J'ai hésité. J'étais tenté de titrer ce billet : madame Huppert, par antiphrase, pour montrer à quel point cette personne, cette actrice étaient aux antipodes de l'officiel d'une telle dénomination et comme je l'imaginais mal se présenter en s'adjoignant, comme tant de gens, une étiquette sociale. Elle, ce ne peut être, à vie, qu'Isabelle Huppert. Une simplicité, une rigueur et, pour le contenu, à nous de voir.
Le Figaro Madame de cette semaine, pour une fois, nous a fait une belle surprise, sans parler de Fadela Amara qui vient heureusement instiller son franc-parler sur papier glacé. Cette publication nous a si souvent habitués à des entretiens insipides, purement promotionnels où des imbéciles venaient nous exposer des états d'âme sans intérêt. On se demandait quelle étrange conception de la femme présidait à ces reportages ridicules où le talent n'imposait que rarement le choix.
Mais, miracle, dans ce numéro nous sommes gâtés : nous avons Jeanne Moreau et surtout Isabelle Huppert.
Je n'oublie pas que la première, célébrée aussi par le Journal du Dimanche, a été victime, avec beaucoup d'autres, dans une affaire criminelle gravissime. Elle ne s'était pas présentée aux assises, sans avoir eu la délicatesse de prévenir ou s'excuser, le jour même où elle se laissait interviewer par un quotidien sur ce qu'elle avait vécu et subi. Défaut d'élégance judiciaire et démocratique, empressement médiatique qui m'ont choqué.
La seconde, je ne cesse pas de tenter d'en percer les secrets, tant elle échappe à la vulgarité, qui à la longue fait tomber les plus délicats dans un bain douteux. Je me souviens du soir où invitée par Marc-Olivier Fogiel, elle avait réussi à placer de la pudeur et de la classe entre celui-ci et Guy Carlier, ce qui n'était pas un mince exploit. Je me rappelle tous les entretiens qu'elle a accordés et où jamais elle ne profère une bêtise ou une absurdité, même pour paraître provocante, ce qui arrive parfois à Fanny Ardant. Il faut admettre que, chez Isabelle Huppert, le goût du paradoxe n'est pas à ce point ancré qu'il la conduise à fuir les évidences incontestables et les banalités vraies. Déjà, cette capacité de résistance à ce que le milieu artistique secrète de pire : une profondeur de pacotille, un vocabulaire décalé, ne peut que nous rendre attentifs à une telle personnalité.
Un point de détail mais qui me semble riche de sens. C'est Richard Gianorio qui se trouve en relation avec Jeanne Moreau et Isabelle Huppert. Je ne connais pas ce journaliste mais je suis frappé de voir comme, dans une interview ou dans une "rencontre", contrairement à ce qu'on croit, c'est l'invitée qui donne le la et oblige son interlocuteur à s'adapter. Brillante, il cherche à se transcender. Médiocre, il s'abandonne. Avec Isabelle Huppert, Richard Gianoro dispose d'une matière qui porte haut l'intelligence et, comme il l'écrit très bien, minore plutôt qu'elle ne minaude, du coup il se situe à peu près dans le même registre.
J'aime qu'Isabelle Huppert n'ait peur de rien, même pas de sembler ordinaire et juste dans sa pensée. Contre François Truffaut, elle affirme qu'aucun moment de cinéma ne vaut un moment de vie. Assertion qu'on ne devrait même pas remarquer si l'envie de célébrer l'art et les artistes ne conduisait trop souvent à une surenchère plaçant l'artifice avant le réel. J'apprécie que cette actrice, d'autant plus convaincante qu'elle sait garder un ton uni et un langage châtié, pourfende au cinéma "la bêtise et l'incompétence" qualifiées de "seul danger". J'estime une artiste qui profite de son talent et de son incontestable aura pour échapper à tout ce qui guette les esprits sinon médiocres du moins pompeux ou tarabiscotés, non par profondeur mais pour faire "bien". Pour me résumer, puisque paraît-il, elles n'éprouvent pas une forte dilection l'une pour l'autre, je choisis Isabelle Huppert et me passe d'Isabelle Adjani.
J'aurais envie, tant les propos d'Isabelle Huppert méritent recul et analyse, de les commenter, de les paraphraser, mais rien n'étant plus éloigné de cette femme que l'hagiographie, je ne veux pas risquer d'y tomber. Elle va jouer dans quelques jours la nouvelle pièce de Yasmina Reza et je ne doute pas une seconde que celle-ci, regagnant son domaine d'élection, effacera la déconvenue de son incursion hybride dans la politique et la littérature.
