Revenant de Bruxelles où, convié à faire une conférence, j'ai été formidablement reçu par le "jeune barreau" présidé par Emmanuel Plasschaert, je découvre la presse d'aujourd'hui mais je demeure accroché à une préoccupation d'hier.
Auparavant, puis-je contredire Alain Marécaux qui, dans le Parisien, termine ainsi un article qui lui est consacré :"Mais je suis persuadé qu'un jour ou l'autre, il y aura un nouvel Outreau" ? Si la tragédie judiciaire d'Outreau se caractérise par le grand nombre d'accusés innocentés, le scandale d'interminables détentions provisoires et la faillite collective d'une soixantaine de magistrats, sans oublier l'instance ministérielle, on peut espérer ne jamais revoir un désastre d'une telle ampleur. Ayant rencontré récemment à Lille Roselyne Godard, je n'ai pas senti chez elle le même pessimisme. L'avenir judiciaire lui apparaissait moins sombre. Je souhaite que la justice - nous tous, donc - ne donne pas raison à Alain Marécaux et à son amère intuition.
Le débat qui n'a pas fini de produire ses effets en moi concerne la rétention de sûreté après la décision du Conseil constitutionnel et l'acceptation, sous certaines conditions clairement et nettement définies par le Premier président de la Cour de cassation, de la mission qui lui a été confiée par le président de la République.
Sur un plan juridique, quelques articles et réactions sont venus enrichir la discussion. Le garde des Sceaux, dans le Monde, a affirmé que "ce n'est pas jouer sur l'émotion que de protéger les Français". Pierre Fauchon, dans le Figaro, a qualifié de "subtile" la décision du Conseil constitutionnel et Jean-Yves Le Borgne, pour l'Association des avocats pénalistes qu'il préside, vient avec talent rappeler son opposition à la rétention de sûreté, prenant même le risque de formuler une interrogation dont la réponse pourrait être positive : "Y a-t-il donc des profils qui ne mériteront jamais la liberté ?" Pierre Mazeaud démonte avec sagacité et un zeste de brillante perfidie l'argumentation du Conseil tandis que Dominique Rousseau, plus classiquement, dans le Parisien, énonce que "la non-rétroactivité est un principe de la démocratie".
Ces analyses, peu ou prou, se situent dans le cadre de l'Etat de droit et de ses règles fondamentales dont, en effet, la non-rétroactivité. Je voudrais les mettre en parallèle avec l'entretien que le président de la République a accordé, sous l'égide du Parisien et à l'Elysée, à huit lecteurs de ce quotidien. L'un d'eux questionne Nicolas Sarkozy sur la décision du Conseil constitutionnel, mêlant validation et censure. Le président fait une assez longue réponse caractérisée notamment par ces deux phrases fortes : "J'aimerais qu'on ne mette pas ce principe de la rétroactivité au service des criminels les plus dangereux" et, imaginant une famille qui vient le voir :" M. Sarkozy, cet homme a déjà violé et il s'est attaqué à ma petite fille. Vous aviez dit que vous feriez voter une loi sur la rétention de sûreté, pourquoi ne s'est-elle pas appliquée ? " Il n'est pas indifférent de constater qu'un sondage a donné une majorité écrasante en faveur de la thèse défendue par le président.
Cet immense écart entre la vision juridique et le sentiment populaire que le propos présidentiel a stimulé ou suivi révèle-t-il un inévitable affrontement entre le peuple et les élites, le Droit et les citoyens, le bon sens apparent et la rigueur des principes ? Accepter l'inéluctable dans ce domaine serait tomber dans un "populisme" de mauvais aloi où on jouerait l'instinct contre le savoir, l'immédiateté de la pulsion et de l'indignation contre le temps de l'observation. En réalité, on aurait tort de percevoir ce hiatus comme une guerre alors qu'il constitue la manifestation d'un double langage qui, chacun, a sa légitimité et sa vigueur.
Il est normal que la société, des citoyens ayant éprouvé le pire ou le supputant aisément, par un réflexe de sauvegarde, tiennent peu compte, ou pas du tout, des entraves que la réflexion juridique et l'éthique démocratique se plaisent à mettre dans l'efficacité rêvée des mécanismes de protection individuelle et collective. A moins de porter en soi une morale civique hors du commun, le commun, précisément, n'élève aucune objection devant l'émergence en lui de désir de vengeance, d'une volonté de justice expéditive et acceptée seulement dans une extrême rigueur. C'est le langage de la douleur brute vécue, supportée ou anticipée. C'est le premier langage.
