Je l'admets volontiers : si Michel Houellebecq a physiquement quelque chose de Laurel, le beau Bernard-Henri Lévy ne ressemble pas au gros Hardy mais on verra que les apparences sont trompeuses. Les deux acteurs comiques mythiques, avec leur antagonisme de façade et le contraste de leurs caractères, se sont réincarnés dans ces deux écrivains qui, au mois d'octobre 2008, ont publié Ennemis Publics chez Flammarion. On était prévenu : ce serait une énorme surprise que la sortie de ce livre avec l'identité de ses auteurs. Ceux-ci ont bénéficié d'une promotion exceptionnelle, indécente, totalement complaisante, sur tous les médias où ils ont continué à jouer le rôle qu'ils s'étaient assigné : le chuchotis lassé de MH et le genre "force qui va" de BHL. Avec ce dernier, d'ailleurs, la représentation n'en finit jamais puisque, récemment encore, Mireille Dumas a contribué à donner du lustre à ce culte. L'étonnant est qu'on se complaise à le favoriser, comme si le narcissisme était devenu une vertu qui méritait d'être sans cesse approuvée et applaudie. J'ai retardé ce billet tant que j'ai pu mais il y a un moment où l'abstention devient coupable.
Puisqu'il convient toujours de montrer patte blanche lorsqu'on ose s'en prendre à des "monstres sacrés", et que BHL nous a prévenus que les débats franco-français étaient ridicules par rapport à ses investissements mondiaux, j'avoue humblement que pour un auteur besogneux l'insuccès relatif de leur ouvrage constituerait un triomphe et leur a-valoir considérable une formidable aubaine. MH devenu riche grâce à son écriture augmentera sa cagnotte et BHL déjà milliardaire ajoutera à sa fortune. Je reconnais aussi que le premier est un très grand romancier et que le second, omniprésent et épuisant, impressionne par son énergie intellectuelle et sa faculté argumentative.
Je n'aurais pas l'indélicatesse d'évoquer ces détails d'argent, cette surabondance médiatique, cet univers de privilégiés si ceux-ci - et c'est le fond de leur dialogue - ne cherchaient pas à se faire passer pour des Ennemis Publics, pour des malheureux condamnés à se protéger en permanence, victimes d'attaques renouvelées, des Saint-Sébastien de l'essai, du roman et de la littérature alors que tout démontre chez eux la volupté de concilier une fausse amertume avec un vrai contentement de soi, leur gloire incontestable avec le frisson d'un opprobre imaginaire. Ils me font songer, dans leur numéro de pleureurs jetant à la dérobée des coups d'oeil pour vérifier qu'on les regarde, à ces êtres aisés qui trouvent du dernier chic de se montrer dépenaillés comme des clochards par l'effet de leur liberté, tournant ainsi en dérision la pauvreté véritable et les déshérités par contrainte. Ce lamento n'est pas loin d'être indigne quand tant de voix sont étouffées, tant de talents méconnus et que beaucoup d'intellectuels sont forcés de prétendre mépriser les médias parce que ceux-ci sont accaparés ou, pire, se laissent accaparer par les mêmes. Quelle incroyable suffisance de se prétendre Ennemis Publics quand on dispose, à sa guise, de presque tout et qu'on voudrait réduire même le dernier petit carré d'opposants ! Qu'ils ne s'y trompent pas : cette "meute" qui les poursuivrait et sur laquelle ils crachent, je la perçois plutôt composée des flatteurs, flagorneurs, affidés, éditeurs, obligés et journalistes qui leur font cortège. Cette position qu'ils prennent est d'autant plus scandaleuse qu'ils en profitent pour traiter, MH notamment, de manière ignominieuse leurs adversaires, par exemple Pierre Assouline et Jérôme Garcin. Je me demande si Houellebecq plaisante quand abruptement il se désigne, avec son possible contradicteur, comme "des individus assez méprisables" et s'il ne s'agit pas, au début du livre, d'une provocation calculée qui sera oubliée tant les pages suivantes illustreront l'esthétisme de l'indifférence chez Laurel et celui de l'implication forcenée chez Hardy. Elle sera oubliée ; mais si elle était pertinente ?
