L'actualité, dans le domaine de mon blog, se précipite.
Je n'apprendrai rien à ceux qui me font le plaisir de me lire en disant que je n'aime pas le personnage d'Arno Klarsfeld. Comme je le prévoyais, la nouvelle mission qui lui a été confiée, comme la précédente sur la frénétique et historique repentance législative, tourne à l'aigre et ne servira nullement la recherche d'une solution pour les milliers de sans-papiers. Sa subjectivité forcenée l'a opposé à la CIMADE dont l'angélisme est agaçant mais la modération dans la forme et le dialogue exemplaire. On s'aperçoit que choisir un médiateur par pure tactique constitue un redoutable boomerang.
Depuis quelques jours, le débat le plus riche de sens concerne Günter Grass et la polémique née à la suite de l'aveu tardif de son enrôlement à l'âge de 17 ans (en 1944) dans les Waffen-SS. Si quelques-uns ne l'accablent pas et reconnaissent même le courage de son attitude, beaucoup déboulonnent sa statue et considérent que son autorité morale est ébranlée.
Je ne vois pas en quoi elle devrait l'être si on admet que l'existence n'est pour personne une trajectoire rectiligne, rigoureuse et sans ombres. Les jugements rétrospectifs portés sur des destinées brassées par le chaos et le désordre de l'Histoire me semblent représenter le comble de la facilité éthique et de l'arrogance intellectuelle. Mitterrand en a pâti et d'autres après lui. Au risque de me voir taxer de relativisme, je persiste à penser qu'on ne saurait prétendre décréter le Bien et pourfendre le Mal d'un comportement que si, témoin éloigné, on a l'outrecuidance et la bêtise de s'ériger en modèle. Qui peut soutenir aujourd'hui, que dans les mêmes épreuves qu'a connues Günter Grass, alors que celui-ci affirme n'avoir tué personne et être honteux de cette "souillure", il aurait forcément fait un autre choix ? La commodité des procureurs à retardement et des moralistes de chambre devient lassante. De tels procès sont d'autant plus choquants que parmi nos "consciences", il n'en est aucune - sauf à revenir, encore, à l'incontournable Raymond Aron avec lequel il valait mieux mille fois avoir raison! - qui puisse condamner les attitudes erratiques sans s'incriminer elle-même. Par exemple, pour les anciens communistes, qui pourrait m'interdire de mettre l'accent sur "communiste" et non pas sur "ancien"?
Günter Grass, dont je n'ai pas lu tous les livres et dont j'ai modérement apprécié nombre de ses prises de position, reste un formidable écrivain. Ce n'est pas au nom de son talent qu'il convient de le laisser en paix. Il serait indécent de donner une telle prime au génie littéraire. Ce qui m'importe, c'est que dans son grand roman "Le Tambour" et dans son récit " Le chat et la souris", Günter Grass n'a cessé de tourner autour de cette période honteuse du nazisme, avec une profondeur et une acuité qui montraient à quel point un aveu était là, prêt à émerger, caché par le style flamboyant et la création romanesque si proche de la vérité vécue et ressentie. Explicitement, il n'a pas été formulé. Mais murmuré en permanence, oui. Sa dénonciation de ces temps horribles l'embarquait clairement lui-même dans le naufrage historique, qui mettait ses pages à feu et à sang.
Et puis, pour tous ceux qui se sont assigné le rôle d'inquisiteurs virtuels, attendant avec une impatience suspecte l'apparition des déviations, Günter Grass a avoué avant même de publier ses Mémoires! Il a avoué et il s'est expliqué. On peut, certes, déplorer le retard et faire la fine bouche devant cette confession qui survient après tant d'honneurs justement octroyés au penseur et à l'écrivain. Mais, révélant si tard une honte et une souillure, j'ose dire qu'il a couronné sa vie de vérité et d'intégrité. Et de courage. Car était-ce si simple de prendre le risque, au cours de sa vieillesse, d'ouvrir les vannes, d'offrir à tous un moment de sa jeunesse, d'accepter l'incompréhension et l'indignation d'accusateurs qui n'avaient rien vécu et, au fond, de rendre des comptes à qui n'avait aucune légitimité pour les lui réclamer. L'important, c'est qu'il a eu cette audace, alors que rien ne le contraignait, de présenter un fragment inconnu de son histoire, avec le danger qu'il occulte le reste d'une vie remarquable.
Lech Walesa ne veut plus de lui comme citoyen d'honneur de la ville de Gdansk et le Pen-Club tchèque souhaite lui retirer un prix. Demain, d'autres s'acharneront sur lui. Sa volonté de vérité va lui être imputée à charge et on feindra de croire qu'en 1944, tout le monde, à sa place, se serait abstenu. Il y aura des pensées et des paroles libres pour le défendre. Mais pèseront-elles face à ceux d'autant plus empressés de brûler qu'ils ont adoré?
J'ai envie d'écouter vraiment ce que Günter Grass a décidé de nous dire. Pour comprendre, non pour juger. J'ai aussi envie de relire " Le Tambour".
Armand,
Il me semble plutôt délicat, voire inapproprié, de comparer le passé d'un homme et le présent d'un autre.
En 1981, parler du passé de Mitterrand auprès de l'Action Française et consort eut signifié parler du passé. Il n'y avait aucune raison de fond de ne pas en parler, néanmoins cela ne nuisait pas à la pertinence de propos qu'il pouvait alors tenir.
