Le garde des Sceaux aurait ordonné une enquête pré-disciplinaire sur une collègue, Josiane Bigot, conseiller à la cour d'appel de Colmar et membre du syndicat de la magistrature (SM). Ce qui est sûr, c'est qu'elle a été entendue le 12 mars par son Premier Président pour une demande d'explication, à la suite de certaines de ses déclarations publiques qui auraient mis à mal l'obligation de réserve. Co-présidant dans le Haut-Rhin le comité de soutien à Ségolène Royal, Josiane Bigot aurait elle-même admis qu'au cours de ses interventions, elle avait franchi délibérément une limite et qu'elle avait fait un accroc à la séparation des pouvoirs en mettant en cause le ministre de l'Intérieur, qu'elle estimait peu qualifié pour garantir plus tard, si la charge suprême lui était confiée, l'indépendance de la magistrature. Le ministre de la Justice aura à statuer sur la situation de cette collègue.
Je ne la connais pas et je ne crois pas - je l'ai démontré par ailleurs, parfois au risque de l'incompréhension - qu'on doive être mu par un esprit de corps, une solidarité mécaniques prenant le pas sur le droit de critique et la liberté de chacun au sein d'un même univers professionnel. Je serais d'autant moins tenté de m'abandonner à un réflexe corporatiste que je me sens très éloigné de son choix et de ses attitudes. Il n'empêche qu'en l'occurrence, sans l'ombre d'un doute, je me mets spontanément et authentiquement à ses côtés, avec d'autres, pour prévenir le pire qui pourrait lui advenir. Je pourrais soutenir, comme elle, qu'un magistrat a, sur un plan général, le droit d'exprimer une opinion politique en dehors de sa sphère professionnelle et que le citoyen, qu'elle revendiquait d'être lors de ses propos publics, dispose naturellement de son autonomie et de son regard propre. Je ne me contenterai pas de cela car ce serait fuir les difficultés que ma collègue a suscitées et qu'elle affronte.
Elle a indiqué que sa hiérarchie lui avait moins reproché la co-présidence du comité de soutien que le jugement très négatif qu'elle avait formulé sur Nicolas Sarkozy au cas où celui-ci serait amené à défendre l'indépendance de la magistrature. Si elle voit juste et elle sait évidemment ce que son Premier Président lui a notifié, il me semble que l'honnêteté commanderait d'adopter la position suivante. J'ai toujours, dans le domaine judiciaire, pris le parti de Nicolas Sarkozy, contre l'opinion dominante de la magistrature, lorsqu'à intervalles réguliers, il a porté ses coups de boutoir, lancé ses utiles polémiques pour dénoncer des dysfonctionnements graves ou des comportements selon lui choquants. Au risque de continuer à cultiver ma dissidence, je continue à percevoir ses assauts stimulants moins comme des atteintes à l'indépendance des juges que comme l'expression, par son entremise, d'une indignation ou d'une incompréhension citoyenne. Que je sache, le ministre ne s'est jamais immiscé directement dans l'élaboration d'une décision ou n'a pesé sur tel ou tel magistrat pour dénaturer l'acte de justice. En contrepartie, la conséquence de cette faculté de blâmer, c'est que les magistrats, syndicalement et individuellement, doivent se voir accorder le droit de riposte. On ne peut pas approuver un ministre qui sort de ses attributions strictes pour éclairer d'autres territoires, sans reconnaître aussi à ceux qu'il a pu offenser le droit de se défendre. La réciprocité est une condition nécessaire à la légitimation de cette bienfaisante intrusion politique dans le fonctionnement judiciaire.
Certes, Josiane Bigot n'a pas fait, si j'ose dire, dans la dentelle. Elle n'a pas seulement apporté sa réflexion et son concours à une candidate, elle a clairement déclaré sa flamme politique. On a su dans son département, même si la révélation est étrangère à l'exercice intrinsèque de son métier, qu'elle a l'intention de voter Ségolène Royal et qu'à ce titre,elle fait du prosélytisme en sa faveur. Ce n'est donc pas la même attitude que celle consistant à participer à une action ou à des colloques, l'une et les autres sous l'égide d'une personnalité publique qu'aucun citoyen ne vous a entendu EXPLICITEMENT vanter et élire. Je ne me réfugie pas derrière des arguties si j'affirme que la participation à un colloque UMP sur la justice, au mois de mai 2006, qui ne débouche au mieux que sur une adhésion à un projet technique et spécifique, n'a rien de commun avec la proclamation d'une foi politique ostensiblement affichée. Je dénie pour ma part à quiconque, en dépit de mes sympathies réelles ou alléguées, le droit de pouvoir prétendre connaître mon for intérieur et mon choix définitif. Certes, le syndicat de la magistrature, au soutien de la cause de Josiane Bigot, outre ce colloque UMP dont je viens de rappeler l'existence, a mis en évidence la candidature de Jean-Louis Bruguière aux futures législatives pour l'UMP. J'ajoute, par ailleurs, qu'une nomination politique récente, effectuée par le garde des Sceaux et souhaitée par Nicolas Sarkozy, montre qu'en dehors de Josiane Bigot, le monde judiciaire environnant est rien moins que neutre. Toutefois, je suis persuadé qu'il serait utile, pour cette collègue, de s'interroger, en quelque sorte pour elle-même, sur le hiatus qui existe à l'évidence entre ce qu'on clame et publie et ce qu'on laisse deviner ou présumer.
