Le titre de ce billet m'est venu immédiatement. "Les désarrois de l'élève Toerless", admirable roman de Robert Musil, annonçait avec une lucidité de visionnaire le nazisme et les terrifiants bouleversements que celui-ci allait engendrer. D'où vient le carnage accompli par l'élève Kretschmer, de quoi est-il le prélude, le signe ? A cause de quels désarrois quinze personnes ont-elles été victimes de cet assassin de 17 ans à Winnenden, en Allemagne ?
Tim Kretschmer avait obtenu médiocrement son diplôme en 2008 et depuis quelques mois suivait une formation complémentaire de "commercial". Chaque jour, il s'adonnait au tir sportif avec son père qui disposait chez lui de la bagatelle de 18 armes à feu (Le Parisien, Le Monde). C'est tout ? Evidemment non. Surnommé "le looser" par ses camarades, il venait d'être abandonné par sa petite amie, si on en croit Le Figaro. Sur France 2, on a appris que la justice allemande pourrait demander des comptes à son père qui a manqué de prudence à l'égard d'un fils qu'il savait très perturbé sur le plan psychologique. Avec ces seules notations, on commence déjà à percevoir l'obscurité dans cet être, la difficulté de vivre, le sentiment d'étrangeté, la douleur et l'envie de la solitude, la maladresse et l'absence de grâce là où les jeunes gens de son âge montraient sans doute une insolente aisance, un goût du bonheur offensant. J'imagine Tim Kretschmer des mois, des semaines avant le massacre. L'ordinaire des jours, les rites immuables, les activités à la fois sérieuses et ludiques, la passion des jeux vidéos violents, l'illusion de s'ancrer, de s'insérer dans le cours de l'existence mais de savoir au fond de soi qu'on n'y arrive pas, qu'on est perdu : un jeune destin à la dérive sur une eau apparemment tranquille, des démons assoupis, une nuit qui laisse un peu de place au jour. Il y a encore de la lumière. Tim ne se cogne pas totalement à lui.
Mais la détresse monte. Il a besoin de la dire, de l'avouer, de la clamer. A mon sens, aucune vanité dans ses aveux sur le web, aucune envie de gloire, aucune forfanterie mais l'affirmation simple et nue qu'il est arrivé au bout, qu'il n'en peut plus, que le monde est trop moche et les autres trop hostiles. Que la vie est devenue un immense et triste rébus qu'il n'a plus la force de déchiffrer. Il est égaré et n'a pas le courage de retrouver son chemin. Il se laisse aller. "J'ai des armes ici ; demain matin j'irai à mon ancienne école. J'en ai assez, tous se moquent de moi, j'en ai assez de cette vie qui n'a pas de sens". Derrière ces mots, comme il est facile de deviner, d'entendre l'appel au secours, de voir la main qui se tend, le visage dans l'attente et les cruautés à venir! C'est comme si Tim nous laissait encore une petite chance de nous sauver en le sauvant, lui. Mais qui, de l'autre côté, du bon côté de l'existence, peut avoir l'oreille assez fine, l'esprit assez vif et le coeur assez sensible pour discerner les sanglots, la folie, la fascination du naufrage, la mort proche de beaucoup d'autres ? Ironie du sort: ce lugubre avertissement sur le web serait un faux.Les crimes commis ne rendaient pas absurde cette posture en amont.
Le véritable mystère réside dans le passage, dans le lien entre le mal de vivre et le désir de faire mourir. Pourquoi ce malaise existentiel, cette déréliction juvénile, cette démarche si mal assurée sur les chemins de la réalité ont-ils absolument besoin du massacre ? Pourquoi cette infinie faiblesse intime doit-elle s'appuyer sur cette horrible force criminelle pour se donner l'apparence d'une victoire ? Pourquoi tant de sang, tant de froideur pour compenser un tel exil intérieur, une effervescence si douloureuse et secrète ?
Il y a, probablement, ces jeux vidéos qui, lassés de mimer la guerre, les destructions et les meurtres, désirent sortir d'eux-mêmes pour non seulement observer les vrais, à l'air libre, mais les créer, ajouter aux tragédies fictives les tragédies trop vraies. A la mort festive et électronique la mort sale, répétitive et incompréhensible. Il est fini le temps où le réel imposait sa loi au divertissement. Maintenant, le féroce et le sauvage ludiques imposent leur loi à la vie. Je ne doute pas qu'au moins pour partie, Tim Kretschmer ait éprouvé cette frénésie, pour faire se rejoindre l'imaginaire et l'objectif, les fantasmes et les choses, les illusions et le concret, de mettre de force les premiers dans les seconds - comme si la réconciliation pouvait en découler pour lui-même.
