Le titre est volontairement provocateur mais correspond à l'impression qui se dégage de la consultation de la plupart des médias. Récemment, certes dans le nouvel Observateur, on a eu droit à la fois à un "coup de gueule" de Noël Mamère comparant les banlieues à des "territoires occupés" par le pouvoir de droite et à la tribune de Robert Badinter concluant, derrière l'apparente objectivité du propos, à la nécessité " d'escamoter pour l'opinion publique le triste bilan de la législature".
Il y a d'abord le poids des personnalités. Certaines, surtout l'ancien garde des Sceaux et actuel sénateur socialiste, ont toujours su et pu bénéficier d'une ambiguïté tenant à la diversité de leur carrière. Professeur et ancien Président du Conseil constitutionnel, il apparaît comme " un sage" alors qu'homme politique, il ne répugne pas à attaquer l'adversaire et à défendre son propre bilan de ministre. Mais il est écouté comme s'il était pur esprit détaché des contingences partisanes. Il est sans cesse crédité de l'abolition heureuse de la peine de mort, due au courage du Président Mitterrand et votée par une représentation nationale au-delà des clivages traditionnels. On a l'impression que, depuis, Robert Badinter est devenu intouchable et que par sa bouche la gauche judiciaire ne cesse d'exprimer non seulement sa vérité mais l'évidence susceptible de convaincre naturellement l'ensemble des citoyens. Pourtant, il est si schématique de prétendre que la peine de mort était à droite et l'abolition à gauche. Mais cette appropriation d'une pensée humaniste rejoint une tendance où, sur tous les plans, la droite s'est vue dénier son attachement à des principes que la gauche a redoutablement privatisés. L'universel de la justice ne relevait pas de la pensée conservatrice ou libérale. C'était acquis.
Il y a aussi, et plus profondément, la démarche intellectuelle qui crée un antagonisme fort entre les deux visions dont je traite. La droite judiciaire considère que la responsabilité individuelle n'est jamais détruite si elle est parfois réduite. Le "Je" demeure même s'il est quelquefois battu en brèche par le pluriel social et ses vicissitudes. Il y a, toujours, contre l'apparente pesanteur des choses, une possibilité de lutte et de résistance de l'individu contre les forces qui visent à le néantiser. C'est donc un honneur, et non pas une charge, que d'offrir à la personne une telle philosophie qui sauvegarde, si elle en a le désir, ses opportunités d'action et de progrès. Au contraire, comment ne pas percevoir l'étrange volupté qui habite la gauche judiciaire lorsqu'elle parvient à se persuader - et à convaincre le citoyen et ceux qui l'informent - qu'il existe un nombre infini de situations où la société abolit tout libre arbitre et où l'être humain n'est plus qu'un jouet livré à la toute-puissance des structures ? Je ne parviens pas à comprendre d'où peut provenir ce sentiment de victoire alors qu'avec cette conception, on signe plutôt, par idéologie, la défaite de la personne et le triomphe de la fatalité.
Cet antagonisme est aggravé par le regard porté sur la réalité. Pour la gauche, celle-ci est intolérable qui vient altérer, voire bouleverser la pureté abstraite des idées. Le réel est un trouble-idéologie et à ce titre il serait si bien de pouvoir le cantonner dans une sphère où il n'aurait rigoureusement aucune incidence sur la construction d'une politique en matière de sécurité et de justice. Quand tout de même il est là, trop présent, étouffant, on en prend acte et on passe vite à autre chose, comme si l'essentiel n'avait le droit que d'être ailleurs et non dans l'apaisement des inquiétudes citoyennes. La réalité n'est pas aimée car elle s'obstine à ressembler parfois à la caricature qu'en font les adversaires politiques. En matière de justice, elle n'a pas compris qu'elle n'avait le droit que d'être de gauche. La droite, c'est l'inverse. Le réel est tellement écouté, à ce point respecté dans sa finitude et l'enseignement qu'il apporte, qu'on a parfois l'impression d'une adhésion mécanique à ce qu'il est. On affirme qu'on souhaite modifier sa substance, réduire ses injustices mais au fond on n'est pas loin d'élaborer une politique qui s'adopte plus à lui qu'elle ne l'améliore. La réalité est aimée parce qu'elle offre un terrain et un terreau solides pour l'esprit et la main, pour l'action. Je décris deux conceptions extrêmes qui peuvent se retrouver incarnées dans notre vie collective.
