Il a été, tout au long de son existence, la parfaite incarnation du pouvoir de la comédie. On a beaucoup évoqué ses films, la Cage aux folles, le Viager, l'extraordinaire Nelly et monsieur Arnaud. On n'aime rien tant que les artistes qui bifurquent et s'adonnent soudain au sérieux et au grave. Michel Serrault, à l'évidence, a su jouer de ce registre-là et il n'a eu aucun mal à se situer dans les quelques élus qui suscitent l'admiration de (presque) tous. Il y a toujours quelques grincheux qui sont nécessaires car ils rendent l'enthousiasme plausible.
Comme je ne suis pas perçu forcément comme un joyeux drille, pour ma part je voudrais faire référence au Michel Serrault d'avant, à celui qui avec Jean Poiret a atteint les sommets du comique. Sans doute y a-t-il une part d'inguérissable nostalgie dans cette dilection pour ce duo qui a su créer un genre original où l'intelligence, la satire, déjà la dérision se conjuguaient avec un esprit dont la grande force était de faire fond sur le langage. C'est si bon de pouvoir s'abandonner à un rire inextinguible et je dois ces moments de délivrance de soi à Poiret et à Serrault. Je n'arrive pas à oublier cette pièce "Sacré Léonard", où avec une maestria sans égale l'un et l'autre rassemblaient sans le savoir et sans le vouloir les recettes multiples et contrastées d'un génie comique dont par la suite nous n'aurions plus que des fragments éclatés.
Sacré Michel !
Le pouvoir de la comédie. Mais aussi la, les comédies du pouvoir. Libération d'aujourd'hui consacre deux pages à "La France qui se pique de pipolitique".
On a déjà beaucoup écrit sur cette personnalisation effrénée de la vie politique et sur les héros emblématiques, aujourd'hui, de cette irrésistible évolution : François et Ségolène, Cécilia et Nicolas.
Ce qui me semble intéressant, ce n'est pas tant de rappeler qu'il y a eu déjà des phénomènes de "pipolisation", car réduits, circonscrits, relégués, ils n'avaient rien à voir avec l'effervescence actuelle. Ils venaient tout juste éclairer, par contraste, l'implacable gravité du comportement politique d'alors. Il était hors de question à l'époque, de sortir du champ classique et traditionnel des devoirs et des responsabilités. Le projet politique se voulait suffisamment dense et assez éloigné du slogan médiatique pour n'avoir pas besoin d'une focalisation de la lumière sur celui qui en était le porteur. Le général de Gaulle et Georges Pompidou fuyaient ce qu'ils auraient perçu sans doute comme le comble de la vulgarité. L'idée valait plus que la personne, même si l'un et l'autre avaient une très haute conception de leur fonction.
Avec Valéry Giscard d'Estaing, a commencé le processus permettant à juste titre à Libération d'analyser la "pipolitique". Celle-ci n'a pas conduit à remplacer l'idée par la personne. Parce que l'idée politique d'aujourd'hui exige dans son expression tout autre chose que la pensée d'hier, elle a eu pour conséquence quasiment obligatoire la mise en évidence de la personnalité qui la fait connaître. Il me semble - et c'est une banalité dont la récente campagne présidentielle nous a démontré l'évidence - qu'entre le programme des anciens temps et le vide sidéral de certaines prestations, il existe des affirmations fortes, une structuration éclatante et répétée de concepts et d'orientations, un langage politique qui loin de fuir la densité sommaire du publicitaire, la recherche et la cultive. Et cette manière neuve de réfléchir et de proposer, plus simple, moins élaborée, plus frappante, a pour complément inévitable la démonstration par l'être qui la présente à l'opinion. La personne en effet n'a pas remplacé l'idée mais celle-ci, pour être convaincante aujourd'hui, a besoin du couple indissociable formé par la parole et son locuteur. La pipolisation n'est pas seulement la dégradation de la gravité politique en vulgarité médiatique. Elle constitue une part capitale d'un nouvel art politique. On peut l'aimer ou la détester mais on n'échappera pas à cette modernisation.
Pas seulement, donc, Cécilia et Nicolas. Mais Nicolas et l'idée qu'il exprime. Ce qui convainc, c'est l'image et l'intimité mais liées au fond. Le déclin n'est pas pour demain.
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