Jamais, en un trait de temps, on n'a vu l'actualité réunir de manière aussi éclatante et contrastée des affaires montrant toute l'étendue de la palette pénale.
Clearstream ou la sophistication de la malhonnêteté, du faux et de la dénonciation calomnieuse, le byzantinisme de procédés où le judiciaire a risqué de s'égarer lui-même, l'intelligence dévoyée et des manipulations de haute volée ou de basse envergure. Madisson et Mathias, la mort de deux très jeunes enfants dont l'un a été violé et apparemment pas l'autre, une noyade et un étouffement, des crimes de brutalité et de sauvagerie, les pulsions élémentaires d'une humanité qui tranche le fil des vies comme si la respiration de l'enfance n'était rien de plus qu'un misérable souffle.
Loin de moi l'idée absurde de comparer les délits avec les crimes, le comble de la rouerie avec l'extrémité de l'agression. Dans les deux situations, une magistrature remarquable donne d'elle une image qui ne peut que rassurer le citoyen, et c'est déjà beaucoup.
Surtout, créant une distance avec ce qui constitue mon existence professionnelle, je suis stupéfié par l'incroyable richesse, la formidable intensité de ce métier, de cette passion de comprendre l'humain et ses dérives, de cette volonté de sanctionner le pire pour préserver le meilleur. Le magistrat est amené, sans cesse, à épouser tous les méandres de l'existence, à apprivoiser la sauvagerie pour l'analyser, à ne pas être dupe de la finesse d'esprit pour ne pas se laisser séduire, à contempler froidement , avec une émotion cachée, les chiffres et le sang, les listing et les morts.
Il n'est pas de véritable juge qui ne se dise, une seconde, qu'il voudrait être ce mis en examen pour que rien de celui-ci ne lui échappe.
Le magistrat est si proche et, à la fois, si lointain. Fraternel et étranger.
Simenon disait de Maigret qu'il raccommodait les destinées humaines.
La justice, ce peut être cela aussi. Tenir les deux bouts de la chaîne. N'avoir pas une vision hémiplégique de la politique et de la société.
Un humanisme rigoureux et vigoureux. Une démocratie qui se défend sans se renier.
Une ambition pour demain.
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GL, vous parlez d'une recrudescence de condamnations frappant des magistrats et policiers. Concernant les magistrats, hormis cette affaire d'un magistrat venant disserter d'éthique avec des confrères allemands, je n'ai point trop entendu parler de tels faits, pas de quoi parler de recrudescence. Concernant les policiers, il est vrai que ces deux dernières années, de nombreuses affaires disciplinaires ou pénales ont vu le jour. Est-ce un mauvais signe ou pas ? Je ne suis pas franchement surpris que parmi ceux à qui l'on donne un certain pouvoir coercitif se trouvent des malfrats qui en abusent, en particulier lorsqu'ils sont plusieurs milliers. En ce sens, le fait qu'existent des condamnations m'apparaît plutôt être un indicateur positif, puisque cela signifie qu'on ne pose pas de voile pudique sur ces abus. Par ailleurs, dans la mesure où les policiers sont souvent à la base des procédures pénales, le fait que de telles procédures touchent d'autres policiers témoigne d'une volonté de faire le ménage et de ne point conserver de brebis galeuses.
Concernant les avocats, ce que je dis n'est pas que beaucoup d'entre-eux commettent des infractions. Je dis que beaucoup d'entre-eux peuvent être tenté de commettre des actes qui seraient des infractions s'ils n'avaient pas le titre d'avocat. Lorsqu'une avocate toulousaine fut interpellée pour avoir, si j'ai bien compris, averti ses clients de l'imminence d'une opération de police les concernant, partout en France des avocats ont manifesté leur soutien en disant qu'ils en auraient fait de même, demandant à ce que la loi Perben incriminant ce type d'actes soit abrogée. Ces déclarations sont bien plus signifiantes qu'une éventuelle recrudescence de procès. C'est l'aveu par les premiers concernés de l'usage d'informations sur les procédures en cours obtenues dans l'exercice de leur profession dans une logique qu'un esprit raisonnable qualifiera de complicité par assistance, et non de simple conseil.