À la même période, parler des relations Bokassa / Giscard d'Estaing, ce n'était pas parler d'un passé ancien, presque d'une actualité (je dois dire que la chronologie exacte m'échappe quelque peu mais il me semble que c'était dans ces eaux là). Le présent en dit long sur ce qu'un homme est prêt à faire. Le passé ne peut-être pris que comme indice.
Voilà pour le principe.
Sinon, on devra aussi comparer les sujets. Avoir été militant à l'Action Française, avoir servi « l'État français » jusqu'en 1942, 1943, ça témoignait d'un engagement politique, bien que contestable. Avoir bénéficié des largesses d'un dictateur, ça témoigne assurément d'autre chose, quelqu'un de moins convenable de la part d'un président de la République.
Tous ces sujets ne sont pas franchement neuf dans l'historiographie française. S'ils ne sont pas toujours populaires auprès de la population, on peut néanmoins se demander si la soif de vulgarisation de certains est animé par le goût de l'histoire ou par des intérêts plus contemporains.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 13 septembre 2006 à 20:16
Il faut tout de même se garder de refuser d'étudier les domaines de l'histoire contemporaine qui gênent certains, au risque de ne pouvoir analyser exactement le présent. Mitterrand sans sa francisque et sans son amitié indéfectible pour Bousquet n'aurait pas été le même Mitterrand. Qui parlait de la francisque de Mitterrand en 1981 hormis la presse d'extrême-droite ? C'était pourtant aussi intéressant, pour le moins, que les cadeaux de l'Empereur Bokassa à Giscard d'Estaing.
La soif d'oubli ou d'ignorance de certains (dont d'ailleurs le fils Klarsfeld quand ça l'arrange, silencieux sur le Barreau de Paris sous l'occupation et avocat de la SNCF contre les familles américaines des déportés) ne saurait empêcher le travail de l'historien. Et de toute façon les historiens étrangers sont là pour faire ce travail quand les Français refusent de le faire.
Rédigé par : Armand | 10 septembre 2006 à 22:09
Marcel, vos positions au sujet de la discussion sur le « …juridiquement, c’est souvent plus juste que « l’état de nécessité »… » et sur l’utile et l’indispensable et l’inutile et le superflu, sont naturellement à prendre à considération, mais… méritent d’être débattues.
Je vous propose d’espérer avec moi une éventuelle note de Philippe qui aborderait l’état de nécessité et l’impérieux besoin, à mes yeux, pour la personne humaine, de ce que la société juge ordinairement superflu.
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 30 août 2006 à 05:17
Véronique et Alain, sur la question de la précarité,
On peut en effet s'interroger sur ce qui est juridiquement juste. Alain nous dit que certains usent de la dispense de peine concernant des vols à l'étalage commis par des miséreux. C'est vrai que cela parait relativement juste, en ce sens qu'il y a nette reconnaissance de culpabilité, sans pour autant enfoncer celui qui est déjà dans la panade. Néanmoins, théoriquement « la dispense de peine implique que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage est réparé et que le trouble résultant de l'infraction a cessé. Cela doit être effectif, et non seulement en voie de l'être comme dans le cas de l'ajournement » (Maréchal (Jean-Yves), Droit pénal général, Lille, 2005, p. 274).
Est-il juridiquement correct de dispenser de peine un individu de fait de circonstances qui ne vont guère changer après procès ? Le miséreux le restera à l'issue du procès, son reclassement n'est pas acquis, les conditions de la commission de l'infraction seront probablement toujours d'actualité. Dans un tel cas de figure, il m'est avis que le juge outrepasse son mandat.
Le juge est donc plutôt fondé à user de l'état de nécessité, qui est certes plus contraignant. Car, en effet, l'état de nécessité ne pourra justifier un vol de produits de luxe.
Alain nous dit que humainement, dans un cas comme dans l'autre, le résultat est le même. Uniquement si on oublie la prévention spéciale, la vertu que la sanction est censé avoir sur le condamné (et même d'ailleurs la prévention générale, l'impact symbolique de la sanction sur le reste de la société). Si on dit au condamné qu'il a fauté mais que sa précarité vaut excuse, il ne doit pas ressentir la même chose que si on lui demande de prouver qu'il a protégé un intérieur supérieur à celui qu'il a sacrifié, preuve qui impliquerait qu'il n'a pas réellement fauté, que la faute ne lui est pas imputable.
Symboliquement, humainement, le message est différent.
Quant à ce que la société juste nécessaire et ce qu'elle juge superflu, c'est évidemment relatif à la société dans laquelle nous vivons, mais cela doit être néanmoins guidé par le bon sens. Évidemment, dans un pays du tiers-monde où le lot commun est de manquer d'éléments vitaux, comme la nourriture, l'état de nécessité conduirait à dépénaliser de fait tous les vols de nourriture - ce serait intenable. Mais dans notre société, en France, le niveau de vie est suffisement élevé pour que l'on puisse établir des normes de bon sens, que l'on puisse distinguer le vital. Au contraire d'un pays du Tiers-Monde où d'emblée le vital n'est pas à portée de tous, où d'emblée la survie d'une large part de la population n'est pas assurée, en France le vital est à portée de tous, et quand bien même le niveau de vie en France s'élèverait, on ne pourrait pour autant proclamer nécessaire ce qui n'est pas vital.
