Il y a tout de même quelques petites choses qui retiennent l'attention en dehors de la Coupe du monde !
Le 3 juillet, un procès aux assises de Créteil s'est terminé par l'acquittement de deux accusés corses, Mariani et Menconi. Je me garderai bien de commenter cette décision de justice dont les débats sont parvenus épisodiquement à ma connaissance par l'entremise du Monde et du Figaro. J'entends encore, l'arrêt rendu, Me Dupont-Moretti féliciter, à la télévision, la justice d'avoir statué de la sorte et donnant généreusement des bons points à tous ceux qui, bien entendu, avaient participé à cette magnifique entreprise. Etrange comme on ne loue la justice que lorsqu'elle acquitte ! Comme elle condamne souvent, on comprend mieux pourquoi elle est si peu vantée.
Même l'avocat général a eu droit à sa part d'éloge médiatique. L'avocat le remerciait d'avoir su donner toute sa place au doute.
Si les échos sont exacts, je crois savoir que cet accusateur, à la fin de son réquisitoire, a laissé le jury totalement libre en lui laissant le soin d'arbitrer entre trente années de réclusion criminelle et l'acquittement. Il a présenté aux jurés l'alternative mais n'a pas choisi l'une de ses branches. Le jury a opté pour l'acquittement et l'avocat a dit naturellement qu'il était content du ministère public.
Mais quel était le point de vue de ce dernier ?Je suppose qu'offrant à l'esprit une telle alternative, l'accusateur penchait évidemment pour une incertitude telle qu'elle appelait l'acquittement au bénéfice du doute. Mais, alors, pourquoi ne l'avoir pas affirmé haut et fort ?
Je sais bien qu'il n'y a rien de plus vulgaire, pour un ministère public, que de vouloir être suivi à tout prix par des jurés et de se désespérer intellectuellement lorsqu'une contradiction forte lui est apportée. On voudrait être toujours à l'abri d'une pensée aussi médiocre mais l'honnêteté oblige à avouer qu'elle survient parfois et vous fait percevoir le procès comme un combat dont le gagnant doit être vous. C'est heureusement rare. Cette vanité qui vous envahit quand les jurés vous ont suivi, comme elle souvent remplacée par l'orgueil d'ouvrir la piste et de montrer le chemin ! Eclaireur vaut mille fois mieux que cette piètre anticipation sur ce qu'on croit deviner de la décision du jury.
Mais n'est-ce pas encore plus étrange dans la situation à laquelle j'ai fait réference ?
L'avocat général ne formule pas que ses réquisitions devront devenir l'arrêt, il souligne que l'arrêt donnera sens rétrospectivement à ses réquisitions. Même si, avec cette démarche, il est évidemment sûr d'être à l'unisson, il ne peut pas vraiment affirmer, au sens plein du terme, qu'il a été suivi mais plutôt : je vous ai suivis, votre arrêt sera le mien et je me défausse de ma responsabilité sur vous.
Non pas que je n'évalue pas à sa juste mesure le poids de la culpabilité, celui de l'innocence ou celui capital du doute, trop souvent négligé, sans doute parce que magistrats et avocats ne le définissent pas de la même manière. Pour les premiers, il y a une hiérarchie des doutes, de l'infime au substantiel, et chacun n'altére pas de la même manière le coeur de la preuve, quand il le touche. Il y a mille mystères périphériques et sans incidence sur l'argumentation principale et la charge centrale. Pour les seconds, tous les doutes ont une portée considérable et mêlés dans le même sac judiciaire, ils impliquent, à la fin, l'acquittement.
Là où je me distingue de mon collègue, c'est dans la nécéssité de choisir. Ce n'est pas au jury de le faire à votre place. L'avocat général doit toujours, en définitive, affirmer : la culpabilité, et c'est la proposition de peine, l'innocence, et c'est l'acquittement requis, le doute authentique et important, et c'est le souhait d'un acquittement destiné à le consacrer.
Non pas "votre arrêt sera le mien" mais "mes réquisitions seront votre arrêt".
Autrement, c'est une part, certes minime, de souveraineté qui est perdue. On n'en a pas tant qu'on puisse ainsi la gaspiller.
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Monsieur Patoulatchi, le mot " louer " un verdict continue de ne pas me convenir. Je veux vous dire à nouveau que des verdicts, quand ils sont implacables peuvent susciter, chez certains, dans la compréhension intime qu'ils en ont, un clivage violent. Oui,on peut être à la fois convaincu de leur justesse et en même temps, éprouver quelque chose de proche de l'effroi. C'est en ce sens que les mots d'un réquisitoire doivent se situer dans une exceptionnelle gravité et dignité. Parce que, ce qu'ils promettent, c'est d'abord la nuit. Je veux également vous dire que concernant le réquisitoire du procès en appel d'Emile Louis, j'avais adressé un message à Monsieur Bilger que je vous retranscris:
" Il y une autre satisfaction que je pensais être la vôtre hier soir mais vous en parler m’apparaissait , à ce moment-là , hors de propos et déplacé. Je conviens également que le mot satisfaction est totalement inapproprié mais j’ai cherché, et je n’ai pas trouvé le mot qui pourrait convenir le mieux. J’ai lu, ici ou là, quelques mots de votre réquisitoire dans le procès en appel d’E. L. Ils sont à l’exacte hauteur de ce que j’espérais . Je voulais vous le dire mais je ne sais pas si on peut dire cela à un avocat général. Car le pouvoir et les conséquences de ces mots sont à ce point gigantesques, que j’ai du mal à les évoquer avec sérénité et détachement. J’ai lu dimanche le très beau texte qu’Aragon avait écrit à la mort de Reverdy. Il parlait de la rancune inconsolable de Reverdy. Cette rancune inconsolable, en dépit du pire que représente E.L, je pense qu’elle le concerne un peu. Je crois que c’est bien et juste d’avoir dit qu’il était un malade criminel. Peut-on remercier un avocat général d’avoir dit cela ?
