Il y a une très belle pièce de Jean Giraudoux, Electre, qui se termine par une interrogation de l'un des personnages à laquelle il est répondu ainsi : "Cela s'appelle l'aurore, femme Narsès". La question que cette femme formulait portait sur l'impression étrange qu'elle éprouvait. Tout allait mal autour d'elle, le désastre était consommé et pourtant le jour se levait et il y avait de l'espoir. Elle sentait à la fois l'odeur du pire et la possibilité du meilleur. La crise était profonde et, en même temps, l'avenir s'ouvrait éclatant.
Cela s'appelle l'aurore, citoyen français.
Pourquoi, depuis plusieurs jours, ai-je dans la tête ce magnifique final en m'obstinant à penser qu'il pourrait correspondre à la France d'aujourd'hui ? Tant de mouvements et d'agitations, tant d'événements signifiants, tant de réactions contrastées ont façonné et nourri l'actualité de ces derniers temps, que je ne parvenais pas à les saisir tous pour en dégager l'essence. Peut-être convient-il seulement d'en faire l'inventaire.
Le rapport et les propositions de la commission d'enquête sur Outreau, la mise en examen de Jean-Louis Gergorin, l'affaire Vinci et la victoire du directeur général contre le président désavoué par la majorité des administrateurs en raison de ses immenses appétits, l'indignation qui a duré après la décision d'amnistier Guy Drut, Ségolène Royal qui, plaçant sa conception de la sécurité au coeur du parti socialiste, a révélé d'un coup les archaïsmes idéologiques de ses rivaux et peut-être donné la chance à ce thème si important de quitter les clivages absurdement partisans, le tintamarre friqué dans l'audiovisuel comme si les chaînes étaient devenues des équipes de football s'arrachant les joueurs les plus talentueux, toutes ces choses importantes et dérisoires, les unes politiques, sociétales ou médiatiques, les autres très largement judiciaires, ne composent pas en apparence un paysage enthousiasmant.
Pourtant, à bien y réfléchir, on sent sourdre de ce mélange composite un désir de morale, une volonté de respect, une exigence d'honnêteté, un goût de vérité. Pour peu qu'on regarde attentivement chacune de ces péripéties, en dépit des superficielles désillusions qu'elles peuvent entraîner, leur désordre montre, en tout cas, que le statu-quo n'est plus possible et que certaines vertus vont recouvrer droit de cité. Il me semble que la société, dans les lieux très différents où elle est amenée à exprimer le langage de ses profondeurs, manifeste que de vieilles lunes, des concepts démodés sont appelés à devenir ou à redevenir modernes. Autorité, courage, respect, morale, intégrité, vérité, toutes valeurs d'avant la politique et la justice, qui les fondent l'une et l'autre, et sans lesquelles aucune activité ne peut prétendre avoir l'assentiment populaire ni sa propre légitimité : entreprises, médias ou vie culturelle par exemple.
C'est en ce sens que j'évoquais, au début de mon propos, la possibilité d'une lucidité heureuse, d'un pessimisme actif et gai.
Je ne voudrais pas tomber dans une béatitude niaise qui me ferait trouver dans tous les désastres et les dysfonctionnements de quoi me réjouir. Il n'empêche qu'il y a dans tout ce que j'ai décrit l'envers et l'endroit, la crise et l'attente de ce qui viendra la supprimer. Peut-être, aussi, la fin d'un certain fatalisme. On est en recherche, en attente.
Cela bouge partout et dans tous les sens.
Cela s'appelle l'aurore, citoyen français.
J'ai cru entendre prononcer récemment le beau mot oublié de morale ?
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"J'ai cru entendre prononcer récemment le beau mot oublié de morale ?"
oui mais trop souvent : morale y tait , non ( plutôt que "moralité" ) ?
( reste à espérer que ce "y" reste singulier et là je me mets le doigt dans .......l'oeil , non ?
juste pour éviter le " aux larmes , citoyens " )
dac avec vous : quel beau titre en plus !
Sissi j'insiste : notre destin se joue , non ?
Rédigé par : cactus | 12 juin 2006 à 12:03
Et si vous n'étiez pas rêveur mais seulement la vigie d'un bateau qui trouverait enfin une terre où les valeurs citées pourraient (re)fleurir. Bon vent !
