On en a assez, certes, de la repentance en gros, de la contrition de masse à propos d'un passé lointain ou parfois proche. Nous sommes lassés par cette obsession de gratter des plaies souvent à peine cicatrisées, pour qu'elles ne cicatrisent jamais. Qui a besoin d'installer, à perpétuité, la purulence au coeur de l'esprit français ?
Mais rien n'est plus nécessaire, en revanche, que la repentance au détail, la contrition singulière. Ce qui a attiré mon attention sur cette ardente obligation, c'est, d'une part, le fait que France 3 va consacrer trois soirées exceptionnelles et six épisodes de cinquante-deux minutes à l'affaire Villemin vieille de vingt-deux ans et que d'autre part, le juge Lambert qui l'a instruite d'octobre 84 à décembre 86 a accordé un entretien à TV Magazine.
Je n'ai vu que les deux premiers épisodes de cette fiction et par conséquent je ne peux émettre qu'un jugement partiel sur sa qualité et sa vraisemblance. Mais là n'est pas mon propos central. Je voudrais plutôt m'attacher aux dires du magistrat qui, actuellement, se trouve affecté au tribunal de grande instance du Mans en qualité de vice-président.
D'emblée, il affirme ne pas vouloir regarder le film parce qu'il est persuadé que l'image qu'on donnera de lui sera "partielle et partiale". Certaines de ses réponses ne laissent pas de m'étonner, au regard même de ce qu'il avance pour expliquer le caractère décevant des épisodes : le fait qu'on n'ait pas fait intervenir certains acteurs victimes de la tragédie, et il évoque notamment le rôle du capitaine Sesmat.
Ce dernier - aujourd'hui colonel( e.r.) - vient de publier un livre, "Les deux affaires Grégory". Avec un ton qui ne dissimule rien mais reste courtois, il décrit clairement les péripéties complexes de la double affaire Villemin ( avant et après l'action de la gendarmerie ) et fustige, en particulier, le comportement du juge Lambert. Pour qui a suivi à l'époque, la relation médiatique de cette catastrophe et lu le livre de Laurence Lacour, le procès à charge dressé par l'auteur semble fondé, une fois écarté le plaidoyer pro domo qui le conduit à donner le beau rôle aux gendarmes et à leur chef. De fait, je pense qu'ils ont vu juste dès l'origine et que la suite n'a fait que dissiper une vérité mal exploitée par une infinité de maladresses. A bien y réfléchir, tout était absurde dans cette accusation et pourtant, longtemps, elle a pourri beaucoup d'esprits. Dont le mien, qui n'avait pas eu besoin, sur ce plan, de la folie de Marguerite Duras ! Comme si on en savait long alors que nos soupçons étaient construits sur du très court !
Avant d'en venir à l'essentiel, trois remarques qui inquiètent le lecteur de l'interview. Jean-Michel Lambert reproche d'abord à l'acteur jouant son rôle de n'être pas venu le voir "pour s'imprégner de son personnage et me demander, par exemple, si j'avais des manies ou des habitudes". La critique est ridicule et révèle un narcissisme mis en lumière par certains lors de l'instruction. Il rend surréaliste, ensuite, la dénégation selon laquelle, tout en n'ayant aucune expérience de la pression médiatique, il aurait toujours su résister à celle-ci. Ma mémoire est fidèle sur ce point et me laisse pantois devant une telle assertion. Enfin, après l'audition de Murielle Bolle par les gendarmes, il n'avait pu être joint et cette carence avait constitué un fiasco majeur. Sans contredire le fond de ce grief, il se contente de faire valoir qu'il n'était pas parti en week-end mais se trouvait à Epinal, ce qui aggrave encore son cas.
Je laisse de côté ce que j'avais relevé dans son livre, écrit à l'époque, pour profiter précisément de sa gloire médiatique éphémère. Il y exposait des détails intimes, mentionnant par exemple qu'il ne pouvait plus faire l'amour quand il avait procèdé à une inculpation. Tout cela à la fois insignifiant et grotesque.
Dans cet entretien, il y a infiniment plus grave. Parce que c'est révélateur et d'une médiocrité personnelle et d'un parapluie collectif qui sert, croyons-nous, à nous préserver des gouttes de nos comportements individuellement sujets à caution.
Devant l'énormité des dysfonctionnements aussi bien judiciaires que médiatiques secrétés par la gestion longtemps erratique de l'affaire Villemin, devant l'image lamentable donnée par un protagoniste au coeur de cette tourmente, on pouvait espérer de la part du juge Lambert, surtout vingt-deux ans après, une repentance au détail, une contrition forte et singulière, une excuse adressée à tous ceux qui avaient souffert de ses négligences et de ses fautes, pâti de ses lacunes. On aurait dû entendre, avant même la publication du livre qu'il nous promet, non pas sa protestation d'impunité et d'innocence mais son aveu et sa détresse de coupable, son humilité de magistrat, sa compassion de citoyen. Rien, rien qu'un contentement de soi qui fait mal à ceux qui pensent que, pour demeurer un grand et beau métier, la magistrature doit exiger la vérité et la sincérité. Outreau nous a douloureusement plongés dans l' inaptitude à la reconnaissance de notre faillite. On adore le pluriel rassurant qui nous protége de l'affontement avec le singulier déficient.
Cette défaillance du coeur et de l'esprit corrompt toute l'interview qui est résumée par une phrase du juge Lambert, mise en exergue et qui me paraît totalement fausse : "Ce film est un nouvel écran entre le peuple français et la vérité".
Alors que c'est l'inverse. Aussi discuté que pourra être le film, aussi vigoureuse que pourra être la controverse, même si longtemps après, il n'est jamais inutile de poser sur une tragédie incommensurable un regard qui tente de faire réfléchir le citoyen, le téléspectateur d'aujourd'hui. Avant de craindre les risques d'une telle aventure médiatique, voyons-en les avantages probables. Cela pourra servir à mieux faire comprendre, à prévenir et à compatir.
Ce n'est pas rien.
Aussi, juge Lambert, de grâce, un mot d'excuse tout de suite !
Les commentaires récents