Plus profondément, cette perversion absolue conduisant à inventer un sens à sa vie en abolissant celle des autres ne vient-elle pas d'un monde qui, partout, dans sa quotidienneté la plus banale comme dans ses pages les plus officielles, ne sait plus offrir des repères clairs, des frontières nettes et des signaux fiables ? Dans un univers largement déboussolé, je vois mal où pourrait tenter de s'accrocher une bouée de sauvetage. Mais la mort industrielle des autres - quinze en trois endroits différents, comme à la parade, lui-même étant dans une tenue de guerrier - ne mêle-t-elle pas le culte de la violence, la dilution de la morale, l'apitoiement sur soi, le mépris d'autrui et un jeu de massacre ? Comme si, aujourd'hui, pour cet être malade - mais combien comme lui ont sévi, et de plus en plus, aux Etats-Unis ou ailleurs - il n'y avait pas de remède pour soi si n'étaient pas embarquées dans la même apocalypse les personnes haïssables qui vous ont connu au collège ou qui ont croisé malheureusement votre route.
Il y a les désarrois de l'élève Kretschmer. Le paroxysme criminel qu'ils ont entraîné. Son suicide ou sa mort du fait de la police. Un monde de fous, en vérité. J'ai peur que ces épisodes inouïs soient moins une terrifiante exception qu'une leçon épouvantable. Il y a un peu de nous, de notre société en Kretschmer. Prenons garde à demain.
Je disais précédemment qu'il y a deux mondes, celui des jeunes, celui des adultes. A la lecture d'Aïssa, j'en ajoute un troisième. Celui des vieux. Pas étonnant quand on pense à notre manie de faire des catégories. Aïssa sera plus compétent que moi pour parler des vieux que l'on bourre de médicaments jusqu'à l'indigestion.
Loin de moi l'idée de dénoncer les crèches, l'école maternelle, l'école primaire etc. Prises séparément toutes ces structures sont nécessaires et bienvenues. Mais quand on prend un peu de recul, on se rend compte que les enfants sont mis à l'écart dès le plus jeune âge. Dès l'âge de trois mois, ils sont en crèche, entre eux. Puis, c'est l'école maternelle, l'école primaire, le collège, le lycée, entre eux. Les vacances ? Entre eux dans les colonies de vacances. Les animations ? Entre eux dans les centres de loisirs et autres animations municipales. Les lectures ? la littérature pour enfants et pour ados. Le cinéma ? voir la littérature. A la maison ? entre eux avec internet, MSN, et avec les téléphones portables.
Ils sont entre eux depuis la plus tendre enfance. Avec des adultes pour les "encadrer", mais entre eux. Ils se sont construit un monde avec des règles des codes sociaux qu'ils ont inventés auxquels nous ne comprenons rien. "Abandonnés" par leurs aînés, l'amitié, ou plus précisément la popularité, leur tient lieu de colonne vertébrale. Sans une bande d'amis, ils se retrouvent réduits à néant. C'est la bande qui fait loi. Hors d'une bande, point de salut.
Rédigé par : Florence | 14 mars 2009 à 22:42
Ce sujet et les commentaires me ramènent immanquablement à Richard Feynman: la psychologie et ses rats guidés par la résonance de leurs pas, les sciences molles et les religions d'avions-cargos qui découlent de leurs constructions, l'impossibilité de répondre aux questions commençant par Pourquoi.
Et pendant ce temps-là, les gens se jettent à Dieppe, les bombes manhattanent et les sarcomes métastasent.
Rédigé par : Alexandre | 14 mars 2009 à 22:16
Quel est le rapport avec ses notes à l'école ? Les lycées sont remplis de mauvais élèves, même dans les très chics écoles privées de la rue d'Assas. Mais si on suit votre raisonnement, un élève médiocre déterminerait un parcours de tueur. Nicolas Sarkozy était un piètre étudiant, il est pourtant devenu président. Mais je vous rejoins sur un point: il tue symboliquement.
Rédigé par : SR | 14 mars 2009 à 17:06
Cette fois-ci c'est un jeune homme qui commet une tuerie mais, en France, nous avons connu ce genre de drame. Pas encore dans un établissement scolaire mais dans une salle de conseil municipal à Nanterre. Régulièrement on parle de schizophrènes en liberté qui tuent 2 ou 3 passants à coups de couteau ou de forcenés qui tirent par la fenêtre et à qui on envoie le GIGN.