Heureusement, il y a des sursauts. Le réel s'introduit de force dans l'humanisme stérile et aveugle. C'est Ségolène Royal qui fait scandale, et sa parole est un événement important qu'on a bien tort de tourner en dérision. C'est Dominique Strauss-Kahn qui au sujet des émeutes des banlieues évoque maintenant" un problème massif de délinquance". C'est Philippe Houillon qui met l'accent sur des garanties et des sauvegardes procédurales généralement confisquées par la gauche, par une sorte de propriété d'essence.
Nous ne sommes pas encore dans la plénitude d'une politique de la justice qui permettrait à la démocratie de se défendre sans se renier, à l'Etat de droit de devenir une arme au service des citoyens, à l'humanisme de s'accompagner de rigueur et de vigueur.
L'idéologie, quelle qu'elle soit, condamne à une politique hémiplégique. Espérons qu'à l'avenir on saura écouter le réel pour inventer à partir de lui.
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La Justice de gauche, de droite ou corporatiste ?
Entendu la 18/06/06 sur France Culture, M.le Président CANIVET répondre au reproche de corporatisme dans l'affaire OUTREAU : "Mais c'est normal que la justice ait réagit ainsi, tout corps attaqué se défend corporativement" et de citer en exemple divers syndicats professionnels.
Effrayant ! L'administration judiciaire se défend d'abord, la vérité? + tard.
Rédigé par : BERRIER JACQUES | 20 juin 2006 à 10:27
Jean-Dominique, je suis évidemment d'accord pour dire que « la détermination de l'équilibre entre nécessaire pouvoir d'enquête et de sanction et préservation des libertés civiles » est éminemment politique, fluctuante selon les tendances. Mais cette détermination est toujours présente.
L'exemple Aussaresses est très intéressant à ce sujet. Seriez-vous capable de dire que vous privilégieriez la santé physique d'un individu se revendiquant assassin alors que cela signifie laisser des innocents sur le carreau dans les heures à venir ? Nous avons là l'exemple extrême de la détermination entre protection des libertés civiles et nécessité de l'enquête. Lui, il a dit qu'il le referait, et c'est pour cela qu'il fut condamné. Pour ma part, je ne pourrais répondre à cela que par le principe : devenir inhumain pour lutter contre l'inhumain nous enferme dans une spirale, et nos actes inhumains, en plus de nous salir, seront la caution de futurs actes inhumains de ceux que l'on combat. Mais je ne saurais en aucun cas jeter la pierre sur cet homme. Je n'ai jamais vu personne de personne égorgée réellement, je n'ai pas fait de guerre, je n'ai jamais tué personne ; il est donc plus facile de m'en tenir à des principes. Je ne peux voir tout ceci qu'avec tristesse, mais je ne peux certainement pas prendre parti et me poser en juge de ceux qui ont du agir dans une situation si démentielle. Est-on plus humain lorsqu'on laisse des innocents être déchiquetés ou lorsqu'on matraque un criminel ? Je crois que dans les deux cas, l'humanité en prend un sévère coup... Aussaresses était plus humain lorsqu'il devait trucider sans remord du nazi en 1944, alors qu'il pouvait s'agir de gamins paumés de 15 ans ?
Je crois qu'on revient toujours à chercher où placer la limite. Il est évident que pour nous, ne vivant pas dans un monde en guerre, c'est bien plus simple. S'agit-il réellement de « comportements anciens », ou tout simplement de comportements extrêmes qui surviennent presque irrémédiablement en situation extrême (ex du moment : Irak) ?
Autre sujet. Vous dites « il ne nous appartient pas de prétendre expliquer ce que nous ne comprenons pas ». Il appartient aux chercheurs en sciences humaines d'expliquer. Il appartient au citoyen de déterminer dans quel monde il veut vivre.