Le second vient, aussi naturellement que l'autre se nourrissait d'intensité urgente et de réplique musclée, s'enrichir de la maîtrise qu'apporte la culture des procédés qui ont constitué l'Etat comme civilisé et la communauté humaine comme vivable. Il est fait pour poser, sur les bruits et les fureurs du monde, non pas une opinion complaisante mais une grille abstraite qui, sans les abolir, les réduit à l'état d'objets d'analyse et de transgressions désincarnées. L'Etat de droit se dépouille de l'autorité de l'Etat pour se parer de la lucidité du Droit, froide et un peu agaçante pour la chaleur des souffrances. Il serait inconcevable que tous ces serviteurs de la théorie juridique et des concepts constitutionnels s'affranchissent de leur science et du retrait qu'elle permet pour s'abandonner à la libération de considérations plus directes et brutales.
Chacun de ces langages est inspiré par une logique profonde qui ne deviendrait dangereuse pour l'autre que si elle prétendait devoir nécessairement l'emporter sur elle. D'où le rôle capital du président de la République. Car il n'est pas irrévérencieux de se demander jusqu'à quel point le président garant de l'Etat de droit a la faculté de mettre certains des fondements de celui-ci en cause, comme les phrases que j'ai citées pouvaient le laisser entendre. Dans quelle mesure peut-il, même pour les crimes les plus graves, au moins s'interroger sur la pertinence de la non-rétroactivité alors que celle-ci n'est pas un ornement conjoncturel de l'Etat de droit mais sa structure même ?
C'est une problématique qui, partant du constitutionnel et du judiciaire, nous renvoie à la conception que Nicolas Sarkozy a de son action à la tête de l'Etat. Pour ne pas se vouloir arbitre la plupart du temps mais acteur déterminant, est-il cependant prêt à abandonner la mission traditionnelle du chef de l'Etat qui, pour le Droit, le constitue comme lien, ciment, facteur d'équilibre, source d'équité ? Ce qui, en effet, autorise une coexistence pacifique, même inattentive à l'un et à l'autre de ces deux langages, c'est précisément l'aptitude du président de la République à ne pas en favoriser un trop par rapport à l'autre. Trop d'adhésion à la vox populi et l'Etat de droit risque de trembler sur ses bases, de la même manière qu'un quadrillage trop pointilliste et bureaucratique de la société par le Droit laisserait le champ libre aux criminels et ne garantirait pas les citoyens contre toutes sortes de réitérations. Tâche difficile que celle du président qui doit freiner l'ardeur de l'acteur pour sauver la fiabilité du garant, l'inverse, ne pas faire disparaître l'acteur sous le garant, étant à l'évidence une démarche plus facile à accomplir pour Nicolas Sarkozy.
En matière de Droit et de justice, il est dur d'être président de la République.
@ olivier-p
"Il m'arrive de voir des gens perdus, mais pas cette panique-là, tout à fait particulière - et si insupportable, donc, autant à entendre - semble-t-il - qu'à vivre. "
Je ne banalise pas votre panique d'alors.
Je dis seulement qu'elle n'est pas à ce point particulière.
L'exil, l‘impuissance, l'exclusion sont des expériences humaines que beaucoup traversent.
"La toute-puissance de l'idée de responsabilité individuelle du récidiviste ne laissait aucune place à une réflexion du type "comment permettre à cette responsabilité individuelle de s'exercer ?"
Il me semble que quand la justice aménage une peine, c’est parce qu’elle choisit l’idée de responsabilité individuelle du détenu.
Quand une libération conditionnelle intervient avec pour principal argument une peine arrivée à son échéance pour la valider - mécanisme des réductions automatiques des peines -, les acteurs judiciaires, eux-mêmes, n’ont pas, dans ce cas, privilégié suffisamment l’idée de responsabilité individuelle du détenu.
Rédigé par : Véronique | 08 mars 2008 à 08:48
"C'est parce que tous les jours..." écrivez-vous.
Il m'arrive de voir des gens perdus, mais pas cette panique-là, tout à fait particulière - et si insupportable, donc, autant à entendre - semble-t-il - qu'à vivre.
Rédigé par : olivier-p | 07 mars 2008 à 16:41
@ olivier-p
" L'idéologie que je reproche à notre hôte et à vous-même (sans parler des armées de Marcel à l'innocence scandée et subtilement encouragée par des relations d'émission TV) tient moins dans vos choix, que dans la place donnée à l'idée, au détriment du "comment-mieux" (moins intellectuellement valorisant)."
Je ne peux pas parler à la place de P. Bilger, de sbriglia et de Marcel.
Ce que je peux dire.
Je me rappelle fort bien de l'épisode de la machine à laver que vous aviez évoqué.
Si je n'ai pas réagi, c'est parce que tous les jours, dans mon travail, j'ai affaire à des personnes pour lesquelles des choses quotidiennes sont compliquées à accomplir.
