Le Monde, dans sa page consacrée aux grandes affaires, m'offre une bienfaisante entrée en matière puisque y sont traités deux dossiers criminels, dans lesquels j'ai requis trois fois. Emile Louis, en premier ressort et en appel. Magali Guillemot, en appel. Franck Johannès, au sommet de sa forme, évoque remarquablement les disparues de l'Yonne, la destinée d'Emile Louis et cette justice qui a tant déçu avant de se rattraper sur la fin. Le second article est plus décevant. Il reprend, comme il se doit médiatiquement, l'antienne du doute et souligne que l'accusée a obtenu une réduction de peine en appel, sans préciser que je l'avais sollicitée car, pour plusieurs raisons superficielles et profondes, Magali Guillemot m'apparaissait à la fois coupable et victime. Aujourd'hui, elle bénéficie d'une régime de semi-liberté qui, contrairement à certains épisodes procéduraux antérieurs, semble tout à fait justifié.
Dans Paris Match de cette semaine, un portrait de la major de promotion à l'Ecole de la magistrature est présenté dans la rubrique des écoles-phares anti-chômage. Cette jeune femme de 25 ans, bientôt juge des enfants - c'est la fonction qu'elle a choisie - me semble pleine de bon sens, sérieuse et équilibrée. Elle ne bouleverse pas, par ses réflexions, l'espace intellectuel auquel la magistrature est attachée. Par exemple, elle est, comme il convient, admiratrice de Robert Badinter et souligne la difficulté de rendre parfois certains jugements. Rien de révolutionnaire, donc.
Le seul petit malaise que j'ai éprouvé, c'est de l'entendre dire, à propos du procès fait à Burgaud et à toute sa profession, que " la caricature du jeune juge présenté comme inhumain était injuste". C'est gentil mais j'aurais attendu autre chose de cette promesse de magistrature que cette position défensive et corporatiste. A la place de ce repli, j'aurais préféré un enthousiasme critique. S'il est un moment qui soit savoir s'affranchir des contraintes et des servitudes d'une solidarité discutable et s'abandonner à la liberté et à la spontanéité de l'esprit, c'est bien celui de la jeunesse, état de grâce que la vie va altérer trop vite.
Cette première devra rapidement quitter ce réflexe qui est bien trop vieux pour elle.
Je lui souhaite, ainsi qu'à sa promotion, tout le succès qu'elles méritent. Elles vont entrer dans un monde passionnant. Leurs aînés n'ont pas été à ce point exceptionnels que plus rien ne reste à tenter et à accomplir.
Au contraire. La page de la justice est blanche.
Monsieur Schricke, il m’apparaîtrait très intéressant que vous développiez, même un petit peu, les dangers potentiels contenus dans les modifications proposées pour tenter d’éviter Outreau.
Il va de soi que le croisement et que le télescopage: enquêteurs, médias, associations, attentes irrationnelles ou irraisonnées de l’opinion publique, incohérences des politiques, services sociaux, fonctionnements ordinaires de la justice, etc. expliquent ce désastre.
Simplement, c’est l’institution judiciaire qui a fait office de « patron ». Il ne me semble donc pas illégitime qu’elle ait dû avoir à s’expliquer. Je pense très sincèrement qu’elle pouvait reconnaître, sans ambiguïté, ses erreurs collectives d’appréciation.
Tout comptes faits, le choix de René Girard serait assez judicieux comme président de « mon jury » pour « mon épreuve idéale ».
Monsieur Schricke, en plus des savoirs techniques indispensables, lit-on ou enseigne-t-on René Girard à l’ENM ?
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 30 août 2006 à 07:23
Refuser timidement la caricature du jeune juge inhumain, est - ce vraiment l'expression d'un conformisme condamnable, d'un esprit de corps indécrottable ?
Ne serait ce pas au contraire le point de départ nécessaire pour une véritable réflexion sur la faillite du système judiciaire ?
Faire d'un jeune juge, ou des jeunes juges, des monstres d'inhumanité (si j'ose dire ),d'immaturité ou de rigidité (c'est plus correct), voilà qui évite de s'interroger d'abord sur le nombre impressionnant de magistrats expérimentés, ensuite sur celui des enquêteurs, auxiliaires de justice, qui ont eux aussi échoué dans une analyse exacte du dossier .
C'est bien toute une institution, composée d'individus, qui n'a pas joué son rôle .
Certes, cette catastrophe doit amener à réfléchir sur le contenu de la formation à l'enm :
Celle - ci permet -elle de transmettre aux jeunes magistrats la rigueur nécessaire dans le recueil de la parole et dans l'interprétation des indices ?
C'est d'abord un savoir technique (juger doit être une science), mais aussi déontologique .
Cependant, dans l'hypothèse où ne sortent de l'enm que des jeunes magistrats rigoureux, vigilants, humains (espérons que ce ne soit pas une hypothèse...d'école), cet acquis n'est - il pas ensuite contredit par la réalité de ce qui leur est demandé dans les juridictions, c'est à dire une culture de la "rentabilité" au détriment de la qualité des instructions ou des décisions ?
