La culture. Il faut entendre avec quelle componction satisfaite ce mot est parfois prononcé. Comme si d'un coup tous les problèmes du monde s'effaçaient, comme si nous n'avions plus que le droit de nous prosterner devant ce concept. La culture n'est pas loin de dégoûter lorsqu'on prétend la sanctifier. Surtout quand elle est pendue aux basques de l'Etat, elle qui devrait se vouloir et se vivre comme source libre, inventive, créatrice de plaisir.
Récemment, une excellente enquête du Figaro Magazine a mis en lumière le désastre du théâtre public dont la vocation est de jouer de mauvaises pièces devant des salles vides. L'ennui qu'on y respire serait la marque du génie. Molière, reviens, ils sont devenus fous. Nous disposons de 600 compagnies subventionnées et de 70 scènes nationales. Rien que cela ! Subventions, étatisme, corset administratif, bureaucratie, inspiration pauvre, tout est réuni pour faire de cette culture enrégimentée une catastrophe. C'est déjà beaucoup que d'avoir osé poser le problème du rapport qualité-prix et d'avoir un tantinet bousculé les vaches sacrées. C'est sans doute pour cela que j'ai d'emblée apprécié les propos et l'action de Christine Albanel qui, sous des dehors discrets, a été capable de mettre le feu à la culture. C'est aussi à cause de son talent et de son intelligence qu'elle est la femme ministre qui a le plus de mal à trouver une place pour les municipales à Paris. Inutile de s'en offusquer : c'est vrai à peu près partout, la qualité dessert plus qu'elle ne favorise. Elle coalise les médiocres contre vous.
Dans cette enquête, on constate que les "tops" du moment sont des comédies de Sacha Guitry ou de jeunes auteurs venus du cinéma. On pourrait penser que pour répudier la culture lourde et pesante avec un K, on ne peut que s'abandonner à du léger et du futile. Comme si le plaisir était nécessairement aux antipodes du grave et du profond.
Heureusement, à nouveau sous l'égide de Frédéric Taddéï qui n'en finit pas d'être le meilleur parce qu'il parle peu et anime beaucoup, la philosophie a été invitée hier soir sur FR3. Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Yvon Quiniou et Daniel Bensaïd ont débattu d'abord du traité européen simplifié puis de la vie politique française et internationale.
Alors qu'ils étaient opposés deux par deux si j'ose dire et que leurs échanges, en tout cas sur le premier thème, auraient pu tourner au technico-rébarbatif, ce fut un véritable enchantement. La maîtrise du langage, les facultés conceptuelles et discursives, la limpidité dans l'exposition et l'argumentation ont donné à cet entretien un tour non seulement infiniment civilisé mais compréhensible et alerte. De grands esprits n'ont pas besoin de s'invectiver pour manifester leur antagonisme, les mots parfaitement maniés suffisent.
Sur l'analyse politique, ce fut plus virulent, voire violent, mais une violence née seulement de la passion de convaincre et du sentiment d'être en-deça de ce qu'il aurait fallu exprimer pour mieux persuader. La fougue raisonnée et faussement paradoxale de Finkielkraut s'en prenait à la dialectique sèche et rigoureuse de Bensaïd. Quiniou m'a semblé sur ce terrain, quoique volubile, en retrait par rapport à ses interlocuteurs. On sentait qu'il n'avait pas à disposition suffisamment d'imprévisible et de spontané, qu'il récitait la vulgate marxiste et qu'il prétendait l'enseigner à ceux qui la connaissaient au moins aussi bien que lui. Il créait des longueurs et des redites dans un forum qui miraculeusement avait su les éviter.
Je n'aurais pas du être étonné par une telle réussite car rien ne la rendait impossible. Mais on est tellement habitué à une télévision médiocre que l'irruption d'un espace de vraie culture ressemble presque à une incongruité. Pourtant, tirons de cette soirée une double leçon : les philosophes sont moins ennuyeux que les bateleurs et la télévision, quand elle veut, sait se coucher intelligente et passionnante.
Mais pourquoi si tard ? Le jour où une émission de ce genre passera à 20 heures 50, nous aurons changé de monde et d'Etat.
Rêvons.
Juste deux ou trois remarques :
*vous déplorez l'ennui qu'engendrerait, selon vous, le théâtre de service public... Vous citez une enquête du Figaro que vous qualifiez d'excellente. mais, avez-vous fait l'effort d'aller, par vous-même, juger de cet ennui? Quelle est la mesure, à cet endroit, de votre honnêteté intellectuelle?
