J'ai rencontré Eric Decouty lors d'un anniversaire. Puis, un jour, au téléphone, nous avons parlé d'une affaire qui était en train d'être jugée par un tribunal correctionnel à Paris. De mon point de vue, librement et entre nous. Cela semblait acquis. A ma grande surprise, j'ai retrouvé mon propos partialement et partiellement résumé dans un livre que ce journaliste avait consacré à ce très gros dossier financier. Sans qu'évidemment, j'en aie été informé.
Ce rappel n'est pas inutile qui démontre que nul n'est parfait et qu'on est toujours mal fondé à intenter des procès expéditifs.
Je lis pourtant sous sa signature, dans Marianne, un article, ""Proc" sur mesure pour Laporte", qui met gravement en cause un couple dont je connais le mari, Hugues Moutouh, un homme remarquable et sur l'épouse duquel je n'ai entendu que des éloges professionnels. Pas étonnant donc à ce que le Conseil supérieur de la magistrature n'ait rien trouvé à redire à sa nomination comme vice-procureur à Paris où elle sera chargée de mission pour les relations avec la presse, alors qu'elle est actuellement directrice de cabinet du directeur de l'Ecole nationale de la magistrature à Bordeaux. Hugues Moutouh, lui, est le directeur de cabinet de Bernard Laporte.
Mais, bien sûr, la manoeuvre est évidente ! Isabelle Montagne, puisque c'est son nom, ne va être affectée à Paris que pour ralentir, voire étouffer les affaires, pénale et fiscale, dans lesquelles Bernard Laporte pourrait se trouver impliqué.
Eric Decouty, à la fin de l'article, vend la mèche : "...la nomination de l'épouse de son directeur de cabinet au poste de vice-procureur de Paris ne fait qu'entretenir le soupçon de la volonté politique à entraver le cours normal de la justice".
Tout est dit mais tout est faux.
La volonté politique ? Elle serait manifestée par le fait qu'une enquête aurait été ordonnée par le procureur de Paris alors qu'Eric Decouty, qui forcément connaît infiniment mieux les subtilités procédurales que les magistrats eux-mêmes, souligne qu'il aurait fallu ouvrir une information. Qu'en sait-il ? Où sont les lumières particulières dont il disposerait sur le plan technique ? Nulle part. Mais cela suffit pour présumer que la "volonté politique" n'a qu'un souci, c'est "d'entraver" le cours de la procédure concernant Bernard Laporte. C'est d'autant plus absurde que si la justice a montré des signes dans le traitement des affaires politico-financières, ce ne sont pas vraiment ceux de la soumission et de la dépendance.
Le soupçon ? C'est le coeur du texte. Pas seulement celui qui affecterait la volonté politique mais celui généralisé qui s'attache aux comportements de pouvoir. Il n'est pas concevable qu'Hugues Moutouh soit directeur de cabinet et son épouse magistrat nommée à Paris sans qu'obligatoirement des procédés indignes soient mis en oeuvre, des étouffements opérés et des bassesses commises. Mais quelle légitimité ont donc les journalistes pour non plus faire de l'investigation mais de la dénonciation, non plus de l'enquête mais de la supputation, non plus relater des faits mais instruire des procès anticipés ? Eric Decouty était-il si impatient d'en découdre avec des virtualités qu'il n'ait pu attendre qu'elles prennent forme et se réalisent ? Ne pouvait-il garder son inquisition vigilante à l'intérieur de lui-même, le temps de voir si le réel et l'humanité allaient ou non correspondre à ses obsessions ? Le sort de la France judiciaire était-il à ce point en péril que le couple soupçonné ait eu besoin d'être subtilement mais clairement cloué au pilori avant même d'avoir accompli le plus petit pas sur le chemin de la collusion et de la compromission ? Quelle étrange méthode que celle de prétendre sonder le coeur et les reins avant même que l'un et les autres aient si peu que ce soit attiré l'attention sur eux par des attitudes indignes ? Ce qu'on a été et ce qu'on est pèse-t-il si dérisoirement en face de la volupté de dénigrer dans le vague et par prévision ? Les justiciers préventifs qui font des dégâts autour d'eux, en se donnant la bonne conscience d'une lucidité précipitée et souvent aberrante, on en a assez. Cette manie de condamner avant même non pas de juger, mais de tout simplement laisser agir au moins pour vérifier, infirmer ou valider, elle est insupportable. Là réside la véritable immoralité d'un journalisme auquel l'encens du contre-pouvoir est monté à la tête. Accabler sans attendre et détruire avant même la moindre preuve. Mais ces justiciers, pour être préventifs, créent des dommages d'une brûlante et douloureuse actualité. Y songent-ils, si pressés qu'ils sont de ne pas perdre une minute dans leur course au soupçon ?