Hier, par exemple, j'ai du expliquer et montrer longtemps à un couple de jeunes gens le maniement d'une photocopieuse, pour une photocopie.
J'ai du expliquer, longtemps à un jeune garçon le principe d'un prêt de documents dans une bibliothèque.
La perte de gestes ou la difficulté à les accomplir ne sont pas seulement le fait de détenus libérés, isolés et laissés à leur désarroi.
Pour l'aspect idée au détriment du "comment-mieux", je pense, Olivier, qu'au fond, ce qui m'intéresse dans l'idée des libérations conditionnelles, c'est précisément le "comment-mieux ".
Mais je ne pense pas que nous parviendrons à ce "comment-mieux" sans un regard neuf sur ce qui constitue l'accompagnement et le suivi d'un détenu libéré.
La société et l’Etat doivent accepter de remettre en question ce qu’ils consentent ou pas à améliorer. Le monde judiciaire, également.
Rédigé par : Véronique | 06 mars 2008 à 13:27
Véronique :
Je reviens sur un point, et puis je vous laisse tranquille.
Vous évoquez l'accompagnement à la "sortie" lié au danger de la récidive.
Je suis bien d'accord sur ce point.
Peut-être avez-vous souvenir que j'avais évoqué l'effroi de la sortie - ici, et jamais, jamais ailleurs.
Je me souviens très bien que ça n'avait strictement intéressé personne. Le récit d'une rage impuissante face à une machine à laver qu'on ne sait plus utiliser, les mille paniques du quotidien des lendemains d'une longue incarcération, tout cela ne pouvait pas passionner une Véronique, un Bilger, un sbriglia...
Le "débat" en effet portait sur la responsabilité (éclatante) du récidiviste, et pas sur les conditions (forcément grises) de la sortie.
Comme souvent en France, le concept interdisait de réfléchir aux modalités et aux nuances. L'expérience réfléchie, digérée, travaillée est toujours triviale au pays de la philosophie triomphante.
La toute-puissance de l'idée de responsabilité individuelle du récidiviste ne laissait aucune place à une réflexion du type "comment permettre à cette responsabilité individuelle de s'exercer ?"
L'idéologie que je reproche à notre hôte et à vous-même (sans parler des armées de Marcel à l'innocence scandée et subtilement encouragée par des relations d'émission TV) tient moins dans vos choix, que dans la place donnée à l'idée, au détriment du "comment-mieux" (moins intellectuellement valorisant).
Accusée Véronique... non je plaisante.
Recevez par ailleurs mes excuses publiques pour les lignes furieuses que je vous ai écrites et qui étaient, au minimum, excessives. au minimum.
PS : Je dédie ces lignes à l'éducatrice qui m'a dit "regardez, il suffit de tourner le bouton dans ce sens, et de régler la température". Je crois qu'elle a plus fait pour la paix publique que bien des éditorialistes.
Rédigé par : olivier-p | 06 mars 2008 à 09:46
Merci, Véronique, d'avoir accepté de répondre.
La "sécurité" et les "victimes" peuvent devenir ici ce qu'étaient la "justice sociale" et les "travailleurs" à Prague en 48 : l'alibi d'une folie qui s'étend. Ca n'arrive pas qu'aux autres.
Il nous reste la Constitution,
et Finkielkraut.
Rédigé par : olivier-p | 04 mars 2008 à 19:21
@ olivier-p
"Pensez-vous qu'une société, et des politiques, peuvent aussi inventer des "dispositifs" dangereux ?"
Oui. Quand une société n'a plus confiance dans ses institutions et que celles-ci finissent par ne compter pour rien.
"N'y a-t-il de dangerosité sociale que chez les déviants ?"
Il y a, je pense, une dangerosité de récidive criminelle quand un détenu a été condamné pour des faits très graves avec des modes opératoires que la justice sait identifier et hiérarchiser (cf. le docteur R. Coutanceau).
Quand le détenu a refusé les soins en détention et quand il n'y a eu personne pour le convaincre de les accepter. Quand il n'a envisagé sa libération conditionnelle qu'en termes de calcul de réduction automatique de sa peine. Quand il est libéré avec un dispositif de surveillance judiciaire, d’accompagnement et de suivi qui met des semaines à devenir opérationnel.
"La transgression appartient-elle uniquement à une minorité marginale, ou guette-t-elle chacun d'entre nous, y compris au sommet de la réussite et du pouvoir ?"
La démocratie a prévu pour cela une constitution, des filtres institutionnels et une séparation des pouvoirs.
"Une société peut-elle aussi délirer ?"