*je vous sais -je vous écoute lorsqu'au titre de spécialiste de la chose judiciaire on vous invite sur telle ou telle station de radio- intelligent, cultivé également... Vous ne pouvez pas ignorer que les procès en "ennui" (intentés à l'art qu'il soit de théâtre ou pas), que la valorisation du divertissement simple et "tonique"... a le plus souvent servi de paravent commode et populiste à des censures diverses (et parfois cruelles). Pour éviter l'accusation de censure, on joue au "remonteur de moral" des foules et du bon peuple qui, comme chacun le sait, aime à s'amuser avant tout et à se consoler de sa misère en l'oubliant au détour d'un de ces divertissements de derrière les fagots...
*Inévitablement, on jouant les Caton, vous décidez, pour les autres, de ce qui est "bien ou mal", "amusant ou ennuyeux"... De quel droit ?
*Quant à s'appuyer, pour raisonner, sur la colonne du "bon sens bien de chez nous", vous êtes le premier à savoir quels dénis de penser ils entraînent...
Je préfère vous entendre parler de justice -pardon de la justice- que de culture...
Rédigé par : Rombeaut Albert | 31 octobre 2008 à 07:39
Taddéï a d'autant plus de mérite de savoir se taire alors que cet homme est empli de connaissances, de réflexions sur un grand nombre de sujets, il en est littéralement étonnant. La plupart de ses confrères parlent plus que les invités et se mettent en valeur contrairement à leur fonction qui devrait être de savoir s'effacer et écouter.
Marie,
Je vais bien, du moins je crois. En cette fin d'année je me lime les dents pour les avoir plus pointues, j'affûte mes poignards, j'oins ma Kalashnikov pour l'an nouveau. Plus sérieusement, je m'interroge sur la nécessité de dire une partie de ce que je pense, de remonter la rivière à contre-courant. Peut-être vais-je me mettre à vivre caché derrière une bienséance, à masquer mes intentions pour me fourvoyer sournoisement ?
Ceci pourrait être une façon intelligente de prendre une revanche que de devenir pourri jusqu'à la moelle pour prendre mes adversaires à leur propre jeu ensuite. "L'homme intelligent avance caché" disait Nietzsche, alors pourquoi pas Edmond Dantès plutôt que Lucien de Rubempré ?
Bonnes fêtes, chère Marie, avec quelque peu d'avance.
Rédigé par : Ludovic Lefebvre | 21 décembre 2007 à 01:49
@ Alberto
Il y a deux ou trois jours je débattais sur un blog de la "consigne" qu'aiment mettre certains enseignants dans leur classe. Je suggèrais qu'il serait peut-être plus utile d'ouvrir un débat professeur-élèves sur l'utilité des lois. Je vous donne la réponse de l'un d'eux.
"Quant à faire un débat prof-élève, encore faut-il avoir des élèves capables d'écouter et de comprendre pendant une durée excédant 1min"
Alors imaginez ces "énergumènes" en ZEP...!
Rédigé par : Bernard1 | 20 décembre 2007 à 21:42
Les bons sont récompensés. Il suffit de "l'hêtre".
Comme Benamou nommé directeur de France 24/RFI/TV5.
Rédigé par : Marie | 20 décembre 2007 à 14:59
Et pourquoi ne pas, plus fort encore, introduire ces ernergumènes érudits dans des écoles, dans des lycées, dans les ZEP, vous savez ces cités de non-droit ou du moins prétendument nommées par les médias bien-pensants.
Apporter la parole, la contradiction, les idées de ces quatres-là ou d'autres de même acabit et ensuite débattre avec les jeunes et moins jeunes et leurs professeurs, vous seriez plus qu'étonnés du bon sens et du jugement de ces mêmes jeunes et moins jeunes sur les problèmes de la socièté en son entier.
Ces jeunes seraient, pour certains d'entre eux, plus à même d'apporter de vraies solutions que nos députés et sénateurs en train de disserter sur des cités ou ils ne mettent jamais les pieds !!
L'Assemblée Nationale et le Sénat sont plus éloignés des cités et de ceux qui y vivent que la dernière galaxie de notre espace .
Il n'y a qu'à voir les lois et décrets votés au pas de charge par les membres éminents de ces deux assemblées, ces dernières semaines, pour voir ces lois retoquées ensuite ces jours derniers. Le président de la République intervenant lui-même dans la mêlée pour défaire et refaire.
De la politique à la petite semaine, à la va vite, à l'arraché, pour le meilleur comme pour le pire.
Avec le danger qui pointe que ne reste que le pire .
Mais qui s'en soucie ??
Le citoyen bien ordinaire que je suis s'en indigne et alors, la belle affaire !!!
Je demande d'urgence des Victor Hugo, des Jean Jaurès, des Emile Zola, des Jean-Jacques Rousseau et tant d'autres pour éduquer notre président de la République et ses conseillers et nos soi-disant éminents représentants .