(pour la bonne compréhension, pour l'autre satisfaction, je pensais au 3-1 merveilleux de France-Espagne)
Vous voyez, remercier un avocat général, je m'étais déjà posé la question. Mais louer ou féliciter, ça, je ne m'en sentais pas capable.
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 08 juillet 2006 à 21:30
Proposer aux jurés un acquittement ou une condamnation à 30 ans de réclusion donne l'impression de se trouver dans un casino. Les jurés vont-ils proclamer « banco ! » à l'issue du délibéré ?
L'avocat général est-il un journaliste spécialement convoqué pour donner son avis ? Peut-on parler de réquisitoire, lorsque justement on requiert à la fois rien et à la fois le maximum possible ? Peut-on parler de réquisitoire alors que l'auditoire reste incapable de savoir ce qui est requis au nom de la société ? La sanction est-elle indifférente à la société ?
Vous dites justement que de telles réquisitions paraissent pencher pour l'acquittement. En effet, si l'avocat général envisage l'acquittement et s'y trouve indifférent, c'est que lui-même doute assez de la culpabilité des accusés. Mais si l'avocat général penchait en faveur du doute, que n'a t-il franchement requis en ce sens, pas par chemin de traverse mais très franchement et directement ?
Peut-être est du aux circonstances. Peut-être est-ce un égarement passager. Ou peut-être que l'avocat général ne vit pas sa profession comme une part de sa nature, un peu comme certains enseignants qui aimeraient être amis de leurs élèves ou certains policiers qui aimeraient être des entraîneurs de football. Les métiers d'autorité, les métiers qui demandent d'incarner, ne sont certainement pas à la portée de ceux qui se heurtent intérieurement dès lors qu'ils doivent porter un jugement au nom d'un groupe. Ces métiers sont assurément incompatible avec le voeux d'être aimé. Non pas que ceux qui incarnent l'autorité ne peuvent être aimés. Mais ils ne peuvent être aimés de tous, et certainement pas de ceux contre qui se fait le jugement - du moins à l'heure du jugement. N'est pas Créon qui veut, on en revient régulièrement à ce problème là.
Véronique, pour ma part je veux bien, sans problème, louer le verdict tombé dans l'affaire Emile Louis. Dans d'autres aussi. Une peine juste, aussi dure soit-elle, est une peine nécessaire. Je veux bien sacrifier la liberté et le confort de quelques individus lorsqu'ils ont fait montre d'une cruauté et d'une ignominie sans nom à l'encontre d'innocents ayant eut la malchance de croiser leur chemin.
A un degré moindre, je me dit qu'à force de ne pas condamner tôt lorsque des gamins dérapent, lorsqu'ils commettent des peccadilles, c'est comme si on les attendait au tournant, qu'on attendait qu'il fasse quelque chose de grave avant de leur donner une claque magistrale. Peut-être devrions-nous apprendre à nous féliciter de quelques justes sanctions, de quelques limites posées donnant au fautif la possibilité de se recadrer lorsque c'est encore possible.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 08 juillet 2006 à 12:48
Quand la justice condamne lourdement, il me semble délicat de " louer " un verdict. Car si le citoyen peut être d'accord avec celui-ci, dans le sens où une condamnation exprime l'échelle des valeurs et les interdits d'une société, mais aussi sa responsabilité et son devoir d'autoprotection , ce même citoyen sait que les années d'emprisonnement, et pour certains cas, les périodes de sûreté, ce sera aussi de la souffrance et une traversée des ténèbres. On peut intellectuellement et moralement être d'accord avec les réquisitions d'un avocat général. On peut aussi, quand le verdict tombe, être bouleversé par sa radicalité, car l'avenir, pour quelqu'un, quelque part, est pour longtemps, très longtemps clos . Féliciter alors la justice, non, on n'a pas vraiment le coeur à ça. En revanche, ce qu'on souhaiterait parfois exprimer , ce peut être une sorte de reconnaissance quand l'avocat général, sans rien céder sur le terrain de ses certitudes et de son évaluation de la peine, habille ses réquisitions de dignité. Je pense, par exemple, aux paroles prononcées par l'avocat général du Grand-Bornand. Je souhaiterais, par l'intermédiaire de votre blog, remercier ce magistrat pour certains de ses mots. Un article remarquable de P. Robert-Diard, dans Le Monde, les a évoqués.
Oui, un avocat général doit choisir et défendre son camp, non pas pour lui-même mais pour ce qu'il représente. La mission d'un avocat général n'est pas, me semble t-il, celle d'un énième juré. Face à la culpabilité,l'innocence ou le doute, une société , par l'intermédiaire d'un réquisitoire, se positionne, dit haut et fort son choix et l'assume. Reste cette très mystérieuse alchimie que j'ai un mal fou à comprendre ou à me représenter: comment un tout seul (ou une toute seule) peut-il représenter les intérêts d'un tout ensemble, avec ses multiples et ses infinies diversités ? Mais cela est une autre histoire...
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 07 juillet 2006 à 15:57
...Tel Buridan partagé ,comme son âne,entre sa soif de justice et sa faim d'ordre ... si vous retrouvez votre pusillanime collègue à la buvette du Palais ,puis-je vous conseiller de commander d'emblée le menu plutôt que de lui laisser le choix de la carte!...
Rédigé par : sbriglia | 07 juillet 2006 à 09:36