Il y a les mots du dimanche comme il y a le langage de la semaine. Les premiers ne sont pas comparables au second. Les uns se laissent parfois aller quand l'autre demeure sérieux. Les politiques, avec les émissions qui leur sont consacrées en fin de semaine et les entretiens de la presse écrite, sont mis à contribution et il arrive qu'ils surprennent. Des caractères se révèlent, d'autres se démasquent. Le pire sort de certaines bouches et le meilleur de quelques esprits. Rien de plus éclairant que de prendre les mots au pied de la lettre, le dimanche.
Christian Vanneste fait un festival quand, invité de Parlons Net-France Info, il explicite sa position sur l'homosexualité qui poussée à l'universel constituerait un danger pour l'humanité. Il défend aussi et surtout le "fouillis créatif" du Web et s'opposera au vote de la loi Hadopi. Rue 89 s'interroge gravement à son sujet : est-il possible d'être "réac et progressiste" ? Mais bien sûr. Ces deux démarches aspirent au mouvement mais pas dans le même sens. Dans le passé ou dans l'avenir, au gré de l'humeur ou de l'intelligence, elles vont quérir leur nourriture.
Franck Marlin, député-maire UMP d'Etampes, répond par un communiqué au président de la République qui dénonçait "l'amateurisme" du groupe parlementaire UMP à cause du rejet de la loi Hadopi, en le contredisant : "je suis fier d'être amateur". Pour lui, ce texte va à l'encontre "du droit français et du droit européen".
Roger Karoutchi, dans Le Parisien, cultive une posture "d'épagneul" ministériel. Il en rajoute dans la dépréciation de lui-même pour plaire au président et, tout en murmurant son innocence dans le rejet de la loi Hadopi, on le sent prêt par masochisme dévoué à endosser toute la culpabilité qu'on voudra.
Rama Yade, dans Dimanche Soir Politique repris par Le Monde, tente de frayer un chemin pour les droits de l'homme entre la raison d'Etat d'un côté et son intérêt propre de l'autre. Cela peut séduire ou ennuyer, c'est selon.
Claude Allègre, l'Invité du Dimanche dans Le Parisien, lui, a la complaisance "allègre" et furibarde. Il est vrai qu'il n'est pas encore ministre. Là où Roger Karoutchi fait peine, il tonitrue avec une assurance qui devrait inquiéter si les citoyens suivaient toutes ses pensées à la trace. Claude Allègre, en tout cas, se donne du mal. Il juge que la démarche africaine de Ségolène Royal est "scandaleuse" et vante la capacité d'indépendance du président de la République. Un "sans faute" pour qui, paraît-il, rêve de revenir au gouvernement mais dans un autre !
Philippe de Villiers, lui, a exprimé l'envie de demander "pardon à l'Afrique et à la France" pour "les bêtises de Ségolène Royal" (site du Nouvel Observateur).
Jean-Luc Melenchon, au Grand Jury RTL-le Figaro-LCI, certes se déclare hostile aux "séquestrations" mais prône "la désobéissance civique". Programme alléchant de la part d'un homme qui, sans nous offrir la capacité de la sauver, a la manie de ne voir la France qu'au fond du gouffre, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il fasse beau !
Enfin, pour terminer cette revue presque exhaustive, Pierre Moscovici, lors du Grand Rendez-vous, a, tout en pourfendant "l'Etat Sarkozy", soutenu une position de bon sens et de légitimité démocratique au sujet du discours à Dakar le 6 avril dernier de sa camarade socialiste Ségolène Royal. Il a rappelé que si elle avait le droit de demander "pardon en son nom personnel ou d'exprimer une critique forte", seul le président de la République avait le pouvoir d'engager la France et de "demander pardon" en son nom. Il n'y a pas "de contre président en France". Analyse d'autant plus équitable qu'elle émane d'un opposant qui estime que le discours présidentiel à Dakar en juillet 2007 était en effet critiquable. Etonnant tout de même, de la part de l'ancienne candidate aux présidentielles, que ce vertige des grandeurs, cette impropriété de l'idée et de l'expression qui l'ont fait assumer, un trait de temps, ce qui ne relevait pas d'elle.