En ce sens, je ne peux agréer lorsque vous dites : « une bande de jeunes va le venger en attaquant un poste de police, en cassant des vitres, en brûlant des voitures. Mais parallèlement, nous entendons aussi des mères qui sont scandalisées de la violence subie par ce même jeune. Ont-ils raison, ont-ils tort, je ne me pose pas la question car je suis incapable d'y répondre et j'ai la modestie de ne pas y calquer ma vision de la société ». Je ne peux vous donner raison d'abandonner votre projet social. C'est cela qui fait de nous des humains et non pas des animaux, le fait d'avoir une vision de la société et d'avoir un avis sur ce qui s'y passe, une définition du bien et du mal (une morale, donc). La vengeance est-elle positive ? Pour ma part, ma réponse est négative. Qu'une mère soit choquée par le fait que son fils ait été blessé, tout le monde peut le comprendre, c'est normal, c'est même rassurant. Mais qu'on parte de là pour tirer des conclusions sur la légitimité des violences subies est négatif, ce n'est plus une réflexion guidée par l'esprit de justice mais par le simple sentiment, par l'esprit de vengeance.
On peut tous comprendre l'esprit de vengeance, car on doit tous le ressentir parfois. Mais doit-on en revenir à débattre sur le choix entre justice et vengeance (je n'ai rien contre mais cela me semble si évident, je ne peux croire que vous préferiez la vengeance à la justice) ?
« Le bon et le mauvais se mélangent dans une confusion de valeurs qui est pleinement favorisée par notre société exclusivement marchande », ajoutez-vous. Vous avez raison, tout comme Juju qui évoque un certain « nihilisme ».
Mais que peut-on faire de mieux face à cela que s'autoriser à juger y compris ce que l'on ne vit pas soi-même ?
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 14 juin 2006 à 11:54
A mon avis, la violence qu’on observe dans les banlieues, ou plutôt dans certains de leurs quartiers, n'a pas de cible pré définie. De fait, elle touche tout à la fois les flics, les pompiers, le voisin d'en face, certaines filles qui osent dire non aux garçons etc, ... et n’est donc pas spécialement dirigée contre l’Etat.
La banlieue est le lieu d’une pure violence émanant de personnes agissant individuellement, pour des motifs divers ( crapuleux la plupart du temps ) et qu’aucune solidarité dans leurs actes ne relie. La banlieue ne peut être considérée comme le lieu d’une révolte collective, d’une rébellion et il est à mon sens complètement impossible d’établir un parallèle avec les jacqueries du XVIIIe siècle, de même qu’il est idiot de parler de guérilla urbaine ou encore de révolte ethnico – religieuse, comme parfois dans les médias.
La source de tant de violence est très certainement le nihilisme qui s’est emparé des habitants des banlieues, notamment des jeunes.
Vaste sujet à propos duquel il serait opportun de mobiliser Dostoïevski ou Huntington…
Rédigé par : Juju | 14 juin 2006 à 00:47
Marcel Patoulatchi, il est paradoxal de dire "que toute l'histoire de la justice est l'histoire de la détermination de l'équilibre entre nécessaire pouvoir d'enquête et de sanction et préservation des libertés civiles" tout en constatant que les libertés civiles ont malgré tout progressé, comme si toute cette histoire judiciaire s'était déroulée suavement et sans conflit idéologique. La progression vers une justice de plus en plus préoccuppée des libertés individuelles est nécessairement née d'une opposition forte entre les tenants de l'efficacité (on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs) et ceux de la liberté. Je n'oppose pas, dans ces deux attitudes les méchants enquêteurs ou magistrats aux gentils libertaristes et je crois que bon nombre de progrès vers une justice respectueuse de l'homme sont venus de magistrats éclairés, à commencer par les différents présidents du parlement de Paris qui, sous l'ancien régime, se sont opposés à l'arbitraire royal pour finir par le magistrat Montesquieu qui a défini la séparation des pouvoirs fondant l'état de droit. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit toujours d'un mouvement de la droite vers la gauche, sauf période de régression que nous identifions bien comme telles (La Terreur, Vichy).
