Le 22 mai, j'ai eu le plaisir de débattre sur la justice, à l'Institut Montaigne, avec Philippe Houillon, rapporteur de la commission d'enquête sur Outreau et Christophe Caresche, membre de celle-ci. J'ai pu apprécier, à cette occasion, l'objectivité et la pondération de l'un et de l'autre. J'ai attendu avec d'autant plus d'impatience les réformes qui étaient annoncées sur un mode évidemment allusif.
Même si la commission va adopter ses propositions le 6 juin, on peut penser qu'on en connaît déjà l'essentiel tant grâce aux échanges que je viens d'évoquer que par le travail assez complet réalisé de manière anticipée par la presse, notamment le JDD d'hier avec une interview du Président Vallini, un entretien avec Georges Kiejman dans Libération d'aujourd'hui et un dossier dans le Parisien de ce jour nous faisant part de l'opinion de l'acquitté Alain Marécaux, d'un policier parisien malheureusement anonyme, d'un magistrat et naturellement de Me Dupond-Moretti. J'ajoute que des contraintes judiciaires personnelles me conduisent à rédiger cette note dès maintenant.
D'emblée, force est de reconnaître que c'est un excellent devoir qui va être soumis à l'opinion publique, à laquelle la commission s'adresse au premier chef. C'est un devoir dans le double sens de ce terme. C'était, à la fois, une obligation et c'est une remarquable contribution, un exercice de qualité.
Loin de moi l'idée de reprendre dans le détail des mesures au sujet desquelles je voudrais seulement formuler quelques observations non pas comme un professeur - pour reprendre la métaphore du devoir - mais comme un magistrat citoyen. Appréciations qui iront de l'approbation à l'inquiétude.
Je ne crois pas, même si la réaction était classique et prévisible, qu'on puisse faire la fine bouche devant le rapport à venir en dénonçant son absence d'ambition et l'empirisme de sa démarche. Sur ce plan, je me trouve en désaccord avec un récent éditorial du Monde et rejoins plutôt l'avis de Me Kiejman. De fait, la commission n'était pas maîtresse absolue de l'ensemble de ce qu'elle projetait. Elle dépendait du calendrier parlementaire, des échéances présidentielles proches, des règles constitutionnelles, de la volonté de certains de ne pas procéder à une révolution, à des bouleversements que leur impossibilité pratique rendait sans doute tentants sur le plan intellectuel.
Il me semble qu'elle a tenté une juste conciliation, par sa méthode, entre les impératifs contradictoires dont elle avait la charge.
Elle est d'autant plus à louer pour cette retenue que l'accomplissement de sa mission ne va pas concerner un terrain vierge et qui n'attendrait que lui. Certes il s'attachera, après avoir réfléchi sur les dysfonctionnements graves d'Outreau, à prévoir ce qui pourrait les rendre inconcevables mais il sera étudié bien au-delà de lui-même. On a vu, en effet, à quel point l'actualité, et pour une fois sans qu'une conjoncture criminelle tragique en soit à l'origine, a mis au premier plan la controverse sur la sécurité, la discipline sociale, l'autorité à l'égard des parents défaillants et de leurs enfants délinquants. Les archaïsmes se sont manifestés encore plus éclatants de sorte que sur le registre politique il est permis de dire que certains n'ont rien appris ni rien oublié et que sous les coups de boutoir d'autres, l'ordre et la justice commencent à échapper aux clivages traditionnels pour partager ceux qui croient encore en une responsabilité individuelle et ceux pour qui la société est coupable. Plus profondément, la polémique met en opposition ceux qui se fondent sur la réalité et ceux qui privilégient l'idéologie. Rappelons-nous telle ou telle déclaration d'hier ou d'avant-hier : cette proposition n'est pas de gauche ! Comme si l'essentiel était non pas de dire le vrai et d'en tirer les conséquences mais d'être assuré de l'étiquette !
La commission, si je me rapporte à la synthèse formulée par le Président Vallini, va prôner la collégialité de l'instruction, encadrer la garde à vue, limiter la détention provisoire et permettre aux justiciables mécontents d'accéder au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par l'entremise du médiateur de la République.
L'instauration de délais stricts et pour la durée de la détention provisoire et pour celle des informations m'apparaît fondamentale, de même que l'obligation de venir régulièrement devant la chambre de l'instruction justifier publiquement le traitement des dossiers et la gestion du temps. Publicité et délais constituent les deux impératifs basiques pour une administration de la justice digne de ce nom. Sous le regard des médias, le médiocre pourra devenir passable, le passable bon, le bon très bon et le très bon exceptionnel. Il n'y a pas, par ailleurs, d'autres moyens pour accélérer le cours judiciaire que de décréter des dates butoirs qui, je l'espère, ne souffriront pas d'exceptions selon une tradition néfaste qui tue trop souvent le principe valable sous l'avalanche des dérogations. La contrepartie de cette rigueur sera la nécessaire simplification des délais d'aujourd'hui qui plongent les magistrats dans une bureaucratie étouffante et complexe au détriment de formes facilitant, et non pas entravant, une justice de visages et une confrontation de personnes.
