Un jour, je ne sais plus quand, la réalisatrice Anne Fontaine m'a téléphoné. Nous avons eu un très agréable échange sur la cour d'assises puisque son intention était d'écrire une histoire dont la tonalité serait judiciaire avec, je crois me rappeler, un avocat comme protagoniste. Nous devions nous rencontrer pour qu'elle puisse recueillir de plus amples informations sur ce domaine mais ce projet ne s'est pas concrétisé. Cela explique tout de même avec quelles impatience et curiosité je suis allé voir son film "La fille de Monaco" d'autant plus que j'avais beaucoup apprécié deux de ses oeuvres précédentes.
La plupart des critiques ont, sur l'ensemble des médias, consciencieusement accompli leur métier et favorisé la promotion du film. Peu de réserves ont été formulées. La réalisatrice et les acteurs ont été loués et l'histoire elle-même n'a pas fait l'objet d'un examen vigilant. Comme si Anne Fontaine d'un côté et Fabrice Luchini de l'autre devaient emporter par principe tous les suffrages.
Non qu'une vision attentive ne fasse pas apparaître des richesses et des subtilités qui, mieux exploitées, auraient sans doute suscité une adhésion plus large. Il y a évidemment des bonheurs dans le dialogue. On devine, entre les images, ce qu'aurait dû être le ressort fondamental de cette oeuvre : l'univers d'un grand avocat circonspect en face de la spontanéité de l'amour, bouleversé, bousculé par une jeune fille séduisante, instinctive, aussi déliée que lui-même était "coincé" avant de la connaître. Cela aurait pu donner une tragédie ou emprunter la voie d'une comédie fine et légère. A l'évidence, les scénaristes n'ont pas su ou pas voulu choisir et le film, loin de gagner en plénitude, perd en cohérence et vraisemblance.
Je n'attache pas une grande importance aux invraisemblances proprement judiciaires, au squelette de procès qui nous est proposé et à l'avocat qui interrompt sa plaidoirie pour questionner l'accusée, sa cliente, qui est dans le box et qui lui répond ! En effet, ces approximations ne révéleraient que l'inaptitude d'un film français à représenter le vrai, même après s'être apparemment documenté, si elles n'étaient accompagnées en profondeur d'un illogisme de la vie représentée.
Pourtant, Anne Fontaine a travaillé en tandem pour écrire le scénario, auquel s'est joint Jacques Fieschi qui n'a pas été pour rien dans la rigueur narrative de Claude Sautet. Alors, par quelle aberration ces trois personnalités, capables de s'écouter et de se contredire, de dénoncer le factice et d'inventer de l'authentique, ont-elles laissé passer au moins trois anomalies graves, contraires au sens commun, à la psychologie et à la vérité matérielle ? On ne peut que regretter le système américain où un producteur n'aurait pas "lâché" "ses" scénaristes avant d'être pleinement satisfait par leur mouture.
L'erreur initiale vient sans doute de la fausse bonne idée du garde du corps, excellemment joué par Roschdy Zem, qui contraint par la suite à des acrobaties dans la fiction. Parce que l'hypothèse d'un tel personnage auprès d'un avocat est franchement absurde, même dans un contexte de mafia russe, le film s'engage dans une histoire artificiellement composite en dépit de sa volonté de "faire" dans le réel. Je vois là l'une des faiblesses fondamentales de nos scénaristes, par rapport aux créateurs anglais par exemple. Ceux-ci prennent d'abord la réalité comme elle est, puis tissent leur intrigue à partir d'elle. Chez nous, trop souvent, c'est le concept qui vient imposer sa loi à la réalité et qui la rend méconnaissable.
La deuxième étrangeté, c'est le comportement de cet avocat réputé, prudent, réservé, craignant les foudres de l'amour, obsédé par une très grave affaire criminelle et qui, soudain, s'abandonne à une frivolité festive et alcoolisée, incompatible dans tous les cas avec le fragment de vie qu'on prétend nous montrer comme s'il était plausible. Je ne nie pas que n'importe qui puisse, en un trait de temps, sortir de soi et embrasser l'existence sur un nouveau mode. Mais pour notre avocat, tel qu'il se manifeste initialement, ce dérèglement ne se produirait pas ainsi.