Là où je veux en venir, c'est qu'il est dans l'intérêt de tous, y compris des avocats, qu'existent des garde-fou à leurs attributions. Si les avocats refusent que l'on puisse considérer comme une infraction des actes manifestes de complicité vis à vis des méfaits de leurs clients, alors il est normal qu'ils soient vu par les services enquêteurs comme des adversaires de la procédure à tenir à l'écart, en particulier au stade de l'enquête ou information.
Je pense qu'il y a un choix à faire. Et je n'ai pas encore entendu d'avocats se positionner clairement sur le sujet, ce qui me semble problématique.
Concernant Burgaud, je lui refuse la valeur d'exemplarité. Ce que j'en ai vu fait de lui un individu incohérent et peu rigoureux. Il n'assume rien.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 23 mai 2006 à 12:11
@ M. Patoulatchi.
Je pense que de nouveau vous vous méprenez assez largement et parfois gravement sur le sens de mes propos. En outre, vous usez tout aussi bien de ce que vous dénoncez par ailleurs, c'est-à-dire les « formules clefs en main » et les « accusations à prix de gros ».
Sinon que vous dire de constructif ?
Il convient effectivement de dénoncer de la manière la plus vive que certaines affaires contentieuses trouvent leurs rebondissements, voire leur dénouement, sur la place publique. L’actualité à ce sujet est singulièrement dramatique. Ceci étant, peut-on raisonnablement contester que par moment seule la médiatisation de certains dossiers a permis véritablement que Justice se fasse ? Quand le Parlementarisme est malade, le Citoyen vote avec ses pieds. Quand le système judiciaire est malade, les procès se font dans les journaux ou chez Julien Courbet. Ce n’est pas parce que, dans une logique policière, vous allez casser le thermomètre que la température va baisser.
Par ailleurs, l’avocat est un citoyen comme les autres, principe d’égalité devant la Loi oblige. Ses initiatives et ses prises de position ne bénéficient pas d’un régime de faveur par rapport aux autres citoyens. En d’autres termes, il ne peut ni plus, ni moins. Quand il se manque, le Parquet ne l’oublie pas et peut-être même plus facilement que le citoyen lambda. De même, ses pairs eux non plus ne le manquent pas. A ma connaissance et contrairement aux policiers et aux magistrats, il n’y a pas eu ces dernières années une recrudescence de condamnations frappant les avocats, tant sur le terrain pénal que sur le plan déontologique. Le reste, c'est-à-dire vos repères moralisateurs (cf. « propos lamentables », « maillons de la pègre ») vous appartiennent légitimement, mais leur sanction n’est pas d’actualité ou ne relève pas de la présente période de l’histoire de France.
Enfin, que les avocats sachent mieux se défendre (ce qui n’est même pas sûr !) est un autre débat. Peut-être un jour, mais je ne vous le souhaite pas, vous aurez un grand besoin d’un avocat et, sortant de votre abstraction, vous verrez alors à quel point vous voudrez qu’il puisse s’exprimer et agir dans le respect de la Loi, de ses règles déontologiques et, de ce que, apparemment, vous négligez le plus au fil de vos écritures, à savoir la tradition républicaine française intéressant les libertés publiques.
Voyez l’exemple du Juge Burgaud. Après avoir méprisé les auxiliaires de Justice à un point tel que plusieurs des victimes du drame en question se sont publiquement exprimé à propos du non pouvoir de leur avocat, voire de son utilité même, l’intéressé a estimé des plus nécessaires de s’en assurer le bénéfice lors d’une "simple" audition devant une commission d’enquête parlementaire. Il s’est même "rebiffé" face aux menaces visant par ailleurs à réduire leur intervention ! De même, il est très remarquable que certains de ses collègues n’ont pas hésité à s’émouvoir du soi-disant mauvais traitement qui lui aurait été réservé et notamment de n’avoir pu librement dialoguer avec ses conseils avant de répondre aux questions posées, alors que cette situation est le lot quotidien des droits de la défense dans la quasi-totalité des cabinets d’instruction.