Ce qui nous frappe ici, c'est qu'il s'agit d'un jeune, d'un lycéen et qu'il tire à l'intérieur de son lycée sur d'autres jeunes.
J'entends souvent parler du sanctuaire que devrait être ou qu'a été l'école, notamment par la voix de Ludovic et j'avoue que cette notion d'"école-sanctuaire" n'évoque absolument rien en moi.
Certes, comme tout le monde, je trouve qu'il faut fermement empêcher la violence à l'école et je suis convaincue de la nécessité de protéger les enfants. Mais de là à utiliser le terme de "sanctuaire", ça me paraît de l'ordre du mythe.
Quand j'entends des phrases du types " il faut que l'école reste un sanctuaire", cela sonne tellement creux à mes oreilles que je me dis qu'on est mal parti pour lutter contre la violence. Cela résonne juste comme une incantation (pardonnez-moi Ludovic, je ne souhaite absolument pas être désagréable).
Notre société a peur de ses jeunes qu'elle ne comprend pas. Si elle ne les comprend pas, c'est parce qu'elle ne les connaît pas. Si elle ne les connaît pas, c'est parce qu'elle ne s'en occupe pas ou mal.
Les jeunes sont trop entre eux, trop coupés de la société des adultes. Il y a deux mondes, celui des jeunes et celui des adultes. Deux mondes qui s'écartent l'un de l'autre de plus en plus.
Rédigé par : Florence | 14 mars 2009 à 16:53
Le crime de cet adolescent nous renvoie à nos vies tellement inhumaines, notre société tellement matérialiste, et nous-mêmes tellement éloignés des peurs et angoisses de cette jeunesse qui se sent rejetée. Gare à ce type de déraisons, il a vocation à se renouveler !
Rédigé par : Thierry SAGARDOYTHO | 14 mars 2009 à 15:10
Chercher son salut dans la mort d'autrui est vieux comme le sacrifice humain, vieux comme l'humanité.
La pensée biblique et évangélique nous a fait prendre conscience de ce que cela a d'injuste, de déraisonnable, d'irrationnel...
Mais cette pensée aujourd'hui est largement rejetée, alors les pulsions originelles reprennent le dessus.
"Aime ton prochain comme toi-même" n'est pas billevesée d'un autre âge, mais intemporelle voie vers le salut.
Rédigé par : Denis Monod-Broca | 14 mars 2009 à 12:38
Il est impossible de développer ici cette question qui m'a toujours intéressé. Je ne suis pas persuadé qu'il s'agisse d'un appel au secours de la part de cet adolescent, mais d’une mise en scène de sa mort, pour des raisons que certains commentateurs ont fort bien soulignées ("la notoriété", dit à juste titre Catherine A ; "Donner la mort est peut-être la dernière tentative d'affirmer que l'on est vivant" précise tout aussi justement "Moi", ou encore le "glissement actuel de la responsabilité parentale" que rappelle "Carredas").
Dans l'un de mes ouvrages, j’ai utilisé l'expression de "belle mort", déviée du sens que lui donnait Jean-Pierre Vernant à propos de la mort héroïque dans le monde grec. La mort a souvent été un moyen de donner un sens à l'existence. "Laissez-moi mourir pour que je puisse vivre", disaient déjà les premiers chrétiens. Ce cheminement a pu tout aussi bien prendre une forme non religieuse, comme la recherche de la mort héroïque au combat etc. C’est, pour faire vite, ce que j’appelle « le complexe d’Achille ». La particularité du cas que vous évoquez est d'associer l'assassinat au suicide. J'y vois un retour à une fusion de type psychotique. Pour certains sujets, celle-ci s'opère de manière "apaisée", et sans recourir à la mort de l'autre, pour le cas qui nous occupe en revanche, la fusion s'opère dans la mort partagée et ultra-violente : l'individu se donne la mort et en fait en même temps « l'offrande » à ses victimes (comme les terroristes qui se font exploser dans la foule ou les membres de certaines sectes, comme le Temple solaire, etc.). Je pense, mais cela n'est bien entendu qu'une hypothèse, que, paradoxalement, la fusion psychotique ne s'est pas bien effectuée dans ce cas de figure-là, qu'elle s'est, pour ainsi dire, souillée d'un embryon de conflits et de sado-masochisme (des notions qui en réalité ne concernent pas la psychose), qu'il s'agit d'une phase peut-être plus élaborée du développement de