Apparemment, on quitte doucement l'hagiographie dans les portraits de notre garde des Sceaux. Ainsi, l'Express, sous la signature de Gilles Gaetner, et Marianne, sous celles d'Eric Conan et de Laurence Dequay, ont tenté d'en dessiner une image plausible, nuancée, complexe, critique mais sans excès, flatteuse mais sans idolâtrie. On sent tout de même que ces journalistes prennent garde à leur modèle et s'efforcent de ne pas franchir une invisible - cécilienne ? - ligne jaune. Aussi estimables qu'ils soient, ces articles ont le tort de s'enfermer dans une description de Rachida Dati qui ne la met en situation que face au président de la République, en omettant un élément capital. Il est de plus en plus clair que celui-ci ne l'a choisie que pour incarner sa propre défiance de la magistrature. Si j'ose le terme, plus pour dresser que favoriser cette dernière.
On ne change pas totalement de sujet. Quand on lit tout, ou presque tout, durant la semaine, on est effaré par le poids des connivences et des dépendances dans beaucoup de domaines. Si on ne s'adonne qu'à la télévision ou à la radio, faute de pouvoir appréhender le tableau d'ensemble, on ne les perçoit pas, ou plus difficilement.
Prenons un exemple qui s'inscrit dans une longue série mettant en cause le journalisme aussi bien de gauche que de droite. Eric Neuhoff et Patrick Besson viennent de publier chacun un roman. L'un et l'autre écrivent dans le Figaro Magazine et dans le Figaro Madame. Dans ces publications, ils ont déjà eu droit à des appréciations élogieuses. Ce n'est rien à côté de la page qui leur est consacrée par Anthony Palou dans le Figaro Magazine et qui est accompagnée par une photographie pleine page des deux auteurs dans le même lit, s'esclaffant sans doute à la lecture du roman de l'un et de l'autre. Pourquoi pas ? Il faut croire que tout ce qui est excessif est signifiant.
Et, quelle surprise, je retrouve dans Marianne un article enthousiaste de - devinez de qui et sur qui ? Patrick Besson sur Eric Neuhoff... Et ce n'est pas tout puisque, dans VSD, je vais pouvoir lire, quelques jours plus tard, un article dithyrambique de Nicolas Rey sur le roman d'Eric Neuhoff, l'un croisant l'autre dans le même magazine. N'en jetez plus, la coupe est pleine!
Beaucoup de bruit pour rien, dira-t-on, et tout le monde fait la même chose, encensant les amitiés avant les ouvrages sans éprouver même l'ombre d'une honte. La déontologie est-elle réservée à l'ensemble des thèmes à l'exception du ghetto culturel, où on aurait là le droit de s'abandonner avec le plus grand sérieux à des renvois d'ascenseur qui devraient indigner le lecteur s'il en avait encore la capacité? Quel étonnement de voir un tel procédé dans Marianne, qui par ailleurs est si justement chatouilleux devant les dérives qui menacent un journalisme oublieux du devoir de vérité et de sincérité !
Je comprends bien le ridicule qu'il y a à enfoncer des portes ouvertes, à protester contre l'inéluctable compromission d'un univers qui s'échange la rhubarbe et le séné. Et pourtant on a raison de se révolter.
Le pire, c'est qu'à la longue, à force de rire, on finira par ne plus lire. Et on manquera peut-être quelque chose de bien, qui sait? Eric Neuhoff et Patrick Besson ont beaucoup de talent. Est-il donc nécessaire qu'ils laissent la nausée médiatique l'emporter chez le lecteur sur l'estime littéraire ?
Et l'allure, pourquoi serait-ce un vain mot pour des personnalités qui n'y sont pas insensibles dans les pages qu'elles écrivent ?
Déjà dans "Les Illusions perdues" de Balzac, le mécanisme de connivences entre journalistes, critiques et écrivains est parfaitement énoncé. Un de nos meilleurs écrivains était grotesque jusque dans ses habits par ce désir d'appartenance, mais il n'avait pas la justesse de salon d'un Eugène Sue et il exprimait cette "comédie humaine" dans son oeuvre éponyme, ce qui lui valut les inimitiés qu'on connaît, donc pas de place au Panthéon et à l'Académie française.
Ce n'est donc pas un phénomène nouveau et tout comme pour la délinquance, il serait vain d'avoir l'irréalisme de le voir disparaître. Comme cette dernière toutefois, il est exacerbé de nos jours. Les voir baisser de façon qu'ils ne soient plus des éléments de la norme sera déjà un bon progrès.
Faire des billets de ce genre, persévérer en écriture, être patient, déterminé, continuer de donner son avis deviendrait-il lancinant, convaincre par capillarité autour de soi sont les bonnes attitudes si nous sommes attachés à un peu plus d'authenticité.
