Vendredi 20 octobre, lors de la première journée du congrès de l' Union syndicale des magistrats (USM), le garde des Sceaux a annoncé qu'il n'y aurait ni réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ni réforme de la responsabilité des juges. Il a précisé qu'il fallait "poursuivre la réflexion", faute de "consensus".
Déception de beaucoup, satisfaction de l'USM dont l'opposition à ces deux textes était connue.
Avant d'aborder le fond de la discussion, un mot sur le fait qu'à l'arrivée de Pascal Clément dans la salle du congrès, l'assemblée ne s'est pas levée. Ainsi, notre ministre, celui de la Justice, membre du Gouvernement de la France, n'a pas eu droit à la politesse élémentaire que sa fonction exigeait : un accueil debout. On sait aussi que cent quarante-trois auditeurs de justice à Bordeaux ont fait circuler une lettre ouverte contre Nicolas Sarkozy en dénonçant plusieurs de ses déclarations, une bonne moitié de la promotion s'en abstenant heureusement. Il est sans doute abusif de relier la première grossièreté collective à la seconde protestation mais comment ne pas sentir comme un souffle de regrettable politisation dans ces épisodes ? Ou bien faut-il y voir l'affirmation dérisoire d'une magistrature qui, ne respectant plus les usages républicains, se donne l'impression d'être d'une audace folle ? Pour ma part, je trouve que c'est s'infantiliser que d'agir de la sorte. Loin de grandir le corps, on le rapetisse !
Je viens d'apprendre que Bruno Thouzellier a été élu Président de l'USM à la place de Dominique Barella. Je lui adresse mes chaleureuses félicitations même si j'ai conscience qu'il ne va pas pouvoir, d'un coup, emmener ses troupes sur d'autres chemins. Peut-être, en tout cas, la forme, le ton, le registre vont-ils changer ?
Ce retrait des réformes, aujourd'hui, me semble judicieux en dépit des apparences, à cause de la courte période qui nous sépare de l'échéance présidentielle. Le bon sens et l'analyse politique se rejoignent pour que ces deux dispositions fondamentales soient examinées une fois que le nouveau pouvoir présidentiel, quel qu'il soit, sera en place. D'ailleurs, le débat judiciaire, le besoin de morale et l'affirmation des principes constitueront l'un des thèmes centraux de la campagne et, naturellement, la responsabilité des magistrats et la composition moins corporatiste du CSM viendront au premier plan des préoccupations du futur garde des Sceaux. J'insiste sur cette évidence parce qu'elle n'a pas de définition partisane et lui donner sens et traduction relèvera de la mission de la gauche ou de la droite. Il n'était pas concevable de glisser dans ce court laps de temps, en quelque sorte en catimini, une telle double révolution dont les contours sont encore à définir. Remise, elle ne pourra pas passer aux oubliettes. La société l'exige et les politiques la veulent.
Il est en revanche logique de faire voter, au cours des six mois prochains, un certain nombre de modifications non pas secondaires mais qui sont pratiquement approuvées par tous sur le plan de la procédure pénale, sauf pour l'enregistrement vidéo qui devrait être étendu aux cabinets d'instruction.
Pour le CSM, la diminution du nombre de magistrats en son sein a été approuvée par le Syndicat de la magistrature (SM) et je ne suis pas sûr que l'USM soit farouchement hostile, en dépit des apparences, à cette structure autrement composée qui pourrait naître après l'élection présidentielle. Tous ceux qui, de près ou de loin, s'intéressent à la justice comprennent l'ardente nécessité d'une telle réforme dont on aurait pu souhaiter qu'elle aille plus loin. Mais ce sera déjà un progrès considérable.
Pour la responsabilité des magistrats, il reste encore beaucoup de travail de réflexion à opérer. Malheureusement, on s'est orienté, après avoir évoqué "la grossière erreur d'appréciation", vers une autre conception qui se serait rapportée "à la violation des principes directeurs de la procédure pénale ou civile". La première piste apparaissait sérieuse et préservait plus que la seconde de ce qu'on pourrait appeler les dysfonctionnements graves juridictionnels. Prenons l'exemple d'Outreau : les principes directeurs de la procédure pénale ont été si peu violés que leur respect, au moins superficiel, a été sans cesse avalisé par la Chambre de l'instruction de Douai. Et pourtant, quel sinistre ! En revanche, le concept de "grossière erreur d'appréciation" aurait pu, une fois précisé, s'appliquer à l'affaire d'Outreau avec les conséquences disciplinaires qu'on imagine.