Laissons cette différence fondamentale qui n'altère pas la force de mon soutien. En effet, dans l'effervescence d'une campagne présidentielle qui a commencé bien avant l'heure et qui, depuis Outreau, a placé au premier plan les problèmes de justice et les attentes de la société, il était difficile, voire impossible, pour la magistrature mobilisée, avec, de plus, l'implication partisane des syndicats, de demeurer dans une réserve exemplaire. Dominique Barella appartient au premier cercle des conseillers de Ségolène Royal et moi-même, avec d'autres magistrats, ai participé à la convention UMP rappelée plus haut. On ne peut pas traiter cette période comme une séquence de temps calme et facilement apolitique.
Pascal Clément, un parfait honnête homme et un ministre qui n'a jamais failli en dépit d'un "long fleuve jamais tranquille", ne pourra que constater la validité de ce tableau et s'abstenir de toute mesure qui donnerait l'impression de partager, au sein de la magistrature, les bons et les mauvais débats, les bonnes et les mauvaises causes. Il n'est pas besoin d'être socialiste pour venir au secours de Josiane Bigot. Il suffit d'être sincèrement concerné.
Et je voudrais finir sur cet éclat. Tant de magistrats vont sans doute sortir de terre qui iront au secours de la victoire présidentielle et qui n'auront pas pris un risque intellectuel ni assumé le moindre défi lors de leur vie professionnelle. Les apparemment neutres d'hier n'attendent, pour certains, que de devenir les militants intéressés de demain. Ce qui me gênerait, c'est que l'affirmation de soi et de ce qu'on pense - attitude, qu'on le veuille ou non, infiniment plus noble et courageuse dans notre monde que les effacements durables suivis par des enthousiasmes politiques conjoncturels et carriéristes -soit sanctionnée quand mille lâchetés et indignités sont passées sous silence.
Mieux vaut, en l'occurrence, une Josiane Bigot que tous les tièdes cachés dans l'ombre avant de chercher à accaparer la lumière conquise par les autres.
Rappelons à toutes fins utiles que deux torts ne font jamais un droit.
Les abus d'un président ne sauraient légitimer ceux d'un candidat à la présidence.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 23 mars 2007 à 16:24
GRAIN DE POIVRE A DIT :"M. Bové ne sait pas encore s'il a le nombre requis de signatures de soutien à sa candidature à la présidence de la République. J'espère bien que non car je suis scandalisée qu’on puisse briguer la magistrature suprême en étant sous le coup d’une condamnation. On ne peut pas à la fois servir la loi et se placer au-dessus d’elle."
... et Chirac ?... qu'est-ce qu'il a fait lui ?...
Ce n'est pas les OGM qu'il a "fauché" lui...
C'est l'argent des locataires des HLM !...
"Chirac et les 40 voleurs" titre d'un "essai marqué" à l'époque...
Rédigé par : Mélano | 19 mars 2007 à 09:17
Eh bien ça canarde sur "Justice au singulier" !
Pour en revenir au thème de la note en cours, José Bové, je vous adresse le texte de la note "Candidature" que j'ai publié dans "Grain de poivre" (http://heme.typepad.fr) le 16 mars:
M. Bové ne sait pas encore s'il a le nombre requis de signatures de soutien à sa candidature à la présidence de la République. J'espère bien que non car je suis scandalisée qu’on puisse briguer la magistrature suprême en étant sous le coup d’une condamnation. On ne peut pas à la fois servir la loi et se placer au-dessus d’elle.
Rédigé par : Grain de poivre | 18 mars 2007 à 20:58
Dire qu'un candidat ne serait pas apte à agir conformément à une des missions constitutionnellement établies du président de la République, c'est un propos qui me semble dépasser le champ politique.
Ce n'est pas un jugement sur un programme politique mais sur la capacité à respecter les lois suprêmes. Le propos me semble quasiment de nature diffamatoire.