Car l'état de nécessité, contrairement à ce que son nom suggère, n'indique pas une irresponsabilité pour tous les actes qui paraissent arbitrairement nécessaire. L'état de nécessité indique une irresponsabilité pour tous les actes nécessaires pour protéger un intérêt supérieur à l'intérêt sacrifié. Ce qui est « nécessaire » n'est donc pas au simple arbitrage du juge. Preuve doit être faite que l'acte commis était nécessaire pour protéger un intérêt supérieur. Or seule la protection d'une vie peut passer pour un intérêt supérieur à la protection d'un bien. De même que nul ne pourrait prétendre justifié un meurtre pour la protection d'un bien, l'acquisition d'un bien de luxe, qui donc ne protège aucune vie, ne pourra jamais paraître comme un intérêt supérieur, un acte relevant de l'état de nécessité. Là dessus, il n'y a aucune relativité, on sort de toute réflexion sur la représentation sociale de la précarité.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 28 août 2006 à 14:03
Je veux juste vous dire, M. Schricke, que votre réponse éclaire pour moi la notion juridique d’état de nécessité et me contraint à m‘interroger sur «… le juridiquement, c‘est souvent plus juste que « l ‘état de nécessité »… » .
Deux mots : ce qui m’intéresse dans la décision de cette femme juge, c’est la portée intellectuelle de sa décision. Elle nous fait réfléchir à la représentation que nous avons de la précarité. Elle nous incite à nous poser la question de ce que la société juge utile et nécessaire pour ces personnes et de ce qu’elle juge inutile et superflu.
Cette décision a peut-être fait , pour quelques-uns, beaucoup plus que bien des études pour ce qui est de la perception ou de la représentation que nous avons de la précarité
Mais ce pouvoir d’influence d’une décision de justice, quand elle est médiatisée, est très probablement sujet à discussion.
Et comme nous nous éloignons de Günter Grass, j’espère que ce blog abordera prochainement ce débat.
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 26 août 2006 à 12:08
Englebert, pour comprendre les magistrats de cette époque, il faut tâcher de réaliser qu'alors le concept d'obéissance aux lois était magistral. Auparavant, il n'était pas apparu de régime si fortement en désaccord par ses actes avec les critères moraux de son propre temps. C'est depuis cette période sombre de l'histoire que l'Armée et la Police considère que le subordonné doit désobéir à un ordre « manifestement illégal ». C'est après avoir entendu des Eichmann de tout ordre arguer qu'ils n'étaient que des rouages, des exécutants, qu'il est devenu flagrant qu'on ne peut se contenter d'être obéissant et légaliste en toutes circonstances.
Les magistrats d'alors ont certes obéi à l'État, mais ils ont surtout obéi aux Lois promulguées par l'État conformément aux règles de leur profession. On constate d'ailleurs que Vichy, qui cherchait souvent l'adhésion des structures classiques pour mener sa politique, sera amené à régulièrement légiférer pour pouvoir contourner l'indépendance de certains magistrats qui, bien qu'ils respectaient les lois racistes mises en place, persistaient à procéder selon l'habitude au stade du jugement, en étant pas spécialement expéditif (ex : création des sections spéciales, puis des tribunaux d'État, les sections spéciales ne condamnant pas à mort aussi systématiquement que l'aurait voulu Vichy, puis finalement, en 1944, des cours martiales de la Milice).
S'il est vrai que le corps des magistrats n'a pas connu le même filtrage après guerre, n'a pas clairement assumé ses responsabilité, n'a pas fait son mea culpa, au contraire d'autres corps de l'État comme la police, on ne peut pas pour autant grossir le trait en prétendant que les magistrats d'alors avaient bafoué les fondements républicains. On peut dire qu'ils n'ont pas su être fidèle à l'humanité plutôt qu'au lois, qu'ils ont été aveugle en ne voyant pas que Vichy avait tôt cessé de s'inscrire dans la continuité républicaine. Mais on ne peut pas dire que les magistrats furent des simples et obéissants pions de l'État, puisqu'ils sont resté dans les bornes des lois parfois au dépit de Vichy.
Et s'il est l'heure de mettre les pendules à zéro, peut-être devrions-nous aussi parler de certains barreaux qui acceptèrent comme une faveur de réintégrer des avocats juifs exclus par les lois racistes de Vichy, lois contre lesquels ces mêmes barreaux ne se sont pas du tout mobilisé (voire le contraire), sans toutefois reconnaître aux réintégrer de droits à la retraite. C'est à dire qu'encore aujourd'hui, en 2006, certains barreaux n'ont pas pleinement rendu justice à certains avocats juifs qu'ils ont radié au début du régime de Vichy, conformément aux lois racistes. Ca laisse songeur !
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 25 août 2006 à 11:16
Evidemment tout texte est réducteur donc nonobstant le raccourci « maladroit » des faucheurs d’OGM, il n’en reste pas moins la question d’un devoir de mémoire d’une institution.
Je vais donc et je m’en excuse, être certainement moi-même trop réducteur.
Mr Schricke , vous soulevez voire affirmez plusieurs assertions.
Hors comme en mathématiques où nous avons les axiomes qui s’acceptent ainsi, nous avons les théorèmes qui se démontrent…
La Justice est supra humaine, elle dépasse le cadre des nations, elle donne avec quelques autres grandes valeurs sa grandeur à l’Homme par rapport à l’animal.
Elle s’exprime à travers des systèmes judiciaires qui peuvent être différents même parmi les démocraties ou définies comme telles (voire l’absence de nouveau procès quand le mis en cause a été jugé par contumace - affaire Ségura et la Belgique, et a priori idem pour l’Italie avec Battisti-) .
