La France vient d’obtenir sa deuxième médaille d’or à Pékin. Cela ne me conduit pas à modifier le point de vue un tantinet pessimiste que j’ai exprimé sur notre relative inaptitude à affronter les enjeux, le moment venu, d’une compétition sportive mondiale et de haut niveau.
Il n’empêche que la première place d’Alain Bernard dans la finale du 100 mètres nage libre autorise une réflexion générale bien au-delà du crawl et des bouillonnements de la piscine.
D’abord, cette banalité est vraie qui fait du sport une école de la vie. Plus exactement, un monde en réduction, une existence rassemblée en un court laps de temps. Les bonheurs, les malheurs, les luttes, les efforts, les déceptions et les succès, au lieu d’être étalés tout au long d’un parcours de la naissance à la mort, s’inscrivent, éclatants ou déprimants, dans l’espace privilégié d’un univers artificiel comme détaché de la réalité ordinaire mais qui, précisément à cause de cette séparation, permet un regard aussi intense qu’avec une loupe.
Aussi, lorsque notre relais du quatre fois cent mètres nage libre perd, pour huit centièmes de seconde, la médaille d’or au profit des Américains et qu’Alain Bernard, même réconforté par ses équipiers, se sent responsable de cette défaite, il n’est sans doute personne qui n’ait pas été ému par ses larmes et, en même temps, persuadé que c’était la même histoire qui recommençait, la France et ses cocoricos anticipés dans le triomphe et les USA qui ramassent la mise. Certes, quelques-uns qui connaissaient bien Alain Bernard, notamment son discret entraîneur Denis Auguin, affirmaient la certitude d’une revanche que l’orgueil blessé du champion rendait inévitable mais qui, franchement, pensait, croyait qu’elle le conduirait au plus haut du podium ?
Denis Auguin à coup sûr. C’est à l’évidence dans ce lien fondamental qui unit le sportif à celui qui le guide et le stimule que réside la possibilité de la victoire ou le risque de la défaite. Il y a eu des couples flamboyants, totalitaire pour l’un et rétif pour l’autre, qui ont marqué notre mémoire. Le plus emblématique liant, pour le meilleur surtout et un peu pour le pire, Laure Manaudou à Philippe Lucas. On n’avait aucun mal à percevoir l’importance du « coach » Lucas puisque lui-même n’était pas loin de damer médiatiquement le pion à sa protégée de championne. Il était visible, même pour le moins averti, qu’une personnalité forte veillait durement sur la jeune fille et qu’elle se laisserait difficilement oublier. Ce que j’apprécie avec Denis Auguin, c’est l’influence dans l’ombre, c’est le travail psychologique, c’est la capacité de faire surmonter si vite une terrible déconvenue à son nageur, c’est peut-être surtout cette délicatesse de laisser libre cours à l’autonomie dAlain Bernard en lui permettant ainsi de compter sur ses propres forces. Il y a eu, à l’évidence, chez Denis Auguin, une politique subtile qui a consisté à favoriser une indépendance pour que son champion ne soit pas étouffé par l’intensité du grand moment que l’un et l’autre attendaient depuis quatre ans. Avec sept adversaires monstrueux de rapidité et de talent.
Alain Bernard est devenu champion olympique du cent mètres nage libre. Et il a pleuré mais de joie, et il a chanté la Marseillaise, et il est demeuré modeste dans ce triomphe que la France n’avait jamais connu.
Certains, sans doute, vont se gausser de cette passion qui anime les sportifs en chambre et qui les incite à porter aux nues ceux qui leur permettent d’être par procuration les rois du stade ou de la piscine, le roi du monde pendant quarante-sept secondes et des poussières. J’assume et j’ose soutenir que dans cette vie en réduction, une leçon se glisse faite de splendides poncifs : il ne faut jamais désespérer ; la vie est belle parce qu’elle est imprévisible ; la véritable félicité naît le plus souvent d’une catastrophe dominée et oubliée plutôt que d’une allégresse pure, les victoires procèdent plus de la liberté des êtres que de la compétence des structures.
J’en demande pardon à Alain Bernard : j’ai douté après le relais. J’avais mille fois tort. La leçon est aussi pour moi.
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Philippe Bilger, en boxer-short et tongs, s'intéresse donc au sport. Concernant Laure Manaudou, reconnaissons que, alors entraînée par Philippe Lucas, elle gagnait tout.
Rédigé par : bruno | 16 août 2008 à 16:58
Après la rétention de sûreté, la rétention de médaille?
J'ai pas bien saisi le tour de passe passe de notre 3ème médaille d'or qui a abouti à ne médailler que trois mousquetaires sur les quatre qui voulaient se battre contre quatre qui le voulaient bien. Et du coup seul le premier - de G à D - nous chantera la Marseillaise, mais du bout des lèvres, tandis que les deux autres resteront plus ou moins bouche close en attendant que le 4ème auquel on n'a toutefois pas sucré sa prime vienne les rejoindre sur la photo? Tout ce que j'ai envie de dire c'est «Chapeau bas pour les Polonais!» Eux au moins c'est la médaille d'or du Fair play, la grande classe! Oui vraiment!