l'enfant que celui de la "fusion pacifique" primitive et a-conflictuelle avec l'objet maternel. Ici une sexualisation violente a eu le temps de s'instaurer, sans aller évidemment jusqu'au stade de la reconnaissance réelle de l'objet. Cet entre-deux du développement est sans doute le plus dangereux, parce qu'il laisse pénétrer une frustration qu'ignorent les individus dont le développement est resté fixé au stade précédent. Mais, en même temps, ils n'ont pas accès à la vie objectale de la névrose mentale, et a fortiori de l’organisation psychique que nous qualifions à tort de "normale". Les choses sont-elles pour autant inscrites dans une fatalité, une sorte de déterminisme psychique ? Je suis persuadé du contraire. Voilà, mon cher Philippe, que nous en revenons à la question centrale du « salut » qui nous occupe tant. Je crois dans le concept de résilience si bien défini et illustré par le docteur Boris Cyrulnik. En même temps, et ce n’est pas contradictoire, j‘en devine les limites et refuse de donner dans l'angélisme. L’un des apports de ce célèbre psychiatre est de nous avoir montré, notamment à l’aide de l’éthologie, l’importante plasticité de l’organisation psychosomatique humaine (et animale) : la stimulation ou la non stimulation de la vie affective est capable de modifier notre soma jusqu’à un point que nous ne soupçonnions pas auparavant (un domaine qu’avait déjà étudié le grand pionnier qu’était le docteur Pierre Marty, il y a plus de trente ans). C'est pourquoi le docteur Cyrulnik est si critique à l'égard des politiques d'enfermement. Il y a en effet, dans ce cadre, un équilibre difficile à trouver.
Pour le reste, je pense à ces parents qui vivent le plus terrible des cauchemars, la perte de leur enfant.
Rédigé par : Laurent Dingli | 14 mars 2009 à 11:15
Je rentre du taf, là ... Tiens, j'en profite: Est-ce que l'Ordre national des médecins, sans doute lecteur de ce blog s'il n'est pas sot (l'Ordre, pas le blog), ne peut enjoindre fermement, solennellement et publiquement, aux médecins, de cesser de prescrire des médicaments, pilules, gélules, cachous, à tire-larigot, près de trente comprimés différents certaines fois par jour et pour une durée de prescription indéterminée, à ces malheureux octogénaires, nonagénaires, même centenaires, peu ou prou grabataires voire en fin de vie, dont c'est mon boulot actuellement de les accompagner, et qui n'en peuvent plus d'être gavés de ces innombrables molécules chimiques dont la plupart ne leur servent à rien sinon à les dégouter d'ouvrir encore la bouche?... La déontologie médicale, ça sert à quoi? à qui? est-ce que c'est pour les chiens?... Pas plus de trois molécules différentes en gériatrie, pour un vieux, une vieille, il me semble ... que les médicaments dits essentiels ... Qu'on m'explique à quoi jouent ces médecins qui interviennent en gériatrie ... Quel est leur crédo? A quoi rime cet empoisonnement des vieux au quotidien?... Ont-ils des actions, des intérêts, chez la Pharmacopée?... Ou sont-ils cons, tout simplement?... C'en est désespérant ... Eux passent vite fait, prescrivent et se sauvent; moi, je suis là la journée entière et, obligé par ces prescriptions débiles à rallonge, je me sens en fin de journée comme le tortionnaire honteux de ces pauvres vieux, qui les bourre de ces médications infinies sans queue ni tête ... C'est moi, le soignant, qu'on culpabilise, j'en ai plein les c... de ces abrutis et leur médecine et prise en charge gériatrique à deux balles ... Vous verrez, mon cher PB, quand vous serez là-dedans, quand vous serez trop vieux, si vous n'avez plus le choix, on vous en fera bouffer de la gélule, du comprimé, le petit déjeuner, tartines beurrées café au lait ah ah la belle affaire! le repas de midi, du soir, vous les zapperez, vous zapperez tout, vous serez repu déjà et bien gonflé l'estomac de ces petites choses artificielles de toutes les tailles et les couleurs que votre docteur tiendra absolument à ce que vous preniez, absolument, pour votre bien, votre santé, il paraît ...
Sans transition ou transition, je ne sais plus ...