Avant d'esquisser l'analyse du comportement à la fois solidaire et artificiellement antagoniste de ces deux auteurs nous proposant un dialogue qui est une connivence, il me semble pertinent de faire un sort à un texte central de BHL, en date du 12 mars 2008, où il expose à son interlocuteur les raisons de son engagement, des risques qu'il affirme prendre et, plus généralement, de cette vie d'aventurier où la peur qu'il éprouve parfois se mêle à la certitude d'être unique dans ces péripéties qui le font s'auto-admirer. Imagine-t-on André Malraux ou Jean-Paul Sartre, s'il avait eu le désir de telles expéditions, offrir à leurs lecteurs une illustration d'eux-mêmes, un inventaire complet de leurs qualités et du caractère exceptionnel de leur démarche ? Imagine-t-on André Malraux se proclamer avec tant de naïveté et de vanité "écrivain engagé", homme sans cesse sollicité par le danger et les épreuves, combattant frôlant le pire par contagion, bref personnalité d'élite ? Il est frappant de constater que les motivations avouées par BHL, pour justifier ses missions d'information dont des polémiques sérieuses ont démontré qu'elles étaient sommaires, surestimées et souvent très "officielles", sont le goût de l'aventure, le goût de la performance et, enfin, le dépassement de soi. Inspirations toutes très honorables qui lui évitent véritablement d'avoir à s'interroger sur lui-même et sur les conditions de ses incursions en des régions troublées. Pourquoi est-il incapable de donner même allusivement la clé de son caractère qui parfois permet de grandes choses mais qui aussi insupporte ? Non pas seulement l'envie d'exister mais la vanité incommensurable qui vous pousse à chaque seconde à croire qu'on a besoin de vous ici ou là, que votre voix est fondamentale et que le monde serait plus pauvre si vous ne le parcouriez pas en écrivant des livres que vous comparez à des combats. Il y a, derrière ces constructions où BHL excelle parce qu'il n'est jamais plus fort que dans l'apparente absence de complaisance à son égard, le refus d'aller au bout de soi, d'une introspection sévère, de ne pas se ménager. On gomme ce qui ferait véritablement mal au personnage pour admettre, à son bénéfice, des traits de caractère qui dessinent le héros qu'on rêve d'être - comme beaucoup - mais qu'on n'est pas. Encore faut-il ne pas jouer à le laisser croire par un talent à la fois d'écriture et de prestidigitateur.
BHL, qui se vante d'aller au coeur du monde et d'affronter tous ses défis, feint, en revanche, de ne pas bien connaître le monde parisien. Et c'est tout lui ! Il s'enorgueillit d'avoir eu l'audace inouïe de préfacer un livre à la gloire de Battisti - une mauvaise action - parce qu'il aurait été suprêmement téméraire de sa part de le faire alors que l'atmosphère générale tournait plutôt à sa dénonciation. Mais qui donc a publiquement formulé le pire qu'il méritait sur Cesare Battisti ? Quels sont les médias qui ont parlé du livre courageux d'un journaliste du Figaro (Guillaume Perrault) sur lui ? Où s'est trouvée une voix pour délégitimer cet ancien tueur ayant trahi la confiance que la France judiciaire lui avait octroyée avant sa fuite, son heureuse arrestation au Brésil et je l'espère son extradition en Italie ? Modestement, sur ce blog, j'ai tenté de faire valoir un point de vue hostile à la sanctification de Battisti tueur même pas repenti et écrivain protégé par ses pairs. Mais en dehors de cela ? Qui, dans l'espace politique et médiatique, a occupé sans cesse la place, sinon Fred Vargas et son influence, sinon ceux qui s'évertuaient à nous convaincre que Battisti devait demeurer en France, se réfugiant derrière une promesse mal interprétée de François Mitterrand et battant le pavé avec l'aide des voix "progressistes", reconnues autorisées et humanistes ? Aussi, quand BHL a signé cette préface, il n'a fait preuve d'aucun courage mais au contraire il s'est installé dans le courant dominant et a ajouté son poids à la défense d'une cause à la fois déplorable et encensée. L'intrépidité aurait été d'accomplir la démarche inverse. Mais, à l'évidence, trop peu "porteuse" pour lui qui sent le vent médiatique comme personne.