Ce système judiciaire dans une république a des serviteurs, vous le rappelez en disant votre attachement « républicain ».
Alors pour faire court, je dirais et je vous rejoins sur la confusion nationale suite à la débâcle de 1940 et l’errance de magistrats honnêtes dont beaucoup en tant qu’officiers de réserve avaient risqué leur vie en 14-18, Vichy était-il un état républicain ?
D’autres serviteurs (les magistrats n’ont pas ce privilège unique) des grands corps de l’Etat, ont su dire non en conscience à un Etat « aux ordres » d’une dictature.
Jean Moulin, Préfet de la République, vous qui avancez le mot républicain, a su dire non, telle est la grandeur de l’homme, de cet homme face au système...
Que ces magistrats aient appliqué des lois anti-juives à titre d’exemple montrent leurs qualités de serviteur de cet « Etat », pas leur qualité de serviteur de la Justice, nuance fondamentale !
Je vous rejoins aussi mais que partiellement sur votre conclusion ou résumé, je vous cite : « Le juge n'est pas le serviteur de l'ordre établi, il fait son possible pour que l'application de l'ordre établi, quel qu'il soit, respecte les valeurs fondamentales et la morale de la société . »
Vichy ne respectait pas les valeurs fondamentales et ces hommes respectaient l’ordre établi donc cet ordre contre tout bon sens, contre tout sens élémentaire de justice !
Vous dites républicain et je réponds régalien, c’est pire à l’échelle humaine que de dire divin !
Voilà le devoir de mémoire que l’on attend de votre institution quand des hommes comme cet écrivain allemand ont ce courage de dénoncer leurs faiblesses alors que les institutions comme la vôtre ne l’ont pas encore fait…
Je n’abuserai pas de la générosité d’âme de notre puissance invitante sur ce blog, P. Bilger, donc pour être bref et par rapport à ce juge d’Outreau et la déclaration compassionnelle de sa future consoeur, major de l’ENM, je dirai qu’il va vivre la turpide humaine.
A savoir que l’on est trahi en premier par les siens. Les projecteurs des médias vaquant à d’autres affaires plus « vendeuses », les victimes restant victimes, c’est de ses pairs que viendront l’injustice et l’exutoire du système.
Après l’avoir soutenu et on l’a déjà vu lors de ce déballage télévisuel, le premier à le lâcher sera son procureur et les autres suivront…
Elle est facile mais je dirais : « le vilain petit canard ne deviendra pas le cygne… ».
Rédigé par : Englebert Hubert | 24 août 2006 à 22:02
Le dernier commentaire de Mme Raffeneau me fait découvrir que ma réaction aux questions posées par M. Reffait, sur les juges et Vichy, peut paraître vive . Loin de moi l'idée de lui reprocher ces interrogations ! Je tiens au contraire à le remercier de poser, je le répète, des questions très pertinentes, dont les magistrats, c'est sans doute vrai, évitent trop les écueils pointus .
C'est en débattant de ce passé, pas si simple non plus, qu'on peut entretenir la vigilance et la distance indispensables dans une fonction de pouvoir coercitif .
S'agissant de l'état de nécessité, c'est un exemple parfait du pouvoir laissé au juge, par les lois pénales générales ou la jurisprudence, de "qualifier" pénalement un fait en fonction de l'évolution des moeurs . Cette notion d'état de nécessité n'est pas du tout une invention récente (elle daterait du 19°, inventée....par un juge) . Elle est malheureusement dévalorisée par ceux qui confondent la "gravité" d'un acte délinquant, avec le caractère délinquant de l'acte lui - même . Il n'est pas rare que le juge dispense de toute peine, tout en le déclarant coupable, l'auteur d'un vol à l'étalage, en raison notamment de ses conditions de vie qui constituent une circonstance très atténuante. Humainement c'est le même résultat, et juridiquement c'est souvent plus juste que "l'état de nécessité" qui implique une impossibilité absolue de faire autrement .
Mais nous sommes maintenant loin de Günter Grass, sauf à examiner son passé sous l'angle des circonstances atténuantes .
Alain Schricke
Rédigé par : Alain Schricke | 24 août 2006 à 17:24
M. Schricke, il ne me semble pas anormal, suite à une note sur la confession de Günter Grass, de poser la question de la conduite de la magistrature sous Vichy. Évidemment, il n’était pas indispensable d’opérer un raccourci avec …les faucheurs d’OGM.
Le questionnement de Jean-Dominique m’a beaucoup intéressée. Votre réponse, sereine et pédagogique, m’intéresse également.
Juste cela: quand je ne veux plus désespérer de certains magistrats, quand j’essaie de réfléchir à mon tour sur la fonction et les missions des juges par rapport à la morale sociale, je pense à cette femme juge, il y a quelques années, qui avait estimé que la mère de famille qui avait volé dans un supermarché de la viande plutôt que des produits de première nécessité, genre pâtes alimentaires ou riz, l’avait aussi fait par nécessité.
J’aime vraiment l’interprétation, peut-être trop personnelle, de cette femme juge de la loi et de la morale sociale.
Rédigé par : Véronque Raffeneau | 24 août 2006 à 05:37
Je ne résiste pas au besoin de tenter une réponse à M. REFFAIT, qui veut faire des juges, dans ses questions trop pertinentes pour ne pas être impertinentes, des "vichystes" en puissance, pour la seule raison ....qu'ils sont juges .