Rédigé par : Bulle | 08 juin 2006 à 18:20
Je m'associe au voeu !
Rédigé par : FrédéricLN | 05 juin 2006 à 22:41
Le problème, c'est qu'en substituant "conscience" à "autorité, courage, respect, morale, intégrité, vérité" on expédie le débat dans la stratosphère, à mille lieues de nos préocupations de tous les jours.
Autorité, courage, respect, morale, intégrité, vérité sont bien les mots qui conviennent, ce sont des mots de tous les jours que tout le monde comprend et qui désignent bien ce que devraient être les valeurs de notre République... leur mise en perspective d'avant la politique et la justice résonne non dans notre conscience, mais dans notre inconscient le plus profond, celui qui fait de nous des hommes, c'est peut-être là qu'il faut chercher l'aurore... de l'humanité... mais pour le moment, je ne vois pas comment mettre en oeuvre d'une manière constructive ce pessimisme actif et gai qui ferait chanter notre lendemain de citoyen, alors cher ami à défaut de propositions [ce n'est qu'un début...] nous comptons sur vous pour nous rappeler de si beaux souvenirs "morale, j'écris ton nom..."
P.S quant au "tombereaux ouverts" et qui puent, lapsus comme toujours révélateur, ce sont ceux qui sortent des écuries, non d'Augias, mais de ceux qui nous gouvernent.
Rédigé par : Félix | 05 juin 2006 à 12:50
Jean-Dominique, pourquoi tout devrait être tranché et séparé ?
Pourquoi le jeune Philippe Bilger amoureux d'Antigone ne pourrait-il pas dans le même temps être un avocat général prenant le parti de Créon ? Créon aimait Antigone, après tout, voire avant tout. Il n'en était pas moins Créon pour autant.
Comment penser que « la conscience », « plus haut degré du consentement de l'individu aux contraintes de la société » soit forcément « née du libre arbitre et non d'une crainte d'un quelconque châtiment » ? L'humanité est faite de nombreuses différences et nuances. Toutes les sociétés humaines connaissent des malfrats dont la conscience est asservie aux intérêts très personnels. Le libre-arbitre conduira les uns « au consentement aux contraintes de la société », mais qu'allons nous faire des autres ? Allons nous attendre qu'ils détruisent et épuisent la société, ou admettrons nous que la « crainte d'un quelconque châtiment » puisse être positive si elle parvient à les faire consentir « aux contraintes de la société » ?
Par ailleurs, pouvons-nous résoudre la question au simple terme conscience sans définir de morale, sans savoir quelles sont les contraintes légitimes de la société auxquelles les citoyens devraient consentir ?
Si nous devions définir une telle morale, ne serions-nous pas appelés à parler de « courage, respect, intégrité, vérité » ?
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 05 juin 2006 à 11:53
A tous les mots que vous évoquez (Autorité, courage, respect, morale, intégrité, vérité), je substituerais volontiers le seul terme de conscience. Au delà des lois circonstantielles, dont on a vu le mariage parfois contre-nature qu'elles contractent avec la morale, au delà d'une obéissance servile à une autorité désignée à coups de matraques ou de sentences, au delà d'une intégrité qui ne serait consentie que par la peur du gendarme, au delà des vérités partielles et partiales qui servent de faux-nez aux arrières-pensées nauséabondes, la conscience est le plus haut degré du consentement de l'individu aux contraintes de la société, consentement né du libre arbitre et non d'une crainte d'un quelconque châtiment. Elle suppose également l'indulgence car, de cette vision éclairée de soi au milieu des autres, tout le monde n'est pas capable. Electre est l'image de la conscience, tout comme la tendre Antigone. Vous aviez écrit in illo tempore que dans le duel Antigone/Créon, vous seriez tenté d'épouser le point de vue de Créon ; vous vous êtes trompé vous-même : Seul l'avocat général prend par nature le parti de Créon tandis que le jeune Philippe Bilger qui sourd de vous est amoureux d'Antigone.
Je regardais hier "Berlin, année zéro" de Rosselini : combien faut-il de ruines, jusqu'à la mort de l'enfant qui saute dans le vide après avoir empoisonné son père, cette conscience envahissante, combien faut-il de morts dans la maison des atrides pour s'apercevoir que ce qui reste quand il n'y a plus rien s'appelle l'aurore ?
