Quel plaisir d'entendre la ministre de la Culture, Christine Albanel, défendre la lettre de mission qui lui a été adressée par l'Elysée sur un point capital qui a fait polémique !
Elle affirme, selon le Monde, qu'elle ne veut pas se contenter de "signer des chèques" et qu'elle attend des "engagements" des scènes subventionnées, notamment sur l'audience des oeuvres. Elle aggrave son cas en précisant que "la question des publics n'est pas taboue" et souligne avec bon sens que qualité et succès public ne sont pas antinomiques.
De telles évidences, émanant d'une personne reconnue intelligente et compétente, n'auraient pas du susciter la moindre contestation puisque, sauf à faire du monde culturel une forteresse retranchée, il est légitime de demander à celui-ci d'avoir une politique, des audiences, des spectacles, des réussites à la hauteur de ce que l'Etat généreusement lui offre, en particulier sur le plan théâtral.
Mais on devine que la ministre de la Culture, en se mêlant de ce qui la regarde, a dérangé la bureaucratie et les apparatchiks de l'art assisté, a troublé un univers qui fonctionnait avec sérénité sur un registre infiniment commode : il n'y avait jamais d'échecs puisque, par définition, le succès était un concept vulgaire, une grille d'appréciation totalement inadaptée, une éventualité disqualifiée par avance.
Il faut dire que le précédent ministre de la Culture avait succombé au péché mignon d'une certaine droite qui se croit obligée de flatter la pensée de gauche, d'épouser l'hermétisme progressiste et de refuser l'élitisme populaire. Sa démagogie a fait doublement mal : elle a fait du projet culturel de la droite une coquille vide et elle a réjoui la gauche qui y a vu la continuation d'une entreprise qui lui permet, dans ce domaine, de vaincre sans combattre. Puisque, jusqu'à maintenant, elle était consacrée, en quelque sorte par principe, comme la gardienne des valeurs artistiques.
Ce que souhaite faire admettre Christine Albanel représente déjà un début de révolution. Oser faire croire que le succès public d'une pièce peut être au moins l'un des signes de sa qualité est intolérable pour tous ceux que la déconfiture stimule et que la subvention ne gêne pas. Mais il y a plus grave pour nos responsables, animateurs, créateurs, artistes et concepteurs ! C'est que d'un coup, on va les contraindre à sortir de la satisfaction d'eux-mêmes pour se pencher, le temps d'un divertissement et d'une comédie, sur cette masse obscure qui est venue au théâtre on ne sait trop pourquoi et qui absurdement espère sourire, s'émouvoir, pleurer, s'enthousiasmer, vivre autrement ! Le public, quoi, les gens, les visiteurs du soir, les empêcheurs d'ennuyer en rond.
Ils pensaient pourtant être tranquilles, les purs, dans leur autarcie où l'argent venait, où le public ne venait pas, et où l'Etat, pour faire bien, applaudissait.
Cela n'ira peut-être pas plus loin mais c'est déjà un coup de semonce. Si l'art n'est que la propriété de ceux qui le cultivent, c'est qu'il n'est pas véritable. S'il dépasse les frontières étroites de ceux qui s'en prétendent à la fois les créateurs et les spectateurs légitimes, il aura une chance d'irriguer et de plaire. La multitude lui fera du bien et Shakespeare sera heureux !
Madame la ministre, continuez à ne pas vous laisser faire. Vous avez déjà commencé à reprendre une part de ce qu'on avait abandonné.
Enfin !
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