J'ai volé le beau titre de ce billet au Premier président de la cour d'appel de Nîmes qui, lors de la rentrée solennelle, a utilisé cette expression dans un discours qui a fait sensation, selon le Monde.
A propos de ce quotidien qu'on lit avec passion mais dont avec inquiétude on suit la vie interne pleine de surprises et de soubresauts, de résistances et de coups fourrés, je ne crois pas être le seul à soutenir la cause de la Société des rédacteurs du Monde (SRM) présidée par Jean-Michel Dumay. Lorsque ce dernier était chroniqueur judiciaire, je n'étais pas souvent d'accord avec lui, tant il se piquait d'être plus juge que journaliste. En revanche, à la tête de la SRM, il assume de manière remarquable sa mission. On n'a envie que de lui dire et à ceux qui se battent avec lui, tenez bon pour le journal et pour nous !
J'ai commencé par faire référence à mon collègue Gourdon parce que, demain, à mon grand regret, je ne pourrai assister à la cérémonie de rentrée de la cour d'appel de Paris, avec les discours attendus et certainement stimulants du Premier président et du procureur général. En même temps, dans le Monde daté du 16 janvier, j'ai pu lire des extraits de propos critiques et intelligents d'un magistrat du tribunal de Metz, tout nouveau juge délégué aux victimes, dont la création par décret vient d'ailleurs de faire l'objet d'un recours par le Syndicat de la magistrature devant le Conseil d'Etat. Critique en effet, et étonnant, car il est rare d'entendre un magistrat dénigrer la fonction à laquelle il vient d'être affecté. Mais intelligent, car sa dénonciation des "professionnels de la compassion médiatique et des donneurs de leçons" ne pouvait laisser personne indifférent, toutes tonalités politiques confondues. Il y avait là matière à réflexion et provocation utile.
Rapprochant le Premier président de Nîmes et le magistrat de Metz, je perçois, sans forcer le trait, une liberté nouvelle qui commence à irriguer la magistrature, une vivacité de ton et une causticité de la pensée qui nous sortent heureusement de nos quiétudes empesées et de nos expressions convenues. Je ne sais pas si ces collègues appartiennent à un syndicat mais peu importe. La force de ces interventions, même résumées, les fait échapper au partisan facile comme au conformisme confortable. Des magistrats prennent des risques intellectuels, ne tournent plus sept fois leur langue dans la bouche avant, en définitive, de se taire, saisissent au bond les occasions d'offrir à ceux qui les écoutent une belle image d'eux-mêmes et de leur lucide capacité à comprendre leur monde et le monde.
Les chefs de la Cour de cassation, il y a peu de temps, ont répondu au Premier ministre qui assistait à la rentrée de la Haute juridiction. Ont-ils eux aussi été touchés par cette alacrité, cette vigueur, cette audace même qui, loin des bienséances politiques, conduisent à aller au fond des choses et à affirmer le vrai, quoi qu'il en coûte ? L'effervescence judiciaire de cette première année de présidence a fait naître, à l'évidence, une magistrature vraiment aux antipodes de cette injurieuse comparaison des "petits pois" qui lui avait été appliquée. Elle ne rue pas dans les brancards mais agite des idées, affronte les débats et ne met plus son drapeau sous l'éteignoir. Elle existe et nous sommes. Elle fait et ne se laisse plus faire. D'ailleurs, les médias ne s'y trompent pas qui ont fait un sort à ces deux discours singuliers prononcés en province, ce qui manifeste à quel point l'aura parisienne, au moins, doit se démontrer. Dans cette société d'honneur, si justement célébrée par le Premier président de Nîmes, les juges ne seront pas dépaysés.
L'année commence bien.
@Barbara
"Et pourquoi ne pas privilégier l'expression ancienne (et asexuée) "avoir du coeur au ventre" ?"
Ce serait parfaitement approprié en effet, vu que dans le cas que vous évoquez le coeur est entendu comme ce dont procède également l'en-thousiasme ( l'énergie de l'ent-thumos) tel qu'on a l'impression d'être soulevé et emporté par ses propres tripes !!
Rédigé par : Catherine JACOB | 20 janvier 2008 à 10:52
@ Catherine Jacob
Et pourquoi ne pas privilégier l'expression ancienne (et asexuée) "avoir du coeur au ventre" ?
Rédigé par : Barbara | 19 janvier 2008 à 19:41
Fleuryval
"Sbriglia EST la crème anglaise de ce blog."
Et qui donc en est le corollaire gastronomique indispensable, autrement dit la charlotte au chocolat, qui nappée de crème anglaise constitue un mets véritablement princier pour lequel on se damnerait presque ??!
Rédigé par : Catherine JACOB | 17 janvier 2008 à 20:44
Bon, je m'aperçois que j'arrive trop tard pour répondre à Catherine Jacob.
