Dans Paris Match paru ce jeudi, il y a une interview de Frédéric Taddeï (FT), qui anime sur France 3 une nouvelle émission culturelle : "Ce soir ou jamais". Je l'ai regardée une fois, seulement quelques minutes. Je ne sais donc pas ce qu'elle vaut.
Ce qui m'intéresse au premier chef n'est pas cette pensée, sans doute fausse, exprimée par FT selon laquelle "l'animateur télé est devenu haïssable". C'est son contentement quand il affirme qu'il désire faire "une nouvelle télévision", se félicitant d'avoir pu consacrer quarante-cinq minutes au film "Indigènes", une demi-heure au roman "Les Bienveillantes" avec un dialogue entre Claude Lanzmann et Jorge Semprun et enfin, quinze minutes avec Fred Vargas sur Battisti.
Comme le journaliste lui fait remarquer qu'il n'y a rien de très original dans sa démarche, il se justifie en disant qu'il doit "rassurer les gens" et il demande du temps avant d'être jugé.
Par ses réponses FT est emblématique d'une démarche qui, à la télévision surtout, célèbre la culture unique, la pensée dominante et le débat sans débat.
Les médias créent des succès et des réputations sur lesquels ils s'appuient pour continuer sans cesse à les promouvoir. Cela n'a pas de fin. Le roman de Jonathan Littell est sans doute un grand livre mais depuis des semaines il fait l'objet d'un matraquage qui devient à force lassant. Je suppose que les échanges entre Lanzmann et Semprun n'ont pas du, en dépit des réserves du premier, fortement altérer ce triomphe. Le film "Indigènes", que j'ai vu, bénéficie de critiques dont on ne sait si elles s'attachent à la cause défendue ou à l'oeuvre filmée. Lui aussi a fait l'objet d'une promotion intensive en particulier grâce à l'aura de Djamel Debbouze, invité partout. Pourtant, le film a des longueurs et pour tout dire, n'est pas loin de susciter l'ennui, surtout sur sa fin. Fred Vargas, quant à elle, depuis des lustres soutient la cause de Battisti, assène ses évidences sans être jamais contredite, tous les médias ayant peu ou prou adopté sa thèse de l'innocence de Battisti en dépit des preuves contraires - qu'on ne veut pas voir - et du courage dissident de quelques journalistes comme Guillaume Perrault. Autrement dit, les positions officielles sur le roman, le film et Battisti sont connues depuis longtemps, avalisées, consacrées. La messe culturelle est dite.
Et FT veut en rajouter une couche. Ce serait donc cela, la télévision nouvelle. Servir encore une fois la soupe au succès. Donner encore une fois la parole, sur Battisti, à qui l'a toujours eue.
On aurait pu espérer au moins une contradiction, une autre pensée, une opposition. Une réserve. Quelqu'un qui aurait souligné les défauts du film. Qui aurait pu évoquer l'étrange comportement de Battisti pour l'innocent qu'il prétend être par intellectuels, médias et livre interposés et sa probable, pour ne pas dire certaine, culpabilité. Une forme de dissidence intelligente et ouverte. Un Demorand qui ferait de la télé, en quelque sorte.
La télévision nouvelle, ce serait celle qui, loin de venir au secours de la culture dominante déjà mise en place par un consensus médiatique hégémonique, offrirait une place à la liberté et au courage minoritaires, à l'opinion étouffée et à la vérité détestée parce que moins confortable.
Je sais bien qu'il est beaucoup plus chic de se couler dans le moule de goûts devenus indiscutables à force d'être ressassés, plutôt que proposer une vision qui éveille.
Pour un téléspectateur de perdu, pourtant il y en aurait dix de gagnés. La télévision nouvelle, ce serait, sinon se méfier des vérités officielles, du moins laisser une chance aux petites lumières qui les valent bien.
Qu'il y ait du divertissement et du vrai qui nous distrait et nous fasse rire, que le débat réapparaisse sans un public partial qui fait hou ou bravo sur ordre, que l'esprit critique soit remis à l'honneur, qu'il y ait cette pensée-là, surtout qu'elle ne soit pas remplacée par un totalitarisme autre, mais aussi avec une autre, des autres. Que la couleur de peau ne soit pas un porte-drapeau, un privilège ou un faire-valoir, mais une simple différence de mélanine dans le derme qui n'ait pas grande importance. Que l'homme blanc hétérosexuel ne soit pas présenté en coupable une journée de temps en temps, c'est énervant, injuste et fatiguant à la longue. Que la laïcité ne soit plus le terrain du religieux. Que la qualité soit aussi présente parfois. Qu'un renouveau soit possible au cinéma, à la télé à la place d'un héritage insatisfaisant. Que l'on puisse voir un Vermeer, un Rembrandt de temps en temps à la place du grand n'importe quoi marchand. Qu'il y ait toute sorte de chanteurs. Qu'il n'y ait plus autant de reprises, un peu moins de pub, de sms à envoyer. De bons films spectacles qui passent à 20h30 comme quand j'étais gone.