Je constate aussi avec satisfaction qu'apparemment la volonté de "domestiquer" encore davantage les médias semble abandonnée. En effet, et je l'ai écrit, les médias ont d'abord jeté de l'huile sur le feu puis de l'eau sur l'incendie qu'ils avaient fait naître mais leur responsabilité est infiniment périphérique par rapport à celle, centrale, des protagonistes judiciaires, magistrats, avocats et experts notamment.
Un excellent devoir, certes, mais qui suscite tout de même des craintes et appelle des corrections.
Comme Me Dupond-Moretti, je ne crois absolument pas que la collégialité de l'instruction, telle qu'on la conçoit, soit la panacée. Pour qui vit le judiciaire de l'intérieur et est contraint d'apprécier la pureté des principes à l'aune des pratiques, la collégialité dilue la responsabilité que la solitude, parfois, enrichit et ne garantit rien sur la qualité de la justice. Surtout pour les juges d'instruction. Qui peut penser qu'on va échapper à une hégémonie, que ce soit celle du talent, de la compétence ou de l'autorité ? Je veux bien concéder que la commission était sans doute contrainte de se prosterner devant ce poncif devenu article de foi mythifiant le pluriel. Il n'empêche que, dans le quotidien, celui-ci est dénaturé et l'égalité du délibéré battue en brèche.
La seule méthode pour aboutir à un système équilibré où la pluralité théorique des regards sur un même processus, de l'enquête à l'appel, serait préservée et les pouvoirs compensés par des contre-pouvoirs aurait consisté à séparer de manière drastique le siège et le parquet. Sur ce plan également, la commission a abordé un chemin médian suggérant un choix définitif au bout de dix ans. Durant ces dix années, la connivence structurelle, la complaisance institutionnelle vont continuer à faire sentir leurs effets négatifs. Durant dix ans, la justice continuera à être peu lisible pour le citoyen. Durant dix ans, il y aura du temps pour d'autres grands ou petits désastres résultant de cette symbiose qui, même avec un désir affiché d'autonomie, fait se téléscoper les points de vue et se confondre les visions !
Pour ce qui se rapporte à la saisine du CSM par le biais du médiateur, cela ne deviendra une démarche efficiente qu'après la transformation radicale de cet organisme aujourd'hui sous l'emprise des magistrats. On envisage, dans le meilleur des cas, une composition qui donnerait une forte majorité aux non magistrats. J'irais plus loin pour suggérer que le CSM soit rénové par l'instauration en son sein d'une pluralité politique qui garantirait mieux la pertinence des choix et l'évaluation des compétences que le clientélisme syndical ou les manipulations internes. Ce n'est pas faire injure au judiciaire que de proposer une telle révolution mais le contraire. Un corps est le plus mal placé pour se juger, se réformer et s'évaluer. Le regard extérieur et réellement pluriel offrirait un avantage décisif sur ce plan où, trop souvent, sont distinguées des personnalités au sujet desquelles, pour le moins, on s'interroge.
Ma plus vive préoccupation s'attache à ce que la commission a cru devoir mettre dans l'un des plateaux de la balance de la justice, au bénéfice des droits de la défense, au point de déséquilibrer l'autre, celui de l'intérêt social qui est, qu'on le veuille ou non, d'abord servi par l'efficacité policière. Je sais bien que depuis Outreau, en dépit de légères critiques tenant à la carence de certains, les avocats sont sanctifiés et qu'on n'est pas loin de prendre chacune de leurs interventions médiatisées pour parole incontestable de justice et décret d'évangile. Dans la justice, on leur offre le grand avantage de sériger en juges comme s'ils étaient en dehors d'elle. Juges et parties, en quelque sorte. Ils n'ont pas plus vocation à proposer leur justice à la représentation nationale que les magistrats n'ont à présenter la leur. Les uns et les autres ne sont que des auxiliaires de la loi que le politique - au-delà de ses habits conjoncturels, certains sont avocats, d'autres ont été magistrats - a seul la charge d'élaborer parce qu'il est capable, dans sa réflexion et son action, d'assumer l'ensemble de la communauté, toutes tendances confondues.