Toutefois j'ajouterai que j'ai cherché cette après-midi et n'ai trouvé aucune catachrèse équivalente pouvant la satisfaire.
Peut-être est-ce dû au fait d'une invagination foetale.
Rédigé par : Patrick PIKE | 17 janvier 2008 à 18:32
Sbriglia EST la crème anglaise de ce blog.
Rédigé par : Fleuryval | 17 janvier 2008 à 16:06
"...ou l'équivalent féminin dont je me demande quelque part finalement comment il pourrait bien être désigné..."
Le "quelque part", Madame, est ici une redondance...
Rédigé par : sbriglia | 17 janvier 2008 à 14:40
Patrick PIKE
«Si vous pouviez faire école, vous et vos collègues !»
Comme dans notre pays l'enseignement est libre et que cette liberté inclut la grande école privée style HEC et nombre d'autres, que le magistrat, comme tout autre fonctionnaire, est admis à enseigner dans un cadre qui, s'il nest pas restrictif, pourrait être aussi une école de la magistrature de statut non public, ce qui demanderait ensuite simplement l'organisation d'un concours style agrégation avec options, tel celui qui couronne, entre autres formations, celle dispensée par les écoles normales supérieures à leurs élèves maîtres rémunérés, et qui est accessible à toute maîtrise, pour accèder réellement au final à la fonction de magistrat à l'issue donc d'une formation qui aurait ainsi échappé à la pression, ou surtout à certaines élucubrations étatiques se tirant dans les pattes d'un mandat à l'autre, et concours dont le Jury devrait être composé d'un panel de magistrats de toute tendance au prorata de la représentation nationale de l'année de référence, les candidats malheureux ayant néanmoins acquis au moins des compétences de chroniqueurs judiciaires valorisables par la suite d'une façon intéressante pour la communauté !
Une utopie ou une saine émulation dans l'organisation des programmes d'enseignement qui demanderait ensuite la publication, comme dans le cas des autres disciplines, d'un rapport de concours et des meilleures copies, ce qui ne devrait pas manquer d'être particulièrement édifiant et devrait contribuer à réduire le contingent de producteurs de sornettes ?
Rédigé par : Catherine JACOB | 17 janvier 2008 à 10:18
Patrick PIKE
"Et il est encore mieux que des hommes et des femmes le fassent en public, sans crainte, au grand jour, à visage découvert."
Pas toujours tout à fait sans risques hélas car il faut savoir que le pouvoir est par définition, ou par nature, mauvais joueur, même chez nous, et ses clowns usurpateurs - ceux qui vous font croire qu'ils agissent en son nom et petits magouilleurs méprisables en prennent le masque à son préjudice - encore davantage. Mais bon, ou on a des couilles - ou l'équivalent feminin dont je me demande quelque part finalement comment il pourrait bien être désigné - ou on n'en a pas !
Rédigé par : Catherine JACOB | 17 janvier 2008 à 09:35
"Les exemples vivants sont d'un autre pouvoir;
Un prince dans un livre apprend mal son devoir."
Corneille "Le Cid" act 1, sc 3
Si vous pouviez faire école, vous et vos collègues !
Il semblerait quand même que la liberté de parole s'étende, lentement mais inexorablement, comme un fleuve en cru.
On ne peut indéfiniment contenir une colère qui gronde à l'heure où les blogs sont un immense espace de liberté, un porte-voix tonitruant, même si ceux qui s'y expriment se masquent derrière des pseudos.
Et il est encore mieux que des hommes et des femmes le fassent en public, sans crainte, au grand jour, à visage découvert.
Ce n'en est que plus prégnant.
Mais il faudrait aussi que cette liberté d'expression inondât d'autres institutions.
Si j'avais un conseil à formuler à nos gouvernants, ce serait de lire avec attention tout ce qui s'écrit sur les sites. Peut-être comprendraient-ils que le contre-pouvoir, indispensable à toute démocratie, y est en gestation.
