A la suite de mon billet "Quelle semaine !", plusieurs commentateurs m'ont fait le reproche de fuir le débat, de demeurer dans un prudent atermoiement et de me contenter de généralités sans prendre parti. En réalité, il me semblait que la situation était si complexe, que la polémique initiée par le ministre d'Etat avait suscité tant de remous et de réactions qu'il aurait été maladroit de prétendre affirmer de suite un point de vue. La note critiquée par certains était donc de scrupule, d'attente et de précaution tant la problématique de ces derniers jours était riche. Aujourd'hui on y voit plus clair même si je refuse l'approche purement corporatiste qui a coalisé beaucoup de mes collègues contre Nicolas Sarkozy. Il faut dire que ce n'était pas la première fois !
J'ai conscience que s'engager sur un chemin peu fréquenté alors que sur la grande route se trouve une communauté professionnelle persuadée d'être agressée représente une démarche pénible qu'à la longue j'aurais pu abandonner. Rien de pire que de donner l'impression d'une opposition mécanique au gros de la magistrature, d'une dissidence intellectuelle constante par rapport à la réflexion majoritaire. Mais, précisément, si j'avais succombé à la faiblesse de rejoindre la masse seulement parce qu'elle était la masse, j'aurais éprouvé alors la certitude de n'être plus magistrat selon les critères qui définissent à mon sens cette fonction et qui tiennent d'abord au courage et à la liberté. Qu'on comprenne bien que cette attitude n'est inspirée par aucun désir de provocation - dans notre corps, on est vite qualifié de provocateur !- qui me situerait au-dessus de mes collègues alors que, loin de cracher dans la soupe, je la mange avec eux. J'ai constaté d'ailleurs avec bonheur que dans Libération d'hier, deux magistrats, esprits indépendants et stimulants, Didier Gallot et Jean de Maillard, avaient écrit une tribune certes apocalyptique, qui appelle des réserves mais qui a l'immense mérite, en ces temps de pensée unique, de dénoncer des magistrats "pitoyables...crispés dans une défense sectaire".
Le rapport du préfet de Seine-Saint-Denis dénonce, dans le domaine de la justice des mineurs à Bobigny, le faible taux d'incarcération en dépit d'événements violents et dévastateurs, en même temps qu'il met en cause le recrutement policier. Quel citoyen ne se serait pas ému devant de tels constats ? A plus forte raison le ministre d'Etat responsable de la police et désireux de lui montrer que la justice n'est pas exempte de tout reproche. Ce n'était pas seulement la personnalité politique qui s'exprimait mais la voix d'une multitude de citoyens, les sondages ultérieurs l'ont manifesté d'une manière éclatante. Le terme "démission" utilisé était sans doute trop fort, blessant pour une catégorie de magistrats qui avait le sentiment d'accomplir sa tâche dans des conditions difficiles. Mais au fond, y avait-il matière à s'indigner comme on l'a vu ? D'aucuns, notamment un représentant du Syndicat de la magistrature, n'ont cessé d'évoquer, comme un leitmotiv, une atteinte grave à l'indépendance des juges. Je ne vois pas où elle réside, même en poussant au noir le propos de Nicolas Sarkozy. Il formule une critique, il ne s'immisce pas dans l'activité des magistrats, n'influence pas leurs décisions, encore moins les dicte. Il est non seulement légitime mais souhaitable que dans un dialogue vigoureux, dont la démocratie ne peut que s'enrichir, le politique et le judiciaire croisent le fer sur les problèmes importants que pose, par exemple, le fonctionnement de telle ou telle juridiction ou les pratiques sujettes à caution d'une justice des mineurs systématiquement compassionnelle. Si une telle intervention se voit taxer d'offense intolérable à la séparation des pouvoirs, cela aura pour conséquence, en privilégiant une conception formelle et abstraite de l'Etat, d'interdire tout regard d'une structure sur l'autre, d'une autorité sur sa voisine, chacune étant enfermée dans son monde clos et la société devenant une juxtaposition d'entités séparées au lieu de demeurer une unité créatrice pour le meilleur et pour le pire.
Si la réaction des chefs de la Cour de Cassation a été elle-même conforme à ce que le commun des magistrats espérait - et de fait, pourquoi ne pas admettre que, comme le ministre de l'Intérieur était dans son rôle de "poil à gratter" et d'aiguillon, le Premier président et le Procureur général étaient dans le leur en protestant ? -, on peut tout de même regretter qu'au lieu de la réplique directe ait été privilégié le recours au président de la République. Lui qui, quelques jours auparavant, était accusé d'avoir nommé un Procureur général à sa solde à Paris ! Querelle au demeurant partisane et indigne.