Rédigé par : Catherine JACOB | 15 août 2008 à 18:42
Sportif en chambre, c'est bien aussi, Philippe et les médailles d'or que nous y glanons vous et moi ne nous ont pas rendus prétentieux pour autant et Dieu sait si nos entraineuses (ben, c'est bien le féminin d'entraineur, non ?) nous en font voir !
J'avoue que je vous trouve rigolo avec vos coups de foudre sportifs mais j'avoue aussi que le concentré d'émotion que représentent les jeux olympiques force l'implication du plus indifférent aux exploits sportifs. Parce que l'exploit passe derrière l'humanité de ces jeunes gens, la fierté des parents, la récompense ou la défaite au prix d'efforts immenses. L'exploit, c'est d'être là, si jeune, si courageux, si volontaire.
"Catastrophe dominée" certes, mais "oubliée", non, jamais. Parce que la nature d'une leçon, c'est de s'installer définitivement, de ne jamais s'oublier. La leçon de Bernard, c'est de n'avoir pas oublié qu'il avait négligé l'importance de toucher le premier pendant le relais, il avait ça en tête, a-t-il dit, pendant toute la course.
Pheps m'énerve, il est drogué ce type.
Et puis quoi, Coralie Balmy est bien jolie je trouve, pas maquillée, sans strass, chapeautée d'une hideux bonnet, sa voix est cristalline, simple et gentille, il y a là une belle vérité que rien ne parvient à enlaidir.
Allez, j'avoue, pendant que je travaille, j'ai les jeux en fond du matin au soir. Dire que tout ça n'est qu'image de synthèse ! Ils sont forts ces Chinois, c'est rudement bien fait et tellement plus économique que des vrais jeux !
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 15 août 2008 à 04:59
J'écoutais ce matin sur Inter... On disait que les communistes en ex RDA avaient un truc d'enfer pour rafler les médailles d'or natation aux J.O. Je ne sais si c'est vrai ou si Inter a voulu plaisanter à l'antenne mais cela m'a franchement fait marrer... Donc voici le truc : ils insufflaient dans le cul (oups! l'anus) des nageurs et nageuses, quelques heures avant la compétition, 2 à 3 litres d'air... La flottaison en était largement améliorée, parait-il, et donc la vitesse. Jusqu'à ce qu'on vit à plusieurs reprises les jambes des athlètes battre hors de l'eau pendant qu'ils s'échinaient à progresser avec les bras... Cela devenait flagrant qu'une chose ne tournait pas rond dans l'eau ; les soupçons s'éveillaient... Les fédérations sportives de RDA finirent par renoncer à cette... astuce. Ah les vaches !...
Sans transition.
Véronique, je vois que vous semblez bien connaitre le milieu médical et paramédical et leurs formations respectives... C'est étonnant ; je vous voyais plutôt magistrate... Ou alors vous seriez une juge chargée de ces questions ? Quoi qu'il en soit, comme mon ami Martin Winckler qui rêve de réformer de bout en bout la formation initiale médicale, je rêve d'en faire autant quant à la formation infirmière... Tellement de choses partent à vau-l'eau là dedans qu'on se demande où tout ceci va mener... Mais, effectivement, c'est un autre débat.
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 14 août 2008 à 23:41
"Il était visible, même pour le moins averti, qu’une personnalité forte veillait durement sur la jeune fille et qu’elle se laisserait difficilement oublier."
C'est vrai, vu la réponse qu'il a faite au journaliste qui lui demandait il me semble si la défaite de son poulain au féminin l'avait fait pleurer lui aussi à quoi il fut répondu: "si je devais pleurer à chaque fois qu'une de mes nageuses ne monte pas sur le podium, je pourrais ouvrir un magasin de kleenex!" Allons bon!
"c’est le travail psychologique, c’est la capacité de faire surmonter si vite une terrible déconvenue à son nageur, c’est peut-être surtout cette délicatesse de laisser libre cours à l’autonomie d'Alain Bernard en lui permettant ainsi de compter sur ses propres forces."
Primordial en effet!
Rédigé par : Catherine JACOB | 14 août 2008 à 17:39
"il ne faut jamais désespérer ; la vie est belle parce qu’elle est imprévisible"
Ainsi rien ne se passe comme on l'avait prévu !
Alors derrière ce beau message d'espoir, monsieur Bilger, je crois retenir deux verbes :
Le premier c'est de PROFITER du bonheur et le second consiste à ESPERER dans le malheur. C'est peut-être avec ces deux petits mots que l'on peut renverser des montagnes et pourquoi pas... gagner des médailles ! tout va si vite comme les larmes si belles un jour de bonheur et si émouvantes un jour de tristesse.
Notre nageur savoure et notre nageuse devra effacer son chagrin par un soupçon d'espérance en se souvenant de ces quelques lignes du si beau poème de Kipling :
"Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois les Dieux la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme mon fils !"
Rédigé par : n.martin teillard | 14 août 2008 à 15:13