Le Figaro évoque l'"Affaire Delarue : polémique sur des juges très prévenants".
On sait que l'animateur, pour le vol très agité qu'il a fait endurer à certains passagers, a été condamné à trois jours de stage citoyen par le tribunal de Bobigny, après mise en oeuvre du "plaider-coupable" à la française, qui est une excellente procédure.
Beaucoup d'avocats, dans cette juridiction, s'étonnent de la "jurisprudence Delarue" qu'ils estiment d'une étonnante mansuétude. Le personnel d'Air France se déchaîne sur le Net, paraît-il, pour dénoncer ce jugement laxiste.
Je n'ai pas à commenter une décision de justice et, pour parler franchement, celle-ci ne m'intéresse pas. Elle relève de la liberté des parties et leur accord a été homologué par le tribunal, un point c'est tout.
Attachons-nous plutôt aux formes de la justice, à la manière dont un prévenu est traité, à l'incidence de son statut et de son éventuelle célébrité sur le regard judiciaire. Si l'article du Figaro contient des informations exactes sur ce plan, Jean-Luc Delarue aurait bénéficié d'un certain nombre de dérogations choquantes, la plus discutable étant le retrait d'un document de son dossier. Je n'ai pas envie de reprendre la liste de ces légères distorsions par rapport à l'habitude judiciaire mais il est clair que Jean-Luc Delarue n'a pas connu le sort - encore une fois dans les formes, j'insiste là-dessus - des personnes citées comme lui ce jour-là à Bobigny.
Une telle inégalité me gêne. Je ne suis animé par aucun sentiment d'hostilité à l'égard de cette personnalité médiatique. Je me souviens avoir vu Jean-Luc Delarue, peu de temps avant son équipée aérienne, au Parc des Princes où à chaque but du PSG, il avait une attitude franchement hystérique. Je me suis demandé alors s'il cherchait à se faire remarquer - c'était réussi ! - où s'il avait perdu, déjà, le contrôle de lui-même. Ce malaise devant les privautés qu'on octroie à des prévenus "particuliers" ne date pas d'aujourd'hui. Je me souviens avoir été effaré de constater que durant plusieurs jours, on avait conduit François Léotard et Renaud Donnedieu de Vabres vers le tribunal correctionnel par des chemins détournés, qui passaient notamment par la cour d'assises de Paris. Ce privilège octroyé m'était apparu superfétatoire. Et surtout maladroit.
Ce sont ces formes parfois dérisoires de la justice qui donnent ou non l'impression au citoyen qu'elle est une institution commune à tous et égale pour tous, ou au contraire une machine qui même dans les petites choses n'a que le désir de complaire aux puissants. Cette démarche de révérence est d'autant plus absurde que, sur le fond, il est patent que la justice de classe n'est plus à l'ordre du jour et que les magistrats, dans leur esprit collectif, ne favorisent plus l'élite, les détenteurs d'un quelconque pouvoir. La liberté absolue du juge face à celui dont il va infléchir le sort par une condamnation ou par une relaxe est protégée précisément, en amont et dans le cours de l'audience, par le traitement totalement égalitaire qui a été mis en oeuvre et constaté publiquement. Le contraire revient à faire douter de tout et je ne suis pas loin de penser que la " jurisprudence Delarue" n'a été contestée qu'à cause de la violation de l'égalité des formes. L'apparence a rejailli sur la réalité. La suspicion sur le dérisoire a pollué la validité du fond.
Cette réflexion ne concerne pas seulement le cas de Jean-Luc Delarue. Dans le Figaro Magazine, les deux pages toujours passionnantes de Sylvie Pierre-Brossolette sont consacrées notamment au possible avenir judiciaire du Président Jacques Chirac, une fois son mandat terminé. La formule usuelle, selon laquelle la justice doit suivre son cours, se rapporte au fond de ce qui pourrait être décidé par les magistrats en charge de ce dossier et ne nous regarde pas pour l'instant. Mais les formes, en l'occurrence, devraient être plus que jamais respectées. Avec intelligence et lucidité. Un ancien Président de la République est redevenu citoyen ordinaire mais l'intuition laisse percevoir qu'il ne le sera pas tout à fait sans que cela implique de sa part une quelconque supériorité sur les autres ou, de la justice, une révérence de principe qui viendrait altérer l'équité de l'action. Rien ne serait pire que la grossièreté de la convocation du juge Halphen par un simple courrier à l'Elysée. Rien ne serait plus ridicule qu'une courtisanerie de mauvais aloi.
J'espère que la justice est devenue suffisamment adulte pour savoir échapper, si l'avenir la confronte à cette situation, à l'inélégance comme à la soumission. N'oublions pas qu'elle pourrait se définir comme une forme suprême de politesse et de savoir-vivre.
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