Surtout : Les reproches faits à l'occasion d'Outreau peuvent se résumer dans l'incapacité de l'institution judiciaire, avant les assises, de briser la mécanique du bouc émissaire (je sais, c'est chez moi une obsession).
Plutôt que de faire des jeunes magistrats, à leur tour, des monstres, ne serait - il pas plus fructueux d'examiner chaque phase de la procédure judiciaire afin de déterminer en quoi elle maintient, voire renforce, cette mécanique ? Il ne serait d'ailleurs pas surprenant qu'un tel examen montre, paradoxalement, que les diverses modifications proposées de tous bords vont parfois dans la parfaite logique d'un nouveau renforcement de cette mécanique (ce serait trop long à développer ici ) .
Rédigé par : Alain Schricke | 28 août 2006 à 19:15
Je n'ai pas lu une position défensive et corporatiste dans cette phrase mais simplement une réaction désarmée à l'assaut d'irrationnalité subi par cette promotion entrée à l'école avec l'affaire Juppé(des bordelais insultant les auditeurs et des médias déjà omniprésents...) et sortant pendant les travaux de la commission parlementaire (la visite de parlementaires remontés et l'assaut médiatique...).
J' ai lu aussi dans cette absence apparente d'"enthousiasme critique" beaucoup d'humilité et de rigueur de la part d'une jeune magistrate qui découvre les rouages de la justice.
Auriez-vous lu une major d'un avis plus tranché et livrant en pâture à Paris Match les travers de ses aînés qu'elle vous aurait semblée bien imprudente et prétentieuse vu son inexpérience et la complexité des conséquences à tirer d'outreau...
Coincée par l'exercice médiatique, son seul tort, mais c'est en même temps son seul courage, est d'avoir accepté ce périlleux exercice médiatique dont elle ne pouvait sortir grandie.
Rédigé par : louise | 26 août 2006 à 23:42
Bonjour.
Serait il imaginable que l'un des critères d'entrée à l'ENM soit une certaine complaisance vis à vis de la magistrature et du systeme judiciaire dans son ensemble? Cela expliquerait peut etre deux choses:le corporatisme parfois excessif de certains magistrat ainsi que la difficulté qu'ils ont parfois à imaginer librement une nouvelle justice.Meme si il eu été interessant que cette surdouée(major depromo à l'enm, c'est pas donné à tout le monde) s'exprime plus longuement sur le sujet, vous êtes tout de même un peu sévère en qualifiant une simple phrase de position corporatiste et défensive.
Et quant à dire qu'en matière de justice la page est blanche, je pense plutot qu'il n'aurait pas fallu arreter d'ecrire.
Rédigé par : nicolas | 24 août 2006 à 03:08
Superbe " adresse " que celle que vous destinez à nos collègues débutants : pour avoir été, comme eux et vous , jeune - seule maladie dont on guérit un peu chaque jour - et magistrat durant longtemps , leur avoir , après des années de fonctions , prodigué de modestes enseignements à l'ENM pendant 36 mois , les avoir accueillis en juridiction(s) et maintenant les observer de ma retraite , je ne peux , avec vous , que les inviter à "l'enthousiasme critique " que vous attendez de leur part ...
Fidèle lecteur et annotateur de vos billets , j'apprécie particulièrement vos notes lorsqu'elles ont trait à la Justice et à ceux qui la rendent .Je suis fier , comme vous je pense , d'avoir appartenu au corps judiciaire mais je sais que ce corps , sans mériter certaines critiques injustes , se doit d'être vigilant sur ses comportements et notamment sur ses reflexes corporatistes ...
Il est, ce corps , à l'instar d'autres ,mais sa mission n'est pas banale , routinier , hiérarchisé dans le mauvais sens du terme , avide d'honneurs - médailles par exemple dont j'ai été moi-même et à tort récipiendaire - d'avancement et reproducteur de pratiques aujourd'hui inacceptables .
La société a évolué , l'institution aussi mais , elle doit parfaire sa mutation .
Vous avez , avec d'autres , commenté avec justesse " Outreau " : force est de constater que cette " affaire " ,exemplaire à bien des titres mais pas plus que d'autres , n'a guère , sinon de manière convenue , conduit l'institution à se remettre en cause .
Les salles des pas perdus de nos tribunaux résonnent de propos , encore aujourd'hui , sur la culpabilité des acquittés ...
Alors , après vous , je souhaite que la Justice et ceux qui la composent s'interrogent sur leur mission avec " enthousiame et critique " .
Puissions-nous être entendus !
Rédigé par : Parayre | 23 août 2006 à 22:57
Rien de bouleversant, en effet. Je n’arrive pas vraiment à me déterminer si le très convenu de l’article de Paris Match est plutôt lié aux mots de la journaliste ou à ce qu’on peut percevoir de la jeune première. Des personnes « pleines de bon sens, sérieuses et équilibrées » ne sont pas une denrée rare, très loin de là.