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 05 juin 2006 à 00:01
coup de talon au fond pour remonter ? espérons ..
Rédigé par : brigetoun | 04 juin 2006 à 22:22
Vous avez raison, ça bouge.
Oui, Ségolène met les pieds dans le plat. Elle s’était déjà singularisée en ne prenant pas part activement à la contestation du CPE et en faisant l’éloge du blairisme. Là voilà qui met l’accent sur l’ordre. En résumé, bien qu’annonçant pompeusement porter un projet socialiste, elle vire à droite. Pouvons – nous y voir autre chose qu’une stratégie électoraliste ?
Quant à l’affaire Clearstream, chacun de ses rebondissements conduit à de nouvelles infractions au secret de l’instruction. Quelles sont donc ces « sources proches du dossier » si promptes à faire parvenir leurs informations à la presse ? De qui peut – il bien s’agir sinon de magistrats et des flics corrompus ?
S’agissant des propositions de réforme émises par la Commission parlementaire réunie suite au procès Outreau, espérons que leur publication ne donnera pas lieu une nouvelle fois à une démonstration de corporatisme de la part de la magistrature.
Enfin, l’amnistie de Guy Drut a certes soulevé l’indignation. Les français découvrent une fois encore de quoi est capable leur président en matière de bricolage et de prise d’otage des institutions de République quand il s’agit de sauver des amis. L’affaire Cleartsream a permis aux français de découvrir comment la barbouzerie chiraquienne s’était emparée des services de l’Etat. La voilà encore à l’œuvre, touchant cette fois – ci le Parlement : après l’abracadabrantesque manœuvre consistant à promulguer une loi et à l’abroger dans le même mouvement uniquement pour préserver politiquement un premier ministre carbonisé, les français découvrent une loi vraisemblablement faite sur – mesure pour sauver un autre ami de notre Président. Voilà à quoi ils assistent : à un dévoiement total de l’institution législative, à un véritable détournement de pouvoir. Que penser de cela ? Comment ne pas en avoir marre pour de bon ?
Rédigé par : Juju | 04 juin 2006 à 21:20
Ah ça, deviendrez-vous vous aussi ségoliste?
Pour ma part j'espère qu'elle triomphera en 2007.
Rédigé par : Juriste en herbes | 04 juin 2006 à 20:32
Se réjouir de toutes ces bonnes nouvelles réchauffe assurèment le coeur, le problème c'est que toutes ces bonnes nouvelles existent, non par péripétie, mais par dysfonctionnements graves de notre société : les acquités d'Outreau, les corbeaux de Clearstream, qui cachent les retro commissions, la révocation du président de Vinci, l'amnistie de Guy Drut, les éléphants du PS qui n'ont rien compris, la petite Ségolène qui fait de son mieux pour que notre prochain Président ne soit pas élu par 90 % de 10 % des Français... oui, réjouissons-nous que quelqu'un comme vous nous parle encore d'autorité, de courage, de respect, de morale, d'intégrité, de vérité, toutes valeurs d'avant la politique et la justice et si comme vous le dites il existe encore dans notre pays la possibilité d'une lucidité heureuse, d'un pessimisme actif et gai, cela doit probablement être juste après le mur vers lequel nous fonçons à tombereau ouvert.
Rédigé par : Félix | 04 juin 2006 à 17:45
Un rêveur est celui qui ne trouve son chemin qu'au clair de lune et qui , comme punition , aperçoit l'aurore avant les autres hommes .
Oscar Wilde .
Rédigé par : Parayre | 04 juin 2006 à 14:24
Electre, Antigone (quand je pense à Electre, j'ai du mal à oublier Antigone, c'est comme si elles étaient soeurs pour moi)... On notera que ces pièces, dans leurs brillantes versions contemporaines, sont apparues pendant ou aux abords de la Seconde Guerre, périodes où l'attentisme était la règle pour la majorité.
On s'inquiétera aussi en se rappelant que cette soif de courage, autorité, respect, morale, en conduisirent plus d'un, pour un temps, dans les rangs la Révolution nationale qui prétendait incarner tout cela.
Ce qui est dans l'air semble positif. Il y a de la place pour l'imagination et l'action en politique. Il reste à voir ce qui en sera fait.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 04 juin 2006 à 10:51