Tout d'abord, comment peut -on assimiler la confiscation des biens juifs ou la condamnation de résistants, à la condamnation ....des faucheurs d'OGM . N'y a- t'il pas là une banalisation, bien sûr involontaire, des crimes nazis ?
Pour le reste, sur la question du juge serviteur de "l'ordre établi" et en conflit avec la morale sociale :
Alors oui, le juge est serviteur de la loi... mais serviteur en tant qu'interprète : L'essence du jugement c'est d'adapter l'application de la loi à chaque cas particulier, notamment, mais pas seulement, en matière pénale, en fonction de la réprobation ou de l'indulgence de la "morale sociale" pour ces faits .
Trois types de difficultés dans ce "service d'interprétariat" :
- La perception qu'a le juge de la morale sociale est - elle conforme à la réalité de la société ?
C'est non seulementla question de l'impartialité du juge (mettre de côté son opinion personnelle pour exprimer le jugement du peuple), mais aussi la question de distinguer les valeurs sociales profondes (la lente évolution de la perception de l'avortement ou de la peine de mort), des simples mouvements d'opinion éphémères, même s'ils sont majoritaires .
- Seconde difficulté : Le juge peut -il encore juger, quand la loi ne lui laisse pas la possibilité d'adapter la décision, en fonction de la morale sociale, au cas particulier ? Cette situation est bien sûr caractéristique des régimes autoritaires, mais peut se rencontrer avec des lois républicaines . Il me semble, très naïvement, que la réponse devrait varier....selon chaque cas, en fonction des conséquences plus ou moins dramatiques d'une application stricte de la loi, mais aussi en fonction des principes fondamentaux "supra légaux" (je sais, les juges de 1941 étaient les juges républicains de 1938) .
- Troisième difficulté : Le juge qui a prêté serment sous la république, qui a une profonde conviction républicaine (c'est l'immense majorité d'entre eux, je rassure M. REFFAIT !), peut -il exercer sa fonction sous un régime autoritaire ?
Je pense avoir déjà répondu à cette question plus haut, avec cette précision que le problème des juges sous Vichy est loin de se limiter au conflit entre légalité et morale sociale (car se posent les questions du serment, de la manière de servir son pays dans une crise de régime et sous une occupation territoriale, de la perception qu'avaient les français de Pétain, etc....).
Pour résumer : Le juge n'est pas le serviteur de l'ordre établi, il fait son possible pour que l'application de l'ordre établi, quel qu'il soit, respecte les valeurs fondamentales et la morale de la société .
Alain Schricke
Rédigé par : Alain Schricke | 23 août 2006 à 18:54
Tous ceux qui, ces dernières années, ont évoqué la question de l'enrôlement d'adolescents dans des forces armées (milices africaines, est-européennes ou moyen-orientales, rébellions asiatiques, mafias sud-américaines: étrange comme tout cela nous semble plus loin que l'Allemagne de 1945) n'ont jamais manqué de souligner la nature d'acte caractéristiquement abusif de ces enrôlements. Les parallèles avec le travail forcé et la prostitution n'ont pas manqué, illustrés par des entretiens avec des survivants de ces milices, qui rencontraient tous la même difficulté à parler de ce qu'ils avaient vécu, plus encore à le mettre en perspective. Ce qui me frappe dans la façon dont il est rendu compte de l'"affaire Grass", c'est le fait qu'aucun commentateur (me citera-t-on l'exception qui confirmerait la règle?) n'a semblé prendre en compte cette hypothèse: que parmi les motifs du long silence de Günther Grass, la honte (la honte d'avoir été la victime consentante d'un abus, la victime-complice, pour reprendre les termes de Serge Tisseron*) ait pu jouer un rôle plus important que le sentiment de culpabilité, a fortiori que l'opportunisme.
* S. Tisseron: Du bon usage de la honte.
Rédigé par : Rolland Barthélémy | 23 août 2006 à 14:33
j ai du mal posté mon précédent commentaire, car il n'est pas publié.
je disais simplement que les gens qui sont encore vivants, ma Mère, ne demandent pas de compte, mais signalent simplement que dire la vérité au crépuscule de sa vie en étant assuré qu'elle a été suffisamment fertilisée par tous les hommages possibles ne revèle pas un courage mais au contraire confirme une vraie forfaiture.
Laissons aux gens qui se sont engagés au même âge le droit d'être au minimum sidérés.
Rédigé par : La vieille | 23 août 2006 à 14:27
Avant-hier soir je regardais sur la Chaîne Parlementaire la rediffusion d’un débat sur le thème de la délinquance. Un débat précédé d’un reportage sur Orléans avec, comme souvent sur cette chaîne, la prise en compte de tous les points de vue, avec une objectivité qui fait honneur à l’information…
Parmi les invités on comptait l’inénarrable Arno qui a débité pendant une heure trente une collection imparable de lieux communs et d’âneries à couper au couteau.
Je ne veux pas être accusé de parti pris, mais je ne l’ai jamais je crois entendu sortir un truc intelligent. Je suis d’un œil distrait - pour ne pas trop perdre mon temps - ces prises de position depuis le procès Papon.
Ce chevelu-médiatisé-aux-yeux-clairs est une énigme de plus de ce que peut produire notre société comme "tête pensante". Navrant ! Dire que lorsque j’avais 16 ans j’étais un lecteur forcené et admiratif de Raymond Aron dont je guettais chacune des apparitions à la télé et les articles dans l’Express. Est-ce que mes deux enfants auront Arno à se mettre sous la dent comme seule référence intellectuelle de notre temps ?
