On dirait un film de Douglas Sirk à la mode chinoise ou un roman noir avec tous les stéréotypes qui ont fait le succès du genre : un crime maquillé en suicide, la police aux ordres, un coupable haut placé et protégé, la révolte des citoyens, des émeutiers réclamant justice.
Je n'invente rien. Le site du Figaro nous informe sur ce qui s'est passé dans la ville montagneuse de Wengan au sud-ouest de la Chine.
Une adolescente de quinze ans est retrouvée morte dans une rivière du comté. Pour la police, elle se serait suicidée. Pour sa famille, elle aurait au contraire été violée puis assassinée. Le fils d'un haut dirigeant de Wengan serait le coupable. Il aurait été accompagné par deux jeunes gens. Dans ce trio, deux auraient eu des liens de parenté avec des officiers des forces de l'ordre.
Aucune autopsie n'a été pratiquée. Le fils d'un notable a été interrogé puis relâché. On a proposé de l'argent à la famille de la jeune victime. Et, comble du comble, l'oncle de celle-ci est mort après avoir été passé à tabac par on ne sait qui mais à la solde des forces de l'ordre.
A la suite de ces graves anomalies et de ce décès, des émeutes ont éclaté, des locaux et des voitures de police ont été incendiés, des éléves qui, nombreux, réclamaient justice ont été "tabassés". Ces événements dramatiques ont duré au moins neuf jours et ont provoqué le renfort de 200 membres des forces de sécurité. Les informations sur ces poussées de violence ont été soigneusement contrôlées par Pékin qui, quelques semaines avant les JO, ne tient pas à voir encore plus dégradée l'image de la Chine. Les manifestants ont été traités de "criminels".
Je ne sais pas si le soupçon collectif porté sur la réalité du suicide est fondé ou non. Ce qui m'importe, c'est de voir comme la transgression de la morale, l'offense à la vérité, l'atteinte à la justice constituent partout, même dans les dictatures les plus hégémoniques, des ferments de dissidence, des occasions de révolte qui résistent aux pires caporalismes. Il y a, dans cette persistance de l'éthique, contre vents et marées, le signe encourageant de l'inévitable ouverture, un jour, de ces Etats que les échanges internationaux ne démocratisent pas mais que l'aspiration humaine au vrai et au juste va sans doute déstabiliser et peut-être pacifier à l'avenir.
Ces effervescences sans commune mesure avec nos débats juridiques byzantins nous font aussi percevoir à quel point notre pays est saturé de démocratie et comme notre Etat de droit constitue un luxe bienfaisant dans un monde qui nous renvoie l'image de ce que la France a du être sous les périodes sombres et terribles de son Histoire. C'est comme si la Chine menait au paroxysme ce qui est susceptible de nous concerner mais de manière infiniment atténuée. L'injustice, chez elle, est en pleine intensité quand chez nous, ponctuelle ici ou là, elle n'émeut plus guère ou semble le support d'un discours humaniste obligatoire et pour tout dire assez formel.
Se sentir une fraternité avec ces êtres courageux qui, si loin de nous, prennent le risque de protester, osent combattre le scandale, pour eux, d'un crime déguisé en suicide démontre, bien plus que par une adhésion abstraite à un code universel des valeurs, à quel point l'indignation passe les frontières et comme les grands mots sont bien moins éloquents que les battements et les élans de notre coeur vers l'inconnu, vers ces inconnus, nos semblables.
C'est loin ? Non, tout près.
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