Il y a la critique automatique comme on parle du pilote automatique. On se demande si les critiques ont lu les livres sur lesquels ils écrivent ou s'ils ne se contentent pas de dérouler une bande d'un roman à l'autre. C'est l'accueil fait au dernier Douglas Kennedy, "La femme du Ve", qui m'inspire cette réflexion.
Avant d'expliquer mon point de vue, un mot sur l'éviction de Jean-Marie Colombani à la suite du vote négatif du Monde. On ne tire pas sur les ambulances, dit-on. D'une part je ne tire pas et heureusement J-MC n'est pas devenu une ambulance. Je ne me fais aucun souci pour son avenir. Sur un registre infiniment plus modeste que la contestation de son action de Directeur, je témoigne que J-M C prend des engagements qu'il ne tient pas. A mon égard, il n'a pas été un homme de parole. Apparemment, pour lui aussi, les promesses ne lient que ceux qui les reçoivent. Dommage.
Douglas Kennedy est un romancier populaire au meilleur sens du terme. J'ai lu tous ses livres. Je fais partie de ceux qui, dès le premier jour, se ruent dans les librairies pour acheter la nouveauté dont ils sont persuadés qu'elle les comblera. DK aime la France, séjourne régulièrement à Paris et à l'évidence connaît bien notre capitale et ses salles de cinéma. Ses romans, que les puristes négligent, sont toujours construits sur la même structure qui, pour ne jamais surprendre, suscite pourtant la même adhésion. Une vie ordinaire se trouve bouleversée. Le héros, au fil des péripéties, tombe au fond du trou. Puis il se relève doucement, lentement pour atteindre enfin un bonheur d'une autre sorte que celui qui l'habitait à la première page. Non plus une félicité banale et inconsciente d'elle-même mais une félicité gagnée à la suite d'épreuves, arrachée de haute lutte au malheur.
Ce qui frappe dans ses romans, c'est la puissance de la narration, l'art de la psychologie, la capacité d'imagination et le mouvement d'une création à la fois forte et subtile. La civilisation américaine apparaît comme le terreau incomparable d'histoires qui semblent ne pouvoir se concevoir que dans ce pays d'agitation, de démesure et de violence.
DK a voulu situer son dernier livre à Paris. Il faut le remercier pour cet hommage qu'il rend à notre pays, comme s'il avait eu besoin de lui pour aborder une nouvelle phase de sa création. Au lieu de précipiter le mouvement pour terminer ma lecture - et d'en être triste -, avec "La femme du Ve" j'ai traîné comme si je voulais retarder l'aveu de ma déception.
Un médiocre DK est un événement si exceptionnel qu'on se sent tenu de le mentionner mais, il faut raison garder, le niveau de son livre vaut tout de même largement celui de certains auteurs français surestimés. Il est d'ailleurs, comme d'habitude, en tête des ventes.
Reste que le roman s'égare et manque son but. Certes, en de nombreuses pages, on est haletant, à nouveau possédé par la formidable mécanique de la fiction et ce talent qu'a l'auteur de nous façonner une quotidienneté passionnante. Mais, pour l'essentiel, en s'exilant à Paris, le romancier a perdu beaucoup de sa magie "vériste" et en se projetant dans le surnaturel et le fantastique, il a fait dériver son livre d'une manière qui ennuie plus qu'elle ne stimule le lecteur. Le mélange de ces deux univers - les erreurs factuelles ou procédurales pour l'enquête de police, le caractère trop appliqué et scolaire de sa présentation romanesque de Paris, l'absurdité, même si elle est désirée, de situations centrales dans le récit, le réalisme mêlé au fantasmagorique - apporte, à mon sens, plus de déplaisir et d'irritation à la longue que d'intérêt et de curiosité.
Bref, ce livre est un échec. Un auteur ne devrait jamais s'éloigner de son lieu, ses racines, son antre. Lorsque Faulkner a quitté le comté mythique de ses tragédies, il a écrit "Parabole" et c'est son plus mauvais livre, celui dont il attendait le plus. Toutes proportions gardées, ce dernier roman, pour DK, est le Parabole de Faulkner. Il s'est détourné de ses chemins familiers et il a eu tort. Comment ne pas admirer la volonté de renouvellement tout en déplorant le fiasco de l'entreprise ?