Aussi, et le sujet est délicat, si l'avocat est nécessaire à une bonne justice, il se trouve avoir un rôle particulier dans le processus judiciaire. Il est celui qui assiste le suspect, conseille le mis en examen, défend le prévenu et argumente en faveur de l'accusé. Il est aux côtés de celui qui avoue avoir commis le délit ou le crime, de celui qui se prétend innocent et de celui qui l'est véritablement. L'avocat connaît probablement la vérité authentique en-deçà du rapport conventionnel qu'il entretient avec son client. Autrement dit, il ne serait pas scandaleux de se pencher sur l'avenir d'une enquête de police, une fois que l'avocat y serait admis dans les conditions que la commission souhaite et si les interrogatoires faisaient l'objet d'un enregistrement audiovisuel. On a l'impression, à entendre certains, que le critère déterminant d'un pays démocratique serait de rendre de plus en plus malaisés le travail et la mission de sa police. Naïvement, je pensais qu'il fallait, au contraire, lui faciliter la tâche pour que la démocratie puisse se protéger des transgressions et combattre toutes les insécurités sans se renier. Faut-il rappeler que l'interpellation et la garde à vue ne sont pas difficiles seulement pour la personne soupçonnée ? J'ajoute que la magistrature est suffisamment sous le feu du barreau pour qu'on puisse s'autoriser, au dépit de l'indiscutable moralité professionnelle de la plupart, de la méfiance envers quelques avocats stimulés, si j'ose dire, par ce nouveau contexte.
Rien n'est simple, on le voit, et pour finir, je voudrais de nouveau attirer l'attention sur ce point capital. Avant, rien, dans la procédure, ne rendait Outreau inéluctable. Après, rien ne le rendra impossible. Deux objectifs capitaux pour demain : il faut d'une part mettre en place une alerte, des repères, des signaux, d'autre part comprendre que l'humain n'appelle pas une formation à part mais constitue un facteur indispensable à la fiabilité technique.
On ne parviendra à les réaliser qu'en négligeant ce que le Président Vallini a pourtant évoqué de manière favorable : les Etats généraux de la justice. Cela fait des années que, sous toutes les latitudes intellectuelles et politiques, j'ai suggéré, et d'autres avec moi, un tel forum citoyen. Force est d'admettre que sa création est souhaitée quand on n'a rien de plus à proposer et à dire. Cela remplit et fait bien. Nous ne sommes pas dans une situation qui nous condamnerait à un tel symbolisme. Pour sujet à caution qu'il soit sur certains points, le rapport de la commission sera sans doute bien accueilli, et ce sera justice.
Il faudra l'exploiter le mieux possible selon le rythme que le réel va imposer. Amélioré, modifié, contesté, il représentera une base fondamentale pour agir.
Aux politiques de prendre la relève pour le plus grand bien de la démocratie. J'entends déjà le citoyen qui leur dit : "Etonnez-moi !".
Jean-Dominique, lorsque vous écrivez « la garde à vue à la française, C'EST la privation de sommeil, la privation de nourriture, la privation de pisser, des cris, des injures, des menaces », vous accusez tous les OPJ de France, qu'ils soit flics ou gendarmes, même si vous n'en êtes pas conscient. D'ailleurs, j'en suis persuadé que vous n'en êtes pas conscient. Je sais que vous avez des flics dans votre entourage, vous me l'avez déjà dit - je sais que vous n'avez pas de haine viscérale contre les condés. Néanmoins, dès lors que vous parlez de ce métier, vous tenez des propos si affirmatifs qu'ils accusent l'ensemble, le corps.
Je ne pense pas qu'il existe encore des flics qui croient que l'aveux puisse être élément probant suffisant. Cette idée sort d'une autre époque, ceux qui pensent ainsi assurément ne font pas bien leur travail. Pour les contingences matérielles dans la garde à vue, il faut reconnaître que c'est finalement relativement récent que les budgets pour la nourriture pour les gardés à vue sont pris en compte par l'administration, et que donc l'alimentation ne soit pas tributaire du vouloir des policiers et l'attention de la famille de l'intéressé.
Néanmoins, aujourd'hui, en 2006, un OPJ dont le gardé à vue n'est pas nourri, ne peut pisser et ne peut dormir est assurément un sale type, un type qui ignore tout du code de déontologie de la police nationale (1984, sous Fabius, c'est pas neuf), voire du code pénal. Et l'erreur de droit est irrecevable, puisqu'il est OPJ. C'est donc un type qui délibérément s'adonne à l'inadmissible. Je ne peux pas croire qu'une majorité d'OPJ soient ainsi, je ne peux pas croire que les OPJ en France en règle générale ignorent ceux qui est précisé en noir sur blanc partout. C'est sans doute une faiblesse de ma part, mais je ne peux croire que l'accommodation avec le réel en arrive à renier à ce point avec les règles officielles.
Lorsque la police parisienne à raflé pendant la guerre, elle fut obéissante au pouvoir, tout comme elle l'était en 34 contre les manifestations des ligues factieuses. C'est donc bien différent, puisque ces policiers là étaient respecteux des règles.
