La nostalgie.
Ce n'est pas elle qui me fait m'étonner de la critique du film "3 heures 10 pour Yuma" par Christine Haas, dans Paris Match. Comment peut-on, en effet, ne pas voir que le remake ne fait pas le poids par rapport à l'inoubliable original mis en scène par Delmer Daves, avec Glenn Ford et Van Heflin ? Comment peut-on analyser le premier film comme "un récit d'ambiance claustrophobique" quand ce huis clos, au contraire, avec son unité de lieu, de temps et d'action, donne au western une allure à la fois tragique et classique ? Comment ne pas remarquer que l'oeuvre de James Mangold, pour estimable qu'elle soit, en voulant se distinguer de la ligne pure, nue et intense de son modèle, tombe dans le gras, la boursouflure, le remplissage, parfois l'ennui, avant de retrouver du rythme et de la vivacité avec précisément la séquence finale incluant l'enfermement dans la chambre d'hôtel ? Comment ne pas être déçu par le jeu lourd et sans grâce de Russel Crowe quand on a dans la tête l'élégance cynique et navrée de Glenn Ford face à l'honnêteté butée de Van Heflin ?
Ce n'est pas de la nostalgie. Mais un constat. Il faudrait offrir aux spectateurs les deux versions et je crains fort, pour ceux qui n'ont peut-être pas suffisamment l'histoire du cinéma dans l'esprit, que la première version écrase la seconde.
La nostalgie. Je ne crois pas non plus qu'elle puisse résumer le formidable succès du film de Dany Boon "Bienvenue chez les Ch'tis". Même si je comprends les réactions comme celle de Daniel Auteuil qui a aimé mais ne s'explique pas un tel engouement, il faut tout de même tenter de découvrir les raisons profondes d'un tel enthousiasme du public, au point qu'on sort du cinématographique pour entrer quasiment dans le sociologique. C'est comme si la France attendait un tel film et qu'on lui avait enfin donné ce qu'elle espérait.
D'abord, cette oeuvre est bien faite. C'est le travail d'un bon artisan. On ne se paie pas de mots ni d'images. On joue le jeu simplement, honnêtement, sans fioritures. Deux acteurs principaux sont réunis, avec des comédiens secondaires épatants, et une tranche de vie du Nord nous est offerte. Je sais bien que la représentation de celui-ci est schématique, qu'elle se fonde délibérément sur tous les clichés positifs ou négatifs de cette région, en forçant sur les premiers, en atténuant les seconds, sans prétendre y mêler la politique, au grand dam de certains critiques obsessionnels et militants qui auraient souhaité peut-être un film à la Bruno Dumont ! Cela ne signifie pas qu'ici ou là, on ne puisse pas déceler des faiblesses. La scène de l'alcoolisme à deux lors de la tournée est trop longue même si Kad Merad y est excellent. Les ressorts psychologiques de l'épouse du directeur me semblent assez peu plausibles. Mais qu'importe ! Un élan de rire et de joie nous rend heureux au-delà même de ce qu'une comédie ordinaire même réussie peut susciter.
Il y a toujours de la fatuité à généraliser d'après soi mais dans la mesure où je ne suis pas habituellement un épris des drôleries à la française - Amélie Poulain m'a semblé mièvre et longuet, malgré de très jolies trouvailles et son fantastique retentissement -, j'ose penser que mon adhésion au film de Dany Boon donnera un peu de crédit à mon analyse.
La France, par cette oeuvre, s'incorpore le Nord, prend conscience de son unité sur un mode ludique mais sensible, regarde comme des concitoyens des êtres que la susceptibilité des régionalismes et des identités locales faisait percevoir presque comme des étrangers, certes chaleureux mais dont on moquait le patois, la propension à l'alcoolisme, la simplicité des goûts, la familiarité des attitudes et le "sale" climat. D'un coup ce film pourtant aux antipodes du sérieux et du pédagogique, offre l'opportunité à tous les autres Français de se réjouir de leur proximité avec ce territoire, avec ces gens et d'être fiers qu'ils appartiennent au même monde, au même pays, au même Etat que le leur. Une telle assimilation n'aurait pas été possible avec n'importe quel département ou région. Je suis sûr que les Alsaciens ou les Savoyards n'auraient pas bénéficié de la même aura et qu'un film de même nature sur eux n'aurait pas entraîné un tel triomphe. Avant de savoir, il y avait déjà une tendresse pour le Nord qui ne demandait qu'à éclore. Le film s'est constitué comme un lien , une passerelle, un billet doux entre des communautés qui, grâce à lui, se sont reconnues fraternelles et solidaires. La tendresse du regard, la certitude d'être ensemble. Une diversité enrichissante, loin des discours cherchant à nous démontrer qu'autrui, parce qu'il était étranger, était nécessairement une chance et une richesse. Le film a été comme les rois de France : il a uni.
Il a fait mieux. Il a permis à la France de fuir un instant sa morosité, en se regardant, dans le miroir de cette oeuvre, avec une sorte de contentement moral et de jubilation collective. L'irruption, avec évidence, sans volonté de dénaturation ni de décalage, sans dérision ni honte, d'une multitude de bons sentiments sur l'écran et dans le récit, loin de susciter ricanements et gêne, a lavé à grande eau, à pellicule salvatrice, les manies troubles, les zones nauséeuses, les courtes et médiocres inspirations, les tristesses plombantes et sans génie du cinéma français. Celles-ci n'étaient supportables que filmées par Bergman. Par d'autres, elles étouffent, elles ennuient. Alors, bien sûr, tout y passe, dans cette histoire qui nous entraîne vers le bonheur comme plan, comme point final. La fraternité de l'amitié, la douceur et l'incompréhension de l'amour, l'absurdité des préjugés, la force du lien maternel, l'humanité chaleureuse, simple et vraie, la mélancolie des départs. Il serait facile, mais idiot, de se moquer de cet univers du tendre, du coeur, du Nord puisqu'au fond, c'est celui dont nous rêvons tous pour nous purifier les bronches, la vue, l'âme et l'existence. Dany Boon, par ce film qu'il a heureusement voulu modeste et filial, a atteint la grandeur du quotidien. La France se dit en s'observant dans cette représentation d'une part d'elle-même : on est des gens bien, tout de même !
Sans doute d'autres causes pourraient-elles être identifiées mais il me semble que ce plaisir de l'unité et cette satisfaction collective sont fondamentaux.
Bienvenue en France, nous murmure cette oeuvre. Quand la politique a du mal, quand la société doute, quand les institutions peinent, quand le pouvoir d'achat n'est pas au plus haut, quand la France fait ce qu'elle peut, quand le monde est dur, il y a parfois de petites lumières. Certes, Dany Boon n'a pas changé la vie de ses concitoyens.
Il a éclairé et embelli leur route. C'est déjà beaucoup.
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