Par ailleurs, d'anciennes catastrophes judiciaires ayant été suivies de près ou de loin par des tragédies criminelles - Bonnal, le meurtre de Nelly Cremel notamment - n'étaient sans doute pas aux antipodes de la "grossière erreur d'appréciation" alors que la violation des principes directeurs ne les aurait pas concernées. Il faut savoir ce que l'on veut. Si l'on désire élargir seulement symboliquement l'espace de responsabilité du magistrat, on pourra aisément trouver une formule qui ne fera de mal à personne. Au contraire, pour peu qu'on veuille répondre, sur ce plan capital, à la revendication légitime du citoyen et à notre propre prise de conscience, il conviendra de pousser plus avant la recherche et de ne pas mettre au rancart "la grossière erreur d'appréciation", concept, on l'a vu, tout à fait opératoire. Au demeurant, un magistrat qui, lucidement, violerait les principes directeurs de la procédure pénale ou civile devrait choisir ou se voir proposer un autre métier. Ce ne serait plus du disciplinaire mais de l'incompatible !
Mais qu'on ne fasse pas dès maintenant aux magistrats un mauvais procès. J'ai entendu ce soir sur TF1 un très grand avocat, Jean-Louis Pelletier, affirmer que, les magistrats appliquant la loi, ce serait un comble que la loi ne s'applique pas à eux. Mais quelle loi ? Quand ont-ils refusé leur responsabilité disciplinaire, Outreau les ayant persuadés, au contraire, qu'elle devait même recevoir une définition moins restrictive ? La plupart sont prêts, sans enthousiasme peut-être mais avec lucidité, à participer à un débat qui, les rendant dans leur pratique comptables du pire, saura aussi les créditer du meilleur. Leur lien avec le peuple français en sera formidablement amélioré.
Le temps politique qui reste est trop court pour bouleverser l'univers judiciaire. Je dis oui au temps comme argument. Mais je dis non au consensus. La recherche du consensus représente un moyen habile pour ne rien accomplir ou manifeste qu'on est si peu sûr de la pertinence de ce qu'on propose au pays, à sa justice qu'on préfère l'ensevelir sous une concertation qui va l'étouffer. Ce ne sont pas des modalités qui sont à déterminer pour ces deux réformes mais c'est le principe qui les fonde qui doit être discuté et édicté s'il est légitime. Il y a, dans l'obsession du consensus, une sorte d'alibi pour apparaître au moins tolérant à défaut d'être efficace. L'immobilisme qui dialogue est mille fois pire que l'action qui tranche. Le courage, c'est de ne pas se leurrer. Il y aura toujours une part de la magistrature qui sera hostile à cette réduction du corporatisme et à cet accroissement de la responsabilité. On ne va pas attendre la fin des temps pour constater que le consensus est impossible. Qui gouverne, le citoyen ou les instances qui doivent être à son service ?
Demain, quel que soit l'élu, il devra affronter ce défi : que faire de cette double réforme heureusement laissée en suspens aujourd'hui ?
Avec ou sans consensus. Tant mieux ou tant pis.
J'ai juste oublié:
par correction, voici le lien du blog cité
http://www.paxatagore.org/
Rédigé par : Véronique | 14 novembre 2006 à 07:37
Vous savez, le GM en question que j’ai dépanné chez Paxatagore le 8 novembre à 13h09 et, par-dessus le marché au moment de ma pause déjeuner, figurez-vous qu' il ne m’a pas même pas remerciée pour ma sollicitude. C’est vexant, à la fin...
J’ai pensé, ce GM, il doit s’agir d’un magistrat…
Mais si !
Il appartient probablement à cette étrange assemblée qui ne se lève pas pour saluer l’arrivée d’un ministre.
Les excursions hors de Galgala, c'est bien fini ! Croyez-moi !
Rédigé par : Véronique pour Philippe | 14 novembre 2006 à 06:46
Réforme de la justice: suggestion pour gagner du temps
La Chancellerie a transmis récemment mon dossier de justiciable furieux au procureur général.
D'une part, il n'a fallu que quelques jours à celle-ci pour identifier un dysfonctionnement majeur alors que plusieurs années de recours ont été vaines (3 appels, 3 cassations, une réouverture refusée)
D'autre part j'ai évité de perdre le temps supplémentaire qui sera bientôt nécessaire pour saisir le Médiateur de la république.
En conséquence, dans la réflexion sur la réforme de la justice, s'il est bien de pouvoir tirer sur le pianiste une fois la partition mal jouée, ou s'il est bien de pouvoir jouer celle-ci à 4 mains(co-saisine)
pour limiter les fausses notes, mon histoire montre surtout qu'il manque un dispositif élémentaire pour gagner du temps : un BOUTON D'ARRET D'URGENCE.
Rédigé par : Mm | 26 octobre 2006 à 12:52
Les magistrats avaient le DEVOIR de se lever pour saluer l’arrivée de P. Clément.