C'était les règles qui étaient immondes. Elles ne le sont plus. Il n'y a donc pas d'excuse.
Je ne vois pas de principe qui favoriserait ce que vous décrivez.
Je n'ai pas ailleurs jamais dit que la fin justifie les moyens - quelle idée ! Je suis d'ailleurs persuadé que tout détenteur d'un pouvoir judiciaire doit être contrôlé et rendre des comptes, magistrat, OPJ, APJ, peu importe !
Concernant la connaissance du dossier, je ne zappe pas la question. Tout d'abord, là on ne se situe plus au niveau du placement en GAV, du début, du milieu ou de sa fin. C'est donc pas vraiment dans le sujet.
L'avocat doit-il avoir accès au dossier lors de l'audience contradictoire avant d'être provisoirement écroué ? Si je comprend bien de quoi vous parlez, vous n'êtes pas devant un juge chargé de juger au fond de votre affaire, vous êtes devant le juge de la libertés et des détentions. Là, le dossier est plus ou moins indifférent pour votre avocat : il n'est pas là pour vous défendre sur l'affaire, il est là pour défendre votre droit à rester en liberté, c'est-à-dire à justifier que vous offrez des gages de représentation, que vous ne risquez pas d'altérer des preuves éventuelles, que vous ne risquez pas de faire pression sur des témoins ou de réitérer. Ce n'est pas le procès qui se joue là. Je ne vois pas l'incohérence à ne pas donner accès au dossier, puisque vous ne vous défendez pas sur le dossier mais uniquement sur votre placement détention provisoire.
Quant à l'idée que j'ignore le réel, allez savoir. J'ai en tout cas la folle prétention, envie, d'agir au réel, de participer au réel. Il ne tiens qu'à nous, le réel ! Le billet nouveau parle aussi de l'idéologie, et c'est vous même qui disiez justement que pour oeuvrer sur le réel, une idéologie est nécessaire. Je suis évidemment un « idéaliste de la force de l'ordre »... préferez-vous les désenchantés qui agissent sans but et, du coup, sans adhésion morale à l'institution ?
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 12 juin 2006 à 22:15
Où avez-vous lu, Marcel Patoulatchi, que je mette en cause l'intégrité de la masse des policiers ? Je n'ai pas même parlé d'eux. Cessez d'imaginer que je bouffe un flic chaque matin : mon parrain est flic, mon beau-père est flic, deux de mes meilleurs amis sont flics, je suis fils et petit-fils de militaires, je me suis engagé dans l'armée quand j'étais plus jeune. La caricature du bobo gauchiste allergique à l'uniforme, laissez-là donc au vestiaire.
Que croyez-vous qu'est une garde à vue ? Une aimable discussion entre gens de bonne compagnie ? Pourquoi ce secret ? Pourquoi cette coupure du monde, si ce n'est pour exercer une contrainte ? Un groupe d'hommes détenant un pouvoir physique sur un seul autre, oui, est fatalement suspect, parce que la nature humaine est ainsi faite. Je ne doute pas de l'intégrité individuelle des policiers, je dis que je me méfierais de moi-même si je devais détenir avec d'autres le pouvoir de contraindre quelqu'un. Vous êtes un idéaliste de la force de l'ordre, sans doute parce que vous n'en avez jamais tâté, mais la réalité - le réel dont on parle ici dans un nouveau billet - c'est que 4 hommes contre un seul, c'est dangereux.
Et oui, l'enregistrement vidéo permettra de voir dans quelles conditions ont été obtenues des déclarations. Si l'homme est épuisé, qu'il n'a pu dormir, qu'il a mangé un sandwich en 24 heures, bu un verre d'eau, ça ne laisse pas de trace, on pourra émettre une appréciation différente sur ses déclarations.
Je ne soupçonne pas les individus, je soupçonne les autorités instituées.
Lorsque la police parisienne dans son ensemble procède à la rafle du Veld'Hiv, je me doute bien que beaucoup n'ont pas fait de zèle, les Allemands comptaient sur 20000 juifs et il n'y en eut que 8000 mais ils ont fait le sale travail quand même. Qu'auriez-vous dit alors pour défendre cela ? Qu'est-ce que ces policiers ont de différents de ceux d'aujourd'hui ? Ce sont les mêmes braves types. Je ne me situe pas au-dessus de ce soupçon, je ne sais pas ce que j'aurais fait en 40. Quand des Marines américains massacrent 24 innocents irakiens, je n'en veux pas aux individus qui sont sans doute de tout jeunes gentils garçons, mais à l'appareil d'autorité constitué autour d'eux.
