur la seule foi de déclarations de repentis. La justice italienne a, par la suite, rejeté les déclarations de repentis parce qu'elles étaient suspectes. La mesure voudrait qu'on n'innocente ni ne condamne Battisti a priori et qu'on obtienne de l'Italie qu'il bénéficie d'un nouveau procès, en sa présence, dans un contexte différent de lui des années de plomb.
Car, depuis votre première intervention sur le sujet, j'ai beaucoup lu sur ces années de plomb et c'est infiniment plus grave que ce que j'imaginais : attentats d'état, tentatives de fascisation des institutions policières et militaires, un climat de guerre civile, procureurs liés aux mafieux, au barbouzes et à la CIA au sein de la loge P2 et de l'autre côté des groupes armés combattant à la fois la "stratégie de la tension" des services secrets mais aussi l'ouverture démocratique du "compromis historique". Difficile d'apprécier. Une opinion tranchée sur la culpabilité de Battisti me semble imprudente dans ce contexte trouble.
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 28 mai 2006 à 14:31