Une réunion s'est tenue hier au ministère de la Justice dont on peut évidemment penser qu'elle n'aurait jamais eu lieu si Nicolas Sarkozy n'avait pas auparavant lancé ce brulôt avec le dessein avoué de faire bouger les lignes. Cette réunion a rassemblé, pour traiter de la justice des mineurs à Bobigny, les plus hauts responsables de la cour d'appel et du tribunal, notamment le président de celui-ci, Philippe Jeannin, remarquable magistrat que j'ai connu en stage quand il était auditeur de justice. L''attention judiciaire a été focalisée sur Bobigny, on a reconnu que le département de la Seine-Saint-Denis n'est pas ordinaire et mérite des investissements exceptionnels. Une seule absence remarquée, celle du Président du tribunal pour enfants de Bobigny qui semblait démontrer par là même à quel point ses préoccupations étaient éloignées de celles des participants à la réunion de Paris, sensibilisés à la seule crise judiciaire du ressort.
Il faut se féliciter, malgré les apparences, de cette semaine qui, après le tumulte et grâce à la provocation et au coup de boutoir d'un ministre, a placé la juridiction de Bobigny au premier plan et, une nouvelle fois, ancré la justice au coeur du débat démocratique.
Plusieurs constats:
-il y a une délinquance juvénile très importante en France
- personne ne sait comment la résoudre
-la prison ne résoud pas cette délinquance
-une jeunesse des quartiers à la dérive...
au lieu de mettre le feu aux poudres (bien que Nicolas Sarkozy ait peut-être raison sur le Président du tribunal pour enfants...) ne serait-il pas temps de se conduire en adulte et d'avoir une conduite sensée.
Il serait bon de réfléchir aux problèmes et d'essayer d'y apporter des solutions constructives et non utopistes!
En France, on fait tout à l'envers, on revendique ou on arrive au clash alors que le problème est connu et qu'il aurait fallu lui apporter des solutions bien avant!
Je pense que le déclin de la France n'est pas une fausse idée...
Réveillons-nous...
Rédigé par : marie | 03 octobre 2006 à 09:58
Une institution dont tous les membres ont la même formation et la même expérience est-elle capable d'indépendance? N'est-elle pas en fait sous la dépendance des idées dominantes de son microcosme? cette auto-dépendance est bien sur une définition assez précise de l'indépendance, mais sans cet ajout essentiel et créateur qu'est la liberté.
Cette tentation d'auto-dépendance se retrouve dans toutes les administrations et s'il n'y avait pas là défaillance l'administration se suffirait à elle-même en despote éclairé : le rôle du politique est de la bousculer pour l'obliger à reconsidérer sa façon de voir, en conséquence là où l'administration remplit bien son office, là où ne s'exprime pas de plainte sociale,il n' y a pas de place pour le débat politique, et donc pas d'intervention ni électorale, ni politique.
Rédigé par : JMG | 02 octobre 2006 à 11:43
Même sans punition, j'ai essayé de lire le blog du Président du tribunal pour mineurs de Bobigny. Mais il n' y a rien à faire, la sensualité intellectuelle, c'est très important. D. Barella sur le forum, mardi, c'était pas mal ça. Mais vraiment, c'est ici , que c'est le plus et le mieux.
Rédigé par : Véronique pour sbriglia | 01 octobre 2006 à 07:47
A Raphaël
"J'ai vu une personne mise en cause dans une tentative de vol de vélo attendre 20h pour que le parquet donne sa réponse pour les suites à donner !! (Avertissement)"
Moi,dab, j'ai lu sur mon journal régional (je conserve tous mes journaux,donc je pourrais retrouver l'article narrant cette affaire) ,il y a quelque temps,qu'un magistrat, depuis son propre bureau et par la fenêtre, avait aperçu un individu,dans la rue jouxtant le palais de justice, faire main basse sur son propre vélo!
Coopération exemplaire et immédiate,entre justice et police,le vélo a été aussitôt récupéré et l'emprunteur ,reconnu par le propriétaire du vélo naturellement, condamné dans des délais records,en comparution immédiate.
Alors quand la justice veut,elle peut...N'est-ce pas?
Rédigé par : dab | 29 septembre 2006 à 15:44
Cher Archibald,
J'ai vu une personne mise en cause dans une tentative de vol de vélo attendre 20h pour que le parquet donne sa réponse pour les suites à donner !! (Avertissement)
J'ai entrevu le bureau du procureur : j'ai eu du mal à trouver le bureau derriere le dossier !
Oui, la justice n'a pas assez de moyens !
Rédigé par : Raphaël | 29 septembre 2006 à 01:01
pas de réponse d'Eolas???