Vous vous rappelez, Philippe, ce que je vous avais suggéré en mai pour le concours d’entrée à l’Ecole de La Magistrature. Vous savez, c’était quand je croyais encore que les magistrats pouvaient reconnaître une grave erreur collective, c’était avant le rapport d’Inspection.
Ma suggestion:
sélectionner une page ou deux des " âmes grises " (Philippe Claudel) - ou autres titres de cette teneur mais qui donnent mal à la tête - . Demander une analyse obligatoirement TRES PERSONNELLE et TRES SUBJECTIVE du texte.
Les correcteurs : des romanciers, les très grands américains, par exemple, des essayistes, des philosophes (exp. Alain Finkielkraut, ), des scientifiques (exp. Claude Allègre), des éditorialistes (exp. Claude Imbert), des cinéastes, des metteurs en scène de théâtre, des artistes français et étrangers.
J’ajoute à ma liste Jean-Claude Guillebaud, Yolande Moreau (le film " Quand la mer monte ", totale merveille !) . Et tellement d'autres.
Par ailleurs, je suis bien consciente que cette épreuve s’ajouterait à celles déjà existantes. Une bonne technicité, c'est essentiel aussi.
Je renouvelle donc ma suggestion.
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 23 août 2006 à 20:30
Est-ce que, justement, cette disposition au suivisme frileux n'est pas la caractéristique de certaines vocations?
A un ami qui se plaignait de la frilosité d'un banquier face à un projet innovant, je répondais : "C'est pour ça qu'il est banquier, parce qu'il est frileux, sinon ton banquier serait chef d'entreprise."
De même le choix qui conduit un jeune à la magistrature me semble déterminé par une disposition forte au conformisme, une confiance dans l'ordre établi, une faiblesse de l'esprit de rebellion. De jeunes vieux, oui, mais devient-on juge sans cela ?
Ce n'est qu'après avoir pris beaucoup de baffes dans la figure, sans broncher, qu'un jour, le magistrat trouve, éventuellement, le chemin de la liberté pour se dresser contre les platitudes de sa condition.
Et vous-même, Philippe, quel jugement porteriez-vous aujourd'hui sur l'indépendance d'esprit du jeune Philippe Bilger de 25 ans ? Votre billet nous donne la réponse !
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 23 août 2006 à 09:38
Loin de moi l'idée de vouloir soutenir un Burgaud qui me semble indéfendable, dont la seule justification à l'absence de sanction disciplinaire semble être le fait que le législateur de 2000 à oublié de prévoir des sanctions en contrepartie de l'ajout judicieux dans le code de procédure pénale concernant le fait que l'instruction doit être faite à charge mais aussi à décharge.
Néanmoins, peut-on reprocher à la jeunesse de vouloir faire preuve d'indulgence à l'égard des aînés ? N'est-ce pas la marque de l'entrée en âge adulte, de l'acceptation de la complexité du monde, que de ne pas exiger du monde une perfection qui interdirait toute solidarité ? A partir de quand l'enfant devient-il adulte sinon lorsqu'il décide d'accepter l'idée que ses parents ne sont pas des êtres parfaits sans en être meurtri ?
Bien entendu, il est quelque peu troublant que l'on s'empresse de dédouaner celui qui à si manifestement trahi l'impératif de justice au coeur de l'institution qu'il était censé servir. Mais il serait tout aussi troublant d'être confronté à des esprits révolutionnaires persuadés que l'erreur manifeste puisse être bannie avec une simple bonne volonté.
Monsieur Bilger, votre liberté d'esprit vous a naturellement conduit à souvent prendre du recul par rapport à vos pairs ; c'est du moins l'impression que j'ai plusieurs fois eu en vous lisant. Il est bon d'avoir des critiques judicieuses faites de l'intérieur d'une boutique : elles sont toujours plus parlantes que celles de l'extérieur. Un ex-directeur de la CIA critiquant une politique gouvernementale des USA aura toujours plus d'intérêt qu'un altermondialiste tenant le même discours. Mais les institutions sont aussi fragiles et nécessitent parfois, je pense, quelques a priori de solidarité.
Il serait dangereux de s'interdire l'esprit critique, de ne pas dénoncer ce qui doit l'être. Mais il me parait souhaitable aussi d'a priori être confiant et optimiste, d'être en premier lieu solidaire tant que preuve n'a pas été faite que cette solidarité n'est pas mal placée. Les institutions ont besoin de critiques pour avancer, bien entendu, mais de critiques constructives. Or toutes ne le sont pas, de nombreuses en sont tout le contraire. Un esprit de solidarité me semble nécessaire pour éviter que les critiques destructrices n'aient pas trop d'effets, pour qu'il reste possible, d'ailleurs, d'avancer et de formuler des critiques constructives.
Sseriez-vous vraiment heureux de lire une major de promotion en pleine crise d'adolescence ?
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 23 août 2006 à 00:24