Il n'y aura pas de révolution culturelle, de changement brusque probablement. Nous aurons droit à Bernard-Henri Lévy à l'Académie française, au sacre de Christine Angot, à d'autres prix de complaisance pour Beigbeder, à la création de récompenses de copinage comme le Prix Monte-Cristo, à la continuité d'une littérature de journalistes, de politiques, de pipoles, mais il faudra continuer toujours et encore !
Rédigé par : Ludo Lefebvre | 18 septembre 2007 à 15:03
@cactus, quel maladroit vous faites... enfoncer des portes ouvertes est quand même le meilleur moyen de ne pas les prendre dans la gueule et vous vous arrangez pour prendre un lustre... ça vous apprendra.
@d'autres : les journalistes sont comme les autres, il y a chez eux autant de faux-culs, lâches, rustres (à vous de continuer la liste, je n'aime pas les catalogues) que chez les marins, instit, magistrats (voir remarque qui précède) mais voudriez-vous d'un pays sans eux ? On a les politiques qu'on mérite ; sans doute aussi les journalistes.
Rédigé par : catherine A. | 18 septembre 2007 à 13:54
Vadius et Trissotin, éternels, rien d'autre. Connivences des flatteurs et détestation des rivaux, vanités rayonnantes, enflures de grenouilles, super show de l'insignifiance.
On ne trouve même plus les fariboles de ces messieurs dans les rayons "nanars de librairie" des brocantes à 50 centimes d'euro.
J'allais dire que ça m'en chatouillait une sans bouger l'autre, mais non, même pas !
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 18 septembre 2007 à 10:53
Rachida Dati est entendue ce jour par le CSM. Convoquée comme un simple vice-procureur de Nancy pour "s'expliquer sur procès-verbal" ?
Rédigé par : Thierry SAGARDOYTHO | 18 septembre 2007 à 06:32
@sbriglia:
Très juste, il a été élu, en 1986 effectivement, au fauteuil 39 ...
Aussi respectable qu'il était, il a été certes immortel durant vingt ans de sa vie mais, je crains qu'il soit, ou presque, oublié depuis sa mort comme celui auquel il a succédé, Jacques de LACRETELLE .
L'Académie offre une parfaite illustration de la relativité de la gloire !
Depuis sa fondation en 1634, elle a accueilli près de 7OO immortels dont 4 ont été élus deux fois, c'est-à-dire exclus avant d'être réélus. Ce qui fait en moyenne 17 postérieurs par fauteuil, soit vingt ans par tête d'académicien comme Bertrand Poirot-Delpech.
Mais je suis vulgaire en évoquant des postérieurs alors que Jean Dutourd dans son discours de réception a fort bien démontré que "ce sont des esprits qui s'asseyent dans les fauteuils académiques et non des séants comme dans les fauteuils ordinaires".
Rédigé par : Parayre | 17 septembre 2007 à 20:40
Et si, dans les commentaires de livres publiés par la presse, on comptait la proportion des livres écrits par des journalistes...
Rédigé par : Alceste | 17 septembre 2007 à 20:36
«Ce n'est rien à côté de la page qui leur est consacrée, par Anthony Palou, dans le Figaro Magazine et qui est accompagnée par une photographie pleine page des deux auteurs dans le même lit s'esclaffant sans doute à la lecture du roman de l'un et de l'autre»
Ceci explique peut-être cela: «Philippe de Villiers est contre l'adoption pour les couples homosexuels. Moi je suis pour : ça leur fera les pieds. Il y en a marre de voir les gays se taper la cloche aux terrasses des restos alors que nous, les hétéros, on fait du baby-sitting devant la télé en mangeant des nouilles...» Billet de Patrick Besson dans le Point.
J'ai opéré une recherche internet pour ces deux auteurs dont j'avoue n'avoir jamais lu une seule ligne ou alors je ne m'en souviens pas.
Voici ce que ça a donné:
Patrick Besson soixante-treize titres à la FNAC dont quatre romans parus entre mars 2007 et septembre 2007 pour cet auteur de 51ans né d'un père russe et d'une mère croate. Si ça c'est pas écrire comme d'autres peignent au pistolet je ne sais pas ce que c'est !
"Belle-soeur"Date de parution 01/08/2007 -17,10 € - 230 pages
Mot de l'éditeur [Editions Fayard]
Deux frères et une femme. Gilles Verbier, l’aîné, est un journaliste art de vivre, et son cadet Fabien une star de cinéma. Ils se retrouvent chaque dimanche dans la maison de leur mère, à Marolles-en-Brie. Où le comédien présente à sa famille, lors du réveillon de Noël, celle qu’il a choisie pour épouse : Annabel. Dont Gilles devient aussitôt obsédé. Mais obsédé de quoi au juste ? De prendre quelque chose à son frère qui, avec ses succès, lui a volé son droit d’aînesse ? D’être enfin, pour la première fois de sa vie, le préféré des deux ? De déchiffrer le caractère d’Annabel, vestale au comportement trouble et aux mobiles obscurs ? Patrick Besson, après le succès en 2005 de son roman sur les croisades (Saint-Sépulcre !, aux éditions Fayard), renoue avec la veine contemporaine déjà illustrée par Les Braban (prix Renaudot 1995), Accessible à certaine mélancolie et Défiscalisées. Dans son style alerte, aigu et parfois brutal, bien connu de ses lecteurs du Point ou de Marianne, il nous entraîne dans le sillage de personnages tendres, subtils et imprévisibles entre lesquels un terrible drame finira de brouiller les cartes.
