Depuis plusieurs jours, la nomination de François Pérol, secrétaire général adjoint de l'Elysée, à la tête du groupe issu de la fusion des Banques populaires et des Caisses d'épargne, fait l'objet d'une vive contestation sur les plans politique, juridique et déontologique (Mediapart). Pourtant, le président de la République, sur un ton presque de colère, a déclaré qu'il faudrait plutôt se féliciter que "le meilleur" soit désigné pour occuper cette lourde charge en ces temps de crise. Il y avait dans son propos comme une forme de remontrance à l'égard de ceux qui, à l'évidence, dans cette affaire, "coupaient les cheveux en quatre". Polémique inutile et oiseuse donc ! L'Etat doit passer, et l'Etat de droit demeurer à sa place.
Que le président de la République affirme que François Pérol est "le meilleur" me semble inévitable. Cet éloge, émanant de celui qui a nommé, est destiné à renforcer la conviction des nombreux partisans de ce choix et à battre en brèche le point de vue des adversaires ou des sceptiques qui daubent sur la compétence et les résultats antérieurs de François Pérol (Marianne 2). Mais il est évident que ce domaine dépasse très largement les attributions d'un magistrat.
Ce qui doit importer à ce dernier, en revanche, c'est le sens de cette controverse au regard de l'Etat de droit et de l'étrange rapport que le président entretient avec celui-ci.
D'abord, pour paraître dérisoire, une telle dispute qui implique des personnalités aussi respectables que Claude Guéant et Olivier Fouquet, président de la Commission de déontologie, qui met en lumière une problématique passionnante, d'interprétation difficile sur le rôle de François Pérol à l'Elysée et l'autorité attachée à son action, qui, enfin, suscite des avis réservés et prudents de la part de fins politiques comme par exemple Edouard Balladur, est tout sauf dénuée de sens. Il n'est pas choquant de lui donner de l'importance, il n'est pas scandaleux de s'interroger sur la pertinence de ce processus. Pour reprendre la pensée du président, ce n'est pas "la compétence" de François Pérol qui fait débat ni même sa qualité de Conseiller auprès de Nicolas Sarkozy mais les détours par lesquels, en voulant prendre des raccourcis, on a en réalité créé un problème et affaibli la légitimité d'une nomination qu'on affirmait capitale et nécessaire.
Je ne comprends pas comment, devant une telle configuration complexe et équivoque que les précédents jurisprudentiels n'éclairaient pas ou très peu, le réflexe immédiat et salubre n'a pas été de respecter les formes dans leur plénitude et l'Etat de droit même dans son pointillisme, afin précisément de couper court à la tradition française de suspicion généralisée. Dès lors qu'un doute pertinent pouvait être formulé sur la parfaite validité du processus, on aurait dû d'emblée soumettre son examen à une collectivité incontestable. Cette démarche, qui aurait peut-être consisté à mettre en oeuvre une surenchère prudente et légaliste, aurait été infiniment plus efficace que ces raccourcis qui, en démocratie, font toujours perdre du temps et du crédit. Quand on examine les réponses et les textes d'Olivier Fouquet, en dépit de certaines contradictions qui révèlent la gêne bien compréhensible de cet homme estimable (Le Monde, le site du Point) ils laissent entendre que le principe de précaution aurait dû s'appliquer en l'occurrence et que son seul avis, par courrier et sans avoir connu le détail de la situation et des oeuvres de François Pérol, ne pouvait pas être probant. Je crois donc qu'on met en cause Olivier Fouquet avec trop de légèreté quand, comme Arnaud Montebourg, on lui impute d'avoir "couvert" une infraction de prise illégale d'intérêt (site du Nouvel Observateur).