Ennemis Publics n'est évidemment pas un livre médiocre même si c'est un dialogue de théâtre. Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy sont clairement nos Laurel et Hardy d'aujourd'hui. L'un triste, lucide, sarcastique, désabusé, désinvolte, détaché, intelligent, ironique et un tantinet moqueur, l'autre pédagogue, lassant, interminable, grandiose parfois, pompeux aussi, moralisateur, donneur de leçons, toujours content de lui, "inconditionnel d'Israël" et de lui-même, redoutable par son argumentation cumulative qui n'a pas besoin de convaincre puisqu'elle a épuisé avant, bon samaritain auquel on n'a rien demandé, opulent jouant à être déchiré, essayiste simulant l'accablement avec les malheurs du monde sur son esprit, ses épaules, une rétention, une retenue, une sécheresse ici, une surabondance, une gabegie là, l'un immobile et l'autre le houspille, l'autre boy-scout du coeur et l'un le tourne en dérision. BHL, Hardy, pousse, stimule, énerve, veut le faire sortir au grand air, encourage, semonce avec gentillesse - cette grotesque affectation d'amitié et de fraternité avec "ces chers Michel, Bernard-Henri"- et se décourage souvent. MH, Laurel, refroidit, décape et jette de l'esprit froid sur les incandescences souvent factices de BHL-Hardy.
A mon sens, la grande faiblesse de ce livre réside dans son caractère totalement "fabriqué". Tout sent, suinte l'artifice. Cette manière de tendre, contre tout naturel, sans cesse des perches que l'autre saisit avec avidité. Cette volonté de nous laisser penser que les intimités se dévoilent avec une extrême difficulté, avec beaucoup de souffrance, alors que l'un et l'autre se sauvegardent avec précaution et évoquent leurs proches avec émotion certes mais sans être obligés de s'arracher les entrailles pour les confidences guère bouleversantes qu'ils nous font. Cette absence totale de spontanéité qui vient précisément du fait qu'on cherche à faire croire que cette disposition d'esprit existe dans ces échanges excessivement construits, articulés, développés, aussi éloignés d'un authentique et instinctif dialogue que MH et BHL le sont de leurs confrères. De sorte que souvent ce qui pourrait survenir de passionnant dans telle ou telle réponse est happé, englouti par la posture, la représentation. Regardez comme on dialogue bien ! Ils jouent à nous démontrer qu'ils parlent ensemble et que cela se passe merveilleusement bien en dépit des divergences qu'ils fabriquent pour faire illusion.
Quand on a fini de lire, on n'en peut plus. Les vrais Laurel et Hardy au moins faisaient rire. Trop de tout. Trop d'être chez BHL, pas assez chez MH. Trop de vanité et trop d'artifice. Trop de morale affichée. Trop de cynisme proclamé.
Le hasard a fait qu'après cette saturation, cette indigestion, j'ai lu le discours de notre Prix Nobel de littérature, la page du Figaro relatant le rituel de la cérémonie et la classe de JMG Le Clézio, le Monde faisant état de la gentillesse que tous lui avaient reconnue. Je ne sais pourquoi, cela m'a apaisé, tranquillisé, rassuré. De la modestie, de la réserve, un effacement apparent de la personne pour faire surgir au plus haut l'être, la personnalité. Du génie, du doute, de l'incertitude, de la solitude, de la discrétion. Pas de la grosse caisse mais l'infinie puissance d'une parole, d'un langage, d'un écrivain à l'écoute patiente et humble du monde.
Jean-Marie Le Clézio, antidote à Ennemis Publics.
"J'ai retardé ce billet tant que j'ai pu mais il y a un moment où l'abstention devient coupable."
Ce n'est pas que je ne sympathise pas avec votre commentaire dans son ensemble mais je m'interroge en premier lieu quelque part sur votre rapport intellectuel 'intime' à ces auteurs !
Rédigé par : Catherine JACOB | 16 décembre 2008 à 15:06
Quel billet ! Il faut le diffuser pour que nous soyons de plus en plus à dire "asssez" au narcissisme ambiant, à toutes les indécences que les éditeurs nous proposent et que les journalistes et animateurs mettent en lumière en s'assurant aussi d'être vus. Car, là, est aujourd'hui le grand danger, beaucoup de journalistes sont, eux-mêmes, devenus narcissiques et la première victime de tout cela c'est l'éthique...