Enfin, le sommet de l'inconcevable, c'est l'avocat s'accusant à la place de son garde du corps. Coup de théâtre tellement programmé qu'il perd toute force, d'autant plus qu'il est atteint en son coeur d'une invraisemblance absolue puisqu'on ne nous explique pas comment l'avocat convainc de sa culpabilité alors qu'il suffisait de vérifier sa présence à l'audience pour infirmer son aveu !
Je sais bien que le propre du réel est de justifier toutes les imaginations, puisqu'il est par nature composé d'illimité. La notion d'invraisemblance pourrait n'avoir pas de sens puisqu'on ne saurait exclure que celle d'aujourd'hui devienne demain, possible ou même certaine. Il n'empêche que le grand cinéma italien ou anglais - ou ce chef d'oeuvre allemand "La vie des autres" - se fonde d'abord sur une fiction qui n'offre pas tous les droits à l'esprit erratique mais le contraint à offrir une exacte matérialité puis une logique impeccable des comportements humains. Que ceux-ci soient imprégnés de mystère ou non. L'ambiguïté des âmes et des attitudes n'est pas incompatible avec une narration qui aurait du sens parce que les spectateurs se retrouveraient en elle comme dans un espace commun.
Si le cinéma n'est pas un thème dérisoire au-delà de la subjectivité et des goûts de chacun, c'est qu'il permet d'identifier les mêmes dysfonctionnements qui entravent, par exemple, la qualité médiatique. De la même manière que le Monde s'est bien gardé d'examiner le fond de l'article de Bernard-Henri Lévy sur la Géorgie - démarche qui aurait restitué au récit sa part fictive et brisé l'illusion -, de la même manière j'ai l'impression que les critiques ne se penchent jamais sur la substance des histoires, la rigueur des enchaînements et la plausibilité des situations. Dans l'un et l'autre cas, on apprécie ou non une apparence mais d'autant plus séduisante, pour le film d'Anne Fontaine, que les trois acteurs principaux sont parfaits. Ils jouent juste dans une réalité qui ne l'est pas. Il y a comme une pudeur, de la part des professionnels, à s'attacher à l'essentiel, comme si l'imagination devait rester le signe éclatant de la liberté de qui se baptise créateur, mais à demeurer dans ses marges et à se gorger de technique ou, pour les médias, d'écriture formelle.
Sans doute faut-il voir, dans cette attitude, la rançon des univers clos qui meurent de n'être composés que de spécialistes et qui ne se soumettent jamais à l'épreuve du profane. Je ressens de plus en plus le besoin des élans et de la passion de ceux qui goûtent les arts et non plus des préciosités de ceux qui les cultivent.
Anne Fontaine aurait du regarder son film comme une spectatrice ordinaire. Elle aurait douté.
C'est curieux que vous ne soyez pas entré dans la logique (folle) de cette histoire. L'avocat devient fou, voilà tout. Et à son âge, vis-à-vis de cette "créature", on peut comprendre. "Enfin libre", se dit-il dans sa tête, au moment ou il nous tourne le dos et décide de s'accuser.
C'est curieux qu'à votre âge, si je puis me permettre, vous n'ayez pas été sensible à l'hypothèse de cette délivrance !
(quant au garde du corps, c'est le personnage central, un classique ange gardien : il y en a, heureusement, dans tous les contes de fées !)
Rédigé par : Yves Duel | 01 septembre 2008 à 18:59
Anne Fontaine s'est pliée aux exigences des producteurs, car ses anciens films témoignent de la liberté qu'elle avait auparavant. Pour attirer un plus large public elle a limité la relation garde du corps - avocat à des non dits, et la poule au centre est le symbole de la pudeur, de l'interdit moral qui n'ose pas affirmer l'homosexualité déjà très affirmée dans Nettoyage à sec avec Miou Miou, Stanislas Mehrar et Charles Berling. De plus, un avocat trouillard flanqué d'un garde du corps et coincé du cul ça n'existe pas, le milieu de la plaidoirie fabrique des chauds lapins prêts à toutes les expériences.