Vous êtes désemparé, mon vieux PB (permettez, une fois, "mon vieux", c'est affectueux ...), je le sens ... Quel réquisitoire appelle ce drame d'Allemagne et tous ces drames pareils, et où aurait-il lieu? quel tribunal?... On est tous bras ballants face à cela, comme des cons, ça nous fuit terriblement ... L'esprit social, professionnel, de compétition, dont nos politiques, toutes nos chères institutions, nous rabâchent les oreilles depuis le primaire jusqu'à l'université et encore au delà, Tim a tout pris à la lettre, il a cru, vraiment, que c'était aussi ainsi, aussi une façon: Soyez guerrier, le meilleur, le plus fort ... Compétitivité, lutte, ruse ... Détruisez vos ennemis, vos concurrents, soyez sans pitié, ne traînez pas, soyez les premiers ... Soyez le plus beau, soyez le plus fort, le plus rentable, le plus intelligent ... Visez les bonnes places, écartez les autres ... la réussite! la gloire! Je comprends, je comprends ... hum ...
Allez, bonne nuit.
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 14 mars 2009 à 00:20
Bonsoir M. Bilger,
J'ai encore beaucoup de mal à me résoudre à vous dire Cher Philippe, tant j'ai la crainte d'être par trop familier. Quel beau réquisitoire que le vôtre, à l'occasion de ce drame qui six années après celui d'Erfurt, endeuille la Nation allemande dans son ensemble. Soit le jeune Tim était schizophrène, auquel cas l'explication de son geste relève des experts en psychiatrie, soit il est lui-même le sinistre produit d'une société en perte de repères, de valeurs, de respect de la vie d'autrui. Certes on pourra incriminer les jeux vidéos, la recherche d'une reconnaissance, l'irresponsabilité d'un père laissant sans précaution son fils mineur au contact de ces engins de mort que sont les armes à feu. On pourra toujours risquer un rapprochement hasardeux avec la récente intrusion au lycée de Gagny ou d'autres faits divers, parfois de massacres, qui ont malheureusement émaillé, au cours des vingt dernières années, la vie des établissements scolaires en Amérique du Nord ou en Europe. La France semble encore épargnée et pourtant les actes délictueux au sein des établissements scolaires se multiplient et s'intensifient dans leur gravité. Des mineurs, de plus en plus jeunes, commettent des infractions de plus en plus graves. Je suis chef d'établissement, proviseur, et chaque jour ou presque, je suis confronté à des conflits que je peine à comprendre. Je suis confronté régulièrement à des agressions, des violences gratuites, des propos haineux, du racisme, du racket. Je connais par coeur l'article 40 du code de procédure pénale, tant les signalements que je dois effectuer au parquet et aux autorités académiques sont fréquents, et pourtant, l'établissement que je dirige n'est pas particulièrement difficile, il n'est classé ni en zone violence, ni en ZEP, et pourtant. C'est bien de banalisation de la violence dont il s'agit, l'école n'est plus le sanctuaire qu'elle devrait être. Nous sommes confrontés à une crise de civilisation face à laquelle responsables, parents, élèves sont dépourvus de véritables moyens de réaction. Je n'ai, Dieu merci, jamais été confronté à pareil drame, mais je tremble à l'idée qu'un jour, dans un établissement de France, il puisse survenir.
Rédigé par : Ludovic | 13 mars 2009 à 21:38
La familiarité évoquée de l'adolescent avec les jeux vidéos ne représentera toujours qu'un facteur explicatif de second ordre : le scandale premier concerne plutôt le fait que tout un arsenal de mort et de dévastation a été laissé à sa proximité immédiate. Peut-être faut-il éviter certains emportements hâtifs en voulant mêler des questions de société légitimes à des problèmes évidents de sécurité publique et beaucoup plus explicites. Les journaux annoncent que le meurtrier était un aficionado de Counterstrike, même si l'information est vérifiée, une atténuation essentielle de sa portée consiste à se persuader que Counterstrike a drainé une communauté de fans de l'ordre de quelques centaines de millions, dont l'extrême majorité n'a pas été victime de confusion entre les ordres du réel et du virtuel. Tout au plus, peut-on remettre à leur juste place la cause et l'effet, et considérer qu'une psyché tortueuse aura conduit en premier lieu ce jeune homme à découvrir dans les jeux violents des soupapes à ses fureurs latentes puis à se séparer ensuite de ses inhibitions par la répétition inlassable de meurtres virtuels avant de passer à l'acte.
Et puis tous les jeux vidéos n'offrent pas cette étrange griserie qui conduit à jouir des violences et destructions dont on s'enivre d'être l'auteur. Les parents doivent être sensibilisés à ces débats, encore faut-il également leur expliquer qu'il existe de nombreux jeux qui éveillent les capacités à construire, entreprendre et imaginer (je préférerais largement qu'un de mes gamins dépensât son temps à jouer à Simcity plutôt que de rester passif devant des émissions bêtasses de téléréalité).