Rédigé par : Patrick PIKE | 16 janvier 2008 à 19:53
Est-ce suffisant de demander à Jean-Michel Dumay de tenir bon ? La crise que vit Le Monde me semble complexe, à l’image de ce journal. Qui n’a pas un jour tempêté à la lecture de tel article ? Mais qui pourrait rester indifférent s’il disparaissait un jour ? D’abord parce que la mort d’un organe de presse est toujours regrettable puis, bien que trop souvent autoproclamé journal de référence, parce qu’il tient une place essentielle parmi les médias. Son aura a été mise à mal, en 2003, lorsque, coup sur coup, sont parus trois ouvrages iconoclastes, celui de Pierre Péan et Philippe Cohen, celui de Daniel Carton et, le plus insidieux, celui de Bernard Poulet. Le Monde a résisté à ces assauts, parfois au prix de quelque palinodie (j’attaque « La face cachée du Monde » puis j’accepte un arrangement) jusqu’au départ spectaculaire de Jean-Marie Colombani. Sous une apparente harmonie intérieure, il y avait donc quelque chose de déréglé au royaume du Boulevard Auguste-Blanqui. Comme si son organisation, en voulant assurer son indépendance dans un esprit démocratique, s’était plu à se tendre des pièges. C’est ce qui pourrait expliquer l’incompatibilité d’humeur, ou d’intérêts, entre les différents acteurs (gouvernance, Société des rédacteurs, administrateurs externes, sociétés de personnels, de cadres, président du conseil de surveillance…) On peut toujours imaginer qu’un compromis sera trouvé entre personnes responsables. Mais ni Jean-Michel Dumay, ni la Société des rédacteurs ne pourront régler seuls le problème le plus grave : le déficit, gravissime par son poids, délicat à combler parce qu’au Monde l’argent n’a pas la même odeur suivant la provenance.
Rédigé par : Peroixe | 16 janvier 2008 à 18:05
Thierry SAGARDOYTHO
«Qu'ils s'inspirent donc de la liberté de parole et de réflexion de leurs aînés tels M. Bilger ou M. Goudon.»
J'ignore qui est M.Goudon, mais s'agissant de ce que je connais de M.Bilger autrement dit ses textes et sa réputation, il me semble qu'il va leur falloir s'inspirer de tout un certain nombre de choses qui ne s'apprennent pas à l'école ! En particulier la culture et la profondeur de la réflexion qu'il est donné d'apprécier au quotidien, ou presque, sur ce blog, même quand on n'est pas d'accord avec lui et qu'on lui tirerait bien les oreilles si on avait le double de son âge, et que donc malheureusement ce n'est pas gagné !
Rédigé par : Catherine JACOB | 16 janvier 2008 à 14:10
@SBRIGLIA:
..."sous le regard attendri des aînés dont les rubans bleus et rouges affichés témoignaient des servilités passées"...
Peu de Juges décorés dans le bas de l'échelle. Un bon magistrat ne fait que son travail. Mérite-t-il en récompense des hochets ou rubans décorés ? Ou bien insidieusement, les rubans le récompensent-ils pour ses servilités passées, actuelles et à venir ? La question que vous posez est fort pertinente et elle mériterait une discussion plus approfondie en cette période de voeux où les tenues de cérémonies et autres rubans sont plus que jamais de sortie !
Rédigé par : Thierry SAGARDOYTHO | 16 janvier 2008 à 13:52
Le magistrat de Metz, tel que je l'ai lu dans Le Monde redéfinit les fondamentaux de son métier.
Il exprime ce qu'il est et ce qu'il ne peut pas être.
C'est une bonne chose que des magistrats saisissent une opportunité officielle, voire solennelle, pour rappeler la place de la Justice dans notre société.
Ce que j'apprécie dans ses mots c'est l'engagement personnel et public pour faire part de sa grande réserve que lui inspire la fonction à laquelle il a été nommé.
Il y a de l'intelligence, de la finesse, de la pédagogie dans sa démarche. Et surtout, je pense, l'expression d'un grand respect pour le métier qu'il fait, des cadres auxquels il tient et qu'il pose.
Rédigé par : Véronique | 16 janvier 2008 à 13:09
Le Sm et l'Usm défendent très mal l'image des magistrats qui "saisissent au bond les occasions d'offrir à ceux qui les écoutent une belle image d'eux-mêmes "
Voici ce que j'ai écrit au Sm et à l'Usm dans mon fax du 08 mars 2007. Interrogez-les..
"Parce qu’il pouvait y avoir une atteinte à l’indépendance de l’autorité judicaire et à la séparation des pouvoirs, l’Usm et le Sm ont salué l’invalidation le 1er mars par le Conseil Constitutionnel de deux des plus important articles de la réforme de la justice.
Alors qu’il y a eu de fait (fax 21.02.2006 08.06.2006 02.10.2006 25.11.2006), une atteinte gravissime à cette indépendance, et que l’autorité judiciaire, par ses décisions, ou son inaction, a servi toute entière la presse et ses actionnaires, l’Usm et le Sm n’ont rien dénoncé.
.......
Il reste peu de temps pour dénoncer ces dysfonctionnements majeurs, avant que la presse et l’Assemblée ne s’emparent de cette affaire... et que les justiciables n’aient encore moins confiance en leur justice, et ne se focalisent encore d’avantage sur la responsabilité de ses magistrats."
Dans Libération (http://www.liberation.fr/rebonds/304141.FR.php) B. Thouzelier déclare "On murmure que Nicolas Sarkozy n’aime pas la justice et moins encore les juges. C’est pour nous magistrats une situation incompréhensible et inquiétante. .. En s’en prenant ainsi à la justice, il affaiblit les institutions et finalement les bases de l’autorité de l’Etat."