Les nécessités de l'enquête ou de la préservation de l'ordre public sont souvent passés par la violence publique de l'Etat. La question ordinaire permettait d'obtenir des aveux, c'est certain et les enquêteurs de l'époque auraient pesté contre des mesures restrictives de la torture en arguant qu'on leur otait les moyens d'enquêter. Le général Aussaresses n'a pas dit autre chose : la torture en Algérie a permis d'éviter des attentats. La mise en perspective historique de nos comportements permet de déceler les survivances de comportements anciens.
De même, il ne nous appartient pas de prétendre expliquer ce que nous ne comprenons pas. Oui les violences des banlieues sont à l'évidence bien différentes des jacqueries. Le parallèle que j'établissais n'était pas dans la nature de ces événements mais dans l'incompréhension qu'ils suscitent dans la société dominante. On a tôt fait de renvoyer tous ces comportements à du simple banditisme parce qu'on ne veut ou ne peut pas voir qu'il s'agit aussi d'un phénomène sociologique.
Lorsqu'un groupe de policiers s'en prend à un jeune, même voleur de voiture, et que celui-ci subit des violences qui peuvent se justifier, nous constatons qu'une bande de jeunes va le venger en attaquant un poste de police, en cassant des vitres, en brûlant des voitures. Mais parallèlement, nous entendons aussi des mères qui sont scandalisées de la violence subie par ce même jeune. Ont-ils raison, ont-ils tort, je ne me pose pas la question car je suis incapable d'y répondre et j'ai la modestie de ne pas y calquer ma vision de la société. Je constate simplement que derrière le banditisme (au sens étymologique du terme : action de bandes), il existe des soutiens diffus, contradictoires mais réels d'une partie paisible de la population.
Un exemple criant furent les attentats du 11 septembre : combien furent ceux qui ont pensé secrêtement que c'était bien fait pour les USA ? On a dansé dans certaines favelas brésiliennes, pourtant chrétiennes.Des millions de gens de par le monde, tout en plaignant les victimes, furent satisfaits de ce coup porté à l'Amérique. Le bon et le mauvais se mélangent dans une confusion de valeurs qui est pleinement favorisée par notre société exclusivement marchande. C'est un lieu commun de le dire mais je regrette de constater que, si l'on fait des efforts toujours plus grands pour réprimer (et il faut réprimer les actions violentes), on laisse dangereusement flotter les rubans sur la prise en compte d'un malaise moral et identitaire d'une partie de la société. Et une paire de baskett Nike est parfaitement révélatrice de ce déficit identitaire autant que de la prégnance du monde marchand.
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 13 juin 2006 à 11:46
Cactus, c'est vrai que ces temps-ci, j'ai tendance à être loquace, mais tout découle cependant du billet de monsieur Bilger. Je n'ai jamais réellement cogité sur ce sujet en partant d'un propos aussi abouti et éblouissant (« une politique hémiplégique », avez-vous déjà trouvé expression si bien choisie !), je me suis donc engagé sur le sentier parce que j'ai vu qu'il était balisé avec soin, histoire de voir où il me menerait. Sans ses balises, je n'aurais sans doute pas progressé(du moins, eu le sentiment de progresser) de la sorte.
Jean-Dominique, vous déclarez « Admettons aussi que l'histoire séculaire de la justice en France est une longue bataille de la liberté contre l'arbitraire et que la gauche s'est nourrie de ce combat ». Admettons plus franchement que toute l'histoire de la justice est l'histoire de la détermination de l'équilibre entre nécessaire pouvoir d'enquête et de sanction et préservation des libertés civiles ; et ce n'est pas près de changer, c'est intrinsèque.
Vous dites aussi « On peut réagir face à l'un et à l'autre, sanctionner l'individu et attaquer les causes sociales du phénomènes », et je pense que c'est le point de vue défendu par monsieur Bilger, n'est-il pas ? Cela semble si évident que tous devrait être d'accord, et pourtant on dirait qu'il y a là un combat à mener pour faire passer cette idée.