Je voudrais, en conclusion, tenter d'extraire de ces citations d'intérêt, de portée et d'authenticité inégale le socle qui me paraît fondamental pour asseoir la crédibilité de propos et l'adhésion à ceux qui les prononcent. Que faut-il pour qu'une parole soit entendue et crue, pour qu'une personne inspire confiance ? Peut-être convient-il de distinguer d'ailleurs précisément la musique et les paroles ?
Il me semble qu'en effet, avant même que l'esprit s'attache au fond, nous sommes sollicités par la tonalité, la forme, par un air de liberté, une apparence de vérité, un dédain de la bienséance politique. Ce qui donne du prix à telle déclaration plutôt qu'à telle autre, c'est que l'une suinte l'artificiel et le stéréotypé par l'adoption d'un registre qui vise non pas à convaincre l'ensemble des lecteurs ou des auditeurs mais un seul, le seul qui compte, et que l'autre donne l'impression d'être détachée de tout souci de carrière et de toute flagornerie tactique. Des propos, parmi ceux que j'ai cités, ne sont clairement destinés qu'au président de la République et à ce titre ils manquent de cette spontanéité inventive qui fait mouche. D'autres offrent au moins l'illusion d'être dits pour tous. Tel éloge, tel soutien attendent un salaire quand la pensée authentique se satisfait d'être sa propre gratification.
Pour retenir l'attention et ne pas sombrer dans l'océan médiatique de l'insignifiance, les mots politiques du dimanche doivent signifier quelque chose. Car on peut dire et parler à perte de vue sans forcément mériter le respect d'une véritable écoute. Combien de fois peut-on se reconnaître, notamment dans la sphère audiovisuelle, vraiment étonné, éveillé, réveillé par la force (je n'évoque même pas leur pertinence, qui relève d'un autre registre) de déclarations, de réponses tranchant sur l'ordinaire communiqué ? A l'évidence, rarement, trop rarement.
La cause de cette habituelle atonie réside sans doute dans une alternative simple pour les responsables conviés à dispenser leurs lumières en fin de semaine. Ils commentent, pactisent, paraphrasent et se solidarisent - et l'ennui est souvent au rendez-vous, en tout cas la "langue de bois" qui est le nom noble de l'assoupissement en politique - ou stimulent, contestent et se gardent de toute inconditionnalité - et le reproche leur sera fait d'une dissidence choquante favorisant l'adversaire. Il n'empêche que, pour fuir l'eau tiède aggravée par la faiblesse et le peu de pugnacité de notre journalisme politique, la solution ne dépend que des tempéraments et des intelligences trop libres pour accepter la loi prévisible d'un parti ou le discours unique du pouvoir. On sent tout de suite les propos qui résonnent et raisonnent comme un défi et ceux aisément remplaçables banalisés par la routine du langage.
Enfin - cette constatation est rassurante -, pour susciter une adhésion immédiate un propos se doit d'être signifiant, de s'inscrire dans l'espace médiatique et, en même temps, il ne peut manquer de s'assigner une ambition. Il est guetté par le lecteur ou le téléspectateur. L'ironie facile, la légèreté méprisante sont rejetées comme le lourd appareil d'une irresponsabilité aussi décisive qu'elle s'imagine. Par exemple, aussi bien Philippe de Villiers, en l'occurrence, que Jean-Luc Mélenchon.
Ce qui fait, à mon sens, l'indéniable qualité du propos de Pierre Moscovici, c'est qu'il parvient rapidement à appréhender la complexité du réel qu'on lui soumet et à communiquer une analyse à la fois lucide et engagée, équitable et pourtant critique. Il n'est pas de langage politique même le plus immédiat qui puisse se dispenser d'un exigeant sens de la responsabilité pour être écouté avec gravité, sans dérision.
Je vous laisse faire votre classement au regard de tous ces critères.
Au fond, les mots politiques du dimanche, tant pour les personnalités qui les profèrent que pour leur substance, renvoient à des vertus sans lesquelles le civisme les jugerait inadaptés au monde en crise d'aujourd'hui. Sincérité, vérité, courage et liberté.
Des héros du dimanche.
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