Rédigé par : Eric Nicolier | 23 août 2006 à 11:57
A Jean-Dominique Reffait :
Je préfère que ce soit vous qui l'ayez dit que moi (c’est un des mes thèmes de prédilection) car l'absence de mémoire de la magistrature française (un des 3 piliers de notre démocratie) a amené des juges qui avaient condamné des résistants, à châtier des collabo. qui avaient peut être moins fautés qu'eux...
Par ailleurs ce type de magistrat âgé de 30 ans à l'époque par exemple, a été encore en fonction en 1974 et a donc pu formater les jeunes générations de l'époque, donc encore en poste actuellement... Cette faute institutionnelle est pour moi une des causes de l’impunité ou non responsabilité personnelle dans laquelle certains gens de robe se croient être.
Merci à vous Jean-Dominique de l'avoir écrit...
Merci à P. Bilger de permettre d'évoquer ce problème de faute et là pas par inversion dela charge de la preuve (Là, la culpabilité est établie)et je rêve à une réponse ethique enfin, sur ces faits historiques d'un grand magistrat comme lui ou d'autres qui passeraient par là...
Rédigé par : Englebert Hubert | 23 août 2006 à 01:46
On ne peut qu'approuver le refus des circonstances atténuantes qui seraient fondées sur le statut de grand artiste .
Cependant, il paraît vraiment difficile de clouer Gûnter Grass au pilori, même uniquement pour son silence prolongé, alors que sa difficulté pour se raconter était sans doute proportionnelle à la culpabilité qu'il ressentait .
Pouvons nous maintenant critiquer ses prises de position "morales" tranchées, alors que rien ne permet de douter de sa sincérité quand il refusait son pardon.....à ceux dont il était .
Cet aveu d'une si terrible faute sera décidément une nouvelle occasion de réflexion inquiète sur les causes de cette folie collective qui contamine les esprits les plus brillants (il l'était sûrement déjà à 17 ans), et sur la manière d'y résister .
Pour être moins pompeux, je me promets aussi de relire au moins le tambour, qui aura maintenant une toute autre résonance .
Alain Schricke
Rédigé par : Alain Schricke | 22 août 2006 à 17:04
Qui jettera la première pierre?
En accord avec vous;
Mike
Rédigé par : mike | 21 août 2006 à 19:25
Concernant la Waffen SS, il ne faut pas se fier aux simples critères théoriques pour décrire cette armée. A l'image d'un régime haïssant notamment les homosexuels indépendamment des tendances homosexuelles de certains de ses hauts-dignitaires, la Waffen SS au cours de la guerre, en particulier après l'ouverture du front de l'Est, dut recruter plus large que prévu, en ignorant certains critères.
On note en particulier qu'un certain nombre des habitants des territoires annexés (Eupen-Malmédy, Alsace-Moselle, etc) incorporés de force furent placés dans la Waffen SS et non la Wermacht.
Concernant l'idée d'un « système qui savait prendre un jeune homme gentil pour en faire le complice d'une industrie criminelle », on retrouve assurément la fable rousseauiste de l'homme né bon et corrompu par la société. On n'a toujours pas répondu à la question : qu'est-ce que la société sinon la réunion d'hommes nés bons, selon cette fable, et comment peut-elle ne pas être à l'image de leur bonté à ce point ?
Bien entendu, les jeunes allemands étaient formattés dans les HitlerJugend (obligatoires), tout comme le seront les gamins des pays satellites de l'URSS. Pour autant, étaient-ils tous nés bons ? Affirmer cela me parait aussi simpliste que dire que tous les allemands d'alors étaient mauvais.
(A propos du Tambour, le film vaux le détour aussi)
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 21 août 2006 à 10:45
Une question subsidiaire me taraude car, étant liée à ce sujet comme à l'actualité, je la pense fondamentale.
Nous savons que, à l'exception d'un juge, le juge Didier, tous les magistrats français ont prêté serment à Pétain. Y compris d'ailleurs, les 3 magistrats qui présidaient au procès dudit Pétain (On n'en avait pas trouvé qui fut vierge, on a donc pris des parjures...).
Aujourd'hui la question ne se pose pas dans ces termes, face à ce que nous connaissons de l'histoire. Mais elle se pose en d'autres termes. Lorsque le cadre légal, dans lequel se situait Pétain également, est respecté, le magistrat doit-il s'aligner à tout crin sur ce cadre légal ?
Dans les années soixante, on condamnait des femmes qui avortaient, ajoutant une détresse à une autre, parce que c'était légal.
Il serait vite dit que, o tempora o mores, chaque époque a ses ignorances et ses manquements. Car je parle ici, lorsqu'il s'agit de confisquer des biens juifs, de condamner des avortées, ou plus prosaïquement aujourd'hui, de condamner des faucheurs d'OGM (dont je ne suis pas), de causes qui disposaient, en face du cadre légal, d'une forte opposition morale. Je n'évoque donc pas, ce qui serait commode, l'évolution a posteriori mais bien de la confrontation entre l'ordre établi et les résistances morales ou sociétales.
1. un magistrat est-il par construction un serviteur de l'ordre établi (ce qui signifie bien : l'ordre établi quelqu'il soit, sinon, ce n'est plus un ordre établi !)?
2. si cela est - et c'est presqu'une nécessité pour garantir une stabilité de comportement des juges - peut-on donc en déduire que le juge est immobile dans un cadre légal qui évolue ?