Rédigé par : jean | 28 septembre 2006 à 23:24
J'apprécie votre position qui donne un peu d'air après le déferlement de reproches qui sont tombés sur le ministre.
Il est agaçant de devoir entendre que la séparation des pouvoirs a été atteinte par ses propos. Où est l'atteinte à la liberté d'appréciation des juges? Tant que Sarkozy ne rédigera pas les attendus et les décisions de justice ou qu'il influencera ces mêmes décisions on ne pourra pas parler d'atteinte à l'indépendance de la justice.
Pour revenir à la réaction de Raphaël je ne vois pas en quoi le gouvernement n'a pas offert plus de moyens à la police et à la justice? Pour la justice je dirais que c'est normal puisque ce n'est pas son ministère. Mais le gouvernement à fait des effort de ce point de vue. Un seul exemple c'est le nombre de places en prison construites. Il y a plus de places construites sous ce gouvernement que sous les vingt dernières années.
Oui les efforts doivent être accentués mais cela ne doit pas empêcher de critiquer des magistrats qui utilisent leur décisions de justice pour faire de la politique.
Plus d'infos: http://desirsdereaction.over-blog.com
Rédigé par : Archibald | 28 septembre 2006 à 16:12
Sarkozy a dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Toutefois le problème de la délinquance ne se résoud pas, à mon humble avis, que par l'incarcération. Cette délinquance de Seine-Saint Denis c'est l'échec des politiques, des éducateurs, des enseignants bref c'est notre échec à tous.
Rédigé par : NPC | 28 septembre 2006 à 15:39
Je vais citer Guy Carcassonne, professeur de droit constitutionnel, interrogé par Jean-Baptiste de Montvallon, pour le Monde, après l'affaire dite d'Outreau :
"Pendant un siècle, il y a eu une alliance objective des juges et des politiques contre les journalistes. Puis, dans les vingt-cinq dernières années, une alliance des juges et des journalistes contre les politiques. On en arrive, maintenant, à une alliance des journalistes et des politiques contre les juges."
En usant de cette "mode", le ministre d'Etat essaie de sortir son épingle du jeu en rejettant la faute sur la justice au lieu de donner de vrais moyens à la justice comme à la police. En France, la justice coûte 28 € par an et par habitant. Pour nos voisins allemands : 58 € par an et par hab...
Rédigé par : Raphaël | 28 septembre 2006 à 14:56
Je crois que non, vous ne vous trompez pas.
Rédigé par : Véronique pour Jean-Dominique | 28 septembre 2006 à 13:45
Je soupçonne Philippe Bilger de guetter dans l'actualité judiciaire ou politique en liaison avec la justice tout ce qui met les pieds dans le plat. Qu'importe si les pieds ne sont pas dans le bon plat, le bazar provoqué ne pourrait qu'être révélateur d'évolutions nécessaires. Je comprends assez cette attitude, persuadé qu'un désordre précède toujours une redistribution des cartes.
J'ai en effet l'impression, en lisant ce deuxième billet, que notre hôte se balance pas mal du bien-fondé des propos sarkoziens, l'essentiel étant que ça gratte certaines fesses trop langoureusement avachies dans un conservatisme institutionnel. Le style condottiere de Sarkozy le Magnifique, avant qu'il ne finisse en Lorenzaccio, colle assez bien à ce proverbe italien : "Si non e vero, e bene trovato" et qu'importe le flacon en verre fumé, recyclé et déformant pourvu qu'on ait l'ivresse du vrai débat, de la redéfinition radicale de ce que doit être une institution judiciaire dans une démocratie vivante. Me trompe-je ?
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 28 septembre 2006 à 11:48
Tout ceci me semble bien alambiqué.
Soit les magistrats de Bobigny disent le droit, tout le droit et rien que le droit et tout va bien.
Et Sarko est un démago.
Et c'est la loi qu'il faut changer!
Soit les magistrats de Bobigny appliquent une justice "de classe","de gauche", en refusant de dire le droit.
Ce que j'aimerais que l'on me prouve.
On parle de laxisme.
Je veux des exemples.
Please des faits avant l'idéologie.
Merci.
Rédigé par : Jean Pierre Chaume | 27 septembre 2006 à 22:14
"Aujourd'hui on y voit plus clair " dites-vous !
normal , non : certains vous ont entrevu dernièrement passant en une belle Fiat décapotable !!!!
( ps : j'ai eu peur en lisant votre titre du jour : lisant Bobobigny j'ai cru que vous repassiez une couche sur Renault :-)
Rédigé par : cactus de Lux | 27 septembre 2006 à 18:57
Je comprends votre volonté de vous écarter de certains réflexes corporatistes.