Il me semble normal qu'il lui ait été reproché. Par ailleurs, il me semble important qu'un fonctionnaire de l'Etat, quel qu'il soit, détache clairement son sentiment politique de sa fonction. Un homme est forcément éclairé par son exercice professionnel dans ses choix politiques ; mais nul ne peut impliquer cet exercice et transformer un mandat public en argument d'autorité. S'il ne me choque personnellement pas qu'un magistrat annonce quel candidat le satisfait, la chose ne peut se faire en robe, ne peut se faire dans une communication professionnelle, la chose doit être expliquée hors le cadre de l'exercice professionnel.
Ceci étant précisé, si Josiane Bigot a reconnu avoir manqué à son devoir sur le point précis qui lui est reproché, il me semble que tout le monde est d'accord, qu'il n'est nul besoin d'instituer des comités de soutien.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 17 mars 2007 à 09:40
à doc
j'estime pour ma part (je l'ai appliqué personnellement) qu'on ne peut rester magistrat plus de 5 ans dans le même poste y compris géographiquement;
au-delà une routine s'installe et l'on n'a plus l'oeil neuf et la distance nécessaire à mon sens mais l'on gagne en efficacité et en confort ...
le devoir de réserve m'apparaît comme une évidence mais PB n'a pas tort de parler des 'tièdes cachés dans l'ombre'
Rédigé par : hag | 16 mars 2007 à 08:13
Hag
Pour une fois dans cette région à forte identité et forte de ses « réseaux » les bas valent les hauts…
Nous sommes en plein dans les « TER juridiques » que j’ai souvent évoqués ici.
Donc n’attendez pas de « telles machines », les prestations d’un TGV…
A savoir que devant un haut magistrat ayant fort voyagé (c’est rare) à force de promotions que certains n’attribuaient pas à ses mérites professionnels mais à la nécessité de la Chancellerie de devoir le muter, le seul qui ait pu finir sa plaidoirie sans être censuré, était un Avocat dont les combats pour les droits de l’Homme avaient été récompensés par des mains présidentielles, de la « cravate » de la Légion d’Honneur…
Chassez le naturel…
Mobilité égale sérénité telles étaient les paroles du Procureur Général de cette Cour d’Appel lors de sa prise de fonction…
Ces précisions faites, la disponibilité étant dans le statut de la fonction publique, il serait de bon aloi que ceux en qui on peut espérer un devoir de réserve par leurs fonctions, s’en servent pour ne pas tomber dans un mélange délétère des genres !
Rédigé par : doc | 15 mars 2007 à 23:50
pour un Alsacien d'origine, sauf erreur pour PB, confondre Haut-Rhin et Bas-Rhin ...
Josiane Bigot exerce ses fonctions de magistrat dans le Haut-Rhin et co-préside le comité de soutien à Ségolène Royal dans le Bas-Rhin où son mari avocat est maire socialiste, ce qui est de notoriété publique
Rédigé par : hag | 15 mars 2007 à 21:47
Josiane Bigot... n'a pas fait dans la dentelle, j'adore.
Rions encore un peu, se moquer d'un nom de famille n'est pas encore sanctionné par le sanctuaire bi-gau (bien pensant de gauche). On y viendra un jour au grand soulagement de madame Labitte ou monsieur Dumollard, au grand désespoir de monsieur Lefebvre.
Rédigé par : LEFEBVRE | 15 mars 2007 à 20:21
"Elle a indiqué que sa hiérarchie lui avait moins reproché la co-présidence du comité de soutien que le jugement très négatif qu'elle avait formulé sur Nicolas Sarkozy au cas où celui-ci serait amené à défendre l'indépendance de la magistrature."
Ce que je pourrais contester à Mme Bigot ce ne sont pas ses prises de position en faveur de SR ou celles formulées à l'encontre de NS, mais plutôt sa trop grande lisibilité politique en tant que co-présidente d'un comité de soutien.
Mme Bigot a parfaitement le droit d'exprimer publiquement son choix de candidat qui, selon elle, correspond le mieux à ce qu'elle pense souhaitable ou indispensable pour notre pays.
L’engagement d’un magistrat peut-il aller jusqu’à co-présider un comité de soutien ?
Mon interrogation.
Que le discours ou que les arguments qui ne sont que militants ou stratégiques avec l’objectif légitime de contribuer à faire élire un candidat ne prennent le pas, par la force des choses et par la nature même d’une responsabilité militante, sur le principe d'une indépendance ou d'une distance intellectuelle que je crois nécessaire dans le métier de magistrat.
Je me demande s’il ne serait pas plus souhaitable que les magistrats qui prennent l’option d’une représentation militante ne mettent de côté, le temps de la campagne électorale, leurs activités professionnelles ?