En regard de l'émotion devant cet événement, ces quelques remarques resteront cependant toujours accessoires. Des tragédies de même nature ont ensanglanté récemment l'Allemagne, en impliquant des individus assez semblables dans leurs motivations (échec scolaire et social, dégoût de soi et des autres) et cette succession invite peut-être à de plus vastes interrogations. Les armes à feu font-elles outre-Rhin l'objet de législations irresponsables ? Indéniablement, mais on est en droit de se demander si la récurrence de tels actes n'indique pas également quelque chose de plus fondamental. Depuis l'après-guerre, ce pays plus qu'ailleurs s'est targué d'offrir à sa jeunesse le privilège de l'émancipation et de l'autonomie. Lors de mes années lycée (il y a à peine quinze ans), mes camarades de classe avaient tous pu mesurer la désinvolture et l'insoumission des lycéens allemands, à tel point que nos professeurs ont avoué leurs claires préférences pour les auditoires d'élèves français. Certains jeunes poussaient à un tel degré leur volonté de s'affranchir de toutes conventions qu'ils venaient pieds nus en cours. Même l'organisation des rythmes scolaires tente de correspondre à cet objectif de l'épanouissement de l'âge heureux, avec des journées d'études qui se terminent en début d'après-midi pour offrir du temps aux loisirs, aux arts et aux sports.
Pourquoi pas, mais en exaltant l'idéal d'une jeunesse autoconstruite et libre de trouver ses propres déterminations ou d'inventer son propre destin, il existe le risque que des individus encore inaccomplis et incertains d'eux-mêmes fassent l'expérience d'une détresse insoutenable en ne sachant pas trouver leur place, au point de verser dans la haine et le désir d'autodestruction. Les promesses de réalisation de soi et de plénitude de vie aboutissent alors à leur exacte négation.
L'âge de l'adolescence est un âge cruel, une étrange communauté dont les protagonistes se mesurent et se jaugent à l'aune de leurs rites initiatiques : premières filles, premières cuites, premières cigarettes et premiers joints, savoir se singulariser ou s'approprier les modes et les tendances... Pour aggraver les choses, les performances scolaires à cet âge revêtent une importance cruciale, en déterminant de façon hélas irréversible le rang futur de l'individu dans nos sociétés de compétition. Lorsque des jeunes sont confrontés à un tel entrelacement de contraintes (la pire contrainte restant paradoxalement cette injonction à vivre libre tout de suite), il n'est pas étonnant qu'émergent des dépits véhéments parmi ceux qui n'arrivent pas à se conformer à ce tissu complexe de représentations. Ici, des jeunes encapuchonnés se répandent comme des vandales au milieu de manifestation de lycéens pour soutirer des portables et autres signes de richesse juvéniles (étrange constat d'ailleurs : les cibles de ces jeunes sont souvent des lycéens de filière générale, dont des adultes complimentent à l'excès les passions militantes et les "désirs" de politique), et là-bas, des individus solitaires réalisent l'horreur.
Rédigé par : olivier | 13 mars 2009 à 14:59
http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/03/13/le-jeune-tueur-allemand-n-avait-rien-ecrit-sur-internet_1167348_3214.html
Ouch...
Néanmoins cela n'enlève pas grand-chose à votre démonstration, il suffit de l'appliquer aux autres drames de ce type où le meurtrier avait préalablement annoncé son geste. Une grosse réserve par contre sur votre analyse du rôle des jeux vidéos, rien n'indique qu'ils soient plus "influents" qu'un film ou qu'un livre. Je développais cela ici : http://billy-tallec.typepad.fr/leblogpolitiquedebilly/2009/01/cour-et-net.html
Rédigé par : Billy Tallec | 13 mars 2009 à 14:55
Bien sûr, je ne suis pas juge.
Juste un père de famille et un membre de cette société.
Dans mon désarroi je dis :
Responsabilité aux parents qui démissionnent et á ce qu’ils les défendent dans cette démarche (faute á la pauvreté nous disent-ils… Les parents de l’élève Kretschmer sont entrepreneurs !)
Responsabilité aux blogueurs qui ont lu son message et qui n’ont pas bronché. Pas un mot. Pas un coup de fil au lycée ou á la police locale. Responsabilité á ceux qui nous chantent sur tout les airs que faire cela, c’est de la « délation ».