Une société délire quand elle a le sentiment que l'abstraction se substitue au réel (relire la note P. Bilger) et que les dirigeants ou les décideurs agissent comme si leur idéologie et leurs dogmes - leur délire - suffisaient pour résoudre les problèmes.
"Une société peut-elle aussi briser, détruire ?"
Une société civilisée place plus haut le concept d'autorité à celui de domination (écouter A. Finkielkraut sur France 5, dimanche)
...Suite, Olivier, plus tard... après le taf.
Rédigé par : Véronique | 04 mars 2008 à 13:17
Véronique :
Vous parlez de "dispositifs", terme qu'employait Foucault. Merci.
Pensez-vous qu'une société, et des politiques, peuvent aussi inventer des "dispositifs" dangereux ?
N'y a-t-il de dangerosité sociale que chez les déviants ?
La transgression appartient-elle uniquement à une minorité marginale, ou guette-t-elle chacun d'entre nous, y compris au sommet de la réussite et du pouvoir ?
Une société peut-elle aussi délirer ?
Une société peut-elle aussi briser, détruire ?
Peut-il y avoir des dirigeants pervers qui captent une faiblesse du corps social pour dynamiter le pouvoir symbolique au profit du pouvoir personnel ?
En un mot, qu'avez-vous appris de l'expérience historique en Europe centrale entre 1948 et 1989 ?
Y a-t-il un seul message de la dissidence que vous ayez entendu, non pour ce qu'il confirme de vos dispositions politiques, mais pour ce qu'il informe de la tentation politique comme solution à la douleur d'être ensemble ?
Rédigé par : olivier-p | 04 mars 2008 à 08:49
Papon, Touvier ou Barbie ont été condamnés pour crime contre l'humanité, définition criminelle qui n'existait pas au moment où ils ont commis leurs actes.
En effet, le crime contre l'humanité est défini par l'article 6 du statut du Tribunal de Nuremberg (Charte de Londres, 8 août 1945, résolution de l'ONU du 13 février 1946).
La Chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 1er juin 1995 sur l'affaire Paul Touvier (condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la Cour d'assises des Yvelines le 20 avril 1994 pour complicité de crime contre l'Humanité commis dans le cadre d'un plan concerté pour le compte d'un Etat pratiquant une politique d'hégémonie idéologique) a pourtant écarté la violation par l'article 6 du statut du Tribunal de Nuremberg du principe constitutionnel de la non-rétroactivité de la loi pénale (art. 8 de la Déclaration de 1789, Préambule de la Constitution de 1958) au motif "que la peine prononcée contre Paul Touvier entrait dans les prévisions des articles 296, 297 et 302 du Code pénal applicables au moment des faits".
La non-retroactivité est donc une notion qui semble pouvoir être contournée parfois sans que ça émeuve les beaux esprits et leurs grands principes...
Rédigé par : Francois F. | 04 mars 2008 à 07:54
@ Irnerius
Je vous réponds comment je vois les choses. Sachant que je ne suis pas du tout juriste.
Le Conseil constitutionnel a censuré la rétroactivité de cette loi parce que celle-ci est contraire à un principe fondamental du Droit. Ce principe veut qu'une personne en détention aujourd'hui ne peut pas subir les conséquences d'une disposition - la rétention - qu'elle ignorait au moment où elle a commis les faits pour lesquels elle a été condamné.
Aujourd’hui, un condamné dont l'échéance de libération conditionnelle approche et qui est évalué dangereux - cette question de dangerosité, je pense, n'est pas formalisée ainsi par le JAP - peut faire l'objet d'une surveillance de sûreté.
La question, dans l'immédiat, est de savoir si cette surveillance judiciaire, quand elle s'impose, est une mesure qui offre suffisamment de garanties. Si compte tenu des moyens dont dispose la justice, cette mesure peut se mettre en place simultanément à la libération du détenu.
A mon avis, la question raisonnable à poser à la justice est celle de ce qu'elle peut améliorer dans les dispositifs existants pour éviter qu'un condamné qu'elle évalue comme préoccupant, voire très préoccupant sur le plan de la récidive, ne sorte pas avec une surveillance qui mettrait des semaines à se mettre en place et à s'organiser.
Je pense qu'aujourd'hui la société doit respecter la décision du CC et que c'est le devoir impérieux des politiques de la lui faire comprendre et accepter.
La rétroactivité censurée - j’approuve cette décision du CC - doit faire place à cette question: que pouvons-nous faire avec les outils juridiques dont nous disposons ?
Concernant les personnes susceptibles de commettre aujourd'hui des faits contenus dans cette loi, c'est un autre débat.