Si vous-même aviez pris la co-présidence d’un comité de soutien à NS, j’aurais souhaité que vous quittiez votre cour d’assises le temps de la campagne électorale.
En même temps, et j'assume cette contradiction, en tant que justiciable, et si je devais avoir affaire avec la justice, je préférerais nettement avoir affaire à Mme Bigot qu’à M. ou à Mme Tiède.
Car je sais cette dame capable d’engagement, de décision et d‘action. Et je suis toujours plus rassurée et plus à l'aise si j'ai affaire avec des personnes capables de cela.
Encore une fois, décidément, rien n’est simple.
Philippe...les cercles carrés...franchement... ça commence à me fatiguer la tête.
Rédigé par : Véronique | 15 mars 2007 à 19:23
"IN CAUDA VENENUM"
(appliqué à la dernière partie des messages ci-dessus ainsi que dans le billet de PB... mais le mien est à l'avenant !...)
En dehors de ça, je n'ai rien contre "le salut aux couleurs" qu'elles soient : bleu, blanc ou rouge !... Pourvu que ceci corresponde à une réflexion... réfléchie !...
... et si moi, je vous disais que je me prépare à voter "utile" dès le premier tour ?... sans vous dire pour qui bien sûr puisque je... ne le sais pas encore !...
Si vous êtes plus avancés vous, c'est peut-être que vous avez oublié les "oubliés" du CAC40 !...
Vous voilà plusieurs, tout "chamboulés" par une injustice... En ce moment il y a des milliers de justiciables qui auraient bien besoin de votre compassion !... Par exemple : Les soldats du contingent, irradiés par notre permière bombe A, "oubliés" de De Gaulle à Chirac et des ministres des armée de Messmer à MAM, depuis... février 1960 !!!... Les quelques survivants devront-ils attendre un prochain film, genre "Indigènes" ?...
Vous avez dit "justice" ?...
POUR QUI ?... Messmer peut-être ?... Depêchez-vous, il bouge encore !...
(in cauda venenum)
Rédigé par : Mélano | 15 mars 2007 à 13:49
Une fois de plus, je suis en totale symbiose avec vous, dont j'admire toujours la forme de l'expression et le plus souvent le fond de la pensée...
C'est peu dire que je ne partage pas les choix de Madame Josiane Bigot !
Néanmoins, je déplore qu'on ne respecte pas sa liberté d'expression de citoyenne. Les remarques qui furent les miennes pour des journalistes écartés d'antenne pour avoir exprimé leur opinion, valent pour cette magistrate.
Rédigé par : diogène | 15 mars 2007 à 10:40
Bravo, Philippe, et j'espère que votre avis de poids ira jusqu'à la place Vendôme.
Votre "éclat" sur les larbins qui, dans la magistrature comme ailleurs, se préparent à se précipiter ventre à terre au secours de la victoire de tel ou telle, me fait songer que le prurit disciplinaire du Premier Président de Colmar (Pascal Clément a affirmé être étranger à la démarche et n'avoir pas été saisi) pourrait relever de cette attitude. En effet, si le crime de Josiane Bigot est moins son engagement aux côtés de Royal que sa critique de Sarkozy, nous serions bien en présence d'un de ces valets : "soutenez Royal, on ne sait jamais et j'en récupèrerais la mise, mais ne me fâchez pas avec Sarkozy".
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 15 mars 2007 à 10:02
"Mieux vaut, en l'occurrence, une Josiane Bigot que tous les tièdes cachés dans l'ombre avant de chercher à accaparer la lumière conquise par les autres."
Ce que j'aime,finalement, chez PB, c'est la phrase serpentine,ce coup de patte du félin dont le soyeux de la phrase vous berce et ôte vos dernières défenses,hypnotisé que vous êtes par la fluidité du style et la "percutance" (ça n'existe pas encore, comme "bravitude"!) de la pensée...
Bien sûr qu'il ne faut pas sacrifier Josiane Bigot sur l'autel du devoir de réserve... même si la bigotitude de Madame la Conseillère envers Madame Royal s'est quelque peu dévoyée dans des transes ad hominem qui ne paraissaient pas s'imposer..."bigot :qui manifeste une dévotion outrée et étroite" dit mon petit Robert...
Rédigé par : sbriglia | 15 mars 2007 à 09:23
Il n'y aura bientôt plus d'isoloir dans les bureaux de vote... Les intellectuels, les journalstes, les magistrats se bousculeront à la porte pour révéler leur choix avant d'y entrer... Et pourquoi pas le boucher et la fleuriste du coin. "Dans le secret de l'isoloir" semble une expression obsolète...
Rédigé par : bulle | 15 mars 2007 à 05:28