Je me joins à egdltp pour vous recommander la lecture de la note de Jean-Pierre Rosenczveig, , "Pourquoi je n'étais pas place Vendôme", (http://jprosen.blog.lemonde.fr)
Je vous conseille de lire également sa note intitulée
"Démissionnaires ou missionnaires?"
Cela modifiera peut-être votre jugement sur cette réunion et la polémique lamentable d'un candidat en difficulté sur son bilan d'homme de l'ordre.
Dernier conseil de lecture : outre l'inévitable Eolas, ce billet de l'excellent Jules de Diner's room : http://dinersroom.free.fr/index.php?2006/09/22/216-la-demission-des-journalistes
Rédigé par : Candide | 27 septembre 2006 à 15:38
Eh bien le moins que l'on puisse dire, c'est qu'un magistrat qui ne va pas insulter "l'ignoble Sarkozy" est une chose sacrément rare ces temps-ci. Enfin on devrait plutôt dire un des magistrats qui ne "suit pas le groupe" comme vous dites, vu que vous ne devez pas être le seul.
Enfin, si finalement cela aura eu le mérite de faire passer Bobigny au premier plan médiatique et de permettre de redresser un peu une situation qui en a bien besoin, je doute toutefois que cela ait été le but premier du ministre de l'Intérieur. Ses buts (quoi qu'on puisse penser du personnage par ailleurs) sont en ce moment plus portés sur une certaine élection que sur le fonctionnement de la justice française. On me dira "comme la plupart des présidentiables" mais bon dans ce cas, on parle bien de lui.
Rédigé par : Pangloss | 27 septembre 2006 à 10:10
Avez vous lu les propos de J.P. Rosenczvieg sur son blog du Monde où il explique les raisons de sa non participation à la réunion au ministère ?
Je vous remercie de votre regard serein et réfléchi sur l'actualité notamment judiciaire, mais si les acteurs passaient plus de temps à s'organiser localement, quitte à se passer de la bénédiction des instances nationales, pour rendre le service attendu des citoyens, certains bateleurs auraient mons matière a se faire mousser et à pousser notre pays dans une direction que tous réprouvent. Je suis sûr que chacun fait de son mieux, mais les représentants auraient beaucoup à gagner à ne pas taper sur l'autre pour avancer. Cela laisse toujour la communauté en sur place.
J'ai bien aimé l'émission "C dans l'air" d'hier soir. Au vu du bouillonnement des acteurs de base, je pense qu'il ne faut pas grand-chose pour qu'une spirale vertueuse se mette en branle. Mais cela est peu productif pour le cirque politique national...
Rédigé par : egdltp | 27 septembre 2006 à 10:02
Monsieur Sarkozy, sur TV5 vendredi soir, affirmait pour justifier ses dernières déclarations, qu'il avait « l'opinion française avec lui » et que cette même opinion « pensait comme lui». Je ne crois pas que Nicolas Sarkozy se soit attaqué à l'indépendance du judiciaire mais à la mienne oui !
Rédigé par : bulle | 27 septembre 2006 à 09:07
...le premier commentateur qui écrit que le Président du Tribunal pour enfants de Bobigny siégeait hier en audience-et de ce fait ne pouvait se rendre à la chancellerie-que c'est un mauvais procès qui lui est ainsi fait, devra lire son blog pendant un mois en guise de punition...
Rédigé par : sbriglia | 27 septembre 2006 à 08:55
J'ai pensé, Philippe, le tribunal de Bobigny, pour vous, ça pourrait être pas mal. Je sais bien que la sagesse antique nous recommande de ne pas se baigner deux fois dans le même fleuve. Mais vous, de retour là-bas, on verrait ce qu’on verrait… Bobigny, comme laboratoire pour la résolution des antagonismes des idées judiciaires, de grands moments de controverse en perspective. Mais , au fond, ces contraires à l’œuvre et à l’épreuve des réalités les plus difficiles, existent-ils au sein d' un même tribunal ?
N. Sarkozy a le droit de parler justice. L’indépendance de la justice, on la voit plus comme un devoir imposé au magistrat d’être autonome dans de sa décision. S. Durand-Souffland nous dit des choses fort intéressantes à ce sujet dans le Figaro du 23 septembre.
Pour convaincre « L’opinion », légitimement inquiète pour sa sécurité au quotidien, d’une politique et « pour faire bouger les lignes« , est-il bien judicieux de ne privilégier que l’événementiel ? Pour que le débat démocratique au sujet de la sécurité s' instaure, ne faut-il pas plus faire dans l’information et la communication des controverses , avec des éclairages et des positions contraires, mais aussi avec beaucoup d’arrière-plans et du hors- champ ?
Rédigé par : Véronique | 27 septembre 2006 à 08:04