Rédigé par : SR | 31 août 2008 à 19:12
@Surcouf, Marc
"Pour avoir été un temps marin, pas un film qui ne présente de graves aberrations sur le sujet. Comment voulez-vous ensuite prendre le scénario au sérieux. Vous vous dites que dans les parties techniques pour lesquels vous n'avez pas ou peu de connaissances, on vous trompe sur la réalité des situations" Surcouf
et
" Les techniques de jeu des comédiens américains permettent d'obtenir une représentation à l'écran beaucoup plus crédible.[...] Je ne vais pas m'étendre ici sur cette technique que j'ai la chance d'avoir étudiée, il suffit de regarder jouer le moindre acteur américain dans une série policière (les truands font vraiment peur) alors que nos truands français ont l'air d'être tout droit sortis du cours Florent !"Marc
Voici cependant ce qu'on trouve sur Sur allo ciné.com http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=130954.html
: "Préparation intensive pour Roschdy Zem
L'acteur Roschdy Zem, qui incarne un garde du corps dans La Fille de Monaco, a suivi une préparation intensive pour le rôle. Il a ainsi collaboré avec l'un des gardes du corps de l'Elysée, qui l'a conseillé pour rendre le personnage le plus vraisemblable possible. Par ailleurs, l'acteur explique que la préparation pour un autre film l'a beaucoup aidé : "
Ceci dit, le film n'a pas précisément pour sujet les gardes du corps de l'Élysée, surtout se passant à Monaco où les gardes du corps sont en principe ceux du palais... mais toutefois pas du palais de... Justice!
Ceci étant on comprend à la lecture de la description de l'avocat et de son ombre que le scénariste a vraisemblablement souhaité faire dans le contraste et la ...complémentarité:
"Bertrand, avocat d'assises. Brillant. Médiatique. Volubile. Cultivé. Cérébral. Compliqué. Pas très très courageux. Aime les femmes, surtout pour leur parler. "
Tandis que
"Christophe, agent de sécurité chargé de la protection de Bertrand. Franc. Direct. Taciturne. Sportif. Études interrompues en cinquième. Aime les femmes sauf pour leur parler."
Je crois savoir que la loi, en France du moins, à Monaco je ne sais pas, protège particulièrement les avocats, à l'égal quasiment des magistrats ainsi que des personnes particulièrement vulnérables par un biais ou un autre et dont la vulnérabilité ne saurait avoir échappé à leur agresseur, et ça coûte très cher ne serait-ce que de les menacer dans le cadre de leur profession ou même de s'attaquer carrément physiquement à eux, dans ce même cadre toujours!
Maintenant comme toujours, il y en a certainement, comme dans tous les domaines, pour détourner la volonté du législateur et abuser de l'existence de la loi pour l'asservir à d'autres fins que celui de l'exercice d'une profession donnée tel que dans des conditions permettant d'assurer au mieux la défense des intérêts de leur clientèle (=/= les leurs)!!
Maintenant, Surcouf a raison de souligner que dès qu'on connaît un peu quelque chose à quelque chose, on ne peut plus en regarder une mise en scène cinématographique ou simplement lire un article d'un journaliste non spécialisé sans manquer de s'arracher les cheveux!
Je voudrais pour ma part souligner que, à mon sens du moins, les meilleures armes d'un avocat ce ne sont pas les mots ni les incantations fumeuses à l'adresse de la cour, mais la loi assistée de la force de la démonstration ou du raisonnement dont la nécessité interne peut vouloir qu'il puisse être heureusement concis mais parfois et malheureusement peut-être pour l'auditoire, plus ou moins long!
Ceci étant précisé, il me semble avoir lu quelque part dans la relation d'un procès au Moyen âge, que les plaidoiries se devaient obligatoirement d'être courtes, mais comme il était également exigé que les avocats ne quittent pas la salle tant qu'un magistrat s'y tenait encore... sans doute faut-il tenir compte du progrès et de l'augmentation de la complexité des matières juridiques ainsi que des contraintes économiques des études d'avocat!
Enfin, si vous voulez mon avis très personnel, je pense que si effectivement la séduction passe souvent par l'oreille (M.Duras), mais pas toujours!, il faut néanmoins pouvoir assurer la suite et de préférence avec... le même!