Dans une République, les formes et les symboles, même si naturellement ils ne font pas tout, sont essentiels. Ne pas saluer un ministre, c’est offusquer le principe de la représentation nationale et quelles que soient la couleur et les options d'un gouvernement.
Se présenter debout face à un ministre donne, à mon sens, bien plus de poids aux griefs, aux désaccords ou aux rancoeurs qu’on peut nourrir à son encontre. D’autre part, on respecte toujours plus un adversaire debout que si celui-ci reste assis ou couché.
D'autre part, on dénonce à juste titre les incivilités en tous genres. Les magistrats, en regard de ce signifie leur fonction, ne peuvent pas se permettre la moindre entorse aux principes de correction élémentaire.
Enfin, et Philippe ne me contredira pas. S’il lui est arrivé, dans ses notes, ne pas faire précéder le nom de Burgaud du mot juge, j’ai fait valoir en off que je tenais à ce titre car Fabrice Burgaud est magistrat. Ne pas faire précéder son nom de son titre ou de sa fonction me mettait mal à l’aise et contribuait, à mon sens, à disqualifier le monde judiciaire. J’ai été écoutée.
Donc, les formes, j’y reste profondément attachée, sans concession.
Rédigé par : Véronique | 24 octobre 2006 à 08:27
Vous me faites penser qu'il faudrait un observatoire neutre de la justice composé de magistrats, d'intellectuels, de citoyens "lambda" qui auraient pour souci non pas leurs intérêts personnels comme France justice qui ne roule que pour l'affaire Seznec et celle d'Outreau. Pas un "groupe Mialet" qui se soucie autant d'une victime non emprisonnée que d'une écharde dans un bout de bois, pas une association politisée. Simplement des observateurs neutres qui se réunissent autour d'un dossier en ayant pour priorité de ne pas se laisser gêner par la périphérie, de ne se tenir qu'à la quête de la vérité. Le juge Burgaud sera interrogé demain, il serait amoral qu'il porte les manquements des autres protagonistes en plus des siens tout autant qu'il serait anormal que ses responsabilités lui échappent.
Villepin vient d'affirmer que les juges seront bien face à leurs responsabilités dans la réforme proposée, les trois volets seront votés seul le changement du csm n'est pas possible pour le travail constitutionnel qu'il implique et qui ne peut être tenu dans les délais. C'est une nouvelle considérable que je vous livre comme elle arrive.
Rédigé par : LEFEBVRE | 22 octobre 2006 à 19:43
On peut tout de même se demander à qui la responsabilisation des magistrats déplaisait. Finalement, hormis les élus l'ayant proposée et les magistrats l'ayant refusée, on ne sait pas clairement quelles sont les positions de autres, notamment des tendances politiques d'opposition (ou alors j'ai raté un épisode).
Il serait bon que les positions se clarifient, notamment qu'en votant on sache qui est favorable à quoi.
(Concernant la terminologie sur les principes directeurs, cette terminologie est sans doute plus floue que celle évoquant les grossières erreurs d'appréciations. Néanmoins, dans l'affaire d'Outreau, le CSM remarque les méthodes du juge d'instruction peu propices à la mise en lumière d'éléments à décharge, on reconnaît en général qu'il n'a instruit qu'à charge. Cela bafoue le principe directeur concernant l'instruction à charge et et à décharge, principe qui ne demande pas une incohérence mentale du magistrat instructeur mais une démarche au plus scientifique possible, cherchant la vérité avant la création d'un dossier)
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 22 octobre 2006 à 02:28
Ce sont des nouvelles qui font mal et que nous comprenons malgré nous, c'est tout le problème du quinquennat. Entre la mise en place et l'échéance, il reste peu de temps pour les réformes. Tout devient priorité de calendrier. Il y a, bien sûr, une réforme nécessaire pour des raisons évidentes. Lorsque j'ai entendu la réaction de maître Dupont-Moretti sur ce sujet qui a dénoncé l'esprit de corps, je fus partagé entre rire et colère. Brûlons la paille du voisin et vernissons notre poutre semble être sa devise. Les avocats alors ? Il y a beaucoup à dire également sur l'esprit de corps d'un conseil et sur les bâtonniers de l'ordre des avocats dans le fonctionnement judiciaire. Je ne généralise évidement pas, des cas précis me montrent qu'entre le verbe et le geste, il y a des abysses parfois insondables. Le titre de votre article redonne le moral, cela va se faire. Il peut y avoir un risque pervers qui serait une frilosité encore bien plus grande encore que celle de plusieurs de nos juges depuis 2004. Faisons confiance par principe, le titre donne l'essentiel, cela va se faire.
Rédigé par : LEFEBVRE | 22 octobre 2006 à 01:11