Responsabilité aux politiques qui n’ont pas le courage d’interdire ces jeux stupides de mise á mort alors que de par le monde sévissent encore et toujours de vrais conflits avec de vrais massacres d’innocents ! Responsabilité á ceux qui nous chantent sur tous les airs que d’interdire ces jeux c’est s’en prendre á la liberté artistique !
Je pleure. Je pleure ces gosses tués une balle dans la tête.
J’ai la haine. Je suis presque dans l’état de l’élève Kretschmer.
Rassurez-vous je ne suis pas armé.
Rédigé par : Ledun JP | 13 mars 2009 à 14:05
Oui, je pense comme carredas que la défaillance de plus en plus de parents due au travail des deux membres du couple, au relativisme ambiant et au matraquage médiatique qui souvent inverse les valeurs est sinon la cause unique mais en tout cas un facteur favorable au "décrochement" des jeunes avec la réalité. Le virtuel nourri par Internet, un certain cinéma font leur part et reste, bien sûr, l'hérédité.
Rédigé par : mike | 13 mars 2009 à 13:26
« J’étais énervé, j’ai pété un câble » disent parfois les jeunes qui cherchent à s’exonérer de certains passages à l’acte. Une des explications des drames de Winnenden et de Columbine me semble devoir être recherchée du côté des conséquences de deux passions humaines : la colère et la vengeance. Le jeune Tim Kretschmer était un concentré de colère.
Il l’a passée sur certains de ses contemporains.
Le philosophe Peter Sloterdijk dans son livre Colère et Temps pose que l’homme n’est pas seulement animé par les affects "érotiques" (jouissance, possession), mais tout autant par les affects "thymotiques" (fierté, colère, vengeance).
Notre monde depuis toujours est en effet saturé d’une "conflictualité" entre les être humains et recru de crimes qui s’alimentent à la source de la colère et de la vengeance.
Ces dernières sont entrées dans la littérature populaire par exemple avec le Comte de Monte Cristo et ont servi d’argument à tout un cinéma d’action en particulier (Rambo, Mad Max, etc.).
L’homme est un animal violent, colérique et vengeur.
Le 3 juin 1835, Pierre Rivière, un jeune paysan normand de vingt ans, égorge à coups de serpe sa mère, sa soeur Victoire et son jeune frère Jules.
Cette affaire a fait l’objet d’une étude que lui a consacrée Michel Foucault en 1973 et d’un film de René Allio sorti en 1976 "Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère". Le criminel a expliqué son geste dans son autobiographie. Il s’est agi pour lui de délivrer son père des "peines et afflictions" que lui faisait subir son épouse (sa mère) depuis le premier jour de leur mariage en 1813 jusqu’à 1835.
Rédigé par : michel V | 13 mars 2009 à 12:43
Les frustrations à cet âge peuvent être violentes, avec 18 armes à feu autour...
Une chose que je remarque sans prétendre que ce serait lié à ce drame: dans toutes les séries télévisées, la seule manière de créer de l'intensité dramatique en 5 minutes est de la violence, de la mort, ou de la maladie.
Cela me choque plus que les mises en scène de plus en plus réalistes.
Rédigé par : Alexandre | 13 mars 2009 à 12:00
Il apparaît ce matin dans la presse allemande que les aveux sur internet ne serait pas authentiques.
Rédigé par : bbr | 13 mars 2009 à 10:28
Une fois de plus une tuerie est l'oeuvre d'un homme, d'un homme jeune mal dans sa peau sans vouloir faire de la psychologie à deux euros. Elle nous dit me semble-t-il beaucoup de la difficulté de certains garçons à se retrouver dans le schéma masculin que la société leur propose encore : être fort, courageux, charismatique, être un leader qui s'impose faute d'être aimé et admiré. J'imagine le désarroi d'un adolescent nié, moqué, pas aimé dans sa famille et son entourage. Quand il est difficile de se croire aimable, la violence devient attirante. Beaucoup resteront heureusement inhibés, d'autres par la grâce d'une rencontre, l'attention d'un prof, d'un voisin, parfois un tout petit rien, parviendront à la dominer tandis que quelques-uns sombreront, solitaires ou dans un groupe. Mais encore faut-il être accepté par ce groupe. Je suis toujours étonnée de voir le ramassis de paumés qui se retrouvent dans des mouvements d'extrême droite voire néo-nazis, des pauvres mecs qui cherchent à se convaincre qu'ils font partie d'une élite.