Pour ce qui est de la comparaison des émeutes de novembre avec les prémices de la Révolution, cela semble pour le moins tractopillé. Vous dites que ces émeutes sont « un déferlement de voyous, oui, mais porteur d'une angoisse collective qui n'est d'ailleurs pas analysée par les intéressés ». Mais quelle est la représentativité de ces « intéressés » ? Ce ne sont pas une foule de paysans crêvant la dalle se rebellant contre celui venant collecter l'impôt, le seigneur local, c'est une poignée d'individus qui décident de brûler le bureau de poste utilisé par leurs voisins, ou d'appeler des pompiers en urgence pour ensuite les agresser. L'aspect collectif est très très discutable, puisque la collectivité est extrêmement restreinte. Quant à l'angoisse, attaque t-on des pompiers par angoisse ? Par ailleurs, il reste à déterminer si les intéressés peuvent être considéré comme miséreux, étant entendu que nombre d'entre eux sont vêtus d'habits de marque et utilisent des téléphones portables dernier cri, en d'autres termes arborent des signes de richesses qui détonnent lorsqu'ils brûlent des véhicules même plus côtés à l'argus - difficile de croire qu'il y a l'action de la misére contre l'angoisse, et non pas la loi du plus fort qui méprise les plus faibles.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 12 juin 2006 à 16:21
Oh le vilain provocateur ! Alors que tout le monde vous attend sur le blanchiment du Burgaud par ses pairs (C'est la saison des amnisties corporatistes), vous voilà sur un terrain éminemment polémique !
Vous admettrez sans mal que la peine de mort fut abolie par la gauche. Pompidou, hostile à la peine de mort, gracia 6 condamnés à son arrivée au pouvoir, refusa la grâce de Buffet et Bontemps. Mais il faut dire qu'entre temps l'opinion publique avait basculé en faveur de la peine de mort. Même chose pour Giscard avec Christian Ranucci. Si des hommes de droite étaient hostiles à la peine de mort, il n'en reste pas moins qu'ils n'ont pas eu le courage de s'opposer au réel de l'opinion. Mitterrand, avec 66% de français favorables à la peine de mort, l'abolit malgré tout, au nom d'une idéologie qui dépasse l'instantané du réel.
Car le réel est instantané, il ne se projette pas. Il est là, il change tout seul, sans cohérence, par sélection naturelle. Sans idéologie, point de médecin : on laisse les choses aller leur train, on ne lutte pas contre le réel et c'est lui qui signe la fatalité. "Les faits sont têtus", "la mondialisation financière est inéluctable", tout le registre du pragmatisme politique et économique qui appelle à la résignation et à l'adaptation est un discours de droite (que je préfère qualifier de conservateur) avec l'apport de la providence divine, le cas échéant.
Admettons aussi que l'histoire séculaire de la justice en France est une longue bataille de la liberté contre l'arbitraire et que la gauche s'est nourrie de ce combat. Les propos que vous tenez aujourd'hui vous auraient conduit à la Bastille en d'autres temps : vous êtes donc, Philippe, imprégné de valeurs de gauche (Quelle révélation !) parce que vous acceptez qu'un François Besse puisse ne pas finir sa vie au bagne. Et si vous voulez bien considérer les grandes dates qui ont fait progresser la justice dans ce pays, vous y trouverez quand même une forte dominance de la gauche.
Sans s'exonérer de la responsabilité individuelle, il convient malgré tout d'admettre que certaines conditions sociales ou culturelles sont criminogènes. On peut être sévère avec ces jeunes qui brûlent les voitures de pauvres gens tout en considérant qu'au delà du cas individuel, il existe des conditions de l'organisation sociale qui favorisent ce comportement. On peut réagir face à l'un et à l'autre, sanctionner l'individu et attaquer les causes sociales du phénomènes. N'oublions pas que, dans les années qui ont précédé la Révolution, les jacqueries furent réprimées comme autant de fautes individuelles parce qu'on refusait d'y voir l'expression d'un malaise grandissant qui aboutirait à 89. Le conservatisme, dans son culte de l'immobilisme ou du passéisme (c'était mieux avant, changer tout c'est l'aventure) a ainsi tendance à reléguer certains mouvements collectifs au rang du hooliganisme. La flambée des banlieues n'est évidemment pas qu'un déferlement de voyous : c'est un déferlement de voyous, oui, mais porteur d'une angoisse collective qui n'est d'ailleurs pas analysée par les intéressés.