Voici mon cahier de doléances, ma boîte à idées, mon souhait pour le père Noël.
Rédigé par : LEFEBVRE | 18 octobre 2006 à 22:49
entièrement d'accord , guitare ou pas !
sinon une culture unique NON même si sans OGM !
Rédigé par : cactus à Véronique | 16 octobre 2006 à 21:05
C'est bien ce que je pense. Il y a des livres dont on ne se remet que très difficilement.
tuniques à fleurs, " peace and love "... là, question bon sens, on pouvait douter un peu.
cactus nostalgique, c’est juste pour me moquer un tout petit peu, et gentiment
Rédigé par : Véronique pour cactus | 16 octobre 2006 à 09:59
Perso j'ai souvent été pour la contre-culture ( T; Leary , J . Kerouac malgré quelques couac(s)même si je n'ai jamais touché à la drogue - malgré certaines apparences - je le jure sur la tête à Sarko !
je portais alors des tuniques à fleurs , années début 70 !
merci à vous de me ramener à une nostalgie trop vite abandonnée !
contre la culture unique sinon je suis avec vous là encore mais on va finir par me prendre pour votre fils caché à tant vous encenser , non ? :-)
(- on retrouve là mon époque encens -)
Rédigé par : cactus plein de bon sens | 15 octobre 2006 à 18:58
Qui se souvient aujourd’hui des succès de librairie de l’automne dernier ? Si je mets de côté le Goncourt - et encore je ne suis pas sûre d’une réponse faite dans l’instantanéité ou la spontanéité - Allez... des noms !
Le choix d’un livre qui marquera se fait par les hasards, par une multitude de petits chemins et de rencontres secrètes et très improbables. Des merveilles oubliées resurgissent. La lecture de l’un entraîne celle d’un autre. Je pense que c’est ainsi qu’un imaginaire se construit. Par une diversité de points de contact entre des mondes parallèles.
Les très fous de littérature, de cinéma, ceux qui ont envie d’être " éveillés " et d’avoir mal à la tête et dans leur cœur , trouvent à l’intuition et dans le désordre ce qui va les ravir, les déchirer ou mettre à mal et peut-être faire exploser leurs propres conformismes.
Ce n’est pas la télé qui fera l’essentiel de l’affaire. C’est, à mon sens, un peu plus compliqué que cela.
Rédigé par : Véronique | 13 octobre 2006 à 22:19
Merci pour cette analyse.
Notons toutefois que le monde audiovisuel est archi dominé par la télé-médiocrité, pardon la téléréalité. Pour une émission de variétés, il est au moins aussi important de montrer les candidates de moins de 25 ans en sous-vêtement qu'en train de chanter. L'audience, mon bon monsieur, l'audience: que d'horreur ne diffuse-t-on pas en son nom!
Nous vivons à l'ère où les candidats d'un jeu ne savent pas répondre à la question combien font 4*5*50 (maillon faible), où l'on peut voir Bernard Tapie déclarer dans un talk show qu'il ne vit plus depuis que la justice lui a pris tout son argent juste parce qu'il était trop populaire et que depuis, sa rémunération équivalente à celle d'un cadre supérieur lui permet à peine de survivre ( Tout lemonde en parle, 16% des francais actifs gagnent le smic).
Et si dans cette deferlante de nullité uniforme et d'obscurantisme organisé, quand bien même une personne ayant des choses à dire se retrouve à l'antenne (à tout hasard un avocat général de la cour d'appel de paris venu s'exprimer sur une réforme du code de procédure pénale),soyez sûr que le montage le défavorisera totalement, au profit, par exemple, d'un habitué des plateaux de télévision.
Dans ce contexte, la seule démarche de donner la parole pendant de longue minutes consécutives à quelqu'un pour parler d'un livre, d'un film ou d'un fait ne peut-elle pas être considérée comme un progrès?
A titre personnel,je ne peux que très fortement vous conseiller l'émission "Arrêt sur image" diffusée sur France 5, le dimanche vers 12h30. Tout ce que je dénonce un peu plus haut y est croqué!