Vous passez en permanence du collectif au singulier, vous individualisez tout, pour mieux éparpiller : une brebis galeuse, 1000 brebis galeuses, c'est toujours mieux que la remise en cause des principes qui permettent à ces brebis galeuses d'exister en groupe. La gale est contagieuse.
Toute autorité constituée doit être strictement contrôlée en démocratie : ce soupçon est vital. Sinon, c'est Guantanamo. Mais il y en a, qui comme vous, trouvent que la fin justifie tous les moyens. Moi non.
Concernant la connaissance du dossier, vous zappez la vraie question. Après la garde à vue, je suis présenté à un juge dans une audience réputée contradictoire. Mon avocat est là mais ne peut pas me défendre. Une décision juridictionnelle de m'envoyer au trou intervient donc sans que je puisse me défendre. C'est pas un vrai problème de droit ça ?
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 12 juin 2006 à 13:05
Cela me déplait en effet que vous prétendiez que 24 ou 48 heures de garde à vue puissent expliquer le mauvais déroulement d'une affaire en son entier, procès complet, des affaires qui pourtant ont fait l'objet d'une instruction. Vous n'apportez aucun autre argument que des a priori sur le déroulement d'une garde à vue, a priori n'ayant du sens que selon le principe que l'ensemble des policiers de France ne sont que d'infâmes malhonnêtes ne respectant pas pour un sou les principes de la procédure pénale (notamment le principe de loyauté dans la recherche des preuves).
« la manière dont ELLE EST menée », « la garde à vue EST l'héritière de la question », « la garde à vue à la française, C'EST la privation de sommeil, la privation de nourriture, la privation de pisser, des cris, des injures, des menaces », voilà votre manière de parler, messieurs qui prétendez savoir ce qui ferait honneur à la justice alors que vous accusez sans complexe, sans aucune nuance, plusieurs milliers de personnes en France de n'avoir aucune morale dans leur travail ! Que tout cela est bien léger ! Pour vous, c'est ainsi ; ce n'est pas *il arrive que*, *parfois certains*, non, vous avez la prétention de pouvoir juger l'ensemble des gardes à vues qui sont faites chaque année en France.
Réclamer plus de justice en accusant des larges groupes d'individus de manière aussi gratuite laisse rêveur. Voilà pourtant, je ne crois pas me tromper, la manière de penser, le ton affirmatif, des Varlet et des Burgaud, où la conviction remplace la modération et la raison, où seule la charge importe. Peut-être incarnez-vous malgré tout le type d'attitude, de manière de penser, qui provoquent de telles erreurs. Vous êtes apparemment si convaincus de savoir tout ce qui se passe que cela ne vous gêne pas d'accuser si largement, sans faire le moindre effort de s'en tenir aux faits pertinents quant aux affaires évoquées (des affaires ayant été instruites pendant plusieurs années ; donc des affaires où, contrairement aux délits jugés en comparution immédiates, les dossiers n'ont aucune raison d'être cantonnés aux propos tenus en garde à vue).
Je trouve cela déplorable.
« Bien sûr la garde à vue est un outil indispensable » ajoutez-vous. Accorder au conseil du mis en cause l'accès au dossier changerait fondamentalement cet outil, comme le soulignait le commissaire Masson devant la commission. Si cet outil est indispensable, il y a paradoxe à prendre le risque de le dénaturer complètement.
Pour ce qui est de le filmer, dans l'absolu ce ne devrait rien changer. Reste à voir si on est prêt à ajouter le budget nécessaire pour cela, alors qu'au même moment on peut constater des problèmes matériels effarants dans les tribunaux.
Inscrire noir sur blanc, sans équivoque, dans le code de procédure pénale que les questions posées par les enquêteurs et magistrats devraient systématiquement être incluses dans tout procès-verbal d'audition, que les propos (même vulgaires) des mis en cause devraient être tapées telles quelles sans aucune mise en forme, cela me semblerait normal, souhaitable, intelligent. Ce serait un bon moyen de s'assurer que le dossier rende au plus réaliste l'humain, sans pour autant envisager des coûts démentiels qu'on est loin d'être certain de pouvoir assumer.
Vouloir à tout prix de la vidéo ne me semble avoir de sens que si on est dans une logique de suspicion permanente à l'égard des fonctionnaires de police.
Responsabiliser magistrats et policiers, cela ne serait pas dénué de sens non plus. La commission disciplinaire n'a pas trouvé que Burgaud avait commis de faute disciplinaire, reconnaissant qu'il a instruit à charge uniquement. Donc la discipline prévoit qu'un acteur de la procédure pénale puisse ne pas respecter les principes directeurs de la procédure pénale sans que cela soit une faute. C'est une aberration qu'il convient de corriger.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 09 juin 2006 à 16:29
Et pourquoi ne pas prendre Dills comme exemple de ce qu'une garde à vue peut produire en matière de dérapage judiciaire ?