Rédigé par : GL | 14 mai 2006 à 10:39
Monsieur l'Avocat Général,
Dans un dossier comme Clearstream, les juges d'instruction n'ont-ils pas intérêt à informer l'opinion publique en temps réel du déroulement de leur information judiciaire ? Pour se protéger eux-mêmes, et pouvoir lutter à armes égales avec les protagonistes les plus puissants du dossier ?
Pourquoi aucun des hauts fonctionnaires impliqués dans cette affaire n'a respecté l'article 40 CPP en dénonçant les faits au Procureur de la République ?
Rédigé par : Voltigeur | 13 mai 2006 à 22:32
GL, de nombreux avocats n'ont aucun mal à se voir médiatisés. C'est une drôle de tournure d'esprit que de penser que les reproches que l'on peut leur faire soient induits par les propos des magistrats qui, la plupart du temps, sont bien silencieux, trop silencieux.
Doit-on avoir des magistrats qui adhèrent à l'idéologie défendue par de nombreux avocats en France, celle de l'avocat qui peut tout ? Combien d'avocats osent dire que maître Vergès tient des propos lamentables lorsqu'il prétend qu'un avocat doit user des médias pour interférer dans la procédure judiciaire (en théorie pour défendre un innocent ; trouve t-on plus mal placé que l'avocat pour dire et décider de l'innocence ?) ? Combien d'avocats ont-ils osé se féliciter du vote d'un article du code pénal leur interdisant de devenir des maillons de la pègre en fournissant à leur clients des informations de manière à entraver des investigations en cours, un article garde-fou qui aurait du permettre aux bons et honnêtes avocats de se placer du coté du droit, de la défense de leurs clients et non pas de l'entrave à la bonne marche de la justice dans l'intérêt de leurs clients ?
Sans doute les bons avocats doivent-ils « comprendre objectivement l'humain et ses dérives » mais aucun avocat n'y est réellement tenu. On ne demande pas à l'avocat une prise de position, on lui demande de solidifier celle de son client. Il n'a donc pas l'obligation de chercher la vérité. Dans ce cadre, il n'a pas la nécessité de « comprendre objectivement » mais celle de s'accommoder contre rétribution financière. Certains avocats font sans doute leur métier avec noblesse, pour jouer un rôle social. Ils sont évidemment des maillons utiles et importants du fonctionnement d'une justice éclairée. Mais qu'on ne le présente pas comme preux chevaliers au service de tous car ce n'est simplement pas leur tâche.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 13 mai 2006 à 09:48
Certains veulent supprimer les juges d'instruction.
Pourtant il n'y a pas pénurie. Les quotidiens ont une armée de journalistes qui semblent désireux de remplir cette mission; de plus ils nous communiquent jour après jour les pièces du dossier et l'état de leurs réflexions;
Encore un effort et l'on pendra comme au far West (celui du cinéma).
"L'affaire" Clearstream en est un exemple frappant. Où est l'Etat de droit?
Rédigé par : mike | 12 mai 2006 à 11:30
Bonjour,
Comment ne pas se souvenir de La Fontaine...en l'adaptant: "Sans mentir, si votre plumage se rapporte à votre ramage, vous êtes le phoenix des hôtes de ce bois"...
Et oui, j'admire votre style, mais je reste parfois ébaubi que vous soyez si peu à oser vous exprimer aussi librement.
Beaucoup de magistrats sont coincés.
Pourquoi? alors que l'exemple de l'expression vous donnez.
La situation que nous vivons ces derniers temps n'est pas brillante. Qui croire dans ce fatras de news...Allez faire un tour sur l'Aviseur international qui n'est plus déchaîné, pourquoi pas sur le Cyberaviseur, qui, sans en rajouter, ne peuvent rester silencieux face à ces derniers rebondissements de nos grands magouilleurs que nous aimons tant.
