Pour rien au monde, je n'aurais voulu oublier d'évoquer un beau geste d'Ouest France et de son président François-Régis Hutin.
Une parenthèse juste avant pour démontrer, à ceux qui en douteraient, que la célébrité et les dithyrambes n'éloignent pas toujours de la bêtise et de la violence mais en font parfois le lit. Je songe au maître de l'art équestre Bartabas, fondateur du cirque Zingaro, qui n'a rien trouvé de mieux, selon le Figaro, que de dévaster le mobilier du bureau du directeur de la Direction régionale des affaires culturelles d'Île-de-France et le hall de l'organisme, pour un problème de subvention. Il y aura des suites judiciaires mais là n'est pas l'important. Ce qui me dépasse, c'est qu'un Bartabas, loué habituellement au-delà de la mesure et peut-être à cause de cet excès, s'abandonne à ce comportement de voyou. L'encens déversé lui est monté à la tête.
Pour François-Régis Hutin, il ne s'agit pas de casser mais, au contraire, de respecter et de pacifier. Le quotidien "Ouest France" est distribué gratuitement dans plusieurs établissements pénitentiaires de la région et, à partir du mois de janvier 2008, cette livraison sera étendue et bénéficiera à quelque 4500 détenus. Cette initiative a été mise en oeuvre pour la première fois le 3 avril 2006 à la maison d'arrêt de Rennes et son coût est évalué à 150 000 euros par an.
C'est le Monde qui, sous la signature de Pascale Santi, nous rapporte l'histoire de ce lien entre la prison et Ouest France. Le président Hutin, dans une lettre adressée à chaque détenu, avait notamment insisté sur le fait que "lire chaque jour le journal, c'est permettre de rester en contact avec le monde extérieur et de comprendre son actualité". Un prisonnier à La Roche-sur-Yon, pour sa part, lui répond en écho que "votre idée prouve que nous ne sommes pas des sous-hommes".
Certes, cette ouverture sur l'extérieur et cette dignité reconnue ne sont pas négligeables et représentent un apport précieux pour qui souhaite faire de l'enfermement une chance pour l'avenir.
Je vois dans cette possibilité offerte à chacun de se plonger dans la rumeur du monde, la vie de son pays, les violences, les tragédies singulières ou collectives, les délits et les crimes commis par d'autres bien plus que l'opportunité sauvegardée d'une relation avec l'air libre. C'est la faculté laissée à chacun de créer une distance entre d'une part, la culture acharnée, vindicative, rarement sereine de soi coupable et sanctionné et d'autre part, la normalité de l'univers. De regarder au-delà de ses frontières personnelles. Lire quotidiennement, au travers de choses et d'êtres à la fois familiers et inconnus, la chronique de réalités et d'histoires objectives, aboutit à vous rendre sensibles autrui, des douleurs et des misères sans commune mesure avec celles qu'on met en avant, la diversité et la richesse de la toile du monde. Celui-ci vient à la rencontre du détenu qui aura à le digérer, à l'assimiler, à le comprendre. Il aura, lui, à en faire quelque chose qui ne sera plus de la pure information mais pas non plus de la subjectivité nue. Quelque chose qui le constituera comme le porteur d'une nouvelle venant heureusement troubler le dialogue sec et stérile qu'il risquerait d'entretenir avec lui-même. Sortir de prison en y restant. S'évader par l'esprit quand le corps demeure enclos. Préparer demain en apprenant, doucement, lentement, les règles, la morale qu'enseigne ce journal pour mieux vivre. Non plus s'en prendre à mais prendre, appréhender ce qui donne sens et espoir, ce qui rend intelligible. Non plus voler mais s'approprier sa destinée. Déjà, le malfaiteur laisse un peu de place à l'honnête homme et le détenu se découvre citoyen. Il n'est pas d'autre moyen, pour abolir la culture bête, limitée et dangereuse de soi, que de se laisser envahir par la culture, le doute, l'élégance d'un média honorable. L'essentiel est de tenter de ne plus se constituer comme le centre d'un univers qui ne serait composé que de soi.
Voeu pieux peut-être. Mais on n'a pas le choix. Ouest France parie, au nom d'une certaine idée de l'homme, sur les bienfaits de la presse. Le journaliste, en certaines circonstances, est bien plus que l'instituteur du grand nombre décrit par Albert Camus. Il est bien plus et fait bien mieux : il restaure quelques destins et ouvre des perspectives qui rendent l'enfermement moins amer. Il permet, je l'espère, de passer d'un discours stérile de protestation à une vision claire de responsabilité. Cette presse, sans laquelle la démocratie ne serait rien, n'oublie pas la part d'ombre, ceux qui se sont laissé glisser du mauvais côté de la route.
Ce beau geste d'Ouest France, sans misérabilisme ni naïveté, éclaire l'univers pénitentiaire et cherche à le transformer par le haut. De fait, les détenus ne sont pas des sous-hommes mais des hommes qui ont failli. Il faut leur rappeler l'une et l'autre de ces évidences.
Cette distribution gratuite du journal dans les prisons, comme elle devrait servir d'exemple ! Comme la société s'enrichirait, sur un plan général, si chaque citoyen avait son journal de chevet !
Et lisait tous les autres.
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