Mais DK doit l'entendre et le comprendre. A lire les critiques parues sur ce roman, je me suis demandé si elles n'avaient pas été écrites à la légère, sur la réputation éprouvée de l'auteur. Il a toujours écrit de très bons livres, donc le nouveau doit être excellent. Les défauts criants que je viens de relever n'ont pas pu ne pas être remarqués si le livre a été réellement parcouru. Je crois que le devoir d'un critique digne de ce nom n'est pas de se pousser du col. Il ne sera jamais un créateur au même titre que l'écrivain sur lequel il écrit. Mais il pourrait devenir un amical et pertinent conseiller qui, au lieu d'absurdement détester ou idolâtrer, viendrait éclairer la lanterne d'un auteur impatient de savoir vraiment ce qu'il vaut, et son livre avec lui. Des appréciations peuvent être chaleureuses, qu'elles soient formulées pour le pire ou le meilleur.
Que DK nous écrive vite un autre roman et qu'il se déroule, par pitié, aux USA et dans la seule réalité !
Faulkner a aussi quitté le comté mythique de ses tragédies pour écrire son plus beau roman "Si je t'oublie, Jérusalem".
Rédigé par : valentin | 28 mai 2007 à 18:49
"Je fais partie de ceux qui, dès le premier jour, se ruent dans les librairies pour acheter la nouveauté dont ils sont persuadés qu'elle les comblera."
Alors une adresse très intéressante et si utile pour vous Philippe:
"Il s’appelle Michel Sakarovitch et dirige, à Bures-sur-Yvette, une petite librairie qu’il a baptisée Lirabur (01-69-07-36-66). L’espace y est si réduit qu’il lui serait impossible d’exposer les 30000 nouveaux titres que les éditeurs français publient chaque année. Quand bien même disposerait-il d’une grande surface qu’il n’en aurait guère l’usage. Car il est plutôt du genre à se désencombrer. Outre qu’il refuse de céder à «la pression d’une actualité littéraire trop abondante et de valeur inégale», il s’obstine à entretenir avec le lecteur, son semblable, son frère, des relations étroites, complices, ardentes et… désintéressées.(...)
M. Sakarovitch, dont l’amour de la littérature est beaucoup plus impérieux que le souci du chiffre d’affaires – on voit par là combien il est inactuel –, a poussé l’altruisme jusqu’à créer le Prix du livre oublié. Les fidèles clients-lecteurs de Lirabur désignent les titres (disponibles) qu’ils souhaiteraient sauver de l’amnésie et de l’ingratitude contemporaines."
Article de Jérôme Garcin paru dans Le Nouvel Observateur et repris en juin 2005 dans le blog: http://lemurmuredesmots.blog.lemonde.
Dans Cécilialit, le blog d'une libraire (http://www.cecilialit), Cécilia nous précise le 12 mai dernier:
"La librairie Lirabur de Michel Sakarovitch vient d'être vendue à une toute nouvelle libraire, Eliane Paty. Cette nouvelle librairie s'appelle désormais La Voix au Chapitre."
Cécilia nous dit également que le Prix du livre oublié est maintenu. Voici la sélection 2007:
Le général solitude de Eric Faye
Oblomov de Ivan A Gontcharov
Le mur invisible de Marlen Haushofer
Le journal d'Edith de Patricia Highsmith
Le Dernier Eté de Ricarda Huch
L'imprécateur de René-Victor Pilhes
Les mouchoirs rouges de Cholet de Michel Ragon
Pedro Paramo de Juan Rulfo
Le mineur de Natsume Sôseki
Le decameron des femmes de Julia Voznesenskaya
Le prix est habituellement décerné au mois de juin.
Philippe, vous n'avez plus une seconde à perdre pour participer à la désignation du titre lauréat!!!
Oui, je sais.
Il va falloir renoncer quelques jours à Voici, Paris-Match, Le Parisien, le foot, la télé etc...
Rédigé par : Véronique | 27 mai 2007 à 13:27
Bigre !
j'ai bien peur que vous ne confondiez avec DSK ! :-(
Rédigé par : Cactus rebondit sur Sbriglia | 24 mai 2007 à 18:04
@catherine A.: ne mélangez pas les premiers romans de DK (lisez "Cul de sac" et vous serez convaincue) avec cette informe bouillie pour ados prépubères, midinettes enamourées et autres Tanguy en recherche psy que sont les livres de paulo c'est l'eau ...tiède...