Là où je vous rejoins, c'est dans l'attitude de la gauche face à la justice quotidienne. De vieux réflexes robespierristes conduisent à l'anéantissement de la souplesse : la loi est rigide, son application relèverait d'une science exacte qui ne souffrirait d'aucune indulgence. Combien de gens de gauche considèrent qu'un homme ayant purgé sa peine demeure infréquentable...
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 12 juin 2006 à 14:00
deux doigts coupent FIN !
Marcel Patoulatchi va bientôt nous en mettre -plein la vue - plus long que le billet initial initié par le maître des lieux ( de plus il m'inquiète en parlant à la fin d'une confusion sans fin !!!!!!!!!!!!!!)
on ne sait plus ou est le commentaire et qui est le maître blogueur voire dévissez Versace !!!!!!!
bien à vous et content de vous retrouver !
Rédigé par : cactus | 12 juin 2006 à 11:58
Il est effectivement temps de se rappeler que dans les années à venir les seuls termes du choix ne seront pas " droite " ou " gauche " , et qu'au-delà de la bureaucratie " tyrannique " et auto-reproductrice qu'on nomme les partis , il y a place pour une véritable politique du bien commun .Que les portes de l'avenir ne seront fermées que si nous refusons , par paresse ou crainte de les forcer .
Maintenant que le " réel" ne peut plus être reporté à une date ultérieure et que le tsunami de nos lâchetés et incohérences passées menace réellement de nous emporter , il appartient à notre humanité de se souvenir que sa grandeur se révèle d'abord dans l'oubli de soi et l'amour du bien commun déjà évoqué.
Rédigé par : Parayre | 12 juin 2006 à 11:01
assez d'accord avec Marcel Patoulatchi. S'il est caricatural de penser que la peine de mort est de droite, ne l'est-il pas tout autant de penser que la gauche nie le liberté et la responsabilité de l'individu, ainsi que le réel ? Pour ce dernier n'a-t-elle pas "seulement" l'ambition de tenter de le transformer ?
Rédigé par : brigetoun | 11 juin 2006 à 21:21
"Ecouter le réel pour inventer à partir de lui." Que n'êtes-vous Ministre de la Culture !? Ce pays serait un enchantement.
Je cours demander à mes dahlias, aux merles et aux goutelletes de la fontaine s'ils sont de gauche ou de droite et je reviens vous dire ;-)
Rédigé par : Fleuryval | 11 juin 2006 à 11:33
Le postulat intellectuel que vous critiquez à juste titre, et qui consiste à voir dans le délinquant une victime des circonstances, est principalement mis en avant à gauche et dans les médias à propos de la délinquance des jeunes dans les banlieues.
On peut résumer le discours que tient la gauche, et que tenait aussi notre brave Ségolène Royal il n’y a pas si longtemps, de la façon suivante : les jeunes des banlieues sont avant tout des jeunes qui souffrent et leur souffrance les accule à la délinquance.
Il faut, comme vous le faites, souligner toute l’insalubrité d’un tel discours de déresponsabilisation.
D’abord, c’est une bien triste vision de l’homme que de l’envisager comme un prisonnier de la fatalité, et de considérer que son action ne peut enfreindre aucun déterminisme.
Ensuite, ce n’est pas en figeant les jeunes des banlieues dans un statut de victime de la société qu’on va susciter en eux un désir d’action, l’envie de s’en sortir, et les dissuader d’entrer dans l’illégalité. La liberté de choisir entre le licite et l’illicite existe pour tous, et ceux qui choisissent la délinquance ne sauraient se voir exonérés des conséquences de leur décision par l’influence supposée d’un quelconque déterminisme ; leur responsabilité existe, et elle doit être rappelée.
Rédigé par : Juju | 11 juin 2006 à 01:09
Serais-je devenu de droite à mon insu ? Ma vision de la responsabilité est en tout cas conforme à votre définition de la "droite judiciaire".
Ce qui est sans doute inévitablement de gauche dans l'idée de justice, c'est sa teneur institutionnelle et socialement neutre. La justice en tant qu'institution permet d'établir un équilibre dans les rapports entre les individus, alors que la société n'est elle-même que déséquilibres, allant parfois jusqu'a la domination des uns sur les autres.