3. in fine, ne peut-on pas logiquement déduire que, face à un cadre légal comparable à celui de Vichy, les magistrats d'aujourd'hui l'appliqueraient, comme le firent leurs prédécesseurs ?
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 20 août 2006 à 02:44
Rhâ, ça... Mais pourquoi les trackbacks ne passent jamais chez vous ? http://koztoujours.free.fr/index.php/2006/08/18/les-oignons-de-gunter/
Rédigé par : koz | 18 août 2006 à 15:08
Parce que, ce qu'il leur est arrivé, continue à nous déchirer. C’est-ce que j’écrivais sur le blog de Philippe.
Philippe a répondu:
« A nous déchirer. Surtout, quand on est de bonne foi et humble, à nous questionner ».
Le mot « questionner » m’apparaît tellement important.
Günter Grass a questionné, sans relâche, dans ses livres, les précipices qu’il a côtoyés. Je pense qu’il a plutôt bien navigué dans son sale gros temps intime et qu’il a fait de son mieux pour l’affronter.
C’est bien cela , à mes yeux, l‘essentiel de son aveu. L’idée que les « consciences morales » dont nous recherchons sans cesse les clairvoyances peuvent avoir aussi leur non-dits et leurs obscurités.
Il nous faut interroger inlassablement ce qui est arrivé à Günter Grass et à tous les autres de sa génération. Pour finir par nous questionner, nous, sur ce qui peut risquer de nous arriver.
Et les mots de Philippe, la bonne foi et l'humilité, sont des outils d'approche précieux pour qui tient à être un tout petit peu lucide.
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 18 août 2006 à 06:06
Bonsoir,
Il est difficile de juger effectivement un jeune homme de 17 ans surtout qu'en France par exemple, en 1940 ceux qui ont su dire non quand la majorité disait oui,n'étaient pas légion...
Même le Saint Père actuel aurait été dans la défense anti-aérienne.
Mitterrand a eu la francisque mais a priori De Lattre aussi...
Je préciserai quand même que la Waffen SS n'était pas les SS de la gestapo mais une troupe militaire d'élite et qu'il fallait y être volontaire pour y rentrer. Quoiqu'il en soit, un homme se grandit toujours à reconnaitre ses erreurs.Le principal n'est pas l'âge du moment de l'aveu mais l'aveu lui-même.
Là cet homme respectable, respecté, notable a su faire ce que certains n'ont pas encore fait (Mr Papon par exemple et pourtant le temps lui a été laissé...).
Le passé doit aider le présent et préparer l'avenir aussi il est dommageable de constater que l'individu est souvent plus courageux à reconnaître ses fautes que l'Etat et ses institutions.
Rédigé par : Englebert Hubert | 18 août 2006 à 00:29
Votre appréciation de Grass colle assez bien avec celle que vous aviez de Philippe Muray, et qui me choquait. Au moins, il y a de la cohérence : ce que l'on peut attendre d'un homme d'ordre !
Rédigé par : yves duel | 17 août 2006 à 14:25
SIMPLE rajout !
je rebondissais sur Parayre suite à cette pensée :
"Pour paraphraser Shakespeare - in Roméo et Juliette - sa confession équivoque me parait mériter une absolution équivoque ."
et merci à JDR/JDR de me sur-citer !
Rédigé par : cactus | 17 août 2006 à 11:20
relire LE TAMBOUR avec Monsieur Bilger à la baguette :
là oui oui , béni ou pas : ce ne serait plus du passé décomposé mais du plus-que-parfait :-)
ps : perso je lui préfère Arno , Le Belge pour son coté non people :-)
pps : clin d'oeil à JLG/JLG à propos de Shakespeare :
" j'adore quand ma Juliette me souffle,hé : " tu m'enmènes sur ta planète Alpha , mon Roméo ( non non je n'ai pas dit : " Béta" :-)
Rédigé par : cactus | 17 août 2006 à 09:02
« (…) est-ce que tu aurais pu reconnaître à ce moment-là ce qui t'arrivait ?(…)
Comme beaucoup de ceux de ma génération, je suis sorti de l'époque nazie dans une sorte d'abrutissement (...) »
A nos grands-pères et à nos pères, il est arrivé quelque chose de terrifiant.
Le long et douloureux silence de Günter Grass nous parle aussi du malheur de ces générations fracassées contre les idéologies criminelles du siècle dernier.
Sa confession tardive peut nous aider à comprendre un peu plus pourquoi notre monde ne s’en remet pas.
J’aime beaucoup quand vous nous dîtes que son « aveu », s’il n’a pas été formulé explicitement, a été murmuré en permanence. Ce murmure, à sa manière, est obsédant et assourdissant.
Pouvez-vous accepter que pour certains de votre génération et de la mienne, ce qu’il importe ce n’est pas exactement juger et condamner ?
Mais de tenter d'appréhender au plus près ce qui leur est arrivé. Parce que, ce qu'il leur est arrivé, continue à nous déchirer.
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 17 août 2006 à 07:26
"Et si j'étais né en 17 à Leidenstadt Sur les ruines d'un champ de bataille Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens Si j'avais été allemand ?" chante Goldman (qui a bien du mérite à se poser cette question).
