Demain sera annoncée la composition du gouvernement, avec François Fillon pour Premier ministre. Les supputations ont beau se multiplier, il est vraisemblable que quelques surprises nous seront offertes. A commencer par la fonction éminente de garde des Sceaux, qui semble aujourd'hui promise à notre collègue Rachida Dati, qu'il ne m'a jamais été donné de rencontrer au fil du hasard judiciaire.
Hier, j'ai regardé à la télévision la belle cérémonie de passation des pouvoirs à l'Elysée. La classe et l'allure de l'ancien président, avec sa mélancolie dissimulée sous un abord souriant, ont suscité des applaudissements nourris et chaleureux. Son successeur a fait un remarquable discours dont la grande force interne - et c'était la caractéristique éclatante de sa technique orale lors de toutes ses interventions - venait du fait qu'il appelait le consensus tout en n'estompant pas la netteté des choix politiques à accomplir.
Au cours de l'après-midi, le président Sarkozy a innové en rendant hommage à des résistants, notamment à Guy Môquet, jeune homme de dix-sept ans fusillé au mois d'octobre 1941. Une approche superficielle aurait pu laisser croire qu'on se retournait à nouveau vers un passé sombre et que la République se couvrait de cendres. En réalité, pour être subtil, le changement par rapport à l'industrie de la repentance était clair. On admirait ce qui avait été accompli au lieu de le dénoncer. On s'armait d'espoir pour demain au lieu de s'imprégner de désespérance pour hier. Des vertus exceptionnelles, couronnées par une mort assumée et acceptée avec grandeur, étaient exaltées, tandis que sur le mode répétitif, on avait pris le pli de s'accuser de comportements indignes ou prétendus tels. La première attitude donne du carburant moral et intellectuel à un pays, la seconde lui prenait son énergie.
Sur France-Info, j'ai pu écouter les bribes d'un débat entre Laurent Joffrin et Nicolas Beytout sur cette démarche de Nicolas Sarkozy. Le premier l'estimait sincère mais aussi calculateur, le second mettait en exergue sa volonté de transgression dans tous les domaines.
Je ne suis pas persuadé que l'une et l'autre position soient bien fondées. Je me permets de le dire en tant que citoyen ayant cherché à se tenir informé du détail des péripéties politiques et présidentielles et en qualité d'avocat général aux assises qui, sur un autre registre, a aussi besoin d'une appréhension globale de la réalité.
Ce qui me semble en effet déterminant chez Nicolas Sarkozy, plus que la tactique, davantage que le goût de la provocation, c'est l'obsession de la plénitude. Il me semble que certains esprits sont ainsi constitués qu'ils éprouveraient une véritable souffrance devant la mutilation du réel. Analysée de la sorte, la référence à Guy Môquet représente le souci, devant l'épreuve à venir, de ne pas oublier un élément, un honneur, un exemple. De la même manière que les invocations à Jean Jaurès, la suppression de la double peine hier, le libéralisme volontariste constituent les moyens dont une personnalité dispose pour rassembler, dans sa pensée et pour son action, la totalité du monde. Certes, cette exigence de plénitude peut voir son contenu discuté voire nié mais il n'en demeure pas moins que ce serait faire fausse route que d'attribuer à du calcul et à de la manipulation ce qui relève plutôt de l'expression d'un tempérament qui n'a pas d'autre choix que mettre son emprise sur tout ce qui s'offre. La pratique classique, en politique comme ailleurs, consiste à adapter son esprit au rôle qui vous a été assigné : un président de droite avec une vision hémiplégique de la vie sociale et de l'esprit public, pour demeurer fidèle à ce qu'il croit être son camp. Un président de gauche agissant de même en s'appropriant l'autre moitié délaissée. Ils ne trahiraient pas leurs partisans peu éclairés mais l'intelligence et la vérité. Il y a des caractères qui ne peuvent pas se contenter de la partie mais qui ont besoin du tout.
Lorsque Nicolas Sarkozy développe son projet, donnant l'impression d'accorder des contraires superficiellement disparates, il répond seulement au besoin que ressent tout véritable esprit, d'être totalitaire dans le bon sens du terme. Il va chercher la réalité partout où elle se trouve et au lieu de la présenter dans un fouillis dont on ne pourrait tirer aucun enseignement, il l'ordonne par le discours et la structure par la vision.
C'est sans doute au nom de cette volonté de tout ramasser et ramener dans son orbite, qu'on constate ou déplore, selon les goûts de chacun, l'irruption de quelques personnes qui paraissent plus contingentes que d'autres. Je ne veux même pas parler de Pascal Sevran ou Enrico Macias mais, par exemple, d'Arno Klarsfeld ou Georges-Marc Benamou. Ce n'est pas qu'ils soient utiles, mais laisser à la porte ces narcissiques persuadés de servir constituerait sans doute pour Nicolas Sarkozy une déperdition. Il ne choisit pas, il cumule. Si l'humain, toutes tonalités confondues, au gré des opportunismes, des voltes ou des compétences, vient dans sa besace, tant mieux. Bienvenue à tous dans la maison du président.
J'ai fait allusion à la stratégie judiciaire et au rôle de l'avocat général aux assises. J'ai toujours pensé - et plus que jamais aujourd'hui - qu'il avait la mission de manifester un impérialisme bienfaisant, d'appréhender une totalité. En aucun cas, l'accusateur ne doit admettre d'être réduit à l'examen d'une portion congrue de la vie qui serait celle, artificielle et infirme, que son statut lui accorderait. Il est légitime à se vouloir et à se camper, sans arrogance mais avec confiance, comme un commissaire du gouvernement de la vérité puisque dans l'enceinte criminelle, il est la partie la plus libre qui soit. Je n'ai jamais accepté la tentation qu'on sent poindre souvent d'un jeu de rôles, d'un rituel programmé, d'un débat tronqué. S'il ne s'agissait que de tactique, si cette appropriation du réel ne résultait que de l'envie d'enlever l'argumentation et la parole sous la langue de l'avocat, elles seraient vite déjouées. Ce qui parfois rend redoutable cette machine impérieuse de l'accusation, c'est l'expression d'un élan et le poids d'une sincérité, l'affirmation d'une personne. On n'a pas le choix : il faut tout prendre pour tout restituer.
Le discours qui se croit habile est le pire qui soit. Trop vite découvert, trop facilement contredit. Nicolas Sarkozy convainc parce qu'il se met dans ce qu'il dit. Tant qu'il saura épouser toutes les facettes de la réalité, la politique aura une chance d'être prise au sérieux.
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