Rédigé par : Bulle | 15 décembre 2008 à 03:52
Cher Philippe Bilger
Cela fait toujours plaisir de lire un commentaire que l'on aurait aimé rédiger soi-même. C'est le cas de celui-ci. La dénonciation des enflures médiatiques que sont BHL et MH ne va certainement pas vous faire des amis parmi la classe parlante qui s'exprime comme un seul homme dans les médias français, mais en contrepartie vous recueillerez l'approbation de ceux que l'énoncé de quelques vérités ne peut que réjouir. Et puis souhaitons en outre que l'ignoble Battisti finira bien par rejoindre une prison italienne, là où il devrait être depuis longtemps.
JFM
Rédigé par : Maubert | 14 décembre 2008 à 23:23
Je suis souvent en désaccord avec vous, mais ne peux que soutenir votre propos. BHL surtout est très agaçant, et omniprésent... Et face à son omniprésence, toute réaction légitime rajoute à son emprise sur l'espace médiatique, comme d'autres personnes de son genre, "intellectuels" ou politiques. Enfin, il permet aux publications comme Le Plan B de bien s'amuser quand même.
Je vous rejoins aussi totalement sur l'indécence de leurs revendications d'être autres qu'ils sont, ce qui est débectant.
Et de même que vous, j'étais très heureux d'apprendre le Nobel de Le Clézio, dont j'ai beaucoup aimé Poisson d'or ; et dont j'ai apprécié la présence à l'émission d'Apostrophe avec Lévy-Strauss.
En tant que personnage médiatique également, ne sauriez-vous pas réussir à porter les messages de dénonciation de BHL et consorts ? Quoique j'en doute un peu, puisque dans mes "consorts", j'inclus M. Val...
Rédigé par : Irfan | 14 décembre 2008 à 22:01
Cher Monsieur, on a les écrivains qu'on mérite. De même qu'on a la justice qu'on mérite. A ces sujets, l'époque semble nous servir généreusement. On dit aussi qu'une société se reconnaît à la façon dont elle traite ses fous. Je vous lis sur Houellebecq et Lévy mais j'adorerais vous lire sur le sujet de la folie. Que pensez-vous du discours de Nicolas Sarkozy à Antony ? Personnellement il me fait honte, bien plus que le dialogue que vous commentez longuement.
Bien à vous.
Durcet
Rédigé par : durcet | 14 décembre 2008 à 14:05
Un grand merci pour cet article.
Un réel plaisir à vous lire ainsi que les commentaires.
Mention spéciale à Bruno !
Rédigé par : Patrick | 13 décembre 2008 à 22:28
J'ai écrit sur un autre topic que "L'écriture est le courage des faibles". Michel Houellebecq en est la manifestation éclatante, surtout quand, plutôt que de s'en défendre, il en fait le coeur même de son oeuvre littéraire. Sa faiblesse humaine faite littérature, et si, en plus, elle l'enrichit, alors tant mieux pour lui. Comme c'est un obsédé sexuel (ce n'est pas un délit, ni pire un crime, sauf en Etats-Unis, demandez à Dominique Strauss-Kahn il confirmera) et que son physique (le visqueux) l'a privé jusqu'à son succès littéraire des nombreuses joies du sexe, il comprit très tôt que s'il voulait baiser, il lui fallait de l'argent car c'est ainsi que fonctionnent depuis un moment nos sociétés occidentales, et ainsi il fit -écrivit- de son handicap la clef de cette possibilité de baiser qui il voulait à en crever. Aujourd'hui, c'est connu que Houellebecq baise les plus belles femmes du monde et qu'elles le trouvent toutes très beau, so sexy ... Mais que de jalousie ne suscite-t-il pas jusqu'encore aujourd'hui! Ainsi, on se déchaîne contre lui. J'aime Houellebecq pour cette façon cruelle qu'il a de tomber les masques de nos socials liens d'hypocrisies ... Tant il est vrai aussi qu'on ne hait souvent que ceux qu'on ne peut imiter. HOUELLEBECQ, LA LITTERATURE EN ERECTION!
Bernard-Henry Lévy qui, lui aussi est un queutard fini, n'a jamais connu ces désagréments de la vie quotidienne; il a toujours été beau, toujours riche, toujours jeune, en un mot: occidental. Quelle folle se refuserait? Mais comme, pour lui, a contrario de Houellebecq, le sexe n'est pas une fin en soi, il lui fallait bien trouver d'autres études et des occupations. Ainsi, il s'engagea très tôt, politiquement international, comme on le sait ...