Rédigé par : Véronique | 03 mars 2008 à 20:38
Il est hors de doute que le principe de non-rétroactivité de la loi pénale est une règle profondément enracinée dans notre tradition juridique. Elle exprime la manière toute libérale dont nous concevons la responsabilité de l'individu en société. Il me semble cependant que la loi récemment querellée devant le Conseil constitutionnel n'appartient pas à cette catégorie mais plutôt à la celle des lois de sûreté. Le juge constitutionnel l'a lui-même admis, je crois. Je comprends dès lors assez difficilement comment on peut faire une application rigoureuse de la règle de non-rétroactivité, dès lors que la loi dont nous parlons n'ajoutait pas à la peine stricto sensu, mais édictait des mesures de prévention pesant sur les personnes libérées. Il est de la nature de ces lois de sûreté de limiter la liberté des citoyens, car la vie en société passe par l'acceptation d'un certain nombre de servitudes au nom du bien commun. Il est évident que la règle de non-rétroactivité ne s'appliquait pas à la loi Dati, et la question véritablement juridique était, - à mon sens, - de savoir si les dispositions contestées excédaient ou non les limitations à la liberté que la Société est en droit d'imposer à un particulier jugé dangereux. Un travail d'analyse in concreto qui n'a peut-être pas été conduit jusqu'au bout par le Conseil, tant il est vrai qu'en ces matières l'abstraction est de mise... Si, comme l'affirment certains savants pénalistes, le délinquant est un malade, il n'est peut-être pas imprudent de s'inspirer de certaines lois applicables aux psychopathes... y compris en matière de garanties des libertés individuelles qui les assortissent. Réflexions et questions que je soumets à notre hôte éminent comme à ses lecteurs distingués.
Rédigé par : Irnerius | 03 mars 2008 à 16:39
Bonjour Monsieur Bilger,
Par extension à votre présent billet, j'aimerais vous alerter sur un livre publié il y a quelques jours aux éditions du Seuil ; Auteur : Michel Dubec; titre : Le Plaisir de tuer.
J'ai découvert son existence en tombant sur un blog qui en parle :
http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2886
Je n'ai pas l'intention de le lire d'ailleurs, les extraits du blog étant suffisamment éloquents pour en saisir une certaine teneur. Teneur qui, je n'en doute pas, saura retenir à la fois votre attention et votre sagacité...
L'avis éclairé d'un magistrat d'expérience comme vous serait le bienvenu.
Avis sur le fond peut-être, mais aussi ou surtout un avis sur l'aspect juridico-règlementaire;
Ou comment évaluer le positionnement de l'auteur de ce livre qui est simultanément Expert psychiatre auprès des tribunaux, et pas des moindres...
Je vous laisse découvrir par vous-même un sujet profond et profondément actuel.
Vous verrez que vous ne serez pas très éloigné de votre présent billet à plus d'un titre.
Je pense même que cela pourrait être l'objet d'un beau billet à part entière de votre part.
Avec mes (nos ?) remerciements...
Rédigé par : Olivier | 03 mars 2008 à 10:11
Ce qui est intéressant dans l'affaire d'Outreau, c'est la médiatisation, les gens s'y intéressent, ont des opinions uniquement pour cela. Le magistrat se rêve présentateur TV, le journaliste se rêve procureur, ce dernier n'aurait rien contre le fait d'entrer en politique, le politique adore la télé et ça tourne en boucle. C'est le politico-médiatico-judiciaire qui réécrit le réel selon ses besoins.
Une erreur judiciaire n'enlève pas les défauts des gens qui en sont victimes. Godard reste une dinde, Marécaux un pleurnichard égocentrique. Ce dernier comme le reste de la France ignore-t-il que la justice a continué, continue d'être rendue n'importe comment à Boulogne-sur-mer, l'ignorez-vous, vous-même ?
Il fait quoi, vous faites quoi ? Quelle est cette hypocrisie médiatique ?
Ce mois-ci, dans trois pages dans Entrevue, mon histoire est mise en parallèle avec celle d'Outreau, parce que je fus dans l'obligation de passer par un journal à scandale pour avoir le droit à un peu de sérieux... la presse dite sérieuse étant trop occupée par les histoires de sms et de cocufiages, refusant de sortir mon histoire.
Pas de doute, les innocents d'Outreau méritent votre rencontre, votre soutien, ils furent médiatisés à outrance.
Moi, je suis le facho de service, le connard du peuple, celui à qui on donne la parole dans les blogs parce que cela représente un certain pluralisme, mais qu'on prend un peu pour l'idiot de service, avec qui il est nécessaire de garder une distance. J'en suis conscient et m'en amuse !
Pourquoi me priverais-je aussi de cynisme ? Ce n'est pas encore un privilège médiatique.
La télé ne me fait plus rêver depuis longtemps, elle est devenue infréquentable. Les Balzac sont les gens comme moi, n'en déplaise à tous les paraître du monde ?