Je suis moins régulier depuis quelques jours, ma non connection en est la cause, mais France Telecom et Dame Wanadoo me l'ont promis...Bientôt, je serai branché à nouveau.
Toujours bien sincérement et respectueusement
Marc Fievet
Rédigé par : Marc Fievet | 12 mai 2006 à 02:01
aie! l'actualité va si vite que la vérité du matin n'est pas toujours celle du (journal du ) soir!
allez,Mosieur l'Avocat Général,un petit commentaire sur ces magistrats qui reçoivent des visiteurs du soir...en l'hôtel d'autres gens de robe...Quel tourbillon!
Rédigé par : sbriglia | 11 mai 2006 à 14:02
Quand bien même les fonctions sont radicalement différentes, le noble portrait que vous faite du magistrat correspond assez largement à celui qui pourrait être fait de l'avocat. C'est parce que lui aussi est obligé de comprendre objectivement l'humain et ses dérives ainsi que ses passions qu'il sera en mesure de servir subjectivement son client. Un jour, il défend un chauffard, le lendemain une victime de la crétinerie routière. Un jour un employeur, le lendemain un salarié. Un jour l'Administration, le lendemain une de ses victimes (nombreuses).
Le magistrat se doit de poursuivre la recherche de la vérité. Les avocats l'aident à trancher en défendant la subjectivité des intérêts de leurs clients.
En outre, cet auxiliaire de justice, lui, ne fait pas du Jex, de la fonction publique, du Jaf ou de la correctionnelle toute la journée depuis des mois, voire des années. Parce que, lui, son gagne pain en dépend, il saute d'une matière à l'autre, d'un Tribunal à un autre et il faut toujours qu'il soit au top de l'appréhension de son client ainsi que de l'évolution des textes et de la jurisprudence. Si les magistrats se plaignent à juste titre de la frénésie du législateur, le message des avocats à ce sujet a encore plus de pertinence.
A la lecture de vos billets (cf. notamment "Le magistrat Avocat rêvé pour l'avocat" - février 2006), je ne suis pas persuadé que vous ayez véritablement l'image de l'avocat ci-dessus décrite et qui est pourtant aussi élémentaire que juste.
Je vous rassure, et bien malheureusement, vous n'êtes pas le seul... en France.
Au Québec, les magistrats sont tous des anciens avocats. Outre de bien savoir les contraintes d'un cabinet, ils connaissent bien un des paramètres capital de tout procès : Le client-justiciable.
Le magistrat français en a totalement cure et n'en retient trop souvent que tout ce qui lui permet de mettre l'avocat en porte-à-faux avec celui qui les rémunère.
Dans ce contexte assez lamentale, on ne peut donc qu'acquiescer à la proposition du Barreau de Paris de supprimer l'école nationale de la magistrature qui produit trop souvent une pseudo élite déconnectée de la vie et donc incapable structurellement de correspondre au portait que vous faite du magistrat.
Rédigé par : GL | 11 mai 2006 à 07:45
And the winer is... Si nous avions une cérémonie comme "les plumes d'or", vous l'emporteriez haut la main cette année!
Parmi les réformes à engager en matière de justice, je propose que cette note soit à apprendre par coeur avant d'attaquer la première année à l'école de Bordeaux.
Décidément, je vous dois de beaux matins. Avez-vous un jardin que je puisse rembourser à ma manière ?
Rédigé par : Pontcaral | 11 mai 2006 à 07:38
Un peu de provocation (pas concernant les crimes barbares bien sûr)
Y-a-t-il une affaire Clearstream 2 (un non lieu ayant été prononcé pour Clearstream 1, semble-t-il) autre que médiatique ?
C'est en tous les cas ce que laisse penser l'article de Me Levy dans Le Monde d'hier soir.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-770096,0.html
Rédigé par : JYG | 11 mai 2006 à 07:34