Rédigé par : Catherine JACOB | 31 août 2008 à 12:23
Marc, je ne suis pas au fait de la formation des acteurs en France mais, c'est vrai, comme vous l'écrivez, on peut constater, sans avoir eu besoin de l'étudier professionnellement, qu'à quelques exceptions, le jeu n'y est pas... Ca sonne faux, ça cloche, ça cloche, bon Dieu... On s'emmerde et en plus ça tient pas la route, c'est de traviole, tout... Pour une "Reine Margot", combien de platitudes où même les acteurs, c'est visible, n'y croient pas ou alors ils n'ont rien compris au cinoche... J'admets que à côté d'un Daniel Auteuil qui fréquenta les meilleurs lieux de formations et qui en retint l'essentiel pour y ajouter ce quelque chose qui lui est propre et qui fait toute la différence, existent des n'importe-qui qui s'autoproclament du jour au lendemain acteurs, comédiens, metteurs en scène et que sais-je encore ? Cependant, qu'ils soient crédibles, c'est le moindre ; c'est cher le cinéma, c'est pas donné, on paie... Mais ceci est une autre histoire que d'exiger d'eux ces efforts... C'est vrai que ramasser un maximum de fric en faisant semblant, seulement deux ou trois mois par an sur un tournage quelconque, qui refuserait ?... C'est un bon bédite gommerce, là aussi, c'est sûr... Il faudrait renouveler le parc, et sur des critères autrement sérieux, des acteurs français ; ce ne serait pas une mauvaise chose ; et aussi celui des metteurs en scènes et celui des scénaristes, bref du monde ; cela fait trop longtemps qu'ils monopolisent et pour de si piètres résultats... Mais n'est-ce pas notre hôte, PB, qui, ici même, écrivit cette phrase importante : "Perdez et vous serez gagnant" ? C'est sûr que si, pendant ce temps, une Albanel à la culture -les autres avant pareils- continue de distribuer comme bonbons fraise et cerise des "légions d'honneur" à toutes les Vanessa Paradis et Florent Pagny du cinéma français pour leur contribution "essentielle" au rayonnement mondial de celui-ci, on n'est pas sorti de l'auberge, certain même... Il est loin le temps de Michel Galabru et Philippe Noiret, les autres aussi qui firent cette oeuvre inoubliable : "Le juge et l'assassin"... Loin, hélas !
Allez, bon dimanche toutes tous...
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 31 août 2008 à 12:05
@Aïssa
J'irais même plus loin que vous (une fois n'est pas coutume ;-)). Les techniques de jeu des comédiens américains permettent d'obtenir une représentation à l'écran beaucoup plus crédible.
Les cours de comédie en France sont principalement basés sur des techniques de théâtre classique. Travail de la voix, diction, un peu d'impro.
Si ces bases sont nécessaires, nous négligeons beaucoup trop les techniques issues de la méthode Stanislavki, techniques poussées à leur sommet dans le fameux "Actors Studio".
Je ne vais pas m'étendre ici sur cette technique que j'ai la chance d'avoir étudiée, il suffit de regarder jouer le moindre acteur américain dans une série policière (les truands font vraiment peur) alors que nos truands français ont l'air d'être tout droit sortis du cours Florent !
Le travail de comédien enseigné en France est parfait pour le théâtre français, mais pour le cinéma, nous tentons de sauver les meubles grâce à deux ou trois talents exceptionnels, et au montage...
Rédigé par : Marc | 30 août 2008 à 22:44
Ayant revu "En cas de malheur" avec Bardot et Gabin et écouté Faust peu avant, j'ai abandonné "La fille de Monaco" après 50 minutes sans autre forme de procès.
Belle occasion de rappeler la formule de Gabin : "Les trois conditions pour faire un bon film sont un bon scénario, un bon scénario et enfin un bon scénario."
Honneur soit quand même rendu à la costumière Catherine Leterrier pour les tenues de Mademoiselle Bourgoin, justifiant bien 45 minutes sur les 50.
Reste que je suis convaincu que si Luchini avait joué le rôle d'un dir. cab. de passage à la Chancellerie, vous l'eussiez trouvé plus crédible ;-)
Rédigé par : Fleuryval | 30 août 2008 à 11:14
Monsieur Bilger vous le faite très justement remarquer et Aïssa également.
Il est affligeant de voir que des scénaristes pourtant réputés, des critiques de mêmes, ne voient pour les derniers les incongruités techniques d'un film et pour les premiers osent traiter par dessus la jambe ces mêmes considérations.