Chaque époque a eu ses gourous pour maillon faible : moi ce fut "Lettres à un jeune poète"... aujourd'hui elles sont dans la plus petite pièce de la maison...
Rédigé par : sbriglia | 24 mai 2007 à 09:05
moi j'aime bien cette touche de ROUGE : je me sens chez moi quand j'y voyage d'URL en URL :-)
et je repense à Kieslowski et à sa trilogie - encore une pensée et pour Juliette Binoche magique en BLEU de surchauffe et pour Véronique voire vissez Versace -!
Rédigé par : Cactus critique à vélo | 23 mai 2007 à 23:02
Les critiques de films, de livres, de pièces de théâtre qui font partie de la "troupe" de Paris Première (E.Quin, M.Pingeot...) n'ont-ils pas supplanté en notoriété la plupart de leurs invités ?
Rédigé par : Ludo Lefebvre | 23 mai 2007 à 22:58
@catherine A : je partage votre avis. Je viens, également invité par des amis à le faire, de lire "Une relation dangereuse" - qui du reste Ph.B se déroule hors des E.U, au Caire puis à Londres - et j'ai eu du mal à le terminer ne parvenant pas à m'intéresser au personnage de Sally comme à ses mésaventures maternelles et conjugales.
Pour autant, vous avez raison Philippe, c'est avec un oeil critique qu'il faut lire les critiques : "la critique est aisée" et parfois on souhaiterait hurler "si la critique se taisait !"
Rédigé par : Parayre | 23 mai 2007 à 22:04
A propos des critiques, "Les illusions perdues" sont un monument de justesse toujours d'actualité, il me semble.
Je ne comprends pas comment un critique ou un animateur d'émission littéraire peut matériellement avoir lu avec attention l'ensemble des livres dont il parle. Lire quatre livres par semaine est déjà bien.
Je serais assez mauvais critique, car j'aime peu l'analyse littéraire, l'interprétation telle qu'elle nous est apprise à l'université. C'est une énorme extrapolation, un mensonge, une perversion des intentions de l'auteur souvent. Ma critique de livres est toujours tripale, même devant la forme et se résumerait facilement à j'aime ou je n'aime pas en développant à peine.
La compromission peut parfois faire tomber des préjugés, être une découverte, mais nombre de ces professionnels doivent supporter nombre d'écrits pathétiques ou ne les intéressant pas, ils doivent aussi être ankylosés dans le non dit, le copinage, les intérêts souterrains, rien de bien jouissif, de bien libre.
Muray faisait de la critique un exercice littéraire comme un autre, pour quelqu'un qui a su préserver son indépendance, c'est de ce point de vue certainement agréable, car le critique crée, reste dans le plaisir d'écrire.
J'ai une très petite culture journalistique aussi un jour devant un jury universitaire pour obtenir l'accessibilité d' un D U de journalisme, il me fut demandé qui sont mes modèles dans ce domaine. Embêté de cette question, j'ai répondu Claude Roy, Jean Cau, Georges de Caunes, Jean Jaurès, Albert Londres en désespoir de cause. J'ai été recalé et traité de prétentieux, alors que pour une fois je ne l'étais pas. C'était mon inculture masquée qui m'avait mal soufflé.
Rédigé par : Ludo Lefebvre | 23 mai 2007 à 21:08
Bien qu'amateur de romans noirs, je ne connais cet auteur que de nom.
Cela me rappelle un polar de Patricia Cornwell qui se passe en partie à la morgue de Paris et dans une nos fiertés nationales, le centre interpol de Lyon. Ce n'était guère une réussite.
L'Américain même parisien ou provincial depuis quelques années semble avoir du mal à se départir d'une image d'Epinal de la France exotique, base de loisir américaine, avec ses personnages incongrus.
Kennedy est loin d'être le seul à venir faire un fiasco en France, mais peut-être que son lecteur atlantiste va apprécier.
Personnellement j'adore le Los Angeles d'Ellroy et le Wioming de Jim Harrison. Les lettres persanes nous démontrent qu'on peut bien écrire de l'extérieur ou sur l'extérieur.
Il semble pourtant que la meilleure peinture soit souvent locale.