La responsabilité individuelle selon la droite pousse à vite s'adonner à l'idée d'égalité géométrique. Les dominants le seraient parce qu'ils auraient été plus méritants, les dominés seraient donc responsables de leur posture. Chacun serait responsable de tout ce qui lui arrive - idée étrange, de l'ordre du déni de réalité, puisque faisant croire que rien n'est inné, alors que la naissance, par exemple, détermine bien des choses (couleur, religion, éducation que l'on recevra).
Il y a en fait derrière tout ceci une différence d'entendement sur le terme même "juste".
Selon l'idée d'égalité géométrique, il est juste que les puissants aient plus de droits, parce qu'ils sont plus méritants, parce que ça leur a coûté de devenir puissant. Selon l'idée d'égalité arithmétique, il est juste que chaque individu, indistinctement de sa condition, ait les mêmes droits qu'un autre, indépendamment du fait que cet autre soit plus ou moins méritant que lui.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen consacre l'égalité arithmétique. On nait tous égaux en droits, c'est le fondement des démocraties modernes.
Mais "certains sont moins égaux que d'autres" dit-on parfois. La gauche s'est historiquement fondée en tant que défense des dominés, par des individus qui, de fait, étaient théoriquement des dominants (des lettrés).
Et là, ça devient intéressant : la gauche n'a pas toujours fait abstraction de la réalité, au contraire, c'est un certain sens du réalisme qui a posé le constat que l'égalité de droits n'est parfois qu'une théorie insuffisante, poussant les marxistes à considérer la démocratie comme "hypocrisie petite-bourgeoise", poussant les communistes à considérer la SFIO comme "social-traître". Ainsi, on peut dire qu'au début du XIXème, bien qu'emprunt d'une forte idéologie ("conscientisé", dit-on pour faire chic dans les milieux eux-même "conscientisés", terme équivalent en dédain de "paganus" dans la bouche d'hommes d'Eglise). C'est donc, disais-je, un certain sens du réalisme qui a poussé idéologiquement la gauche dans la discrimination positive avant l'heure.
Car en fait, la gauche n'est pas nécessairement si rétive à toute idée de responsabilité individuelle que cela. La gauche traditionnellement emporte votre définition de la "droite judiciaire"... mais uniquement à propos de ceux considérés comme dominants. Prenez l'exemple de l'affaire Battisti : combien de gens de gauche soutiennent Battisti parce que dans le fond ses victimes étaient supposément du camps des dominants ? Remémorez-vous certains propos tenus dans certains commentaires sur votre blog : pour certains, la mort d'un policier est sans doute triste mais doit être un risque assumé comme normal, parce que le policier, nous dit-on, incarne le pouvoir - donc les dominants. Observez comment sont justifiés les actes de la bande à Baader ou de la bande à Bonnot. Regardez comment une certaine gauche fantasme sur la dynamite lorsqu'elle tue du "social-traître", du "bourgeois" ou des "cognes". Dans ces cas, la mort de l'individu, expliquée par la lutte des classes, trouve sa justification dans le fait que ceux qui sont du coté dominants en sont responsables. Ils l'ont choisi.
Il y a donc une authentique discrimination positive dans la mentalité d'une certaine gauche, d'égalité géométrique. C'est une discrimination positive à l'égard des délinquants et criminels, dès lors que leur victime est supposément du mauvais camp. Et comme toutes les discriminations dites positives, naturellement elle est plus que négative à l'égard des autres. C'est l'égalité géométrique un peu altérée, où le dominant devrait avoir moins de droits et le dominé plus de droits.
On retrouve facilement cette discrimination. Elle est manifeste dans le rapport d'Amnesty International sur la soi-disant impunité de la police en France dans les supposées bavures (lecture critique ici : http://riesling.free.fr/20050407.html), rapport qui se propose, sans rire, que la légitime défense ne s'applique plus aux policiers.