Le justice, la police, la médecine, la prison, l'armée française n'est pas, dans son organisation et sa manière de fonctionner, la même que celle des autres pays et notamment celles des USA. Pourquoi faut-il toujours faire dans l'américain.
Cela fait des années que je ne vais plus au cinéma pour ce genre de motifs. Pour avoir été un temps marin, pas un film qui ne présente de graves aberrations sur le sujet. Comment voulez-vous ensuite prendre le scénario au sérieux. Vous vous dites que dans les parties techniques pour lesquels vous n'avez pas ou peu de connaissances, on vous trompe sur la réalité des situations.
C'est triste.
Reste la science-fiction ou au moins la technique doit épauler l'histoire et au mois le système carcéral, médical ou autre peut être inventé totalement pour faire passer ses idées.
J'avais à ce sujet assez aimé, par delà le côté trop violent à mon goût, Judge Dredd avec Stallone qui poussait à son paroxysme le système police/justice. On y voyait un homme tout à la fois policier/juge/bourreau.
Cela fini par poser des questions.
@Aïssa
Vous parliez de vendre Navarro ou Moulin outre Rhin ou outre manche mais nos voisins allemands nous vendent bien Derrick et autres navets qui à mon avis ne ressemblent en rien à la réalité de la police germanique.
Mais peut-être que ceux qui achètent ces films en plus d'en ignorer le fonctionnement s'en moquent totalement.
Rédigé par : Surcouf | 30 août 2008 à 11:05
"et à l'avocat qui interrompt sa plaidoirie pour questionner l'accusée, sa cliente, qui est dans le box et qui lui répond !"
C'est comme cela que ça se passe dans les séries américaines. Qui plus est, dès que la personne interrogée, par ex.l'accusé(e) en effet et en tant que lui-même ou elle-même à titre de témoin, veut s'exprimer librement, le magistrat lui rappelle immanquablement qu'il ou elle n'est là que pour répondre à la question, par ex. par oui ou par non. Ce qui à chaque fois me révulse en tant que supposé refléter effectivement la réalité d'une audience, vu que répondre par oui ou par non sans explications peut permettre de donner à cet acquiescement ou cette dénégation un sens totalement orienté, arbitraire ou farfelu au gré du questionneur.
"le film s'engage dans une histoire artificiellement composite en dépit de sa volonté de "faire" dans le réel."
C'est vrai que ça n'est pas toujours évident de combiner les volutes et les feuilles d'acanthe, tout comme de concilier la chèvre et le chou.
"Il n'empêche que le grand cinéma italien ou anglais - ou ce chef d'œuvre allemand "La vie des autres" - se fonde d'abord sur une fiction qui n'offre pas tous les droits à l'esprit erratique mais le contraint à offrir une exacte matérialité puis une logique impeccable des comportements humains."
C'est vrai que nous préférons souvent privilégier l'esthétique ou le glamour ou encore et surtout l'argumentation idéologique à la rigueur.
"Ils jouent juste dans une réalité qui ne l'est pas."
C'est sans doute parce qu'ils se préoccupent du film dans les limites de leur rôle sans porter la vision de l'ensemble.
"L'ambiguïté des âmes et des attitudes n'est pas incompatible avec une narration qui aurait du sens parce que les spectateurs se retrouveraient en elle comme dans un espace commun."
Ça c'est extrêmement juste. Par ex. la raison pour laquelle je m'accroche souvent avec ma sœur alors que quelque part on est d'accord, c'est qu'elle est toujours dans le singulier des âmes alors que pour ma part je me situe la plupart du temps dans leur espace commun. De fait, il faut les deux.