Plus profondément, un tel journalisme renvoie à une certaine conception de la nature humaine. Eric Decouty, sans doute, ne connaît ni l'homme ni la femme du couple qu'il met en cause. Probablement, il était hors de question pour lui de prendre langue avec eux. Qui sait, ils auraient pu, l'un et l'autre, altérer voire abolir le venin du soupçon et ç'aurait été trop dommage. Je sais bien que pour les médias les trains partent en retard, l'humanité transgresse et le pouvoir corrompt. Mais si le journalisme acceptait, une seconde, non pas de tomber dans l'angélisme mais dans la complexité et de s'avouer que le pire n'est pas toujours sûr ? Si les journalistes ayant à rédiger de tels articles se demandaient s'ils n'étaient pas victimes, avec leur pessimisme mécanique, d'un conformisme aussi pénible que celui de la bienséance à tous crins ? Ou faut-il admettre qu'ils sont incapables de juger équitablement autrui parce que, tout simplement, ils l'imaginent à leur ressemblance ? Ces textes alors, tristement, seraient des autoportraits ? On n'a pas le journalisme qu'on veut mais celui qu'on est.
Eric Decouty dans Marianne ? "Journaliste" sur mesure pour mauvaise cause.
Il y a peu de temps, dans une émission rétrospective de l'année 2007, Ariane Chemin, journaliste au Monde, traitait Ségolène Royal de sainte-nitouche car elle avait cru que les deux journalistes à qui elle avait confié qu'elle n'était plus avec François Hollande allait tenir leur langue jusqu'à la sortie du livre prévue après les élections législatives. Et d'ajouter "entre journalistes, on se téléphone, on se dit des choses"... Et vlan pour l'éthique ! Ariane Chemin a fait dégringoler, en quelque mots, l'estime que certains avaient encore pour les journalistes. Et avec quelle légèreté ! Restent ceux qui ne passent pas leur temps à téléphoner à leurs copains journalistes pour écrire le même article...
Rédigé par : Bulle | 07 janvier 2008 à 15:01
A propos de Kahn, lire le dernier ouvrage de Nicolas Beau à propos du Maroc et vous vous rendrez compte à quel point le directeur de Marianne est un rebelle à deux balles puisqu'il passe ses réveillons dans des ryads avec les gens qu'il fustige dans son quotidien, ce petit monde nous prend pour des abrutis.
J'aime bien souvent le point de vue de Thierry.
Pour ce journaliste, je comprends que devant le nombre croissant de juges faisant de petits arrangements entre amis, rendant une justice au goût du politique, de la propagande et non de la cité puisque la coupure est encore plus prononcée chaque jour, ce dernier ait pu faire la confusion !
J'ai deux bonnes solutions pour que ce genre de dérives n'aient plus lieu : la responsabilisation pénale des juges et un recentrage sur la justice des magistrats.
En situation équivalente, j'aurais pensé exactement de la même façon tant il est devenu commun que les hommes d'affaire fassent bon ménage avec les politiques et que ces derniers fassent de même avec les légistes et les médias. Si la France n'était pas corrompue jusque la moëlle, ce genre de suspicion se ferait rare.
Ce couple peut en vouloir au journaliste, il devrait en vouloir avant tout à leurs confrères incivils, à cette politique polichinelle et à ces média viciés.
Rédigé par : Ludovic Lefebvre pour Catherine Parisot, mais pas seulement | 06 janvier 2008 à 19:42
"Un coupable puni est un exemple pour la canaille: un innocent condamné est l'affaire de tous les honnêtes gens.../... Une condition lamentable est celle d'un homme innocent à qui la précipitation et la procédure ont trouvé un crime; celle même de son juge peut-elle l'être davantage ?"
La Bruyère Caractères "de quelques usages" §52
Rien de bien neuf sous le soleil !