Rédigé par : Ludo Lefebvre | 23 mai 2007 à 20:44
DK n'a pas écrit que des bonnes choses, "Une relation dangereuse", "Rien ne va plus" et "Les désarrois de Ned Allen" sont pour moi beaucoup moins forts que tous les autres, dont "Cul-de-sac" est certainement le meilleur. Me voilà embarquée dans la lecture de ce nouveau DK, en pleine enquête policière, et je ne boude pas mon plaisir, après avoir buté pourtant en début de narration sur certaines expressions et réflexions peu communes chez cet auteur, la faute à l'excellent traducteur Bernard Cohen ou bien...
Attendons de connaître l'épilogue.
Mais sur les critiques, je crois que vous avez raison dans le fond et pour tous les arts...
Rédigé par : Mimie in vivo | 23 mai 2007 à 17:21
@ un tout petit témoignage pour venir au secours de critiques qui ont peut-être tout à fait sincèrement pas aimé : à force d'entendre les copines (son fan-club est très très féminin) me vanter quasiment au bord de la pâmoison DK, j'avais fini par acheter deux de ses livres, dont j'ai oublié jusqu'aux titres (j'exagère à peine) mais pas ma déception à les lire. Ou a essayer car il a fallu que je me fasse violence pour en lire quelques dizaines de pages et j'ai eu beau les reprendre ils me sont toujours aussi vite tombés des mains. Un mortel ennnui. Son succès est pour moi un mystère, presque autant que celui de Paulo Coelho. Cela dit, cette manie de certains critiques de se faire plaisir en démolissant des "statues" ou en les lustrant d'un coup de brosse m'agace ; je préfèrerais qu'ils dépensent leur énergie à trouver dans la production littéraire les pépites qu'elle cache parfois ; mais si un journaliste ne peut plus se faire plaisir, où va-t-on...
Rédigé par : catherine A. | 23 mai 2007 à 17:11
C'est la première fois que j'entends parler de "Douglas Kennedy". Je m'abstiendrai donc de commentaires personnels, qu'ils soient sur l'auteur ou la critique et ne manquerai pas de lire prochainement un ou des livres de D.K.
Seulement un emprunt à Pierre Bourdieu* :" ...Les producteurs produisent non pas - et en tout cas beaucoup moins qu'on ne le croit- par référence à leur public mais par référence à leurs concurrents"
*Pierre Bourdieu - "Questions de sociologie" - Culture et politique.
Rédigé par : Bernard-27400 | 23 mai 2007 à 16:43
...J'ai d'ailleurs très nettement préféré "Une tragédie ordinaire" de Dugain qui me semble faire le même parcours que les auteurs précédents, après sa biographie romancée mais remarquable de la vie de Hoover...
Rédigé par : sbriglia | 23 mai 2007 à 16:28
Douglas Kennedy rencontre le même problème que Paul Auster : la panne d'inspiration !
Quand on a dévoré "Cul de Sac", "L'homme qui voulait vivre sa vie" et, pour Auster, "Leviathan" et "La musique du hasard" on ne peut qu'être déçu par "Vertigo" (pour Auster) et "La femme du Vème", comme vous l'avez été...
Il n'y a que les frères Coen qui ne baissent jamais la garde mais c'est sur la toile !
PS : Pour le Colon banni, je me réjouis que Robert Solé ait été suivi par les autres...
Le journalisme de Colombani n'avait rien à voir avec celui de HBM, la référence...et je n'aime pas le népotisme : Schneiderman le décrit bien sur son blog ! (il faut lire le jugement des prud'hommes condamnant "le Monde", jugement confirmé par la Cour d'Appel et que DS met, en toute transparence, sur son blog (Bing Bang Blog).
PS 2 : encore un petit effort sur le rouge qui est trop vermillon (la peine de mort a été abolie et le foulard couleur de sang chez les scouts c'est ringard !)
L'ancien rouge était parfait, on se croyait dans les ors et les pompes des grandes Assises !
PS3 : j'invite les habituels visiteurs de ce blog à lire la nécro parue dans le Monde daté de ce jour sur Pierre Gilles de Gennes...ils découvriront sous une citation rapportée de Pierre Georges, cité dans l'article, une description de PGde G que, référence gardée, j'appliquerais à notre hôte... les lecteurs de l'article et du passage cité me comprendront...
Rédigé par : sbriglia | 23 mai 2007 à 16:19