"Julius et Isaac" Date de parution juillet 2007 -5,70 €
Mot de l'éditeur [Points ]
Julius et Isaac sont amis, communistes et cinéastes à Hollywood. Mais la " chasse aux sorcières " du sénateur McCarthy met bientôt à mal leur belle amitié : Julius change de camp et dénonce Isaac. Après deux ans de prison, ce dernier reçoit un second coup de poignard, lorsque son ancien ami séduit sa fille, Narcissa. C'est une guerre sans merci - et peut-être sans vainqueur - qui s'engage...
"La science du baiser" Date de parution 03/05/2007 -6,18 €
Pas de mot de l'éditeur [Points ]
"La paresseuse " Date de parution septembre 2007 - 6,18 €
Mot de l'éditeur [Points ]
La mort de son père entraîne le narrateur dans un voyage dans le temps, autour de la figure de Cynthia, belle jeune fille blonde rencontrée lors d’un séjour linguistique en Angleterre.Toute une époque ressurgit : celle des complets de velours couleur moutarde, des flirts, des charges de CRS, des cinémas du Quartier latin, du Pop Club de José Arthur… Apprentissage de la vie et mélimélo des sentiments…
Eric Neuhoff 51ans egalement vingt titres seulement sur Fnac.com
Un seul titre seulement en 2007
"Pension alimentaire" date de parution 22/08/2007 - 11,88 €
Mot de l'éditeur [Albin Michel ]
Père divorcé part avec ses deux enfants sur la Costa-Brava…..
Né en 1956, critique littéraire au Figaro, Eric Neuhoff a publié une dizaine de romans souvent salués par des prix : prix Kléber-Haedens pour Les gens impossibles (1986), prix Roger Nîmier pour Les hanches de Laetitia (1989), prix Interallié pour La Petite Française (1997) et Grand Prix du roman de l'Académie française pour Un bien fou (2001).
Il semblerait d'après Biblioobs qu'il sagisse d'autofiction. Voir au besoin http://bibliobs.nouvelobs.com/2007/09/17/pension-alimentaire-deric-neuhoff
J'ai repéré cette citation [Et comme on ne dîne pas très bien à Paris, il se prépare d’excellentes comparaisons: les cheveux d’un vieillard «d’un blanc éclatant, exactement le même blanc qu’a la chair des tourteaux», et la Seine «épaisse comme une soupe aux châtaignes»].
On passe donc des mains qu'Amélie Nothomb pèle comme on pèle des pommes avec un couteau après les avoir plongées dans une fondue au polystyrène, et qui préfigurent le poêle de la Yamamba , au congélateur du Cimetière des poupées de Mazarine Pingeot en passant par le vieillard qui appelle une comparaison avec la chair des tourteaux, soit trois ouvrages parus à la même péridoe et chez le même éditeur.
Je ne peux pas croire à l'air du temps à ce point, et ce n'est pas là l'image que je me fais de la création littéraire, même si une agrégée de philosophie reçue 18ème/73 en 1997 après que son existence ait été « révélée » médiatiquement en 1994, et qui depuis dix ans rédige une thèse sur Spinoza tout en enseignant à l'université de Provence en tant qu "Allocataire Moniteur Normalien", y donne la caution de son titre!!
Rédigé par : Catherine JACOB | 17 septembre 2007 à 19:58
"Je comprends bien le ridicule qu'il y a à enfoncer des portes ouvertes depuis des lustres."
là , je suis concerné voire consterné : souvenir douloureux d'il y a des lustres : c'est en voulant enfoncer une porte ouverte, un soir tard, que je me suis heurté à un lustre illustre trop bien lustré, d'ou une bosse extra-brillante !
résultat : en rire ou me remettre à lire ?
j'ai ri puis j'ai relu " les précieuses ridicules " !
Sissi.
Rédigé par : Cactus , comme Sancho , penchait mais à bonne allure | 17 septembre 2007 à 18:14
Cela s'appelle aussi faire... le plus vieux métier du monde !
Je me souviens qu'en 1985, le chroniqueur littéraire du Monde se fendait régulièrement dans le supplément littéraire dudit journal de dithyrambiques critiques sur les oeuvres de ces messieurs de l'Académie... à telle enseigne que cela en était grotesque (ah, son panégyrique du médiocre" Creezy "de Marceau !...)
En 1986, il était élu sous la Coupole... et pourtant c'était un homme respectable !...
Il avait passé la rhubarbe...
Rien de bien nouveau, donc...
Rédigé par : sbriglia | 17 septembre 2007 à 18:01