Leur différence? L'un a l'argent acquis qui a besogné tel un damné -pendant qu'il essuyait tous les sarcasmes médiatiques et autres insultes de ceux-là j'en passe- pour cela; l'autre inné qui a beaucoup hérité et qui, lui, est très craint pour cela, donc respecté, par les médias. Leur point commun? Au nombre de deux: le cerveau et la queue. Bref, d'authentiques intellectuels français; Victor Hugo n'était pas différent, il n'y a qu'à lire la formidable et monumentale biographie qui déjà fait autorité mondiale, de Jean-Marc Hovasse. Sartre non plus ...
Un autre point commun: leurs origines à tous deux sont algériennes, et cela ne me laisse pas indifférent ...
Non, votre billet ne m'inspire pas, cher PB; moi, j'aime l'oeuvre de Houellebecq et j'aime bien celle de Bernard-Henry Lévy. Et quand bien même ils seraient tous deux pourris de chez pourris en tant qu'hommes (ce que je ne sais et je m'en fiche car ils ne me nuisent ni ne m'ont jamais nuit personnellement), et alors! le monde les a-t-il attendu pour l'être davantage? ceux qui le disent si fort le sont-ils si moins?...
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 13 décembre 2008 à 20:55
Philippe, je vous hais. Voici des semaines que je peaufine un libelle que j'intitulais "Vadius écrit à Trissotin qui lui répond" et voilà qu'il est bon à mettre au cabinet !
Une belle page que la vôtre.
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 13 décembre 2008 à 19:49
Bravo à Bruno ! Lapidaire mais vrai. J'ajouterais : "Barbès Rochechouart", le Barbès n'étant pas forcément celui à qui l'on pense. Il faut se rappeler qu'à la station Barbès il y avait des "WC Cireur, Urinoirs" Jacob Delafon donc ! Il nous manque Roux et Conbaluzier pour prendre quelque hauteur ! (Je sais c'est idiot mais je n'ai pas pu résister !)
Rédigé par : ROUTA VILLANOVA | 13 décembre 2008 à 18:38
Pour les besoins d'un devoir de culture générale que devait faire mon fils en fac d'éco, nous sommes allés en famille, hier soir, à la recherche des Nobel de littérature de nationalité française.
Cela nous a donné:
SP, FM, RR, AF, HB, RMG, AG, FM, AC, SJP, JPS, CS, GX, JMLC
Au moins une chose me semble sûre, BHL et MH n'en seront pas ou alors pas en littérature.
Pour les faibles en rébus, qui comme moi ont eu recours au QUID voici la liste:
Sully Prudhomme (1901)
Frédéric Mistral (1904)
Romain Rolland (1915)
Anatole France (1921)
Henri Bergson (1927)
Roger Martin du Gard (1937)
André Gide (1947)
François Mauriac (1952)
Albert Camus (1957)
St John Perse (Alexis Leger) (1960)
Jean Paul Sartre (1964)
Claude Simon (1985)
Gao Xingjan (2000)
Jean-Marie Le Clézio (2008)
Rédigé par : Surcouf | 13 décembre 2008 à 18:34
Cher Philippe,
L'intellectuel, c'est le débat. C'est la pratique même du débat. C'est l'habitude, le principe, l'exigence absolue du débat. Un intellectuel c'est quelqu'un dont la seule présence indique que la société fait droit
aux droits du débat. Et l'intelligentsia, c'est ce corps qui, dans le corps d'une société, donne à penser qu'il n'y a pas de certitude qui ne soit, par hypothèse, justiciable de ce libre débat.
L'autorité ? Débat. La légitimité ? Débat. La loi, le décret, le caprice, le fait du prince ? Débat, toujours débat. Tous les intellectuels, certes, ne débattent pas. Tous ne consentent pas au risque d'indépendance inhérent, donc au débat.