Malheureusement cet état d'esprit, de condamner sur simple hypothèse non vérifiée, tendrait à se développer dans d'autres milieux que celui du journalisme.
Les procès d'intention deviennent monnaie courante pour étayer des thèses hasardeuses, élaborées par des Machiavel de village, afin de justifier leurs prétendues analyses.
Et je sais de quoi je parle !
Cela étant il existe partout des hommes de bonne volonté, justes et intègres, qui savent aussi clamer haut et fort leur indignation afin que la vérité soit dite.
Quant aux autres, notre mépris ne peut être qu'à la mesure de leur ignominie.
Rédigé par : Patrick PIKE | 06 janvier 2008 à 18:07
Certains journalistes créent le scandale pour faire du chiffre et oublient la charte de la presse, c'est incontestable. Mais lorsque vous écrivez "Les justiciers préventifs qui font des dégâts autour d'eux, en se donnant la bonne conscience d'une lucidité précipitée et souvent aberrante, on en a assez", il me semble que beaucoup (trop) de citoyens peuvent retourner cette affirmation contre l'institution judiciaire qui ne respecte pas suffisamment la présomption d'innocence et envoie beaucoup (trop) d'innocents en détention provisoire injustifiée. 645 demandes de réparation dans ce domaine en 2006 au mépris de la loi du 15 juin 2000 ! Que peuvent penser ces victimes de la "précipitation judiciaire" par rapport aux magistrats, "justiciers préventifs", au pouvoir autrement plus destructeur que les "aboiements" d'un journaliste en mal de célébrité ? Finalement, face à l'arbitraire, sans grande conséquence, d'un journaliste vis-à-vis d'un membre de la magistrature, votre réaction ne peut qu'engendrer le sourire chez ceux qui ont été, pendant pluseurs mois et quelquefois des années, simultanément victimes du lynchage médiatique et de l'incarcération injustifiée sur ordre de "justiciers préventifs" au pouvoir souverain. Ca fait, effectivement, toujours mal d'être "pilonné" sans être coupable ! La leçon devrait être universelle...
Rédigé par : Dan | 06 janvier 2008 à 11:36
Comme le souligne Polochon, c'est malheureusement le credo de Marianne que de toujours polémiquer.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 06 janvier 2008 à 09:21
«Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose» (Beaumarchais)...
Ce n'est plus de la polémique de journaliste mais de la calomnie à la limite de la diffamation.
Rédigé par : Bernard1 | 05 janvier 2008 à 21:33
L'article de Marianne n'est pas du journalisme. En aucun cas ce texte n'est susceptible de créer la polémique dont JFK semble avoir la nostalgie.
C'est juste le niveau zéro de l'information.
Je suis d'accord avec vous sur le mécanisme du soupçon obligatoire et de toute façon comme allant de soi. Sans se donner la moindre peine d’argumenter quoi que ce soit.
Ne pas pouvoir envisager que la nomination de ce magistrat peut être le résultat de compétences professionnelles illustre à quel point est ancrée et enkystée une vision de la justice et de la politique forcément douteuse et viciée.
Le monde de références n'étant que celui du petit, du malsain et de l‘irrespirable. Cela traduit surtout chez le journaliste une impuissance à savoir se confronter avec le doute et le soupçon d'abord orientés contre ses propres certitudes et préjugés.
Rédigé par : Véronique | 05 janvier 2008 à 20:55
Eric Decouty met en pratique ce que dit son patron JFK aujourd'hui dans "Le Monde" :
"La presse a beaucoup perdu en abandonnant la polémique. Quand j'ai débuté, il y avait 13 ou 14 quotidiens, d'obédiences politiques très différentes, qui s'invectivaient entre eux, créaient des polémiques internes. Les gens achetaient avec leur quotidien une patrie de substitution, une bulle idéologique. Aujourd'hui, le consensus général est mortifère"
Entre le "consensus mou" et la calomnie, il devrait y avoir une place pour un journalisme rigoureux et intelligent.