Par la mort des autres ce jeune homme obscur, falot, a atteint une notoriété immense que sa vie n'aurait sans doute jamais pu lui offrir. Je me demande si le serial killer, celui que vous rencontrez Philippe dans votre vie professionnelle, tueur souvent de femmes lui aussi, n'est pas le cousin germain de ce garçon ; lui qui va venger ses frustrations par des morts répétées mais qui finira par se laisser prendre pour, enfin, connaître son moment de gloire, pour dire "vous voyez j'ai été drôlement malin, je ne suis pas le minable que ma famille/mes collègues... pensaient ".
Ce n'est pas une excuse ; un constat seulement, terriblement dérangeant.
Pionne et prof pour payer mes études je me suis souvent demandée face à des jeunes butés, fermés, à des boules de violence plus ou moins contenue, quelle désespérance ils avaient déjà accumulée à un âge qui aurait dû être celui du bonheur, de l'insouciance et de la légèreté.
Rédigé par : catherine A | 13 mars 2009 à 10:09
Dans un monde où tout est relatif, la mort reste l'ultime concept absolu. Donner la mort est peut-être la dernière tentative d'affirmer que l'on est vivant, en franchissant un seuil d'où l'on ne revient pas. Et cette affirmation peut conduire à l'horrible constat que l'on peut prendre goût à tuer. Ce serait la seule réalité tangible de notre propre existence. Relisez donc "Un roi sans divertissement" de Jean Giono...
Rédigé par : Moi | 13 mars 2009 à 08:59
Ce n'est pas le premier remake de "Columbine", mais cela se passe en Europe...
Nous avons peut-être tendance à considérer que seuls les Américains sont capable d'engendrer de tels comportements chez les adolescents, ce qui explique la stupeur de nos voisins allemands.
Ce qui paraît évident, c'est que la familiarité des armes à feu facilite l'hécatombe.
Pour le reste, le monde s'est considérablement rétréci avec internet, et les adolescents - mais pas seulement eux - y trouvent toutes les idées qui ne leur seraient pas venues directement...
Il y a peut-être une certaine vanité dans les sociétés occidentales à condamner à tout prix la violence et l'agressivité qui font partie de nos instincts vitaux ?
Pour maîtriser son agressivité, un humain (surtout au sens masculin du terme) a me semble-t-il besoin de la reconnaître et de l'accepter avant de la transcender.
C'est un chemin sur lequel l'adolescent a besoin du soutien essentiel de ses parents.
Ce sont les parents qui rendent le monde compréhensible ou pas à leurs enfants.
Le glissement actuel de la responsabilité parentale définie à la responsabilité sociétale indéfinie n'est pas sans effets.
Rédigé par : carredas | 13 mars 2009 à 08:29
Souvenez-vous, cher PB, de ce que j'avais écrit ici même l'an dernier, il y a plusieurs mois ... Ce siècle sera -aussi- celui des massacres civils de masse (tels celui-là d'Allemagne aujourd'hui) et celui des suicides collectifs. Ces choses-là, je les pressentais dès 1987, lorsque j'ai écrit et publié à compte d'auteur, à la Pensée Universelle, mon premier ouvrage (Publicité): REGARD ET RAISON. Je n'ai plus cet ouvrage et il est depuis introuvable, mais si quelqu'un le trouvait et le lisait, qu'il me pardonne cette écriture mais ce furent là mes premières Lettres ... A la fin, tout un long chapitre que j'avais intitulé: LA MARGINALITE. Aujourd'hui, je suis sidéré moi-même de constater que je ne m'étais pas trompé; tout y est de notre triste quotidien social et individuel actuel ... jusqu'à ces extrêmes, cette folie, ces Tim Kretschmer ... Quelle intuition m'a mené, dès cette époque, à comprendre et pressentir cela, alors que j'étais moi-même complètement perdu et dans ma vie sociale et dans ma vie personnelle, alors que j'étais -je le sais aujourd'hui- profondément dangereux et pour moi-même et pour les autres, alors que j'allais au suicide dans le carnage des autres si on ne m'avait à temps arrêté?... Je ne le sais, je ne pensais pas, je ne me souviens pas d'avoir pensé à ce moment, juste écris ce petit livre comme on dit quelque chose à quelqu'un, à personne, puis ... la prison longtemps ... heureusement. Je ne ferai jamais l'apologie de la prison, j'ai trop vu les drames qu'elle cause, les gâchis, j'ai trop connu ses tares et ses dangers ... Mais que je sois honnête avec moi-même: moi, elle m'a sauvé ou alors je me suis sauvé en elle, par elle, je ne sais ... Je suis profondément inquiet quant aux années qui viennent, on verra des choses terribles que beaucoup ne comprendront pas ...
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 13 mars 2009 à 02:03