Mais j'observe qu'il n'y a pas d'intelligentsia là ou le pouvoir d'Etat prétend fonder lui-même sa certitude ; et que là où il y en a une, en revanche - même clandestine, souterraine, balbutiante ou bafouée - il y a comme un imperceptible flottement dans les jalons de cette certitude. Les démocraties, elles non plus, n'échappent pas à l'arbitraire. Elles n'échappent pas à la technocratie. Elles n'échappent pas toujours à l'idée, par exemple, d'une technique de gouvernement rétive et controverse. Sortez votre intellectuel chaque fois qu'un imbécile vous dira que la gestion des hommes est, elle aussi, une science exacte.
L'intellectuel c'est encore la transcendance du Savoir, du Concept, de la Loi. Contradictoire ? Non, cohérent. Car les mêmes causes produisant d'autres effets, le pari sur le débat c'est aussi le pari sur l'idée, l'idéalité, l'idéalisme - il n'y aurait pas de débat, disait Platon, il n'y aurait que des chocs, des télescopages d'opinions irréductibles si l'on ne pressentait au-dedans de soi qu'il existe, au-dehors et loin de soi, un horizon de sens où la dispute trouve son enjeu. Ce n'est plus le "lieu commun" du Sartron. Ce n'est plus ce "degré zéro" du discours dont le rôle était, précisément, d'élider le désir de débattre. C'est une transcendance, vraiment. C'est un être soustrait au monde. C'est la croyance un peu folle - mais nécessaire - à des êtres qui ne sont plus des choses mais qui en ont le poids. C'est l'assurance que sans eux, sans l'horizon qu'ils lui promettent, sans le séjour qu'ils lui proposent, l'aventure de la parole serait close depuis longtemps. Peut-être n'y a-t-il, au sens strict, pas d'intellectuel athée.
L'intellectuel c'est l'autre, encore. C'est le souci de l'autre. C'est la certitude, toute aussi folle - et dont j'ai assez dit de la part de vanité pour en souligner aussi la gloire -, que je suis, moi qui pense, comptable, responsable, littéralement obligé d'autrui. A l'époque du souci de soi, est-ce si dérisoire ? A l'âge du repli égotiste, est-il si négligeable que subsistent des hommes et des femmes qui raisonnent de cette façon ? Faut-il moquer, vraiment, l'entêtement de ces gens qui, étendant au plus loin le cercle de leur familiarité, élargissant comme nuls autres l'idée pratique d'"humanité", se sentent contemporains, finalement, de tout ce qui se passe sur la planète ? Pense ton lointain comme ton prochain. Pense ton prochain comme toi-même. Il y a dans ces commandements, dont quelques-uns de nos intellectuels ont choisi de faire une bannière, un peu de la dignité de l'Europe.
L'intellectuel, enfin, est un homme seul. Un homme qui parle, pense, opine seul. Mais c'est quelqu'un qui, comme on sait, n'a jamais pour autant hésité à mondialiser son opinion. Est-on justifié, demandait Rousseau, à parler au nom du monde quand on a choisi de "faire avec courage" tout ce qui vous "paraît bon" et de ne plus "s'embarrasser aucunement du jugement des hommes" ? A-t-on le droit, reprendra Camus, de parler au nom de l'universel quand, renonçant à voir la vérité marcher au pas de la victoire, on a résolu de déserter ces grands rassemblements d'opinions, c'est-à-dire de préjugés, que l'on appelle les majorités ? Les pouvoirs totalitaires croient que non. C'est même un article majeur de leur croyance. L'intellectuel pense que oui. Il pense que l'on est peut-être seul, ou presque, à manifester le vrai. Et c'est pourquoi il est un bon antidote à "cette sorte de servitude douce, réglée et paisible" dont Tocqueville redoutait qu'elle ne vînt s'établir à l'ombre même de la souveraineté du peuple". Cet extrait de Bernard-Henri Lévy en cadeau pour vous.Cela se veut l'éloge de Eloge des intellectuels.
Françoise et Karell Semtob
Rédigé par : semtob | 13 décembre 2008 à 17:50
Et pourtant ils avaient bien orchestré leurs passages à la télé à des heures de grande écoute: l'un bougon au style décontracté veste à col peau de mouton et cheveux (ce qu'il en reste) en bataille, et l'autre au comportement altier chemise d'un blanc immaculé et la coiffure comment la qualifier ? Dans le vent, celui de l'opportunisme évidemment. La parole des deux hommes se devait d'affirmer la concentration exceptionnelle de deux grands esprits, une sorte de dualité bicéphale offerte dans un numéro de duettistes aux talents inégalés.