Rédigé par : Polochon | 05 janvier 2008 à 18:53
« la nomination de l'épouse de son directeur de cabinet au poste de vice-procureur de Paris ne fait qu'entretenir le soupçon de la volonté politique à entraver le cours normal de la justice". »
Ça me rappelle la fois où j’ai été harponnée dans un couloir par le directeur de l’établissement français à l’étranger où mon mari cependant du même grade que lui était en poste, et qui s’est mis à vitupérer ainsi : « Vous pensez que… vous avez l’intention de… vous avez absolument tort ! » Totalement abasourdie je lui ai répondu : « Pardonnez-moi je ne comprends pas très bien. D’une part vous et moi n’avons jamais parlé de ce sujet et d’autre part ce que vous me dites n’a rien à voir avec le fond de ma pensée à son propos. » Ce disant je me suis alors attirée la réplique ahurissante suivante : « Si ce n’est vous c’est donc votre mari, de toute façon c’est pareil ! » à quoi j’ai répondu : » C’est là où vous vous trompez lourdement, lui c’est lui et moi c’est moi ! » Etonnement du personnage : « Mais pourtant, vous l’avez épousé ! » Pas d’autre commentaire.
Vous précisez ensuite :
«Il n'est pas concevable qu'Hugues Moutouh soit directeur de cabinet et son épouse magistrat nommée à Paris sans qu'obligatoirement des procédés indignes soient mis en oeuvre, des étouffements opérés et des bassesses commises. Mais quelle légitimité ont donc les journalistes pour non plus faire de l'investigation mais de la dénonciation, non plus de l'enquête mais de la supputation, non plus relater des faits mais instruire des procès anticipés ? »
Le supérieur de mon mari n’était pas journaliste mais il était exactement dans la même démarche intellectuelle que celle que vous décrivez.
Je vous suis totalement de A à Z dans votre réquisitoire et par ailleurs tout à fait indépendamment de ce que je pourrais éventuellement être amenée à penser des arguments de l’Hugues Moutouh, juriste, membre du CNRS dans le débat sur "les langues étrangères minoritaires et le nécessaire respect de la diversité culturelle et linguistique qui est une des conditions de la paix dans le monde", si toutefois c’est bien le même.
Rédigé par : Catherine JACOB | 05 janvier 2008 à 17:58
Cher M. Bilger,
J'ai commis un jour, il y a dix ans, la même imprudence que vous avec le même journaliste, qui trempait alors sa plume dans le venin pour le compte du Parisien. La violation par lui du minimum de confidentialité et de discrétion qui s'attachait à cet entretien m'a permis de le classer dans la catégorie de ces personnes pour lesquelles mon téléphone est irrémédiablement aux abonnés absents.
A présent, connaissant la magistrate que vous citez, qui exerça ses talents à ses débuts dans le sud-ouest, je partage en tous points votre analyse car elle ne doit sa brillante progression de carrière, non à sa féminité (la Magistrature en est pourvue) ou à son entregent, mais à son talent d'oratrice et à ses qualités professionnelles.
A présent, ainsi que vous l'écriviez récemment, le talent a ceci de gênant qu'il coalise les médiocres contre vous !
Je ne doute pas que le Rastignac que vous vitupérez a été soigneusement informé par quelques collègues dépités par la nomination de la magistrate, ex-provinciale, promue à un poste sensible et en vue au Parquet de la capitale.
Dans la mesure où la déontologie journalistique reste à construire dans ce pays, l'affaire Baudis/Allègre l'ayant tapageusement illustré il y a peu, le torchon sur lequel vous vous attardez aujourd'hui est construit sur ces tares que vous dénoncez à juste titre : arrogance du journaliste qui se veut vigile des libertés, suspicion immodérée envers le complot permanent et omnipotent que le pouvoir entretiendrait au profit des puissants, etc.,etc.
En définitive, la loi sur la presse étant ce qu'elle est (vous êtes, M.Bilger, un spécialiste réputé en cette matière), sans craindre réellement un procès en diffamation, je doute que le rédacteur de cet article fielleux soit réellement éprouvé par la monstruosité de ce qu'il écrit.
N'importe quel policier qui abuserait de son arme de service serait inquiété sinon puni.
Il en va différemment du journaliste, ou de celui qui se dénomme comme tel, qui confond son stylo avec un permis de salir, de souiller, et d'éclabousser !
Comme vous, j'estime que le caractère tristement méprisable de cet article nauséabond salit non pas celle qu'il vise mais celui qui l'a écrit.
Ce n'est pas une satire, c'est un autoportrait.
Rédigé par : Thierry SAGARDOYTHO | 05 janvier 2008 à 16:12