Rédigé par : Ludovic Lefebvre | 02 mars 2008 à 20:16
Je rappelle simplement, alors que l'affaire d'Outreau était encore "chaude", que les co-accusés de "Pierrot le fou" ont tous été innocentés aux Assises, mais après une longue détention préventive.
Encore heureux que le parquet n'ait pas fait appel !
Non ! Outreau n'est pas un cas isolé, et le pire c'est quand il s'agit d'une personne isolée qui n'intéresse pas la presse car médiatiquement pas rentable en terme de tirages.
Elle repart dans la vie avec des dettes pour payer son avocat, sa vie familiale et sociale foutue et une déchirure immense dans la confiance en la justice de son pays.
Bien sûr je ne parle pas des innocents condamnés sur la simple "conviction", sans mobile, sans arme du crime, sans cadavre, sur la simple "conviction" alors que le doute doit bénéficier à l'accusé...
Mais comme on ne doit pas commenter une décision de justice, je ne tiendrai donc pas un double langage, mais un seul : "il n'y a que des coupables en détention".
Rédigé par : Pierre-Antoine | 02 mars 2008 à 19:22
Je précise pour le lien que j'ai publié supra que ce médecin semble lui-même tomber dans le travers qu'il dénonce puisqu'il écarte un peu rapidement la cause environnementale dans la genèse de la psychose. Mais j'ai peut-être mal lu son article...
Rédigé par : Laurent Dingli | 02 mars 2008 à 13:13
@ Jean-Dominique Reffait
Je n'ai pas la prétention d'en savoir beaucoup plus que vous sur cette question. Je dis seulement que vous réagissez davantage en fonction de votre opinion politique (que je ne discute pas) plutôt qu’en fonction du problème lui-même. En d'autres termes, ce n'est pas parce que Nicolas Sarkozy a évoqué l'hypothèse génétique que celle-ci n'a pas de fondement. Que le président de la République ne maîtrise pas ces questions, je vous l’accorde bien volontiers, et personne ne naît « hétérosexuel ». Vous me parlez d’Axel Khan. Malgré tout le respect qu‘il peut nous inspirer, je ne prendrai pas comme modèle d’objectivité un homme qui manifeste une approche très militante de son métier, et dont le frère, le patron de Marianne, avoue qu’il a toujours été bien plus gauchiste que lui. Le fait d’être un scientifique ne constitue d’ailleurs nullement une garantie. L'opposition binaire de la politique française est malheureusement reproduite dans toutes les disciplines, comme le Droit, l'Histoire ou la Psychiatrie, appauvrissant régulièrement le débat public. Nous devrions sortir de l’opposition artificielle comportement/génétique afin de nuancer la question - je dirai de la dépolitiser. Le Dr Boris Cyrulnik a beaucoup travaillé sur le thème de l’observation, de la partialité du regard que nous portons sur la maladie mentale ou sur les méthodes de soin. Dans le cas qui nous intéresse, bien des facteurs peuvent fausser et orienter le jugement. Par exemple, des parents de psychotique privilégieront l’explication génétique qui permet de les déculpabiliser par rapport à la maladie de leur enfant. Dans d’autres cas, un historien, un scientifique, pour des raisons affectives, idéologiques ou autres qui leur sont personnelles, opposeront à toute réflexion l’épouvantail de la médecine nazie, etc... Cela nous renseigne sur leurs inquiétudes (qu’elles soient justifiées ou non), leur combat politique, mais pas sur la maladie mentale.
lien : http://www.mens-sana.be/artic/racisme.htm
Rédigé par : Laurent Dingli | 02 mars 2008 à 10:57
"A moins de porter en soi une morale civique hors du commun, le commun, précisément, n'élève aucune objection devant l'émergence en lui de désir de vengeance, d'une volonté de justice expéditive et acceptée seulement dans une extrême rigueur."
Je ne suis pas d'accord.
A moins de porter en soi un questionnement moral tout court. Ce qui est porté par une multitude de "communs".
Au moment de Noël, vous avez écrit une note dans laquelle vous rappeliez la phrase du père d'Albert Camus :
"Un homme, ça s'empêche" .
Le père d'A. Camus était-il hors du commun ?
D'autre part, si je suis d'accord avec vous pour le double langage, il me semble que vous oubliez dans votre explication le troisième langage, celui du politique. Quand il parasite des deux côtés ce que la société et le judiciaire ont à se dire et à résoudre.
"est-il cependant prêt à abandonner la mission traditionnelle du chef de l'Etat qui, pour le Droit, le constitue comme lien, ciment, facteur d'équilibre, source d'équité ?"