Pour le dire simplement, nous on appelle ça un bide, et la maison d'édition Grasset doit discrètement passer au pilon le stock d'un titre qui devait trôner dans chaque bibliothèque au rayon chef d'oeuvre de la littérature essayiste.
Rédigé par : SR | 13 décembre 2008 à 17:26
Vous m'avez donné envie de lire le discours de Le Clézio prononcé devant l'Académie. Je ne l'avais pas vu passer dans l'actualité et pourtant, tout comme le discours annuel, le discours d'un Immortel est un événement. On y distingue un degré d'intelligence qui n'est pas commun et le lisant je songeais à une autre figure intellectuelle qu'est George Steiner.
Ce dernier figure l'anti BHL, l'anti-roman et se place hors de la forêt des paradoxes.
Je l'ai entendu lors d'une émission littéraire évoquer une sorte de fin de la littérature et dire son admiration pour les mathématiciens, les physiciens, les hommes et femmes de science.
C'était très surprenant, et Steiner se défendait de faire de la provocation - au moins au mois au trois premiers degrés - mais, sans avoir gardé en mémoire son argumentation précise, il me semble qu'il reprochait, avec une lucidité attristée, que la littérature était sans issue comme Gainsbourg l'avait dit de l'amour physique dans une chanson. Ne pourrait-on pas faire ce reproche - qu'elle est ou donne accroire qu'elle est sans issue - à la Politique?
G. Steiner constatait cette chose et avait transféré, d'une certaine manière, l'espoir humain à la science, aux découvertes régulières qui ont fait entrer dans le champ de notre conscience et de notre connaissance des exo-planètes, de l'adn, et nous voit courir, en tant qu'espèce, derrière le bozon de higgs et l'énergie grise. On se dit qu'un professeur comme ça, que ce soit dans un amphi pour la crème de la crème ou simplement par le lien d'un de ces livres, est édifiant.
A cette "révolution" des sciences, tellement tangibles, tellement concrète puisqu'elle fournit des clus usb et un Nobel à un Français, il faudrait espérer une littérature "nouvelle".
Dans une certaine mesure, l'auteur de l'"Extension du domaine de la lutte" et BHL croient la postuler, cette littérature-là, talentueuse par son militantisme et son engagement au service de l'air du temps. Sans avoir lu leur oeuvre - à défaut de quelques billets de BHL dans Le Point - je n'ai pas l'impression qu'ils sont aux antipodes l'un et l'autre, l'argument de ce livre choc, me semble-t-il avec un marketing sur leur présumée mutuelle détestation, mais parfaitement en symbiose avec les désirs et frivolités de l'époque.
Ce marketing est tellement excellent depuis Antoine et Johnny, mais déjà avant.., que les dirigeants de l'OM et de OL, avant leur choc, en ont fait une petite variante chacun n'ignorant plus combien Arfa et Benzema ne sont pas amis... Juste une parenthèse footballistique.
Plus sérieusement [!!!], qu'attendre des Lettres, sinon qu'elle édifient la culture commune, nous invitent, les uns et les autres, à une exigence du comprendre qui ne peut aller qu'avec une humilité de ce que je sais et de ce que je suis.
Je n'ai jamais lu Steiner. Je suis tombé par hasard sur ce qu'il disait et - peut-être ou sans doute à tort - je le place parmi ceux d'une matière intéressante.
Je n'ai pas lu Le Clézio mais sa digression d'Immortel sur la place de l'écrivain, sur les limites de l'écriture, sur la valeur transcendante et médiatrice du langage rappelle qu'il reste quelque chose qui anime l'immortalité: l'Esprit.
En définitive, et c'est plutôt réjouissant car il sert les arts et les sciences, s'accorde au passé comme à l'avenir, c'est lui qui compte.
Rédigé par : Daniel Ciccia | 13 décembre 2008 à 14:54
Très, très bel article.
Rédigé par : Laurent Dingli | 13 décembre 2008 à 12:42
Lévy et Houellebecq, ce sont les Jacob-Delafon de la culture, il faut tirer la chasse d'eau et basta...
Rédigé par : bruno | 13 décembre 2008 à 12:26