Je vous suis pleinement et sans les réserves de mes prédécesseurs. Je trouve dommage seulement que cet aveu ne soit pas intervenu plus tôt : Grass aurait eu alors plus de force pour démontrer la perversité d'un système qui savait prendre un jeune homme gentil pour en faire le complice d'une industrie criminelle. Car toute l'histoire du nazisme est comprise dans cette révélation : sans ces dizaines de milliers de jeunes ou moins jeunes qui, sans être des nazis fanatiques, ont suivi le mouvement par on ne sait quelle quête d'idéal ou de reconnaissance, la tragédie nazie n'aurait pas été possible.
Grass a donc tort de se dédouaner en disant qu'il n'a pas tué, car les tâches qu'il accomplissait permettaient à d'autres de tuer, parce qu'il fut un rouage volontaire dans l'industrie criminelle. Sa stature lui interdit de se comporter comme un Papon.
Non, son autorité morale n'est pas atteinte et pourquoi le serait-elle ? Au nom d'une grave faute commise à 17 ans qu'il a, comme vous le dites, continuellement disséquée dans son oeuvre ? Qui sera le juge ? Ne vaut-il pas mieux profiter de cet éclairage nouveau, et lui savoir gré de l'apporter alors qu'il n'y est pas contraint, pour re-examiner rétrospectivement son travail et son influence ? N'a-t-il pas contribué fortement, dans l'Allemagne des années 60, à faire émerger la conscience enfouie ? Nous apprenons aujourd'hui qu'il s'agissait aussi de sa propre conscience et ça n'en fait guère qu'une de plus ajoutée à des millions d'autres de l'époque. Est-ce que nous nous rendons compte, nous autres français (ou polonais, tchèques), de l'importance considérable de l'oeuvre de Grass en Allemagne? C'est LE grand écrivain, adulé ou détesté mais central.
Et puis que gagnera-t-on à lui faire ce mauvais procès ? Veut-on qu'en Allemagne les esprits qui ont contribué à la catharsis deviennent illégitimes ? Pour faire place à quoi et à qui ?
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait pour Cactus | 17 août 2006 à 04:19
Je partage la majeure partie de votre note mais " l'affaire Günter Grass " ne concerne pas tant l'engagement volontaire dans les Waffen SS de cet écrivain que sa révélation tardive ...
Pourquoi cette procrastination alors même que l'intéressé , depuis de longues années , se montre intraitable et donneur de leçons ?
Remémorons-nous qu'il avait vertement critiqué le Président Reagan et le Chancelier Kohl lorsque ces derniers s'étaient rendus ensemble au cimetière de Bitburg motif pris qu'y étaient inhumés , certes aux côtés de soldats américains et allemands , des membres de la Waffen SS ...
Pour paraphraser Shakespeare - in Roméo et Juliette - sa confession équivoque me parait mériter une absolution équivoque .
Rédigé par : Parayre | 16 août 2006 à 22:21
"Je n'apprendrai rien à ceux qui me font le plaisir de me lire en disant que je n'aime pas le personnage d'Arno Klarsfeld"
Marrant : je n'avais pas besoin que vous l'écriviez pour en être parfaitement certain.
Comme vous (mais j'extrapole peut-être un peu), bien que l'angélisme de certaines associations, leur absence d'exposé clair de leur vision de l'immigration, et les outrances de certaines, m'amèneraient volontiers à défendre, par action-réflexe, la politique de Nicolas Sarkozy, le choix d'Arno Klarsfeld m'atterre.
Je partage votre appréciation de la CIMADE. On peut ne pas être d'accord avec leurs positions, mais elle les exprime sincèrement et avec une honnêteté que je ne reconnaitrais pas au "RESF" et à ses positions idéologiques.
Sarkozy l'a choisi par "pure tactique" mais, précisément, je crains que ce ne soit un choix tactiquement erroné qui ne fait qu'appuyer les reproches faits à Sarko de privilégier la com' à l'action. Je l'avais déjà écrit mais Klarsfeld, le people-paillette est pour moi l'archétype de la superficialité.
En ce qui concerne Günter Grass, je suis partagé. Je citerais volontiers une phrase découverte récemment et qui m'est chère :
"les bonnes consciences que l'on polit sur l'infamie des autres me font horreur" (H. Denoix de Saint-Marc)
Ceci étant, l'absence d'explication donnée par Günter Grass au motif qu'elle se trouve dans son livre me dérange un peu. Je veux bien comprendre que certaines choses méritent une explication écrite, mieux formulée, pensée, argumentée, mais la situation appellerait tout de même quelques commentaires. Au moins assumera-t-il lui-même les conséquences de cette révélation, plutôt que d'espérer l'emporter dans sa tombe. Au risque, d'ailleurs, qu'un historien ou un journaliste, ne viennent la ressortir lorsqu'il ne sera plus là pour se défendre.
En somme, je reste partagé, incapable d'avoir un avis sur la sincérité la démarche de Grass.
Rédigé par : koz | 16 août 2006 à 15:33
Votre jugement sur Günter Grass, emprunt de pardon, fait tout de même l'économie de la stature morale du personnage.
Il n'a pas dédaigné les honneurs, et les a recherché, même. Et il s'est érigé en modèle, à sa façon.
Vous vous plaignez des professeurs de morale - moraliste est un abus de langage, ici - mais Günter Grass en était un. Il n'est pas si injuste que ses élèves lui en demandent compte aujourd'hui.
Patere legem quam ipse fecisti, en quelque sorte.
Au reste, le premier juge de Günter Grass sur ses actes est bien lui-même, qui s'est abstenu de faire état de son histoire, et a menti même.
Rédigé par : jules (de diner's room) | 16 août 2006 à 14:55