On ne peut que s'étonner d'une telle abstention au plus haut niveau de l'exécutif. Elle attise un feu que l'observation de la règle n'aurait pas fait naître. En définitive contre-productive sur le plan politique, elle surprend de la part de Nicolas Sarkozy qui a démontré, durant sa campagne, une intuition rare de ce qu'il lui était loisible de dire et d'accomplir, qui savait jusqu'où il pouvait aller trop loin. Il y a des exemples judiciaires de cette audace payante parce qu'elle était fondée. Il n'empêche que le président paraît mal supporter les contraintes et les règles de l'Etat de droit, l'obligation de certaines procédures, l'indispensable rigueur textuelle et formelle d'une démocratie qu'il souhaiterait plus débridée, plus spontanée. Il est clair qu'il donne l'impression de les appréhender plutôt comme des bâtons dans les roues de la République que comme une chance et une illustration de l'exemplarité d'un pays.
Pourquoi ? Probablement parce qu'avant son élection, ses coups de boutoir contre une conception laxiste de la justice l'ont fait se méfier d'un Etat de droit dont la seule finalité semblait être de complaire à la transgression et de favoriser, contre l'intérêt social, la délinquance et la criminalité. Ou des libérations anticipées choquantes. Un Etat de droit qui déplaisait au pragmatique et à l'homme d'ordre sans contenter l'avocat. Eprouvant une sainte horreur - et je partage sa dénonciation - à l'égard de cet arsenal juridique "gnan-gnan", moins protecteur que facilitateur, sans doute a-t-il conservé cette répugnance pour tout ce qui de près ou de loin ressemble à une garantie, à un frein, à un rituel. Il y a cependant une différence considérable entre un Etat de droit, arme de ceux qui offensent une société, et l'Etat de droit, honneur d'une démocratie, morale d'une République. Qui respecte celui-ci à la lettre et dans son esprit suscite le respect de tous parce que n'appartenant à personne, il est précisément le bien de tous. Nicolas Sarkozy est tellement pressé d'agir et d'entreprendre que pour prévenir l'entrave possible de l'Etat de droit, il ne le sollicite pas et, en définitive, pâtit d'un désagrément et d'une suspicion tellement plus négatifs que l'adhésion sans barguigner à l'orthodoxie d'un Etat de droit dont président, il est le garant et le protecteur. Notre défenseur contre l'arbitraire.
Il y a sans doute plus. Le président est tellement habitué à ce qu'il y ait à son encontre une présomption systématique de malveillance démocratique, quoi qu'il fasse, que cet Etat de droit, en permanence brandi par ses adversaires comme s'ils en étaient propriétaires, doit lui insupporter et que, peut-être par provocation, il accélère là où il faudrait ralentir, saute l'obstacle là où il faudrait le contourner, s'impatiente là où il faudrait attendre. Plutôt que de se plier, il s'échappe. Il a gagné, il gagnera mais à quel prix ? C'est comme s'il laissait le symbole à la disposition de ceux qu'il ne séduira jamais et se satisfaisait de nommer et de décider comme s'il était totalement libre.
Pourtant, je suis persuadé que l'Etat de droit, dans son acception la plus haute, lien, ciment, unité, bonheur collectif d'un peuple sûr de ses droits et de ses devoirs, confiant en des gouvernants soumis aux mêmes obligations et attachés aux mêmes valeurs, mérite d'être préservé avec acharnement, cultivé jusqu'à l'extrême. Pour l'hommage quotidien qui doit lui être rendu, on ne reprochera jamais à l'Etat sa surabondance, son excès.
Surtout, qu'on ne s'y trompe pas, et le président de la République moins que tout autre. La démocratie, la République et son intégrité ne sont pas clivées, de manière mécanique, en une Droite et une Gauche, entre les partisans du président et ses opposants socialistes et d'extrême gauche. L'affaire Pérol, même si les inconditionnels qui gravitent à l'UMP ou ailleurs s'en moquent, constitue une blessure, surtout pour ceux qui aspirent à la réussite du président. Les autres engrangent des provisions pour demain.
Je ne comprends pas, monsieur le Président. Vous iriez plus vite en passant par l'Etat de droit.
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