L'autre face de cette discrimination positive, c'est de considérer systématiquement les racailles comme des victimes, comme les victimes dominées. Et là, le déni de réalité devient nécessaire, parce qu'il suffit de regarder quels faits sont reprochées à ces supposées victimes pour comprendre que leurs exactions font bien des victimes réelles (non pas des victimes très théoriques de la société inégale, mais des personnes dont l'intégrité physique ou les biens sont dégradés ou détruits), et que celles-ci sont assurément dans le camp des dominés. Il suffit de regarder quelles sont les références de ces supposées victimes (notamment exposées dans de nombreuses chansons de rap ; bien entendu, tous les rappeurs ne sont pas dans cet esprit décadent-là, on ne saurait comparer IAM à Ministère Amer) pour comprendre qu'elles adhèrent à plein pot aux théories les plus néo-libérales du MEDEF.
En ce sens, je crois qu'on ne peut pas dire que le rapport à la réalité de la gauche en 2006 soit réellement le même qu'au début du XXème siècle. Si la gauche a pour tradition d'essayer de transformer la réalité, puisqu'on est de gauche en étant soit révolutionnaire soit réformiste, alors qu'on est généralement de droite en étant soit conservateur soit libéral (prônant la suppression des règles en faveur d'une supposée régulation naturelle par les forces méritantes, prônant de fait l'obéissance à une certaine réalité), de nombreux individus se targuant de représenter la gauche fondent leur projet social sur une analyse non-renouvelée de fond en comble de la société, et essayent de gommer tous les éléments de réalité qui invalident l'idéologie. C'est différent du fait de croire en une idéologie au début du XXème, il ne s'agit pas d'un simple manque de lucidité sur l'avenir, il s'agit plutôt d'une veulerie intellectuelle.
A mon sens, en 2006, alors qu'il est manifeste que les classes sociales n'existent plus et que les structures sociales sont beaucoup moins contraignantes qu'autrefois, il y a donc une forte incohérence dans l'idée qu'on puisse être de gauche, en tout cas de gauche réformiste, et refuser ce que vous définissez comme droite judiciaire.
Car refuser une justice sans discrimination positive, c'est de toute façon favoriser des dominants, les petits caïds de banlieues qui y font leur loi et qui, sans rire, s'affirment très mécontents lorsque des fonctionnaires de la Républiquent osent prétendre y faire appliquer les lois de la République, c'est à dire les lois qui incarnent l'égalité de droit, et non pas la loi du plus fort.
La confusion est sans fin, puisque désormais, une certaine droite, sortie du champ judiciaire, a adopté la discrimination possible, selon le même discours qui poussa la gauche révolutionnaire à soutenir des Mao, des Lénine et des Polpot : "proclamer l'égalité devant la loi ne suffit plus: il convient désormais de promouvoir aussi l'égalité par la loi" (http://riesling.free.fr/20051125.html).
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 10 juin 2006 à 15:44
Bonjour Mr Bilger
je vous renverrai la question suivante:
- peut-on être inspecteur du travail et être de droite?
Question oh combien délicate! Je suis élève inspecteur du travail animé par le souci de jouer un rôle de régulateur social dans un rapport salarial défavorable aux salariés. En effet, juridiquement, le salarié est dans une position de subordination juridique par rapport à l'employeur. L'impartialité dans la prise de décision est fondamentale, mais mon métier n'est pas neutre, en ce sens que le droit du travail n'est pas neutre et vise la protection d'une partie face à l'autre, le salarié. Mais alors, je me dis, comment des collègues (2), s'affichent "être de droite" (si cela a encore un sens en 2006!) et être de futurs inspecteurs du travail. Ils auront à faire respecter la législation du travail et d'un autre coté, ils tiennent un discours:"les entreprises ont trop de charges et contraintes, les chômeurs sont trop assistés".
Alors peut être m'éclaireriez-vous sur ce paradoxe, qui n'en n'est peut être pas un.
Merci
Bien cordialement
Rédigé par : jerome | 10 juin 2006 à 14:35
Excellente analyse l! Le réel trouble l'idéologie à gauche et l'adhésion mécanique au réel à droite. Il n'y a pas discussion, c'est si juste.
Bon, mais après, qu'est-ce qu'on fait ? Une politique sans idéologie est-elle possible ?
Rédigé par : bulle | 10 juin 2006 à 13:05