Sarkozy a raison de ne pas aimer ces magistrats
- qui ne savent pas donner une "belle image d'eux-mêmes"
- qui resteront des petits pois disciplinés et sans "capacité à comprendre leur monde et le monde."
- qui "affaiblissent les institutions et finalement les bases de l’autorité de l’Etat."
Rédigé par : Mm | 16 janvier 2008 à 12:07
Que les discours de rentrée solennelle deviennent moins ronflants et plus ouverts aux débats de société est une excellente chose. Mais, cher Philippe, nous aimerions aussi que les beaux discours se traduisent dans les faits ; autrement dit, que les indignations légitimes trouvent quelque écho dans les décisions judiciaires rendues pour peu, naturellement, qu'elles soient conformes à la Loi. La liberté de parole qui est la vôtre, dans ce blog comme dans vos ouvrages que nous sommes beaucoup à lire avec intérêt, donne incontestablement des envies à certains de vos collègues et c'est tant mieux. Mais je souhaite que vos jeunes collègues de l'ENM s'inspirent également de cette liberté de parole et de pensée. La suffisance et l'arrogance de certains auditeurs de justice fait terriblement froid dans le dos à l'idée qu'ils seront un jour en mesure de remplacer M. Burgaud. Qu'ils s'inspirent donc de la liberté de parole et de réflexion de leurs aînés tels M. Bilger ou M. Goudon.
Rédigé par : Thierry SAGARDOYTHO | 16 janvier 2008 à 09:03
Le rituel des cérémonies de rentrée des Cours et des Tribunaux était toujours le même : les gardes républicains de service précédaient au son du tambour les magistrats enherminés, suivis par les robes noires dont, tout aussi rituellement, l'une d'entre elles se risquait à glisser à son voisin que, décidément,"ces gens-là adoraient marcher à la baguette"... le scribe de la Gazette prenait quelques photos et relevait les noms des présents : le texte des discours lui serait obligeamment fourni ; les statistiques ennuyeuses et rassurantes seraient comme toujours critiquées par les greffiers... un bon mot surgirait ou une saillie, soigneusement pesée, déclenchant une ébauche de sourire convenu sur des visages graves, forcément graves... au moins n'avait-on pas à subir ici les interminables joutes oratoires des secrétaires de la Conférence qui transformaient la rentrée du barreau en un supplice soigneusement distillé par ceux-là même qui, tout au long de l'année, pourrissaient les audiences de leurs plaidoiries aussi longues que le souffle en était court...
On savourait le plaisir d'être entre soi, de se permettre enfin le seul discours critique autorisé, dans des limites toutefois convenues, discours qui terminerait comme chaque année dans le cimetière de la Gazette du Palais...
On savait que le champagne tiède que servirait ensuite le Premier dans son bureau permettrait à quelques jeunes substituts de se défouler à huis clos, sous le regard attendri des aînés dont les rubans bleus et rouges affichés témoignaient des servilités passées...
Mon Dieu, que les rentrées étaient belles sous la Dati !
Rédigé par : sbriglia | 16 janvier 2008 à 06:21
«Dénonçant enfin le manque de moyens de la justice, il [le magistrat messin] a conclu par cette mise en garde : "Les victimes ne se contenteront pas du soutien moral et du réconfort platonique d'un nouveau juge, aussi bienveillant soit-il." »
Lit-on en effet en fin de l'article. Pourtant quelqu'un qui ne surajoute pas au préjudice initial par inadvertance, qui fait cesser l'intolérable et qui ne vous prend pas de haut, ce qui ne demande pas tant des moyens que de l'attention et de la considération, c'est en vérité déjà beaucoup.
Rédigé par : Catherine JACOB | 16 janvier 2008 à 01:14
Vous dites :
"je perçois, sans forcer le trait, une liberté nouvelle qui commence à irriguer la magistrature, une vivacité de ton et une causticité de la pensée qui nous sortent heureusement de nos quiétudes empesées et de nos expressions convenues. "
Si seulement cela pouvait aussi être vrai de la part du justiciable dont l'expression est loin d'être aussi entendue des magistrats...
Où en sont les suites de l'affaire d'Outreau, des acquittés du procès de Pierrot le fou ?
Deux poids deux mesures ?
Peut-être que la magistrature commence à prendre conscience de ce que ça fait de se trouver face à une "injustice".
Mais cette injustice-là, objet de leur libre expression relayée par moult média, ne les prive ni de liberté, ni de parole... eux...
Cordialement
Pierre-Antoine
Rédigé par : Pierre-Antoine | 15 janvier 2008 à 23:43
Une société de l'honneur ne serait-elle pas le fruit d'une politique de civilisation ?
Rédigé par : Fleuryval | 15 janvier 2008 à 23:05