L'incident dont Alain Duhamel a été à la fois responsable et victime a permis d'actualiser un débat sur la neutralité des journalistes plus spécifiquement chargés de suivre les affaires publiques. Alain Duhamel, qui avait glissé dans une réunion privée qu'il voterait en faveur de François Bayrou, s'est vu écarter par France 2 des émissions politiques auxquelles il devait participer. On peut penser que c'était beaucoup de bruit pour rien même si une autre décision était difficilement envisageable, Patrice Duhamel, frère d'Alain, travaillant avec Patrick de Carolis.
Dans son émission hebdomadaire sur France-Culture, le dimanche 25 février, Philippe Meyer qui n'a ni sa pensée ni sa langue dans sa poche s'est exprimé sur le sujet. Il estime que "le meilleur moyen - et sans doute le seul - d'empêcher cette situation est que chaque journaliste chargé de suivre les affaires publiques déclare sans haine et sans crainte pour quel candidat il penche". Le journaliste, avec cette démarche, ne serait pas moins impartial que par exemple Jean-Louis Debré à la tête du Conseil constitutionnel, en dépit de ses engagements antérieurs.
Il me semble que Philippe Meyer, qui allie volontiers la vivacité intellectuelle au goût du paradoxe, a choisi de pousser jusqu'à sa conséquence extrême le tableau d'un journalisme qui est très souvent suspecté de mal cacher ses options idéologiques et politiques, en quelque sorte d'avancer maladroitement masqué. A partir de ce constat, et faute de pouvoir trouver des remèdes décisifs notamment par l'instauration d'une déontologie infiniment plus contraignante, Philippe Meyer théorise ce qu'on ne cherche plus à empêcher. Dépassé, comme tant d'autres, par les dérives médiatiques, il a pris le parti, sinon de les organiser du moins de les sublimer. Comme le journalisme est tué par sa connivence avec la classe politique, mieux vaudrait rendre transparente cette collusion et espérer le meilleur de cette métamorphose.
Il me semble au contraire que ce serait faire d'une difficulté lancinante une catastrophe irréversible.
D'abord, à la supposer fiable, la proposition de Philippe Meyer n'aurait une chance de produire d'heureux effets qu'avec une infime minorité de journalistes particulièrement intelligents et curieux, dont les interrogations ne seraient pas altérées par leur engagement révélé. Un Philippe Meyer partisan de François Bayrou serait sans doute capable de faire passer dans un entretien l'homme des médias avant le citoyen dévoilé. Mais combien seraient aptes à un tel exercice ?
Pour la plupart, au contraire, leur questionnement serait gravement dégradé par la connaissance que l'on aurait de leur sympathies politiques. Ce qui rend supportable la qualité professionnelle discutable de beaucoup, c'est que précisément, ils ne nous imposent pas, au moins explicitement, leur choix citoyen. Certes, on peut le deviner mais il n'est pas présenté comme sur un panneau de propagande. Loin de tirer de cette situation une obligation de transparence totale, c'est l'inverse qui doit être mis en oeuvre. Veiller encore davantage à une honnêteté plus affirmée, une compétence plus enrichie et une rigueur plus manifeste. Il ne convient pas de faire des défauts modestes d'aujourd'hui - qui sont au fond consubstantiels à un journalisme manquant de vigilance et se reposant volontiers sur les lauriers célébrés par essence - des vices irréversibles.
Cette volonté de resserrer les "boulons" médiatiques implique également de ne pas déplorer sans réagir la promiscuité choquante entre les journalistes et les politiques dans une mondanité délétère. Lorsqu'on voit, dans tel ou tel magazine, la photographie de Claire Chazal et de Jack Lang souriant devant l'objectif, on ne peut que s'inquiéter devant les développements négatifs d'une telle complicité, sur le plan professionnel. Le responsable politique perd son crédit et la journaliste sa crédibilité. On ne peut que saluer les réactions, au fil du temps, d'Anne Sinclair, de Béatrice Schoenberg et de Marie Drucker. Elles ont su tirer les conclusions de situations personnelles qui rendaient difficile la poursuite d'une activité d'information insoupçonnable. TF1 s'honorerait en se souciant davantage qu'elle ne le fait des risques qui guettent Claire Chazal lorsque la vie mondaine et médiatique la plonge dans un bain dont le moins qu'on puisse dire est qu'il ne favorise pas la présentation équitable et objective du journal télévisé le plus regardé d'Europe. Entre l'ascétisme et la frénésie, un juste milieu est possible qui pourrait être suggéré.
Enfin, le poncif selon lequel la véritable objectivité est impossible a fait trop de mal. On en a déduit trop facilement que tout serait alors permis et que le journaliste aurait le droit de s'abandonner à une subjectivité parfois lucide, quelquefois erratique. Il faut tendre vers cette objectivité qui n'exclut pas l'appréhension par une intelligence libre des problèmes publics mais garantit qu'ils seront abordés avec la distance que devrait induire un professionnalisme digne de ce nom. Au fond, on en revient toujours, au-delà des principes généraux, à la nécessité de la qualité humaine et personnelle, à l'importance du savoir et de la culture, à la maîtrise du langage et de la pensée, au souci de l'équité et de l'apparence. Au choix des hommes et des femmes qui porteront haut l'honneur d'informer leurs concitoyens. Un exemple remarquable, sur ce plan, nous est donné par Patrick Poivre d'Arvor qui n'a jamais caché ses engagements politiques anciens mais qui, dans son parcours professionnel incomparable, se garde de la moindre entorse à l'exigence de sérénité et d'impartialité. Les récentes émissions sur TF1 l'ont démontré. Si le panel des citoyens était souvent sujet à caution, quelques candidats ont été bons et PPDA parfait.
Non, Philippe Meyer, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain et Alain Duhamel, qui regrette d'avoir eu un mot de trop, ne doit pas faire jurisprudence.
Encore un effort, mesdames et messieurs, et vous serez de vrais journalistes. La démocratie a besoin de vous.
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