L'existence d'un seul "Dills" devrait intectuellement nous amener à penser que notre système n'est pas parfait et qu'il convient de le modifier...
Et n'en déplaise à certains ici, le problème de la garde à vue n'est pas étranger à l'affaire Outreau. Certes il n'est pas tout, mais il a contribué pour une part à ce désastre.
Bien sûr la garde à vue est un outil indispensable, mais la manière dont elle est menée en France ne fait pas honneur à l'idée que l'on doit se faire de la démocratie...
La nécessaire recherche de la vérité ne peut pas se faire par TOUS les moyens. Au nom de la recherche de l'a vérité j'ai bien peur que certains seraient prêts à tout justifier y compris ce qui ne doit pas l'être dans un pays comme le notre.
Rédigé par : nicolier | 08 juin 2006 à 13:00
Je sens que je vais devoir ouvrir un blog dédié à Marcel Patoulatchi pour lui permettre d'épancher sa bile contre le moindre de mes propos !
Marcel Patoulatchi ignore comment se passe une garde à vue : je l'en félicite. La description de la réalité ordinaire lui apparait dès lors comme un dénigrement. Il a la foi du charbonnier. Marcel Patoulatchi ignore qu'on retire ses médicaments à un détenu et pense que mourir en prison quelques heures après y être entré relève des lois de la nature.
Marcel Patoulatchi ignore que la France détient le double record d'Europe de policiers par habitant (1/252 en 97 contre 1/303 en Allemagne et 1/380 en Angleterre) et du faible nombre de magistrats (1 juge pour 100.000 habitants contre 3 en Allemagne), sans parvenir à faire baisser la délinquance, notamment les violences contre les personnes. Non, cela est du dénigrement et tout marche super bien.
Marcel Patoulatchi ignore beaucoup de choses et c'est ce qui fonde sa foi.
La garde à vue est l'héritière de la question ordinaire : la culture de l'aveu passe par la violence physique ou psychique. Dans ce cadre de culture de l'aveu, je ne conteste pas ce principe de la garde à vue qui, en altérant la satisfaction des besoins vitaux, rend plus vulnérable le gardé à vue. On peut alors espérer lui faire dire la vérité. A défaut, on peut la lui suggérer.
Alors passe pour Dils qui a bien mérité ses 15 ans de taule (Pourquoi l'Etat l'a-t-il donc récemment indemnisé ?), je n'ai jamais dit que tout se jouait lors de la garde à vue : j'ai dit le contraire en faisant remarquer que des aveux de garde à vue contestés lors de l'instruction sont régulièrement mis à l'écart par les tribunaux, démontrant ainsi le peu de fiabilité qu'on pouvait accorder à des aveux consentis sous la contrainte.
Le problème est que lorsque la personne est présentée au juge, dans une audience réputée contradictoire, le mandat de dépot est déjà prêt, la maison d'arrêt est déjà prévenue et que, dans cette première audience après la garde à vue, le suspect n'a pas encore accès à son dossier, ce qui est, pour le coup, anormal puisqu'il se présente à une audience contradictoire sans pouvoir assurer sa défense et qu'il va en prison sans savoir ce que contient son dossier. Donc, à quel moment doit-on avoir connaissance du dossier ? Dès le départ de la garde à vue ? Au moment de sa prolongation ?
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 08 juin 2006 à 10:52
Comment ne pas reconnaître la responsabilité des médias dans le désastre d'outreau? Comment l'amoindrir?
La recherche du sensationnel, source de profit, conduit les médias a charrier et exciter la vindicte populaire. Pleins feux sur les pédophiles! Puis : pleins feux sur les innocents!
Le phénomène a été très visible lors de l'audition - comparution du juge Burgaud. Je me souviens notamment de notre cher J. P. Pernaut repassant dans son journal, peu de temps avant la retransmission de l'audition du juge Burgaud devant la commission parlementaire, les extraits les plus "marquants" des témoignages recueillis de la part des acquittés d'Outreau devant cette même commission quelques jours plus tôt.
Rédigé par : Juju | 07 juin 2006 à 23:47
« La présence de l'avocat dès la première heure » en tant que conseil est déjà de droit.
Ce n'est pas cela que certains avocats désirent, c'est l'accès au dossier dès le début de la procédure, ce qui est très différent du simple fait de « recueillir une parole au départ de la procédure ».
« Une confiance aveugle en la police est aussi crétine qu'un dénigrement permanent » mais c'est pourtant un dénigrement permanent que l'on trouve dans votre description de « la garde à vue à la française ». Il y a donc parfaitement lieu de « polémiquer sur la place que les uns ou les autres veulent confier à la police » puisque certains, dont vous semblez faire partie, ont pris pour habitude de systématiquement dénigrer le travail de la police, sans aucune nuance et discernement.
