La campagne présidentielle ne laisse pas un instant de repos. Dans son cours officiel comme dans ses circuits de dérivation. Hier, sans doute une minorité de téléspectateurs a pu voir et entendre le débat délicieusement courtois et académique entre Ségolène Royal et François Bayrou, précisément parce que le fond était acquis et connu. Aujourd'hui, dans l'émission de Laurence Ferrari sur Canal Plus, tour à tour Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont été interviewés. Clairement, on était passé aux choses sérieuses.
C'était la première fois que j'avais l'occasion d'être témoin du travail de cette journaliste dans un exercice difficile. Je l'ai trouvée remarquable et ses différences avec Arlette Chabot ne tenaient pas qu'à son esthétique même si, au demeurant, les cheveux mi-longs lui vont très bien. Ce qui m'a frappé, c'est le ton juste qu'elle a su employer et qui évitait aussi bien la pugnacité grossière que la complaisance molle. Dans ces entretiens mêlant les interrogations personnelles aux questions plus politiques, pour tous ceux qui, avant de se prononcer le 6 mai, ont besoin d'apprécier, de jauger, de comparer les apparences, les personnalités et les techniques, une mine de renseignements, d'informations et d'intuitions a été mise à disposition.
D'abord, ce sont les deux meilleurs. Le premier tour a su discriminer avec lucidité intellectuelle les deux privilégiés et la masse des candidats auxquels il manquait quelque chose pour atteindre la plénitude, quelle que soit sa tonalité.
Ensuite, dans l'exercice d'aujourd'hui, Nicolas Sarkozy a été époustouflant. Grave, concentré, capable de réponses rapides et nettes, sachant ramasser en peu de mots l'essentiel de sa pensée, n'oubliant jamais d'associer l'analyse abstraite et le message utile, avocat talentueux de lui-même, maître de ses pulsions polémiques, distillant l'ironique et le sérieux, échappant à l'agressivité sans tomber dans la tiédeur, c'était du grand art, de quelque manière qu'on puisse évaluer sa personne privée et son projet présidentiel. Sa grande force est sans doute là, dans cette capacité de susciter une forme d'adhésion au-delà même des appartenances idéologiques. Il me semble que devant cette prestation on est presque obligé de se dire, si on veut demeurer de bonne foi, qu'il est au-dessus du lot, que l'artiste séduit, que l'animal politique est impressionnant, que de tout cela se dégage comme une certitude, une fiabilité, une évidence, une "solidité", selon un sondage du Parisien, qui rassurent. Si la sincérité est présente, c'est encore mieux. Si c'est une technique suprêmement exploitée, c'est déjà beaucoup.
Après lui, quel contraste ! Ce n'est plus un animal politique qui répond mais une femme d'exception qui s'offre. On est conduit naturellement à quitter le champ intellectuel non parce que, par machisme télévisuel, on minimiserait les facultés de la candidate mais parce qu'elle-même joue d'une séduction non vulgaire et, par ses répliques à la fois trop longues et trop vagues, nous détourne de l'essentiel du débat pour nous contraindre à nous concentrer sur elle. Je suis persuadé que Ségolène Royal détesterait cette approche, elle la considérerait comme injuste et erronée. Pourtant, elle exploite avec subtilité son talent d'être femme, une féminité avec laquelle elle tente de convaincre tout en prétendant s'en défendre. Cette présentation d'elle-même va bien au-delà de la beauté et de l'allure. Elle renvoie à une volonté de prendre la société dans des bras maternels pour lui éviter l'affrontement avec une réalité qui exige, au contraire, la clairvoyance de l'analyse et l'autorité de l'action. Le même sondage du Parisien évoque la "sympathie" qu'elle inspire. Sans forcer, Ségolène Royal se tient au chevet de la France pour l'apaiser quand Nicolas Sarkozy désire la réveiller. Cette attitude de tendresse démocratique peut d'autant plus être mise en évidence que, réfugiée dans les généralités et enlevant au socialisme ce qu'il a de techniquement discutable, elle s'efforce de n'en donner qu'une vision morale. Elle espère de la sorte rattraper grâce aux élans du coeur ceux que l'idéologie a fait fuir. Contrairement à l'image et à l'écoute de Nicolas Sarkozy, ce n'est pas un sentiment d'évidence qui naît devant Ségolène Royal. Chacune de ses phrases est un risque, avec chacune elle relève un défi. On n'est jamais assuré que le mot qui va suivre ne sera pas une catastrophe. Son langage est en équilibre instable et précaire. A force de se vanter de n'avoir pas réponse à tout, l'angoisse doit saisir ses partisans qu'elle ne trouve plus, tout à coup, réponse à rien. Chez Nicolas Sarkozy, le langage s'utilise comme un outil possédé à la perfection. Chez Ségolène Royal, il y a comme une méfiance devant ses possibles imprévisibilités et ambiguïtés. Animal fidèle d'un côté, rétif de l'autre.
Ségolène Royal n'est pas faite pour les cardiaques. Nicolas Sarkozy est un champion qu'on dit anxiogène. Pour lui peut-être, dans son for intime, mais pas pour les autres. Un animal politique contre une femme d'exception. Le premier convainc quand la seconde se sert de ce qu'elle est pour toucher.
En les écoutant, en les regardant, je perçois enfin comme les discours nostalgiques doivent être exaspérants à la longue. C'était mieux, hier !
Non, c'est mieux aujourd'hui. Et ce sera mieux demain. La politique et son intensité, la politique et ses choix, la politique et ses incarnations sont enfin de retour.
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