Le 17 juin, nous arriverons à la fin du premier cycle présidentiel.
Je ne crois pas que ce soit violer l'obligation de réserve, à laquelle je tiens profondément dans son esprit, que de tenter d'analyser non pas le fond de la politique qui ne me regarde pas, sauf à réagir en magistrat devant les projets judiciaires et les drames que l'actualité secréte à foison, mais la méthode mise en oeuvre, l'action du discours en quelque sorte, et le discours de l'action.
Cette envie m'est venue dimanche après avoir regardé l'irremplaçable émission de Serge Moati "Ripostes", dont le thème se rapportait précisément à la pratique du président de la République. Si j'ai été séduit, parfois convaincu, à l'écoute de certaines interventions - étaient présents notamment Jean d'Ormesson qui a mis de l'aigreur et de la susceptibilité dans son "jeunisme" affecté, Dominique Wolton, Gérard Miller et Maurice Szafran -, je n'ai pas entendu formuler cette idée à mon sens centrale qu'avec Nicolas Sarkozy, la France n'est pas entrée en "hypnose" mais en mouvement perpétuel. D'un coup, c'est l'action qui donne le sens et c'est l'action qui devient morale.
On comprend que devant une telle révolution de la méthode, on éprouve comme un tournis démocratique. Hier, peu ou prou, la politique ne pouvait être qu'un habillage honorable au pire de l'impuissance, au mieux d'une ambition limitée. L'idéologie de laisser du temps au temps et de préférer, pour régler les problèmes, une absence prétendument habile de solution au risque de l'initiative, avait gangrené tous les esprits. L'abstention, par définition, mettait à l'abri des réactions désordonnées et imprévisibles du réel, l'action constituait donc une épreuve à ne jamais surmonter.
Avec Nicolas Sarkozy, c'est l'inverse, sur lequel on n'a pas assez insisté. Cette différence radicale d'approche fait d'ailleurs qu'un magistrat peut, sans trahir d'exigences fondamentales, s'attacher comme à un objet politique non identifiable aux modalités plus qu'au contenu, à la forme plus qu'à la substance. En dépit d'un discours de campagne qui aspirait à lui redonner son importance, le président de la République ne surestime pas les effets de la politique traditionnelle, dont il perçoit les inévitables limites et les déceptions qu'elle peut engendrer. Aussi, davantage que l'action de la politique, il a décidé, me semble-t-il, de privilégier une politique de l'action. On aboutit à ce paradoxe que la chose politique recouvre ses droits grâce à une démarche qui ne fait plus d'elle une inspiration mais une conséquence. Nous nous trouvons confrontés à un existentialisme de la gestion publique : l'existence précède l'essence.
Ce retournement, qui met le président de la République en première ligne, le fait bénéficier d'une autorité par l'exemple, dont le défaut expliquait hier beaucoup d'atonie et de carences. Sur un plan anecdotique, il est frappant de constater comme, à peine nommés, les membres du gouvernement ont d'emblée pris le pli "à la Sarkozy" de bouger pour donner au moins l'apparence d'un mouvement avant de promouvoir, qui sait, le bienfait d'une réforme.
Cette action dans les domaines national et international, avec ses réussites et ses réticences, est facilement identifiable au regard de la stratégie de communication que le candidat avait victorieusement expérimentée. Celle-ci ressemble trop à sa personnalité profonde pour que le président de la République ne la poursuive pas. Non seulement, comme cela a été dit lors de Ripostes, Nicolas Sarkozy communique aujourd'hui pour agir demain mais sa communication d'aujourd'hui représente elle-même une action instantanée. Les mots ne sont pas laissés au rancart. Ils ne sont plus destinés à masquer les béances entre ce qui est promis et ce qui est tenu mais à prendre leur part dans une vision politique où rien ne doit échapper à l'obligation de l'action. Le langage qui met une volonté en mots devient donc un instrument au même titre que d'autres formes plus évidentes d'entreprise et d'activité.
L'action acquiert un statut très particulier. Elle n'est pas destinée à gérer l'acquis, elle n'a pas pour vocation de maintenir l'ordre des choses ou, par un subtil mélange de compassionnel et de misérabilisme, de remplacer la puissance de faire par les élans du coeur. L'action n'a plus qu'une seule finalité mais capitale. Là où Nicolas Sarkozy passe, il n'est pas concevable que quoi que ce soit demeure tel quel. La réalité non pas trépasse mais se transforme, explose de l'intérieur. Une sorte d'Attila républicain, agitateur de bon aloi qui torture l'immuable pour en faire surgir du nouveau. En ce sens, il n'avait pas tort de se décréter révolutionnaire. Un réel laissé immobile est une offense car il manifeste que l'action n'a pas eu lieu ou qu'elle a échoué.
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