"comme si l'imagination devait rester le signe éclatant de la liberté de qui se baptise créateur,"
Là aussi, je vous suis. Je pense qu'on se fait une idée souvent très fausse de
1. l'imagination - qualité essentielle du scientifique par ex. qui ensuite mettra en œuvre le raisonnement approprié à rencontrer l'intuition, adéquation qui ne se produira que si l'une et l'autre sont justes, autrement dit selon l'adage Sherlock Holmesque adaptera la théorie aux faits et non l'inverse -, tout autant que de
2. la liberté - souvent conçue comme du sans limites et du sans contraintes aucunes, donc d'une façon infantile qui induit des comportements négateurs de la différence entre soi-même et autrui et donc d'autrui, et que les anciens rattachaient à la possibilité d’agir à son idée, naturellement et spontanément, ainsi qu’au dieu Liber, divinité de la végétation et de la germination. Ex. cette fameuse algue tueuse évadée de l’aquarium du Musée océanographique de Monaco il y a 24 ans et qui, sans prédateur naturel s’est mise à coloniser la baie au détriment de la biodiversité, sachant qu'on la retrouve désormais jusqu'en Californie. Et enfin, de
3. la création qui se confond souvent avec customization pure et simple, mais qui au départ, se rattachait elle aussi à la végétation, en tant que ‘ce qui la fait pousser ou grandir (creō, souvent limité à ‘faire naître’ sous l’influence de crēscō, « arriver à l’existence, naître », puis « grandir augmenter et multiplier »), toutes notions où l’on retrouvera par ex. les deux ‘aspects’ d’un même verbe japonais qui signifie tantôt « pondre/engendrer », tantôt « être pondu/être engendré ». A ces notions se rattache celle, de nos jours également, sacro-sainte de « croissance » et sur laquelle il y aurait beaucoup à dire quant à la façon hystérique dont elle sert de base à l’analyse de la santé économique, occultant les questions du genre de celle de la fameuse Caulerpa taxifolia ci-dessus évoquée, qui est aussi celle des lapins australiens échappés de leur enclos à la suite d'un incendie et qui importés en 1859 par un dénommé Thomas Austin, un amateur de chasse britannique qui résidait dans le sud de l'Australie et qui était nostalgique de son pays, lesquels rongeurs sont passés de 12 couples de lapins à 600 millions 50 ans plus tard, lesquels ont désormais colonisé 60% du territoire malgré diverses tentatives pour limiter leur expansion.
"Je ressens de plus en plus le besoin des élans et de la passion de ceux qui goûtent les arts et non plus des préciosités de ceux qui les cultivent."
Surtout si les arts sont comme les algues et les lapins dont la liberté sans frein contribue à la désertification. Ce qui nous incite en effet à tenter de penser la culture des univers clos artistiques sur le modèle des catastrophes écologiques !
Rédigé par : Catherine JACOB | 30 août 2008 à 10:47
Un jour j'ai posé la question à Martin Winckler, médecin, écrivain et spécialiste des séries télévisées américaines : "Dis-moi, Martin, les types qui écrivent les scénarios de la série "Urgences", c'est des mecs qui connaissent la médecine comme toi, ma parole ?! C'est trop juste, c'est trop vrai ...". Il m'a répondu : "Tout à fait ; c'est des médecins ; pas les acteurs, non, les scénaristes..." J'ai compris beaucoup de choses ce jour-là quant à la manière de faire des Américains... Une série judiciaire : ils font appel à des juges, des avocats pour les scénarios pour, à tout le moins, donner le ton, les contours, la charpente, l'essentiel du cadre dans lequel la fiction va évoluer... Il y a ce film formidable avec Morgan Freeman : cela se passe dans une prison, "Les évadés"... Jamais -et j'en ai vu !- il ne m'a été donné une telle restitution du monde carcéral. Pourtant, il s'agissait là du monde carcéral américain mais qu'importe, il y a des traits, des détails, des petites choses comme cela tout le long du film qui sont inhérentes à toutes les prisons du monde, à tous les détenus du monde... C'est d'une justesse telle qu'il est impossible que quelqu'un puisse écrire -décrire- cela sans l'avoir connu et même longtemps connu... Que des détenus américains aient aidé le metteur en scène -et les acteurs- dans la conception de ce film n'aurait rien d'étonnant ; même, il n'en a pu être qu'ainsi... Et cela donne une fiction prodigieuse et prodigieusement vraie, ce qui ne manque pas d'être paradoxal... Pareillement, un autre chef d'oeuvre américain : "Heat", avec De Niro, Pacino... Une fiction, certes mais pas une fausse note dans la description des personnages de ce milieu, rien, je l'ai vu cent fois, jusqu'à la fusillade où même les détonations du M16 sont reconnaissables... Mais qui a pu montrer à ce point de vérité, jusqu'au moindre détail -c'est cela qui est extraordinaire !