Rédigé par : Nicolas | 13 octobre 2006 à 18:10
Certes, la télé a ses chouchous, ses rebelles pistonnés qui rabâchent les mêmes discours, qui défendent les mêmes grandes causes... Mais il y a quand même, depuis peu, du nouveau sous les spotlights. On donne la parole à Zemmour tous les samedis soirs; on continue de recevoir Finkielkraut; FOG ose inviter Dantec... La parole est aussi donnée aux "réacs", aux langues déliées de la droite décomplexée. Est-ce par souci d'enrichir le débat ? Est - ce au contraire une nouvelle forme de spectacle? J'opterais plutôt pour la seconde.
Rédigé par : Julien | 13 octobre 2006 à 12:17
A Marcel Patoulatchi
« Paraît qu'il faudrait qu'ils « ne soient pas morts pour rien ». Pourquoi sont-ils mort, au fait... ? »
Si on ne le sait pas exactement, au moins on sait de la bouche du procureur de Tours, Philippe Varin, pourquoi seraient morts les bébés de Véronique Courjault, laquelle a selon lui,
"exprimé un certain sentiment de puissance vis-à-vis des enfants qu'elle portait, une puissance qui pouvait aller jusqu'à leur ôter la vie".
(CF/ dépêche AP datée jeudi 12 octobre 2006, 23h56)
Rédigé par : dab | 13 octobre 2006 à 11:34
Trop de promo tue la promo.
Quoi qu'il en soit, le peuple des "lucioles" va vous en savoir gré longtemps.
Rédigé par : Fleuryval | 13 octobre 2006 à 08:18
Terne et encore sont les deux premiers mots qui me viennent à propos de ce genre d'émission. Où sont les provocateurs, les dissidents dans les émissions de direct ? Qui oserait critiquer Indigeste sur une chaîne hertzienne aujourd'hui ? Frédéric Taddeï est admirable de culture générale, de références et de réflexions intéressantes sur à peu près tout. Il ne fera pas son émission comme il le pourrait et c'est bien dommage. Le contradicteur se prononce une fois et devient paria. Je soupçonne Taddeï et plein d'autres d'être pleinement conscient de cette dérive unilatérale et certainement de la regretter. Ils sont maintenant prisonnier de cette "bonne pensée" qu'ils ont mis en place de façon collégiale. C'est bien au dessus de la part de marché qui ne peut pas être occultée.
Fred Vargas m'a habitué à quelques bons polars et je ne connais que les grandes lignes de l'affaire Battisti, je ne peux donc avoir un avis par manque d'informations.
Cette promotion outrageante pour "Indigène" ne peut que desservir le film et la reconnaissance des tirailleurs s'étant battus courageusement et c'est dommage. Je ne critique pas le contenu de cette fiction inspirée de l'histoire car c'est un spectacle, un divertissement aussi je ne me froisse pas que les héros ne soient que gentils, courageux, sans mauvaises actions à l'inverse de ce qui a pu se passer exactement en Alsace Lorraine et en Italie. Le cow-boy n'est il pas le héros au grand coeur dans les westerns ? Je ne demande pas non plus à des acteurs d'être vertueux ou intelligents, mais de jouer la comédie. Je n'irai pas voir ce film parce qu'il m'est trop imposé, c'est certainement une façon médiocre de faire de la résistance à la pensée unilatérale, mais n'étant pas décideur dans les médias, je n'ai trouvé que ce moyen en espérant un grand réveil de mes concitoyens que je ne mésestime jamais.
Rédigé par : LEFEBVRE | 13 octobre 2006 à 07:08
Télévision nouvelle... Télérama nouveau, dans la foulée. Lui aussi, depuis quelque temps, il brosse dans le bon sens, dans le sens unique.
Je ne sais pas si c'est le départ (maintenant ancien) d'Alain Rémond, l'arrivée du capital du Monde, mais il semble désormais être aussi formaté que les chansons récentes de Renaud. Bourré de postulats stupides, à croire qu'un expert en marketing est venu leur faire une démonstration des merveilles de la segmentation du marché.
(et oui, une fois encore dans Télérama cette année, on a le droit au couplet sur les jeunes victimes de la société parce qu'ils ont fait le choix de ne pas obéir aux ordres de policiers leur demandant de s'arrêter et d'entrer par effraction dans un local EDF bardé de panneaux « danger de mort ». Paraît qu'il faudrait qu'ils « ne soient pas morts pour rien ». Pourquoi sont-ils mort, au fait... ?)
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 13 octobre 2006 à 03:37