Il y a tout de même, repris par Richard Gianorio, un noyau fondamental dans lequel Isabelle Huppert a mis le coeur de ce qu'elle est, de sa conception de la vie et de sa vision artistique. Cette dernière me touche d'autant plus qu'elle correspond à ce qui peut irriguer une pratique judiciaire aux assises et parfois même la personnalité d'un avocat général. Ecoutons ce que sa voix murmure : "je détesterais que la folie l'emporte sur la raison. Il y a cet équilibre parfait entre une chose folle et rationnelle". Rien n'est plus enrichissant que cette perception qui vise à l'harmonie non par un arbitrage de confort mais par la tension surmontée entre l'extrême de l'irrationnel et la mesure du rationnel. Qui est capable de laisser venir en soi la bête sauvage, les déferlements de l'orage, même les soubresauts d'un monde incohérent pour les pacifier, les civiliser, les faire participer à une oeuvre qui ne les oubliera pas mais les partagera avec les élans de l'esprit serein ? Comment ne pas sentir, dans cette volonté à la fois apollinienne et torturée, la marque d'une personnalité d'exception ?
Examinant mes enthousiasmes rares, qui font d'autant plus de bien à mon être intime qu'ils ont pour nécessaire contrepartie beaucoup de réserves, voire d'hostilités qu'on ne peut pas me reprocher de taire, je leur trouve un point commun. Quand je songe à Alain Finkielkraut, Jean-Jacques Goldman et Isabelle Huppert, même si le rapprochement est hétérogène, je me rends compte que les personnalités à mon sens exceptionnelles se trouvent écartelées entre un être apparent lisse, fin, calme et maîtrisé et une source profonde agitée, pleine de bruit et de fureur, intense et débridée. Cet ordre surgissant du désordre, cette paix née de la guerre intérieure, ces combats du jour contre la nuit et de la nuit contre le jour, j'ose les mettre en évidence comme la marque d'artistes ou de penseurs qui tranchent avec l'ordinaire et brillent plus que les autres.
C'est bon d'être un groupie. De cette actrice, Isabelle Huppert, et de son intelligence.
N'en déplaise à Monsieur Esneval, je trouve extraordinaire, rassurant, et quelque part extrêmement touchant, de lire les écrits intelligents d'une personne intelligente au sujet d'une personnalité faite de la même étoffe.
L'intelligence humaniste qui parle d'une autre intelligence... Ca a été pour moi un grand et délectable moment de lecture.
Et merci pour ce beau talent d'écriture, d'une expression aussi élégante que les idées émises.
C'est bon d'être la groupie de Monsieur Bilger !
Rédigé par : Agnès | 26 janvier 2008 à 09:40
@Esneval
Et vous, quand vous écrivez cela, vous ne vous regardez pas écrire ??? (Le groupie du Père !!!) A chaque fois que vous êtes intervenu ici, ça n'a jamais été pour participer intelligemment mais toujours pour des attaques ad hominem fort désagréables. Les débats peuvent être rudes dans ce blog, mais votre ton n'est pas habituel et pour tout dire, nous pouvons aisément nous en passer.
Rédigé par : Cécile de Songy | 25 janvier 2008 à 02:38
Parfois, je trouve que vous vous regardez un peu trop écrire. Votre grandiloquence naïve vous fait ressembler à un personnage des dessins de Sempé (grand artiste qui mérite, vous en conviendrez, de figurer au même panthéon que celui où vous installez Alain, Isabelle et Jean-Jacques). Et puis pourquoi distribuez-vous sans cesse bons et mauvais points ? Le groupie du Père ?
Rédigé par : Jules Esneval | 25 janvier 2008 à 00:56
"C'est bon d'être un groupie."
belle trouvaille !
de plus, pas de raison que ce mot ne s'existe qu'au féminin !
sinon Isabelle Huppert est quelqu'une de belle à l'intérieur comme à l'extérieur, c'est un fait !
Sissi !!!!!!
Rédigé par : Cactus groupie mains rouges au piano . | 22 janvier 2008 à 15:24
Même si parfois ils me surprennent, vos enthousiasmes sont tout à fait réjouissants.
Rédigé par : catherine A. | 21 janvier 2008 à 19:06
Félicitations pour ce billet. S'il vous fait du bien à vous, il nous en fait également. Il faut savoir dénoncer ce qui ne va pas, et dire aussi ce que l'on aime vraiment avec sincérité.
Rédigé par : ONPP | 21 janvier 2008 à 12:23
Votre fougue me fait penser à celle de mon père quand il parlait de Michèle Morgan [de son vrai nom Simone Roussel] !
Rédigé par : Catherine JACOB | 21 janvier 2008 à 08:06
Aloïse, Les Valseuses, La Dentellière, Violette Nozières, Les Soeurs Brontë, La Dame aux camélias, Loulou, Coup de foudre, Coup de torchon, Une affaire de femmes, Madame Bovary, La Cérémonie, 8 femmes, Saint-Cyr, Les Palmes de M.Schutz, Sac de noeuds, etc., etc.
Je repense à votre note sur les femmes des années 2000.
Une comédienne comme Isabelle Huppert, par sa finesse, sa grâce mais aussi par son quelque chose de rugueux et de vénéneux, a construit un imaginaire féminin qui nous parle avec tendresse et justesse des femmes.
Comme vous, j'aime avec passion cette Actrice. Et la femme.
Rédigé par : Véronique | 21 janvier 2008 à 06:08
Il est vrai qu'un peu de sobriété apporte une touche de pastel agréable au milieu des couleurs vives de l'exagération médiatique.
Rédigé par : Ludovic Lefebvre | 20 janvier 2008 à 19:54