- un gang de braqueurs si ce n'est un braqueur ou une bande de braqueurs ? Ils prennent ceux qui savent, pour créer leur fiction ; c'est être professionnel. Comment, quand on sait ce qu'est un commissariat français, les manières des flics français, etc., ne pas rire aux éclats à la vue d'un "Navarro-Hanin" et autres commissaires Moulin-Régnier, Valence-Tapie, bref ceux qu'on a appelé "les flics de TF1" et qu'on retrouve depuis peu dans le service public ? Ils migrent, bigre ! Je ne comprends pas la pusillanimité des metteurs en scènes français, cette vieille valse-hésitation entre l'absurde et le réel, à nous donner le premier pour le second et inversement... Et quand l'un d'eux exige que la crédibilité soit le fond même de son oeuvre, on lui tape dessus à n'en plus finir et même le public qui s'en détourne, méprisant, c'est sidérant !... Je pense à Marchal, ex flic au 36 Quai des Orfèvres... On voit même maintenant des série "judiciaires" françaises où, dans un tribunal pourtant français, l'un des protagonistes -ou tous- s'exprime ainsi : "Votre Honneur...". On marche sur la tête, ridicule... Comment vendre de pareilles inepties outre-atlantique ou même outre-Rhin et outre-Escaut seulement ? On passe vraiment pour des nazes et c'est mérité... On trouve également souvent ce genre de débilité dans notre monde littéraire ; le lecteur est un parfait imbécile, c'est ce qui s'y dit, il n'est pas censé comprendre, il faut lui expliquer la phrase suivante, ce qu'a voulu dire la précédente et ainsi de suite, c'est le roman, la fiction, les éditeurs y tiennent... D'où une création française qui tienne la route inexistante ou peu s'en faut... C'est un roman français traduit à l'étranger pour cent "étrangers" traduits en français... La musique n'y échappe pas... Prenez ce qui se fait actuellement, rap, hip-hop, slam, etc. On s'extasie : création ! Mais quelle création ? Imitation, plutôt. Ils ont tous les yeux tournés vers ce qui se crée réellement outre-manche et outre-atlantique et, péniblement, ils essayent de l'adapter ici... Désolant... Pour qui a écouté le rap, le slam des origines de Detroit, Chicago et New York, ils font pitié ces rappeurs de nos banlieues, ces "créateurs"... La vérité: zéro ! Et tout le monde s'extasie ou fait semblant, histoire de leur faire plaisir sans doute... R.Knobelspiess donne les meilleurs gages de crédibilité au film "Mesrine" de T.Langmann, en tant que consultant, quand bien même toute l'histoire serait une fiction ou si une petite part en subsiste, ce qui n'est pas le cas... Mais le succès y est-il ? C'est donc une question d'habitude populaire et de mentalité... J'écoute un peu fort de la musique arabe ; cela gêne mon voisin ; il me le dit. J'écoute de la musique anglaise, le son pareil ; cela ne le gêne plus... Je vais le voir : "Dis donc, l'arabe te gêne, l'anglais non... Tu te sens plus proche de ces anglais et américains que tu n'as jamais vus de ta vie sinon à la télé que de moi qui vis là sur ce palier et qui partage tous les jours le même bureau de tabac, la même boulangerie et le même bistrot que toi ?!" Il n'a rien répondu, il avait intérêt ; j'ai remis Oum Kalsoum plus fort... Les Américains eux-mêmes nous le disent quand ils décernent à l'unanimité l'Oscar du meilleur film étranger à "La môme", Marion Cotillard, etc. On n'est jamais aussi bon que quand on est nous-mêmes, sans singeries quelconques... Et surtout, être crédibles et vrais ; après, le reste, c'est du rêve, de la féerie, du drame, de la tragédie, tout ce qu'on voudra mais de la création...
Bonne nuit.
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 30 août 2008 à 02:05
Bonjour,
Je tiens simplement à faire une suggestion ; il me semble tout à fait indispensable que vous continuiez à fréquenter les salles de cinéma.
Ce film m'a vraiment déçu, à cause du scénario notamment.
Mais à la lumière des vôtres, il devient un objet ludique de réflexion. Disons que c'est globalement très positif.
Critique de navet peut-il être un métier ?
Rédigé par : Marcellus_Walace | 30 août 2008 à 01:18