La demande de NS concernant la rétroactivité de la rétention de sûreté indique quand même lequel des trois langages reste le sien.
"J'aimerais qu'on ne mette pas ce principe de la rétroactivité au service des criminels les plus dangereux"
Voilà ce qui pour moi pourrait être l’exemple d’un parasitage du débat judiciaire dont il est question.
Je pense que la société exprime également dans ce débat sa défiance envers les dispositifs de lutte contre les récidives en lesquels elle n’a pas confiance. C’est sur cette question que le judiciaire et la société ont à se parler.
"Car il n'est pas irrévérencieux de se demander jusqu'à quel point le président garant de l'Etat de droit a la faculté de mettre certains des fondements de celui-ci en cause, comme les phrases que j'ai citées pouvaient le laisser entendre."
Cela n'est pas scandaleux dans la mesure où sa position a comme effet induit de produire un intérêt public sur ce qui, fondamentalement, constitue le Droit.
Ce débat semble également révéler la nécessité de ponts et de vecteurs neufs entre la société et le judiciaire.
Je suis frappée de constater autour de moi l’intérêt pour les institutions que ce débat permet et le besoin de mise à jour des connaissances plutôt sommaires qu'il stimule : le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation. Plus généralement la Loi.
Rédigé par : Véronique | 02 mars 2008 à 10:30
@ Laurent Dingli
Mon antisarkozysme ne m'aveugle pas, hélas, il m'éclaire. Si je suis un ignorant en pathologie mentale, ce que je confesse, je crains bien que Nicolas Sarkozy soit ignorantus ignorantum dans ces domaines comme tant d'autres mais que cela ne le gêne pas pour aligner des chapelets de bêtises dès qu'un micro lui passe à portée du bec.
Je note simplement qu'il ne s'est pas trouvé un scientifique, un généticien pour apporter sa caution à ce fantasme génétique très clairement exprimé par le président. J'ai le coupable penchant de préférer l'avis d'Axel Kahn et consorts sur ces sujets plutôt que celui de Nicolas Sarkozy, allez savoir pourquoi !
Je n'ai pas compris ce que vous appelez la projection de ma propre vision du monde mais j'ai confiance dans votre expertise me concernant...
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 01 mars 2008 à 19:45
A propos de la rétention de sûreté, il faut faire la part entre la question constitutionnelle et ce qui relève du règlement de compte politique. Je vous avoue que je suis assez choqué par la présence d’un Jacques Chirac au sein du Conseil, même si je sais bien qu’il y siège de droit, comme Giscard d‘Estaing, en tant qu’ancien président de la République. Car enfin, cet homme qui n’a jamais rendu de véritables comptes à la justice, l’organisateur du système ultra-clientéliste de la mairie de Paris, le protecteur de saint Jean Tiberi qui, ô Miracle ! parvenait à multiplier les électeurs comme les petits pains - ce président qui, tout en reconnaissant la responsabilité de l’Etat français dans les crimes de Vichy, eut l’extrême indécence de décerner la Légion d’honneur à Vladimir Poutine, cet homme, donc, siège malheureusement dans l’une de nos instances, flanqué du fils à papa de la Constitution, Jean-Louis Debré. Debré, vous savez, celui que l’amuseur Guy Bedos avait qualifié, non sans vérité, d’un « Debré au-dessous de zéro » et qui, pour reprendre l‘appréciation si juste de Jacques Marseille, vient de nous infliger un pitoyable et revanchard « roman de gare ». Cette triste camarilla a donc ruiné un travail législatif et gouvernemental au nom de ce même sens de l’équité dont l‘un de leurs membres fut souvent le sporadique et bien piètre défenseur.
@ Jean Dominique Reffait
Ce que vous dites sur le contexte historique, c’est-à-dire sur le vide laissé par l’abolition de la peine de mort et la suppression du bagne, me paraît essentiel. En revanche, votre antisarkozysme vous aveugle. Je ne crois nullement que la voie du déterminisme social et génétique soit chère au président de la République, comme vous le prétendez. Si vous connaissiez un peu plus les pathologies mentales, vous sauriez qu’il peut y entrer aussi (mais pas seulement) une part d‘inné. Malheureusement, les ignorants - qu’ils soient de droite ou de gauche - instrumentalisent une discipline complexe afin de nourrir leurs obsessions idéologiques. Quant au déterminisme social, tout le personnage de Nicolas Sarkozy s’inscrit en faux contre une telle appréciation. La foi qu’il professe dans la responsabilité - que l’on peut juger parfois naïve ou excessive - dément toutefois ce qui n‘est probablement chez vous que la projection de votre propre vision du monde.