Si on croit ce que vous dites sur la garde à vue, il faudrait dès à présent la supprimer, car elle serait systématiquement pratiquée de manière non conforme au droit et au code de déontologie de la police nationale. Si on croit ce que vous dites, il faut bien admettre, comme le disait monsieur Bilger, que le bon sens « serait de rendre de plus en plus malaisés le travail et la mission de la police », puisque cette dernière ne serait qu'un repère de tortionnaires.
Car, en effet, c'est le sens de l'accusation que vous portez, même si vous n'en avez pas conscience. Et, comme à d'autres reprises, vous ne vous encombrez pas de nuance en piochant vos exemples, en évoquant notamment le cas Dils, Dils qui réitera ses aveux à de multiples reprises devant de différentes personnes - hors présence des policiers l'ayant interpellé. Si l'affaire Dils est un exemple de la difficulté pour la justice de gérer les mis en cause incapables de présenter une défense valable alors qu'ils sont innocents (comme certains à Outreau, des accusés parfaits dont l'expression fruste ne fait qu'aggraver le sort, tel le jeune Legrand s'accusant de l'impensable sans songer que cela pèserait contre lui), il est peu honnête de faire croire que tout s'est joué pendant une garde à vue.
Qu'il est cocasse que ceux qui aiment critiquer la justice et la police en général s'encombrent si peu de mesure dans leurs accusations. De bien belles instructions que vous ne feriez, Jean-Dominique, en piochant des petits exemples en ne retenant jamais que ce qui apparaît à charge !
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 07 juin 2006 à 21:32
Je ne voudrais pas réagir à chaud sur un sujet aussi important. Toutefois, quelques remarques.
1. Les trois magistrats. C'est une foutaise si les rôles ne sont pas cadrés. Un magistrat d'expérience en imposera à ses jeunes collègues qui seront de facto ses stagiaires. Ou alors un juge fera tout le boulot qui sera avalisé par les deux autres accaparés ailleurs. On a vu ce que donnait la collégialité dans la chambre de l'instruction, qui avalise sans même lire le dossier. En revanche, si les rôles sont partagés (un juge instruit à charge, un juge à décharge, le troisième effectue la synthèse), cela devient plus efficace. Je n'ai pas vu cette disposition apparaitre dans les commentaires de ce rapport.
2. La garde à vue. Premièrement, elle n'est pas réservée aux suspects, loin s'en faut. Nombreux sont les témoins qui y sont soumis pour obtenir d'eux des informations ciblées. J'en ai moi-même été menacé parce que je ne disais pas ce qu'il fallait dire. Ensuite, la garde à vue à la française, c'est la privation de sommeil, la privation de nourriture, la privation de pisser, des cris, des injures, des menaces, alternant avec des négociations ou des marchandages (si vous dites ça, on oublie ça) bref tout ce qui peut amener un Patrick Dils à bout de force(il n'y a pas qu'Outreau dans la vie) à avouer ce qu'il n'a pas commis. Au point qu'aujourd'hui beaucoup de tribunaux acceptent de mettre de côté les aveux obtenus en garde à vue, lorsqu'ils sont contestés pendant l'instruction.
3. La présence de l'avocat dès la première heure est utile pour recueillir une parole au départ de la procédure et pour la comparer avec ce qui sera dit par la suite. Et cela n'empèche pas les policiers de conduire leur interrogatoire par la suite, sauf à vouloir cacher des méthodes violentes d'obtention d'aveux ou d'informations.
4. L'enregistrement. Ca c'est important. Cela nous évitera que la réponse "Heu..." soit traduite par le juge sous la forme "La personne confirme que M. Truc est bien un salopard". Mais on sait déjà, par l'affaire d'Outreau, que les enregistrements vidéo obligatoires ne sont pas faits (caméra en panne, etc.). Il faut donc des moyens et la volonté de s'en servir.
5. Il n'y a pas lieu systématiquement à polémiquer sur la place que les uns ou les autres veulent confier à la police. Une confiance aveugle en la police est aussi crétine qu'un dénigrement permanent : tout corps d'état doit être contrôlé, a fortiori lorsque celui-ci est détenteur de la force publique. Seuls les policiers douteux craindront un contrôle de leur action.
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 07 juin 2006 à 16:57
Je ne peux qu'approuver votre note et vous rejoindre sur l' idée " d'Etats généraux de la justice " .
Ces derniers devraient , à mon sens et au-delà des problèmes procéduraux et humains mis justement en lumière par la commission , se pencher également sur la notion de " politique pénale " .