La République Française en serait plus intelligente et vertueuse ; mais je m'égare sans doute.
Alberto
Rédigé par : Alberto | 20 décembre 2007 à 12:53
"les philosophes sont moins ennuyeux que les bateleurs"
Je n'ai pas pu veiller hier jusqu'à l'heure tardive de la diffusion de ce débat, mais je suis contente de voir la philosophie mise à l'honneur dans le titre de l'un de vos billets et je vous en remercie.
Rédigé par : Catherine JACOB | 20 décembre 2007 à 12:27
@Sbriglia,
"la classe labo rieuse" vous approuve.
A quand le goulag pour usage intempestif de caricatures et de plaisanteries ! Le rire nous sera-t-il également retiré, comme au temps des soviets ?
"Mais pourquoi si tard ?"
Un député, il y a quelques mois, a eu le front de déclarer que le Français ne se plaignait pas de sa télévision. L'écoute-t-on seulement, lorsqu'il l'ouvre ?
Quel est le député qui s'est offusqué des animations honteuses de Michaël Youn lorsqu'il était sur M6 ? Aucun. Pas même le ministre de la Culture de l'époque.
"Pourquoi si tard"
Frédéric Taddeï s’est vu attribué le 1er Prix Philippe Caloni, consacrant le talent, l’éclectisme du journaliste dans l’exercice de l’interview ou de l’entretien.
Ceux qui n'ont pas vu l'émission du mardi 18 décembre peuvent la visionner encore.
http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/videos.php?id_rubrique=
174&type=emission&video=20071218_csoj.wmv
A l'origine, la télévision devait être culturelle. Elle devient divertissante. Ne divertissant en réalité que son animateur !
Rasant les autres, qui doivent de surcroît subir des bavardages incessants et peu intéressants fort souvent.
Rares sont les débats qui passionnent.
Il faut attendre parfois 3 H du matin, pour avoir un programme culturel.
Eduquer la masse est une chose, l'abrutir est une doctrine.
Alors comme diraient certains, à vos livres ! Sans oublier, bien sûr, le blog de monsieur Bilger.
@Ludovic Lefebvre,
Donnez-nous de vos nouvelles.
Joyeuses fêtes à tous.
Rédigé par : Marie | 20 décembre 2007 à 12:16
Pourquoi si tard, c'est justement la loi de l'offre et de la demande, me semble-t-il.
Un théâtre public qui joue pour une audience qui n'existe pas, est-ce un mauvais théâtre ou un théâtre proposant une offre pour laquelle il n'y a pas de demande ?
Le succès de Frédéric Taddeï en serait-il un s'il était programmé plus tôt ? Si, programmé plus tôt, à un créneau horaire plus porteur, il maintenait son audience (ce qui est envisageable, mais non certain), cette audience serait-elle considérée comme suffisante par son employeur ? Est-il si simple de faciliter l'accès à la culture de la sorte ?
Quant à imaginer que l'audience de telles émissions grandirait proportionnellement si elles étaient diffusées plus tôt, c'est d'un franc optimiste peut-être trop prononcé. Rien ne me permet, personnellement, de penser qu'Alain Finkielkraut, notamment, toucherait un public plus large que le sien actuel si ses propos étaient matériellement plus accessibles (formellement, ils sont limpides pour qui prend la peine d'écouter). Je crois qu'une partie notable des Français préférera toujours passer des « sacrées soirées » sur TF1, nettement moins contraignantes à tous points de vue.
Ce serait bien, très bien, s'il suffisait d'élargir l'offre culturelle pour que les Français se cultivent. Mais il me semble que c'est justement cette optique qui montre ses limites, limites que vous critiquez à juste titre.
On peut observer, par une simple analogie, que bien des Français, qui se plaignent de vivre dans de grands ensembles de béton, ne font jamais l'effort de prendre une bicyclette pour s'aérer dans la forêt attenante à leurs grands ensembles de béton.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 20 décembre 2007 à 09:30
Pur bonheur que d'apercevoir, dans la première partie du billet, un avocat général dans L'Art Existence ! :-)
Rédigé par : Fleuryval | 20 décembre 2007 à 09:06
"Mais pourquoi si tard ?..."
Pour permettre aux classes laborieuses, usées par une journée de travail, de se coucher et de déserter les lucarnes qui pourraient leur donner des prurits révolutionnaires... à supposer qu'elles en comprissent le discours !
Ne restent alors que les chômeurs, les avocats généraux qui commencent leur audience à 13h, les veilleurs de nuit pas trop abrutis et les pompistes de campagne car sur l'autoroute ils n'ont pas le temps...
Rédigé par : sbriglia | 20 décembre 2007 à 06:20