@ Catherine Jacob,
Je n’ai pas eu le temps de vous répondre concernant la question de la mémoire. Je maintiens, le Japon n’a nullement fait l’examen de conscience qui a eu lieu en Allemagne (j’ai dit ce qu’il en était pour l’Autriche), et ce ne sont pas quelques indemnités, deux ou trois déclarations officielles, auxquelles il faut ajouter votre coutumière et assommante pédanterie, qui changeront quoi que ce soit à cette réalité…
Rédigé par : Laurent Dingli | 01 mars 2008 à 12:07
Monsieur l’Avocat général seuls les principes divins sont intangibles. La Déclaration des Droits n’a pas été dictée par Dieu. A son époque existait d’ailleurs la peine de mort, puis la perpétuité réelle (1810). Je comprends le besoin juridique de se référer à la Déclaration (même si le Conseil Constitutionnel l’interprète généralement à contre sens), la Constitution l’impose. Je comprends mal le besoin philosophique de s’y soumettre. Aux noms de quoi les principes « béccariens » s’imposeraient pour l’éternité. Toutes les évolutions majeures (bonnes ou mauvaises) se sont opérées en violant les grands principes. Il est assez désespérant de s’entendre constamment dire : vous ne pouvez pas réformer, vous violez tel ou tel principe. Le droit pénal n’est pas un jardin d’agrément destiné à flatter le regard des professeurs de droit pénal . Si la libération d’un petit nombre de criminels pose un réel problème de sécurité, une révision par l’article 11 de la Constitution s’impose.
Rédigé par : Sylvestre | 01 mars 2008 à 11:15
Le rétention de sûreté équivaut à une peine de mort distillée. A lire les sondages qui donnent qu'une majorité de citoyens partagent les vues du Président Sarkozy, je m'interroge sur la validité de l'abolition de la peine capitale. A plus ou moins long terme, ne sera-t-elle pas réintroduite dans la constitution et le droit ?
Rédigé par : Bernard1 | 01 mars 2008 à 09:32
Il manque à toutes ces réflexions que vous citez la mise en perspective historique, déterminante dans le cas présent.
Cette question de la rétention de sûreté n'est posée que par la disparition de la peine de mort et l'absence de perpétuité réelle dans notre pays. Cette question n'existait pas pour nos aïeux qui disposaient d'outils juridiques pour écarter définitivement de la société ceux qu'ils jugeaient irrécupérables.
C'est donc un problème juridique nouveau et non pas une émergence de crimes nouveaux. Il s'est créé, de par l'abolition du bagne, de la peine de mort et de la perpétuité réelle, un vide juridique dont ne sont nullement responsables les criminels, comme le suggère N. Sarkozy. Les criminels eux, se contentent d'être des criminels. Il existe effectivement aujourd'hui une zone de droit indéfinie que tente de combler la rétention de sureté.
N. Sarkozy a évoqué, pour justifier la rétention de sûreté, le principe de précaution lequel, s'appliquant à un épi de maïs pourrait s'étendre à des humains dont la dangerosité ultérieure est supputée sans pouvoir être prouvée. Cet élargissement du principe de précaution à l'humain, s'il commence par des criminels très dangereux, est une voie ouverte vers la consécration du déterminisme social ou génétique cher à notre président. Nul doute que cette voie ouverte, l'émotion populaire en réclamera plus tard l'application à d'autres formes de dangerosités mineures. C'est sans fin et c'est la fin de l'humanisme tout court.
Et intervient la question de la rétroactivité : le trou laissé ouvert par les abolitions de peines capitales ou perpétuelles est là. Pour demain, le Conseil Constitutionnel a validé la loi. Reste l'héritage historique du trou d'hier et d'aujourd'hui. La mise en cause de la non-rétroactivité serait une nouvelle voie ouverte, insupportable parce qu'une fois ouverte, nous entrerions dans un Etat de non-droit, c'est à dire un Etat où nos actes légaux du moment pourraient être condamnés rétroactivement plus tard. C'est la ligne rouge absolument infranchissable.
Si nous disposions d'espaces vierges, dans une île du Pacifique ou sur Mars, peut-être aurait-on recréé la relégation, laquelle, après tout, a contribué à la population de l'Australie, de la Nouvelle-Calédonie. Comme si, à une question juridique nouvelle, il ne pouvait y avoir que des réponses anciennes.
Reste que votre billet est fort intelligemment posé.
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 29 février 2008 à 23:01
"C'est le langage de la douleur brute vécue, supportée ou anticipée. C'est le premier langage."
C'est le langage des Erynies, celui de toutes les tragédies des Atrides, il ne connaît pas de fin. L'autre langage est le langage d'Apollon, le maître de l'expiation.
Rédigé par : Catherine JACOB | 29 février 2008 à 19:03