Plus largement même , aborder une question de fond qui est celle de l'activité quotidienne des parquets , du " tout pénal " mené sans réflexion nationale sur l'incapacité actuelle du ministère public comme des juridictions répressives à absorber dans des délais raisonnables une foultitude d'infractions allant , pardon de caricaturer , de la miction sur la voie pubique à l'assassinat avec actes de barbarie .
Ce " tout pénal " , doublé de la généralisation du traitement en temps réel , conduit , sur l'ensemble du territoire national , les substituts à tenir , au téléphone , un rôle purement réactif souvent exempt du nécessaire recul et de l'indispensable réflexion qui devraient pourtant présider à leurs décisions .
Plus grave encore , cette volonté légitime d'apporter des réponses à toutes les procèdures dressées par les forces de sécurité les détourne - massivement saisis qu'ils sont de faits relativement mineurs -des affaires plus complexes auxquelles ils ne parviennent pas à consacrer le temps nécessaire .
Cette situation est topique dans les moyens et grands tribunaux et nos parlementaires gagneraient à assister à la journée d'un parquetier de permanence dans leur circonscription : des dizaines de décisions prises au terme de rapports oraux succincts allant du simple avertissement au déférement en passant par les médiations , convocations , CRPC , injonctions thérapeutiques , ouverture d'information , rappel à la loi , saisine de délégués ou de maisons de Justice ...
Le paradoxe , simplement apparent , est que l'usine à gaz que constitue aujourd'hui l'exercice de l'action publique a été créé par ces mêmes magistrats du parquet qui , dès les années 80 ,ont réalisé , suivis ensuite par le législateur qui a avalisé leurs pratiques , que leur rôle devait évoluer .
Mais , en 2006 , force est de constater que nos " SAMU" judiciaires embrassent trop et étreignent mal !
Rédigé par : Parayre | 07 juin 2006 à 10:47
A quand une commission d'enquête pour juger de la qualité du travail législatif fourni par nos parlementaires ou pour mesurer leur responsabilité dans le vote du budget du ministère de la justice?
J'adhère totalement au propos de Marie-Christine, de Fleurival et de Marcel.
Rédigé par : basba | 07 juin 2006 à 10:26
Concernant la garde à vue, j'ajoute que faire accéder au dossier à l'avocat de la défense (que ce soit au bout de la 24ème heure ou pas) pose de sérieux problèmes sur les fondements de la procédure. Est-il légitime que l'avocat de la partie civile dispose de moins d'informations ? Qu'est-ce qui se jouera là, sinon un procès ou une information anticipée ? En quoi est-ce déterminant, sinon pour couper court à toute procédure, au détriment évident de la partie civile ?
Vous avez raison de le souligner, aux yeux de certains, apparemment l'excellence démocratique d'un pays se mesure au retrait de toutes compétences à la police. On ne s'étonne pas que l'affaire d'Outreau suscite des discours sur la garde à vue alors que rien ne permet de dire que la garde à vue fut la cause de quoi que ce soit dans ce cataclysme.
Bien sur, certains mis en cause n'ont pas aimé leur garde à vue, ne s'y sont pas sentis compris. Mais la garde à vue est rarement choisie et n'est pas un simple moment de camaraderie. C'est un outil. Et ce n'est certainement pas l'outil qui les a conduit au tribunal, puisqu'entre la garde à vue et l'audience s'est déroulée une longue instruction.
La garde à vue est donc hors-sujet dans l'affaire mais pourtant on en parle comme si elle l'était. J'ai du mal à ne pas relier cette incohérence à un certaine tradition idéologique, celle de ceux qui pensent que la sécurité pour tous n'est plus de gauche (depuis quand ? et si nous parlions de Clémenceau ?), celle de ceux qui font "non" de la tête lorsque le ministre de l'Intérieur rend hommages aux fonctionnaires de polices blessés en service. Cette tradition sert la sanctification des avocats, qui ont eu beau jeu pendant leur audition devant la commission d'Outreau de disserter sur les 48 heures de garde à vue plutôt que de nous parler de leur propre rôle dans l'affaire au fil des mois.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 06 juin 2006 à 10:52
Ha s'il n'y avait qu'à la commission d'être jugée!!
Drôle d'aurore par chez moi.
Il faut venir la voir pour la croire.
Rédigé par : Fleuryval | 06 juin 2006 à 09:10
Quel réconfort de voir reconnaître la mascarade qu'est devenue la collégialité ! certes, l'être humain est faible mais je crois qu'au niveau où les magistrats veulent se situer, à tort pour certains, il est inadmissible de céder à la facilité sous prétexte d'un manque de moyens que l'on ne faisait pas grand chose pour caractériser objectivement avant que la LOLF vienne réveiller les consciences et obliger les chefs de juridiction a assumé des responsabilités qu'ils avaient tendance à oublier.
Rédigé par : Marie-Christine BLIN | 05 juin 2006 à 17:09